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J.ALAI
S DE LA
JECOIJVUT::
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UN
~lOUVDU"1USEE
DES SCIENCES
ET
DES TECHNIQUES
ELEMENTS DE REFLEXION
Présentation :
F. CHAMPION -
J. EDEL~~C.:-I.R.S.
UNIv~RSITE
PARIS V
igO.
L'évènement qu~ a constitué l'annonce de
:8
création d'un vaste musée dessciences et de l'industrie à La Villette a permis la cristallisation d'une réfle-xion débutée dans les années 70, à propos de la science et de la spécificité de
l'action de vuliarisation ..
Cette note s pour objet la présentation des lignes directrices autour
des-quelles tend désormais à s'aaencer le discours de la muséologie scientifique tel
qu'on peut en particulier le percevoir à la lecture de deux documents parus en
1980 :
- le rapport de la mission d'étude du projet de La Villette - une contribution du Palais de la Découverte à l'étude d'un musée
des sciences et de l'industrie.
A la lumière de recherches sociologiques et sociopédagogiques que nous avons menées ces dernières années, principalement au Palais, nous pointerons les
prin-cipaux problèmes que ces projets soulèvent.
I. D'un musée de la science "pure" à
un musée en prise sur la société Le projet fondateur du Palais de la découverte (P.O.) - auquel, par la
suite, les successeurs de Jean Perrin se sont pour l'essentiel tenus - était de diffuaer la science pure, c'est-à-dire la science séparée de la technique, séparée
de ses aspects économiques, socisux, politiques. Un tel projet n'est pas dénué de
signification sociale et politique mais c'est en creux qu'elle y est inscrite.
Il n'en sera plus exactement de même dans le futur musée de La Villette. Croire possible une science pure, conception dominante jusqu'au début des années 70 a, dans la dernière décennie, été fortement contestée. Ici et là on a
souliiné qu'elle était indissociable non seul~ent de la tecbnique mais aussi de
l'industrie. De tous les côtés, de façons très diverses on a insisté sur ses
di-mensioas économique, militaire, sociale, pclitique.
Les projets pour un nouveau musée des sciences reflètent ce mouvement. Une
larie place sera en effet donnée à la technique et à l'industrie. L'économique et
le social auront aussi droit de cité : non seul~ent su titre de complément aux
présentations "scientifiques" (des sciences physiques ou naturelles) et
techni-ques mais en tant que telles puisque des sections leur seront consacrées (section économique, section sur le travail humain).
Ls question de la science et de la technique comme problème directement
politique n'est pas non plus iinorée. Le "rapport La Villette" se refère dans
A vrai dire, dès lors qu'on s'sttache à la réalité industrielle et écono-~ique de la science, la question politique ~e peut être éludée, ni même seule-ment ?~é~e~tée en ~reux des analyses, des convictions politiques intervien-nent nêcessairemenc dans ~s présentations.
A c~ propos, siinalons que celles qui animent le prejet La Villette ne vent nullement dans le sens des références à la démcc~atiedonnée en guise
d'in-troduction. La visée est en effet cC'nstamne!lt adaptative et réparatrice ("réha-biliter l'image que le ~ublic se fait de la science et de l'industrie"). Il s'agi t d'éluder tout questionneroent, de "faire réaliser" au visiteur, de le trc.onvaincre"J de le "persuader", de "1' amener à penser" .•. en deux mots : que le bien fondé du développement et de l'organisation scientifiques, techniques, industriels que noua connaissons, est incontestable.
~ous ne partaieons pas ces objectifs, ils le seront par d'autres. quoiqu' i l en soi r. avec. 1 a IIfin" de la science pure, qurOD le reconnai s se ou r~on, la politique fait son entrée au musée de science français.
II. Un musée adapté à son public
Au P.D. comme au futur musée de La Villette on veut désormais prêter atten-tion au public: à sa diversité et à son mode d'approche dont on reconnaît en particulier qu'il est étranger aux divisions en disciplines de la science.
1'_ Au sujet du mode d'approche du visiteur
L'approche du public de la vulgarisation scientifique, du visiteur de ~usée part, nous dit-on ("rapport La Villette"), de sa réalité quotidienne. Mais laquelle? Car, selon que le visiteur s'intéresse par exemple au monde phy-sique et biologique ou au monde technique ou encore aux problèmes liés à
l'actualité, sa visée change - celle d'une compréhension de type scienti-fique concerne prioritairement le monde physique et biologique, encore que les modes d'approche varient en fonction de la signification que le visiteur ~orde aux divers faits qu'étudie la science: dana quelle mesure le con-cernent-ils? (on sait que les questions des origines de l'homme et du monde, de l'hérédité sont parmi celles qui interpellent le plus vivement le public). Appréhender une technique ue'sera pas seulement comprendre son fonctionne-ment et les connaissances scientifiques qui la fondent mais aussi s'intéres-ser à son histoire, aux avantaies, aux risques, aux coûts, au marché •.. ce pourra être également chercher à se 'faire une opinion" : sur la technique mime, sur ce qu'elle peut mettre en jeu d'économique, de social, de
poli-tique. Ce type d'interrogation sera encore plus présent à propos de l'actualité.
A des questionneœents d'ordre radicalement hétérogène ne peuvent que cor-respondre des présentations de logique différente - ce qui est autre chose
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qu'une .pproche interdisciplinaire. Le méconnaître n'est-ce pas (impli-citement) prétendre qu'un m~e critère d'objectivitê (scientifique) peut
régir de la m~e façon les différentes présentations - Sur la diversité du public
Ne plus simplement parler d'un grand public mais de visiteurs fort divers est incontestablement positif. Mais une fois posé ce constat comment prenére
en compte cette diversité? Est-ce même possible?
Il est une manière de définir des types de public qui amène nécessairement
à ne voir dans le visiteur qu'un individu "abstrait". coupé de tous ses liens sociaux, indentifiable seulement par son camportement plus ou moins actif dans son rapport aux présentations. Ainsi, recenser des visiteurs potentiels
à partir des critères les plus hétérogènes - de l'enseignant au footballeur
en passant par les maires de France - ne peut que revenir à constituer un public mythique, car son extrême diversité sera impossible à prendre en charge : ses intérêts pourront être tout au mieux cernés à postériori à
l'occasion d'enquêtes de motivation. On aura donc affaire à un public parfai-tement anonyme : de nouveau le grand public.
Une autre manière de procéder et de diversifier le public en fonction de
critères susceptibles de faire apparaître des intêrêts, des préoccupations,
des modes d'approches; de le considérer en tant qu'il a affaire à la science et à la technique. Par exemple, à côté des usagers prêts à être séduits par
les innouations techniques on pourra prêter attention aux travailleurs de divers domaines d'activité, s'interrogeant sur la signification du point de vue éconamique, et de l'organisation du travail, des transformations de la tec~nique.Dans cette optique on pourrait d'emblée s'attacher
à
repé-rer les lieux d'une demande manifeste, en ?srticulier: chez lES grollnes 30(13'.'" qui procèdent à une appropriation de savoirs (clubs scientifiques, sections scientifiques de M.J.C., groupes syndicaux, mouvements écologistes .•. ).
Venons en à la principale hétérogeneité du public: l'inégalité des
condi-tions sociales : comment le musée peut-il la prendre en charge ? Peut-il même le faire? On peut effectivement se poser la question quand on sait que
même les politiques culturelles les plus soucieuses de démocratisation n'ont guère donné de résultats probants.
Mais quoiqu'il en soit on ne peut pas éluder la question, ni la réduire simplement à une qu~stionde niveaux scientifiques et d'attitudes
psycholo-.iques. Car, le rapport au savoir, à la culture, aux établissements culturels,
mêmedépoui~~és je leur solennité, est social ement défini. ALoi, isoler des
attitudes passives en méconnaissant les slg,..f:cat:ions diiféc etes qu'elles
peuvent revêtir pour des visiteurs d'appartenances socisi's différentes ne peut que contribuer à renforcer les inégalités sociales. Un exemple: pour
sou-.
vent dû à l'ignorance du code (pas seulement scientifique). Lui offrir des présentations spectaculaires, l'impressionner n'est-ce pas, plus encore quepour un zucre visiteur, manifester le caractère inaccessible de toute
infor-~tion scientifique?
III. Pédagogie et oLséologie
Opter pout un musée qui ressortit clairement de l'entreprise c~~:urelle et de la fo~ationpermanente, et non plus d'un projet d'enseignement (J.Perrin disait à propos du Palais, qu'il devait être "un établissement de haut ensei-gnement") suppose d'imaginer un mode original de transmission des connaissances - qui prend en charge la dimension "cot1!Dunication" (non pas seulement en tant qüe véhicule de la culture, mais éventuellement comme une fin en soi).
- qui se démarque du :nodèle pédagogique de l'école. Les stratégies pédagogiques qui sont esquissées dans les projets relatifs au futur musée, s'apparentent plus ou moins de cette problématique.
1°_ Co=unication et "science qui se fait"
La mise en spectacle de la science, particulièrement visible dans une conception du musée comme "l'édifice d'une science figée et triomphante" a de toute évidence privilégié l'oeuvre de représentation au détriment de la fonction de communication.
Si cette conception avait un sens à un moment où prévalait une vision optimiste du projet scientifique, elle n'en a plus dans une période de
scep-tiscisme. A une entreprise de propagande et de promotion, s'est substituée une entreprise de réhabilitation.
On s'attachera dès lors moins à présenter des résultats qu'une démarche, qu'un contexte, non plus une science construite mais une science qui se fait.
Les opérations du type "laboratoires portes ouvertes"1 ou "science dans
la rue" ont tracé la voie en ce qu'elles constituaient une expérimentation de ces principes. Elles sont largemllnt intégrées dans le projet "ta Villette" .
Il s'agit dès lors de ne pas tomber dans les travers d'une communication mythique, mais poser les conditions d'une réelle interpellation de la science et des scientifiques par la "sphère" publique et laisser s'exercer le droit à la critique.
2°_ Approche thématique intégrée
Tenir compte de la diversité du public signifie, entre autre, on l'a vu, se préoccuper de l'ancrage son éventuel intérêt pour la science et la technique. Il s'agit donc de s'attachet aux thèmes où se concentrent l'in-térêt et de repérer de quel découpage de la réalité, de quelle logique de questionnement ils procèdent. Observer si ces modes d'appréhension de la réslité recouvrent (totalement, partiellement, ou pas du tout) ceux de la science, serait un corollaire de cette démarche.
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Une des stratégies pédagogiques développées dans les projets étudiés,
s'attache sans aucun doute à une problématique similaire en ce qu'elle manifeste une rupture avec une vision de la science découpée par disci-pline, et non impliquée directement dans le développement industriel (pré-sentation scolaire de la science).
Cependant supposer une typologie des intérêœdont les caractéristiques
essentielles seraient d'une part un lien obligé entre science et technique et d'autre part une naturelle composition des diverses disciplines scienti-fiques
- renforcerait l'idée d'une logique inéluctable du développement
scien-tifique et technique (et par la même incontrôlable),
- gommerait l'existence bien réelle d'un cloisonnement entre les domaines de recherche (et par la même ignorerait sa signification dans la
cons-titution et le fonctionnement de la science).
3°_ Rhétorique et niveaux de lecture
La prise en compte d'un autre aspect de la diversité du public, son
hété-rogeneité de formation technique et scientifique, suggère d'envisager l'é-ventualité d'une pluralité des contenus didactiques. Ceci se traduit essen-tiellement par l'expérimentation de la stratégie des niveaux de lecture.
Deux alternatives peuvent alors se présenter
- constitution d'un langage particulier à la vulgarisation scientifique
éliminant autant que faire se peut, la conceptualisation et la formali-sation, et fondé essentiellement sur les analogies, les métaphores, les schémas, les illustrations, les expériences.
restitution/explication du discours propre à la science en ce qu'il est partie prenante de l'entreprise scientifique et en ce qu'il éclaire sur sa démarche et ses projets.
Le risque de la première stratégie est clair : non pas tant procéder à
une simplification abusive de la connaissance scientifique, mais y substi-tuer une démarche d'explication incohérente et inadéquate. Le pari de la
seconde stratégie est difficile à tenir s~ on ne procède pas à une mise en
correspondance systématique de deux systèmes linguistiques (le langage
ordi-naire, le langage de Is science) en des lieux pertinents (but, méthode, his-toire, politique de la science, par exemple).
Les projets étudiés semblent renoncer à venir à bout de ce dilemme en en déplaçant la problématique sur le terrain de la multiplication des
sup-ports didactiques, et en supposant un langage univoque pour chaque support (le langage des panneaux, ,e langage automa~isé, le langage auèio-;isuel,
le langage de la manipulation, le langage de l'objet esthétique et specta-culaire) .
Ce procédé n'induit-il pas nécessairement une hiérarchisation des
fixe à des exposés 2t des expériences cvrnmentées (qui se veulent
specta-culaères), est l'~age classique de la :radition du P.D.
Cette conception de l'ani~ation est anti-participative et génératrice
de èésintérêt chez le visiteur. C'est à partir de ce ccnstat qu'ast ve~ue
s'organiser une réflexicn quant à un renouVeau des dispositifs ?éèagogiques et didactiques.
P~usieur8 tendances se ~anifestent :
un renforc~entde l'équipe d'anilnation et un accroissement de la dis-ponibilité vis-à-vis du public,
- une manipula.r.icn directe des "objets scientifiques", par exemple dans le cadre de laboratoire en self-service,
- une automatisation des supports didactiques, par l'introduction des micro-ordinateurs et le développ€ment de l'audio-visuel (diaporamas et films commentés).
La tendance dominante est celle de l'automatisation (c'est en tout cas l'image de marque de La Villette), selon le modèle des" science centers" américains. Est-ce à dire qu'on a renoncé à la communication orale et qu'on ne tolère plus le vulgarisateur que médiatisé par la machine
Ou plutôt celà ne procède-t-il pas de l'idée selon laquelle toute auto-formation est un processus solitaire et désocialisé (vision traditionnelle de l'autodidaxie) où l'on peut faire l'économie de la relation pédagogique