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Entre droit et politique : le concept de délégation internationale et le règlement des différends commerciaux canado-américains en matière de droits antidumping et compensateurs sous le chapitre 19 de l'ALÉ et de l'ALÉNA

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Entre droit et politique :

Le concept de délégation internationale et le règlement des

différends commerciaux canado-américains en matière de

droits antidumping et compensateurs sous le Chapitre 19 de

l’ALÉ et de l’ALÉNA

Thèse

Marie-Hélène Cantin

Doctorat en science politique

Philosophiae Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

Cette thèse sřintéresse aux mécanismes de règlement des différends commerciaux internationaux, plus particulièrement à celui du Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA. Combinant les approches du droit et de la science politique, nous nous intéressons plus particulièrement au concept de délégation en Relations internationales. Dans cette optique, cette recherche se demande si la délégation juridique qui est accordée au Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA inclut, en pratique, le pouvoir dřinterpréter les règles de façon à créer de nouvelles obligations pour les États. Cette création de nouvelles obligations concerne la capacité des panélistes du Chapitre 19 de se prononcer sur la justesse des décisions administratives et sur lřinterprétation des législations nationales (faible niveau de déférence).

Afin dřopérationnaliser notre recherche, nous suggérons une reconstruction en trois niveaux du concept de délégation juridique internationale, dont les deux dimensions proposées sont lřoctroi dřautorité (qui concerne les engagements ex ante des États) et lřindépendance du mécanisme de règlement des différends (qui a trait à la portée des engagements ex post des États). Suivant cette conceptualisation, nous avons effectué une analyse du contenu de 59 décisions canado-américaines qui ont été rendues sous le Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA durant la période allant de 1989 à 2008.

Nos résultats de recherche dévoilent que les panélistes du Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA exercent généralement un niveau de déférence très semblable de cas en cas, ce niveau se trouvant quelque part entre la déférence forte et la déférence moyenne. Toutefois, dans environ 30% des cas, les décisions présentent, à différents degrés, de la déférence faible. Nos données ont également identifié la présence dřun développement modéré dřun mode de raisonnement indépendant sous le Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA. Nos résultats de recherche témoignent alors dřune certaine indépendance des groupes spéciaux et dřun pouvoir de créer de nouvelles obligations pour les États, car les panels peuvent aller au-delà du simple contrôle juridictionnel en choisissant dřinterpréter les lois et dřémettre des jugements qui vont à lřencontre des décisions administratives.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES TABLEAUX ... ix

LISTE DES FIGURES ... xi

LISTE DES ABBRÉVIATIONS ... xiii

REMERCIEMENTS ... xv

CHAPITRE 1 : Introduction ... 1

1.1 Droit commercial international : le GATT/OMC et le phénomène de juridisation ... 5

1.2 Débat entre la diplomatie et le droit ... 12

1.3 Problématique générale de la recherche ... 17

1.4 Plan de la thèse ... 21

CHAPITRE 2 : Lřanalyse des différends commerciaux et le concept de

délégation en Relations internationales ... 25

2.1 Lřanalyse des différends commerciaux internationaux ... 26

2.2 Le concept de juridisation en Relations internationales ... 31

2.3 La délégation en Relations internationales ... 40

2.3.1 Définir la délégation ... 42

2.3.2 La délégation : un concept variable ... 49

2.3.3 La relation principal-agent et le contrôle sur la délégation ... 53

2.4 Lřimportance du niveau interne dřanalyse ... 60

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CHAPITRE 3 : Le Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA ... 65

3.1 Les négociations du Chapitre 19 ... 65

3.2 Le mécanisme du Chapitre 19 de lřALÉNA ... 72

3.2.1 Le concept de délégation internationale et lřautorité accordée au Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA ... 76

3.3 Les législations commerciales nationales ... 79

3.3.1 La législation commerciale américaine ... 79

3.3.2 La législation commerciale canadienne ... 85

3.4 Le Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA en pratique ... 90

3.5 Les visions divergentes du Canada et des États-Unis ... 93

Conclusion ... 100

CHAPITRE 4 : Le contrôle judiciaire des décisions administratives au

Canada et aux États-Unis ... 103

4.1 Le contrôle judiciaire au Canada ... 105

4.1.1 Évolution canadienne : de lřerreur juridictionnelle à la norme de contrôle ... 108

4.1.2 Les normes de contrôle judiciaire au Canada ... 111

4.1.3 La méthode dřanalyse pragmatique et fonctionnelle ... 116

4.1.4 Révision des décisions en matière de droits antidumping et compensateurs au Canada ... 119

4.2 Le contrôle judiciaire aux États-Unis... 125

4.2.1 La révision judiciaire des décisions administratives aux États-Unis... 128

4.2.2 Les doctrines du contrôle judiciaire aux États-Unis ... 130

4.2.3 Révision des décisions en matière de droits antidumping et compensateurs aux États-Unis ... 135

Conclusion ... 141

CHAPITRE 5 : Cadre opératoire et méthodologie de recherche ... 145

5.1 Question de recherche ... 145

5.2 Hypothèse de recherche ... 149

5.3 Reconstruction du concept de délégation juridique ... 152

5.4 Indépendance et délégation juridique : tension entre le droit et la volonté politique ... 160

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vii

5.4.2 Hypothèses spécifiques de recherche ... 166

5.4.3 Attributs pouvant aider à expliquer la variation du niveau dřindépendance ... 168

5.5 Méthodologie employée ... 173

5.5.1 Stratégie de vérification, unité dřanalyse et technique dřanalyse des données ... 173

5.5.2 Collecte et traitement des données ... 178

CHAPITRE 6 : Présentation et analyse des résultats ... 181

6.1 Présentation des résultats de lřanalyse empirique ... 182

6.1.1 Présentation et analyse des données sur le niveau de déférence des panélistes .... 182

6.1.2 Présentation et analyse des données descriptives sur le développement dřun mode de raisonnement indépendant ... 206

6.1.3 Analyse des résultats selon les attributs des décisions ... 214

6.1.4 Analyse de groupement des cas et co-occurrence des codes ... 237

6.2 Vérification des hypothèses de recherche ... 245

6.3 Implications théoriques et pratiques ... 248

CHAPITRE 7 : Conclusion ... 257

RÉFÉRENCES ... 265

ANNEXE 1 : Raisonnement rattaché à chacune des normes de contrôle .. 283

ANNEXE 2 : Nomenclature des variables et codes utilisés pour

lřanalyse de contenu avec QDA Miner ... 285

ANNEXE 3 : Liste des décisions analysées avec QDA Miner ... 287

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Dépôt de plaintes américaines et canadiennes concernant le dumping

et le subventionnement de marchandises importées ... 92

Tableau 2 : Classification des cas selon le niveau de déférence exercé par les

panélistes ... 187

Tableau 3 : Utilisation du droit international selon l'agence administrative dont la

décision est révisée (selon la présence du code dans une décision) ... 219

Tableau 4 : Niveau de déférence des panélistes selon l'accord sous lequel les

décisions ont été rendues ... 220

Tableau 5 : Évolution du niveau de déférence des panélistes au fil des ans ... 222 Tableau 6 : Choix des normes de contrôle selon la nationalité de la majorité des

panélistes ... 224

Tableau 7 : Correspondance entre le niveau de déférence et l'unanimité de la

décision ... 226

Tableau 8 : Niveau de déférence selon le type de droits contestés ... 235 Tableau 9 : Liste descriptive de tous les codes et de leur fréquence pour lřensemble

des décisions analysées ... 291

Tableau 10 : Fréquence des codes liés au droit international ... 293 Tableau 11 : Liste des cas où il y a eu référence au droit international (fréquence des

codes) ... 294

Tableau 12 : Niveau de déférence des panélistes selon l'agence administrative dont la

décision est révisée (selon la présence du code dans une décision) ... 295

Tableau 13 : Confirmation des décisions selon l'agence administrative faisant l'objet

de la révision (selon la présence du code dans une décision) ... 296

Tableau 14 : Confirmation et renvoi des décisions sous l'ALÉ et l'ALÉNA ... 297 Tableau 15 : Niveau de déférence selon l'agence administrative et l'accord sous

lequel la décision a été révisée ... 298

Tableau 16 : Utilisation du droit international selon l'accord sous lequel la décision

est révisée ... 299

Tableau 17 : Évolution de la confirmation et du renvoi des décisions par les panels

binationaux au fil des ans ... 300

Tableau 18 : Évolution de l'utilisation du droit international par les panélistes au fil

(10)

x

Tableau 19 : Niveau de déférence selon la nationalité de la majorité du panel

binational ... 302

Tableau 20 : Confirmation et renvoi des décisions selon la nationalité de la majorité

des panélistes ... 303

Tableau 21 : Formation d'un mode de raisonnement indépendant selon la nationalité

de la majorité des panélistes... 304

Tableau 22 : Utilisation des normes de contrôle Charming Betsy et National Corn

Growers selon la nationalité de la majorité des panélistes ... 305

Tableau 23 : Correspondance des codes de l'analyse empirique avec le caractère

unanime de la décision ... 306

Tableau 24 : Niveau de déférence des panels binationaux selon le nombre de

décisions après renvoi ... 307

Tableau 25 : Utilisation du droit international selon le nombre de décisions après

renvoi ... 308

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Le spectre de la délégation ... 50

Figure 2 : Les différents niveaux de délégation juridique selon Abbott et al. (2000) ... 77

Figure 3 : Processus d'enquête sur les droits antidumping aux États-Unis ... 83

Figure 4 : Processus d'enquête sur les droits compensateurs aux États-Unis ... 84

Figure 5 : Processus d'enquête de la Loi sur les mesures spéciales d’importation ... 88

Figure 6 : Le spectre de la déférence selon les normes de contrôle au Canada ... 112

Figure 7 : Le spectre de la déférence selon les doctrines de révision aux États-Unis ... 135

Figure 8 : Le système judiciaire américain ... 136

Figure 9 : Reconstruction du concept de délégation juridique dans un contexte international ... 159

Figure 10 : Niveau de déférence des panélistes du Chapitre 19 de l'ALÉ et de l'ALÉNA ... 183

Figure 11 : Confirmation et renvoi des décisions sous le Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA ... 184

Figure 12 : Fréquence des normes de contrôle utilisées lors de la révision des décisions canadiennes ... 185

Figure 13 : Fréquence des normes de contrôle utilisées lors de la révision des décisions américaines ... 186

Figure 14 : Présence des codes liés au droit international (par nombre de cas) ... 208

Figure 15 : Niveau de déférence des panélistes selon l'agence administrative dont la décision est révisée (selon la présence du code dans une décision) ... 216

Figure 16 : Confirmation des décisions selon l'agence administrative qui fait l'objet de la révision ... 218

Figure 17 : Similarité des cas selon la présence des codes liés au niveau de déférence ... 238

Figure 18 : Similarité des cas selon le développement d'un mode de raisonnement indépendant ... 242

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LISTE DES ABBRÉVIATIONS

Accord antidumping Ŕ Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général

sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994

APA Ŕ Administrative Procedure Act des États-Unis

ASMC – Accord sur les subventions et les mesures compensatoires ASFC Ŕ Agence des services frontaliers du Canada

ALÉ Ŕ Accord de libre-échange Canada-États-Unis ALÉNA Ŕ Accord de libre-échange nord-américain

CACF Ŕ Cour dřappel pour le circuit fédéral des États-Unis

CCE Ŕ Comité de contestation extraordinaire du Chapitre 19 de lřALÉNA CIT Ŕ Tribunal du commerce international des États-Unis

CLÉ Ŕ Commission du libre-échange de lřALÉNA DOC Ŕ Département du Commerce des États-Unis

GATT Ŕ Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ITC Ŕ Commission du commerce international des États-Unis LASFC Ŕ Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada LMSI Ŕ Loi sur les mesures spéciales d’importation

MAECI Ŕ Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada Mémorandum d’accord Ŕ Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant

le règlement des différends

Mercosur Ŕ Marché commun du Sud

OMC Ŕ Organisation mondiale du commerce

ORD Ŕ Organe de règlement des différends de lřOMC PIB Ŕ Produit intérieur brut

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout dřabord à remercier chaleureusement mon directeur de recherche, le professeur Érick Duchesne, qui a toujours cru en mes capacités. Son soutien indéfectible, son optimisme, ainsi que tous les efforts quřil a déployés pour mřaider dans ce dessein furent dřune valeur inestimable. Du début de ma maîtrise jusquřà la fin de mon doctorat, il a accompagné les hauts et les bas de mon parcours universitaire et a su maintenir en moi la persévérance ainsi que la passion nécessaires à la réussite de ce doctorat.

Jřaimerais également exprimer toute ma gratitude envers le professeur Louis Bélanger, pour avoir maintes fois pris le temps de mřaider et de mřaiguiller sur les aspects théoriques et méthodologiques de cette thèse. Ses commentaires sont toujours justes, réfléchis et pertinents. Merci aussi au professeur Charles-Emmanuel Côté, qui mřa fourni une aide précieuse au sujet des aspects juridiques de cette thèse. Je garde également un souvenir impérissable de Monsieur William A. Dymond, qui restera pour moi une inspiration ainsi quřun exemple de carrière. Je remercie aussi le professeur Christian Deblock, qui a si généreusement accepté de faire partie du jury de cette thèse.

Merci au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et au Fonds québécois de

la recherche sur la société et la culture pour leur financement, ainsi quřau Woodrow Wilson International Center for Scholars et au Centre for Trade Policy and Law.

Je tiens également à remercier Kalyn Eadie et Randy Jordan pour leur compréhension, leur flexibilité, ainsi que pour les possibilités dřapprentissage quřils mřont offertes.

Sur un plan plus personnel, jřaimerais exprimer ma gratitude envers mes amis et ma famille, qui mřont encouragée durant les derniers droits de cette thèse. Je remercie en particulier mes parents, qui ont fait tout en leur possible pour mřaider et qui ont su mřinsuffler une soif de connaissance ainsi quřun goût pour lřexcellence. Merci enfin à mon mari, François, pour ses sacrifices, son soutien sans borne, ses encouragements, sa compréhension et la fierté quřil ressent. Sans lui, rien de tout cela nřaurait été possible.

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CHAPITRE 1

Introduction

Dans un monde où les économies sřouvrent les unes aux autres, les différends commerciaux internationaux peuvent jaillir à tout moment. Le règlement de ces conflits est parfois très ardu et les institutions internationales ne sont pas toujours en mesure de fournir des solutions durables. Pour bien saisir la pertinence actuelle de cette problématique, nous nřavons quřà penser, par exemple, au conflit canado-américain sur le bois dřœuvre, à la lutte commerciale que se livrent les grandes compagnies du secteur aéronautique et aux nombreux différends intentés, devant lřOrganisation mondiale du commerce (OMC), contre la méthode américaine de calcul des marges de dumping selon la « réduction à zéro »1. Que ces conflits se situent au niveau régional ou multilatéral, les États disposent souvent de mécanismes qui permettent de résoudre les différends commerciaux par la voie juridique. En fait, ces mécanismes de règlement des différends permettent de mieux faire respecter les règles du jeu dans la complexité grandissante qui caractérise les échanges commerciaux internationaux : « […] in an imperfect international environment, where compliance with

1 Cette méthode, plus communément appelée zeroing, consiste à calculer les marges de dumping sans tenir

compte des ventes où il y a du « dumping négatif », cřest-à-dire des ventes qui ont été faites au-dessus de la « valeur normale » du produit. Ceci a pour effet dřaugmenter les marges de dumping.

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both bilateral and multilateral trade rules is difficult to monitor and enforce, making it possible for aggrieved parties to seek redress of their grievances in court is an acceptable way of moving closer to a level playing field » (Unah, 1998 : 171).

Les relations de plus en plus fréquentes entre les États se concrétisent souvent par la signature dřententes visant lřadoption de politiques communes. Dřun côté, ces ententes facilitent les échanges entre les États et améliorent lřefficacité de la prise de décision en commun. Toutefois, les ententes internationales contraignent les États en grugeant leur souveraineté dans lřélaboration de leurs politiques nationales et internationales. En effet, les États doivent tenir compte de leurs ententes internationales lorsquřils élaborent leurs politiques. Au niveau législatif, ceux-ci doivent également tenter de faire converger leurs propres normes en tenant compte des réalités extérieures, car « [i]l serait en effet fort déplorable que certaines transactions soient vouées à lřéchec en présence dřincompatibilités législatives résultant de la discordance des textes divers devant lesquels [ils] doivent répondre de leur légalité » (Issalys et Lemieux, 2009 : 92). Pour éviter ce problème, la création dřorganismes supranationaux peut aider les entités régulatrices nationales à mieux coopérer entre elles en incitant lřéchange dřinformation, en assurant une assistance réciproque (Issalys et Lemieux, 2009 : 92) et en prévoyant, parfois, un mécanisme de règlement des différends.

En commerce international, le principal organe multilatéral est l’Accord général sur les

tarifs douaniers et le commerce (GATT) ou, depuis 1995, lřOMC qui a été créée par les Accords de Marrakech (GATT, 1994). Le GATT/OMC a comme principal objectif la

libéralisation du commerce entre les États par lřélimination des barrières tarifaires et non-tarifaires à caractère discriminatoire (Issalys et Lemieux, 2009 : 93). Son rôle est de veiller aux négociations, à la mise en œuvre, à lřadministration et au fonctionnement des accords commerciaux, y compris le règlement des différends (Arbour et Parent, 2006 : 539). Lorsquřun État est membre du GATT/OMC, celui-ci ne peut déroger à ses normes que pour des motifs dřordre public. Il sřagit donc dřune entente internationale qui contraint la souveraineté des États : « [c]onfrontée à la difficulté de concilier les impératifs économiques internationaux et nationaux, lřAdministration verra ultimement à délaisser les

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politiques protectionnistes et la pratique de lřinterventionnisme pour les remplacer par des mécanismes de protection plus sophistiqués » (Issalys et Lemieux, 2009 : 93).

Lřimposition de droits antidumping et compensateurs est une mesure de défense commerciale régularisée par le GATT/OMC. Cela constitue lřun des sujets les plus litigieux en commerce international, dřoù notre intérêt de recherche envers ce type de mesures. En effet, un grand nombre des conflits commerciaux qui ont actuellement lieu à lřOMC sont liés aux droits antidumping et compensateurs. Les mesures antidumping sont imposées à lřencontre dřimportations dont le prix à lřexportation est inférieur au « […] prix comparable pratiqué au cours dřopérations commerciales normales pour un produit similaire » (Arbour et Parent, 2006 : 544), si ces importations causent un dommage ou menacent de causer un dommage à lřindustrie de la partie importatrice. Les mesures compensatoires sont appliquées sur des importations qui ont été subventionnées de façon déloyale par une autorité étrangère et qui causent ou menacent de causer un dommage à lřindustrie de la partie importatrice.

Dans le contexte canadien, les deux mécanismes internationaux auxquels les entreprises ou les pays peuvent avoir recours en cas de litige commercial sur les droits antidumping et compensateurs sont lřOrgane de règlement des différends de lřOMC (ORD) et les panels formés en vertu du Chapitre 19 de lřAccord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Le premier est un mécanisme multilatéral qui est accessible à tous les pays membres de lřOMC et le deuxième provient des négociations commerciales régionales entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, elles-mêmes ancrées dans le contexte du droit commercial international (OMC) et du droit international (Convention de Vienne sur le droit des traités internationaux). Il sřagit de deux mécanismes distincts; nous présenterons lřORD de lřOMC dans ce chapitre, alors que le Chapitre 19 de lřALÉNA sera expliqué en détail au chapitre 3. Lřavènement de ces deux mécanismes de règlement des différends fait partie intégrante du phénomène de juridisation des relations commerciales, qui sera abordé plus en détails dans ce chapitre.

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Dans le milieu académique, le règlement des différends commerciaux internationaux a fait lřobjet de plusieurs recherches, dont la majorité portent sur le mécanisme du GATT/OMC (par exemple, Busch et Pelc, 2010; Pelc, 2010; Steinberg, 2004; Busch et Reinhardt, 2001, 2002; Reinhardt, 2000; Hudec, 1993). Ces analyses permettent, entre autres, de mieux identifier et comprendre les facteurs politiques et économiques qui déterminent le résultat dřun différend commercial. Certaines recherches ont aussi étudié lřévolution institutionnelle du mécanisme de règlement des différends du GATT/OMC depuis 1947 (par exemple, Sandholtz et Stone Sweet, 2004), ce qui amène une perspective davantage « macro » à lřanalyse.

Du côté de lřALÉNA, encore peu dřétudes théoriques sur lřévolution institutionnelle du Chapitre 19 ont été réalisées jusquřà maintenant2. En effet, la plupart des analyses concernant ce mécanisme de règlement des différends ont porté sur sa négociation (par exemple, Hart, Dymond et Robertson, 1994), son fonctionnement pratique (par exemple, Colares, 2008; Macrony, 2002; Amanor-Boadu, Martin et Stirling, 1998; Davey, 1996; Mercury, 1995) ou sur des cas particuliers comme les conflits sur le bois dřœuvre ou sur le blé (par exemple, Dunoff, 2007; Zhang, 2007; Anderson, 2006; Biggs et al., 2006; Annand et Gray, 1998; Alston, Gray et Sumner, 1994). En ce qui nous concerne, nous commencerons dřabord par étudier le phénomène plus global de la juridisation des relations internationales afin de positionner notre problématique à lřintérieur dřun cadre de recherche plus général. Nous verrons que ce phénomène, qui est en croissance dans les relations internationales en général (Slaughter et Helfer, 2005), est aussi bien présent en commerce international.

2 À ce sujet, notons les efforts de Frederick M. Abbott (2000) et de Louis Bélanger (2007) qui ont analysé

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1.1 Droit commercial international : le GATT/OMC et le phénomène de

juridisation

La question du règlement des différends commerciaux en matière de droits antidumping et compensateurs ne peut pleinement se comprendre sans dřabord se référer au contexte plus large de la juridisation des relations commerciales internationales. Pour ce faire, il est essentiel de bien comprendre le fonctionnement et lřévolution du mécanisme de règlement des différends de lřOMC, car celui-ci est central au phénomène de juridisation des relations commerciales internationales. Au niveau des théories en Relations internationales, rappelons que plusieurs des recherches portant sur le règlement des différends commerciaux internationaux se sont questionnées au sujet de lřOMC. La compréhension de lřOMC permet donc de mieux saisir les divers éléments théoriques qui sont avancés concernant la juridisation des relations internationales. De plus, il est important de concevoir le règlement régional des différends commerciaux internationaux comme sřinscrivant dans le cadre plus large du droit international. Par exemple, les règles de lřOMC peuvent être directement incluses dans les accords régionaux ou influencer les pratiques internes des États. Il est alors essentiel, pour les fins de notre analyse concernant les droits anti-dumping et compensateurs, de bien comprendre les règles de lřOMC régissant ceux-ci. Nous tenterons donc, dans cette section, dřexpliquer ces éléments du droit international.

Selon Arbour et Parent (2006 : 31), « […] on assiste actuellement à une montée en puissance de lřidée que des tribunaux internationaux sont non seulement utiles mais aussi nécessaires pour vider des querelles juridiques entre les États ». La croissance importante de cette vision engendre la juridisation des relations commerciales internationales, qui est le « […] phénomène par lequel la présence et la force obligatoire du droit sřaccroissent, par lequel le rôle ou lřimportance du droit tendent à se renforcer dans la conduite des relations internationales » (Côté, 2007 : 15). Les relations commerciales internationales récentes ont donc été marquées par une demande croissante des États envers une présence et une force obligatoire accrues du droit commercial international :

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Trade agreements, to the extent they existed, were limited in their contents and were less binding in their nature. Many governments saw these agreements not as a binding legal regime but as a diplomatic-political framework which could provide a Ŗbasis for negotiation between States for the purpose of attaining a balance between benefits and obligationsŗ. In recent years, however, there is a growing demand by States to regulate their trade relations by using norms and enforcement procedures that are legal in character […] (Reich, 1997 : 776).

Selon Côté, le phénomène de la juridisation revêt au moins deux dimensions importantes, soient « [l]řobjet et la portée des règles de fond posées par le droit international économique » et la juridictionnalisation de ces dernières (Côté, 2007 : 15). Ces deux dimensions sont étroitement liées, car la création dřobligations est essentielle à la juridictionnalisation3 du règlement des différends commerciaux internationaux. La juridictionnalisation est donc basée sur un consensus préalable sur la validité des règles des accords commerciaux internationaux. Une fois que ces règles sont établies, lřélaboration dřun mécanisme de règlement des différends, reflétée par la juridictionnalisation, rend le système basé sur les règles plus effectif en permettant de mettre en œuvre et de faire respecter les obligations des pays signataires. En fait, « [t]out système de droit nřest efficace que sřil permet lřapplication effective des normes établies par lřordre juridique qui lřorganise » (Dupuy, 1999 : 319).

Les « règles de fond » de lřOMC en matière de droits antidumping et compensateurs sont respectivement contenues dans l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord

général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (Accord antidumping), dont la

première version remonte en 1968, et dans lřAccord sur les subventions et les mesures

compensatoires (ASMC), dont les origines remontent au Cycle de Tokyo (Arbour et Parent,

2006 : 545). Ces règles sont relativement bien détaillées et la jurisprudence en la matière aide à guider leur interprétation. Les obligations de lřOMC en matière de droits antidumping et compensateurs font également lřobjet dřéchanges techniques entre les pays, que ce soit au niveau multilatéral lors des rencontres semi-annuelles à lřOMC ou de rencontres bilatérales informelles entre les pays. Ces règles sont également souvent

3 La juridictionnalisation concerne ici la forme, plus précisément la « juridicité » dřun mécanisme de

règlement des différends. Quant au phénomène de juridisation, celui-ci sřopère, dřune part, par la création dřobligations (règles de fonds) et se matérialise, dřautre part, par « la juridictionnalisation du règlement des différends, cřest-à-dire que leur règlement [se] fait par un mécanisme ressemblant de plus en plus à une juridiction internationale, à un tribunal judiciaire, tendant naturellement vers le légalisme » (Côté, 2007 : 17).

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comprises dans les accords commerciaux régionaux, où lřobligation de se conformer aux règles de lřOMC en matière de droits antidumping et compensateurs est souvent incluse. LřAccord antidumping assure le droit des membres de lřOMC dřappliquer des mesures antidumping sur des importations faisant lřobjet de dumping causant un préjudice ou menaçant de causer un préjudice à une branche de production nationale de la partie importatrice. Il prévoit des règles détaillées au sujet de la méthode à utiliser afin de déterminer si un produit fait lřobjet de dumping et des critères à considérer pour évaluer si des importations faisant effectivement lřobjet de dumping causent ou menacent de causer un préjudice à un secteur de la production nationale du pays exportateur. De plus, lřAccord antidumping stipule lřobligation du pays importateur dřétablir un lien de causalité clair entre les importations faisant lřobjet de dumping et le préjudice causé à la branche de production nationale. LřAccord antidumping spécifie également les procédures à suivre pour ouvrir et mener des enquêtes antidumping, la durée de lřapplication des mesures antidumping (cinq ans, avec des possibilités de renouvèlement de celles-ci au moment de leur expiration), ainsi que leur mise en œuvre. LřAccord antidumping donne finalement aux membres de lřOMC la possibilité de procéder à des consultations au sujet de « […] toute question concernant lřapplication de lřaccord ou la poursuite de ses objectifs, et de demander lřétablissement de groupes spéciaux pour examiner les différends » (OMC, 2012 a).

LřASMC vise quant à lui principalement à définir les notions de subventions « spécifiques » et « prohibées », à détailler la méthode à utiliser pour déterminer les effets défavorables et le préjudice grave, à spécifier les procédures à suivre pour ouvrir et mener des enquêtes sur le subventionnement et à indiquer les voies de recours qui sont à la disposition des membres de lřOMC. LřASMC contient une définition de ce quřest une subvention et traite de la notion de subvention « spécifique », qui se veut « […] une subvention dont lřoctroi est limité à une entreprise ou à une branche de production ou à un groupe dřentreprises ou de branches de production relevant de la juridiction de lřautorité qui accorde la subvention » (OMC, 2012 a). Seules les subventions spécifiques qui causent ou menacent de causer un préjudice à lřindustrie de la partie importatrice peuvent faire

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lřobjet de droits compensateurs, qui peuvent être mis en place pour une durée de cinq ans renouvelable. Les subventions prohibées sont quant à elles soit des subventions qui sont subordonnées aux résultats à lřexportation ou soit des subventions qui dépendent de lřutilisation de produits nationaux en préférence à des produits importés. Si une subvention est jugée comme étant prohibée, le membre de lřOMC qui octroie cette subvention devra immédiatement la supprimer ou risquer des contremesures. Notons également que lřArticle 13 de lřAccord sur lřAgriculture de lřOMC comporte certaines exceptions (ou « modérations ») à lřapplication des règles de lřASMC dans le secteur agricole, mais que ces exceptions ont pris fin en 2004, au terme de la « période de mise en œuvre » associée à lřArticle 13 de lřAccord sur lřAgriculture (Accord sur lřAgriculture, 1994).

La deuxième dimension du phénomène de la juridisation des relations commerciales internationales est la juridictionnalisation des obligations. Dans lřexemple qui nous intéresse, la juridictionnalisation est dévoilée par le fait que lřAccord antidumping et lřASMC encadrent lřétablissement de droits antidumping et compensateurs en permettant aux États ciblés de prendre action à leur sujet devant lřOrgane de règlement de lřOMC (ORD) (Arbour et Parent, 2006 : 545). Cette juridictionnalisation est marquée par lřévolution du règlement des différends, caractérisée par « […] le passage dřune approche pragmatique, fondée sur la diplomatie, à une approche [plus] légaliste, fondée sur lřapplication plus rigoureuse des règles de droit économique » (Côté, 2007 : 17). Cette évolution nřest dřailleurs pas unique au GATT/OMC, car « [i]n both national and international legal history, the mature judicial process develops out of relatively informal administrative and political procedures » (Brownlie, 2008 : 702).

Le GATT, à lřépoque de sa création, nřincluait pas lřexpression « règlement des différends » et ne renvoyait pas à une forme dřarbitrage. Il était plutôt basé sur la diplomatie, entre autres en raison de son processus de consultations préventives et du fait que les différends étaient examinés par des groupes de travail formés de représentants gouvernementaux, comprenant des représentants des parties en litige (Côté, 2007 : 58). Ces groupes de travail ont été remplacés, en 1952, par des groupes spéciaux qui devaient de plus en plus être composés de juristes (Côté, 2007 : 58). Avec le temps, les décisions de ces

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9 groupes spéciaux ont créé une véritable source de jurisprudence utile à lřinterprétation des principaux articles du GATT (Arbour et Parent, 2006 : 549). Cette juridictionnalisation sřest par la suite accrue avec lřentrée en vigueur de lřOMC :

The principal tool employed by the Contracting Parties in the early years was not an elaborate framework of procedures but a more informal process of conciliation by the Chair of the Contracting Parties, working parties and, subsequently, panels. The WTO system derives from the largely successful efforts to impart structure and form to the informal procedures of the GATT. The principal thrust of these efforts embodied in the Dispute Settlement Understanding included: guaranteeing the right of complaining states to dispute settlement, establishment of time limits for the conduct of cases and procedures for the nomination of panel members, procedures for the adoption of findings and compliance with the results of cases, and appeal procedures. The overall effect of these reforms was to transform a somewhat ramshackle set of informal procedures into a quasi-judicial system with some, but not all, of the trappings of domestic courts (Dymond, 2005 : 2).

LřORD est lřun des plus importants changements systémiques qui ont résulté des négociations du Cycle dřUruguay. En effet, « [l]e système de règlement des différends plus efficace et quasi automatique de l'OMC a souvent été salué comme l'un des changements fondamentaux et des principales réalisations issus des accords du Cycle d'Uruguay» (OMC, 1999 : 365). Cet organe est caractérisé par un champ dřapplication plus large, sřétirant horizontalement à toutes les dimensions couvertes par les accords de lřOMC (Weiler, 2000 : 1). Il est également marqué par une approche plus légaliste que celle du GATT. Selon lřarticle 23 du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le

règlement des différends (Mémorandum dřaccord), lřORD a lřexclusivité pour régler les

différends commerciaux concernant les accords lřOMC, ce qui implique que les membres de lřOMC renoncent à leur capacité dřautodétermination en la matière ainsi quřà leur faculté dřimposer unilatéralement des contremesures (Côté, 2007 : 66).

Au niveau juridique, lřarticle 3 (2) du Mémorandum dřaccord ancre lřORD dans le droit international en stipulant que lřORD a pour objet de « clarifier les dispositions existantes de ces accords conformément aux règles coutumières dřinterprétation du droit international public ». Lřarticle 3 (5) du Mémorandum dřaccord vient également affirmer le principe de la primauté du droit en stipulant que toutes les solutions résultant des processus de consultations ou de règlement des différends « […] seront compatibles avec ces accords et nřannuleront ni ne compromettront des avantages résultant pour tout Membre desdits

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accords […] ». De plus, lřinstauration dřun nouvel Organe dřappel et de la règle du consensus négatif (cřest-à-dire quřil y a refus seulement lorsquřil y a un consensus en faveur du refus, y compris la partie adverse dans le différend) pour la prise de décision par lřORD ont contribué à renforcer lřapproche légaliste et à mitiger les rapports de forces politiques (Côté, 2007 : 69).

Le Mémorandum dřaccord met en place un processus structuré pour le règlement des différends commerciaux, dont les étapes et les délais sont clairement définis. La première étape est celle des consultations entre les gouvernements concernés par lřaffaire, où les parties doivent discuter entre elles pour savoir si elles peuvent arriver à sřentendre (Carreau et Julliard, 2005 : 76). Cette étape dure soixante jours et les gouvernements, sřils le désirent, peuvent toujours faire appel aux consultations et à la médiation lors des étapes subséquentes du processus de règlement des différends. Sřil y a échec des consultations, la partie plaignante peut demander lřétablissement dřun groupe spécial. Le pays incriminé peut refuser la première demande, mais lors dřune deuxième réunion de lřORD, il nřest plus possible dřy faire opposition (OMC, 2012 b).

Les membres du groupe spécial sont sélectionnés dans les quarante-cinq jours suivant cette deuxième demande. LřORD, qui est composé de tous les membres de lřOMC, est lřorgane compétent pour établir les groupes spéciaux, qui sont constitués dřexperts chargés dřexaminer lřaffaire. Le groupe spécial doit officiellement « […] aider lřORD à énoncer des décisions ou recommandations, mais comme son rapport ne peut être rejeté que par consensus à lřORD, il est difficile dřinfirmer ses conclusions » (OMC, 2012 b). Le groupe spécial a six mois pour analyser les questions en litige et présenter son rapport final aux parties concernées. Pendant ce temps, les parties ont lřopportunité de présenter leurs arguments et leurs réfutations. Les constatations de ce rapport doivent être basées sur les accords invoqués. Trois semaines plus tard, le rapport final est présenté aux membres de lřOMC. Sřil nřy a pas dřappel, le rapport final est adopté par lřORD soixante jours après quřil ait été présenté aux membres de lřOMC. Ce processus, sans appel, est dřune durée dřun an (OMC, 2012 b; Carreau et Julliard, 2005 : 77).

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11 Chaque partie peut faire appel de la décision dřun groupe spécial. Parfois, les deux parties décident de faire appel dřun même rapport, mais sur des conclusions différentes. Lřappel doit être fondé sur des points de droit et ne peut pas viser lřexamen de nouvelles questions. Sřil y a appel des conclusions du groupe spécial, lřOrgane dřappel est formé de trois des sept membres de lřOrgane dřappel permanent constitué par lřORD. Il sřagit de personnes reconnues pour leur expertise en matière de droit commercial international qui nřont aucune attache avec une administration nationale. LřOrgane dřappel doit présenter un rapport final dans les soixante à quatre-vingt-dix jours. Lřappel peut aboutir à « […] la confirmation, à la modification ou à lřinfirmation des conclusions juridiques du groupe spécial » (OMC, 2012 b). Le rapport dřappel est adopté par lřORD trente jours plus tard, le rejet étant possible, rappelons-le, seulement par consensus.

Une fois quřune affaire est tranchée, le défendeur « perdant » est encouragé à mettre en œuvre les recommandations contenues dans le rapport final du groupe spécial ou de lřOrgane dřappel, et ce, dans un délai raisonnable. Il doit annoncer son intention de le faire lors dřune réunion de lřORD, tenue dans les trente jours suivant lřadoption du rapport final. Dans le cas où la partie plaignante nřest pas satisfaite avec la mise en œuvre proposée, il est possible pour cette dernière de demander que le groupe spécial initial se saisisse de la question de la mise en œuvre. De plus, si le pays « perdant » nřarrive pas à se conformer aux recommandations de lřORD, la partie plaignante peut demander lřautorisation à lřORD dřengager des sanctions commerciales à lřencontre de lřautre partie (OMC, 2012 b).

Cette évolution qui marque le passage du GATT à lřOMC est donc caractérisée par un mécanisme de règlement des différends qui ressemble de plus en plus à un tribunal judiciaire, avec des procédures et des délais strictement établis. La présence de « règles de fond » a contribué à entraîner le développement dřun mécanisme de règlement des différends commerciaux plus juridictionnalisé. Cette juridictionnalité croissante, à son tour, permet de renforcer les règles de fond en clarifiant leur interprétation et, donc, en facilitant leur mise en œuvre. Arbour et Parent (2006 : 549) soulignent dřailleurs lřefficacité de ce rapide système de règlement des différends. Enfin, lřORD a traité plus de 450 différends

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commerciaux entre 1995 et 2012, dans lesquels plus de la moitié des pays membres de lřOMC ont participé (Dymond, 2005).

1.2 Débat entre la diplomatie et le droit

LřORD, ainsi que les différents mécanismes de règlement des différends commerciaux que lřon retrouve dans le monde, représentent jusquřà présent une victoire pour les tenants de la juridisation sur les partisans de la diplomatie en matière de commerce international. Les premiers favorisent la primauté du droit dans le règlement des différends commerciaux, alors que les partisans de lřapproche diplomatique considèrent que le succès quřa jadis connu le mécanisme de règlement des différends du GATT est lié à lřimportance du rôle quřa joué le facteur politique dans le processus (Côté, 2007 : 21).

Les tenants de la juridisation arguent que le droit rend le règlement des différends plus juste et prévisible. En effet, ils avancent entre autres que la juridisation aide à rééquilibrer les rapports de force entre les États, à améliorer la transparence dans le règlement des différends commerciaux internationaux, à rendre les politiques commerciales des États plus prévisibles et à affranchir les États des pressions politiques internes (Côté, 2007 : 80-88). Les défendeurs de la juridisation argumentent aussi en faveur de la formation dřune jurisprudence afin de clarifier les règles de lřOMC, et ce, malgré que le fait que lřarticle 3 (2) du Mémorandum dřaccord spécifie clairement que « [l]es recommandations et décisions de lřORD ne peuvent pas accroître ou diminuer les droits et obligations énoncés dans les accords visés ».

Dřaprès les défenseurs de la juridisation des relations commerciales internationales, lřOrgane dřappel de lřOMC doit être activement impliqué dans lřélaboration du droit international afin de régler les problèmes qui nřont pas bien été cernés par les législateurs et les diplomates (Barfield, 2001 : 11-12). En dřautres termes, ils avancent que lřORD nřest pas uniquement un mécanisme dřapplication neutre de la loi : il est également en soi un

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13 instrument de gouvernance et dřélaboration des règles. Une étude de Goldstein et Steinberg (2008) montre dřailleurs que les États adhèrent généralement aux décisions de lřORD, et ce, même lorsquřune politique identique ne trouverait pas de support dans les négociations multilatérales. Cela semble être un rôle particulièrement évident en matière de droits antidumping et compensateurs (Goldstein et Steinberg, 2008 : 257), où les négociations sur les règles stagnent depuis quelques années.

Quant à eux, les défenseurs dřune approche basée sur la diplomatie avancent que les compromis obtenus par la négociation assurent un meilleur équilibre dans les relations commerciales internationales. Ils arguent que les droits et obligations commerciaux internationaux sont le résultat de compromis difficiles sur des sujets politiquement sensibles et que le rôle des mécanismes de règlement des différends est de contribuer à la résolution des différends et non de lier les États à des interprétations particulières de ces droits et obligations. En dřautres termes, ils avancent que lřapproche juridique du règlement des différends commerciaux ne cherche pas à établir un équilibre en trouvant des compromis mutuellement satisfaisants entre les États : elle tend plutôt à déterminer des gagnants et des perdants. Cela porte les tenants de la diplomatie à arguer que les conflits ne sont pas réglés par les mécanismes de règlement des différends, mais bien simplement gagnés ou perdus (Weiler, 2000 : 7).

Certains auteurs vont même jusquřà argumenter que la juridisation croissante des relations commerciales internationales va à lřencontre des valeurs démocratiques. En effet, en lřabsence de développements significatifs dans les négociations commerciales multilatérales, les groupes spéciaux et lřOrgane dřappel de lřOMC sont de plus en plus appelés à donner des interprétations afin de pallier les manques des accords de lřOMC. Cela forme une jurisprudence internationale qui, parfois, crée de nouvelles obligations pour les États, et ce, malgré lřinterdiction claire contenue dans lřarticle 3 (2) du Mémorandum dřaccord (Barfield, 2001). Dřaprès Raustiala, lřOMC est dřailleurs lřune des institutions internationales qui engendrent le plus de problèmes, car lřORD développe et définit des règles de façon ex post (Raustiala, 2000 : 412). Or, ces nouvelles règles contenues dans la

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jurisprudence de lřOMC nřont pas été sujettes au processus démocratique des États membres :

Governments may too easily think that progress can be made in the WTO through enforcement; that litigation in the WTO is a faster, more convenient way to resolve difficult issues than an open exchange at the negotiating table. This is troubling because it undermines democratic control over international cooperation and rule-making, and it prevents a more broad-based participation of all stakeholders in the formulation of international rules. Litigation is not subject to parliamentary approval (Bronckers, 1999 : 550).

Dymond (2005), un tenant de lřapproche diplomatique, utilise lřexemple du différend commercial canado-américain sur le bois dřœuvre4 pour illustrer à quel point la diplomatie reste importante malgré la juridisation croissante des relations commerciales internationales. Selon cet auteur, le Canada était convaincu quřavec lřaccumulation de victoires sous lřALÉNA et lřOMC, les États-Unis nřavaient pas le choix dřobtempérer et de se plier aux décisions rendues par ces instances internationales. Toutefois, les États-Unis ont argumenté que la solution ne se trouverait que par la négociation entre les deux pays, ce qui se produisit en 2006 par la signature de lřAccord sur le bois d’œuvre résineux.

Le différend sur le bois dřœuvre nřest pas le seul conflit commercial qui soulève la question de lřefficacité des moyens juridiques, pris isolément, pour régler des conflits commerciaux dřampleur majeur. Les différends sur les bananes opposant lřUnion européenne à des pays dřAmérique du Sud, les cas sur le bœuf aux hormones, les cas sur lřamendement Byrd aux États-Unis, les différends commerciaux opposant Boeing et Airbus et les litiges au sujet de la méthode américaine de calcul des marges de dumping selon la « réduction à zéro » ne sont que quelques exemples de différends commerciaux où la diplomatie a joué et, parfois, joue encore un grand rôle.

Ces exemples rappellent que « […] lřune des faiblesses endémiques de lřordre juridique international vient du fait que les États contrôlent généralement eux-mêmes lřapplication des normes internationales […] » (Dupuy, 1999 : 390). En fait, les institutions internationales nřont pas à leur disposition dřorganes analogues à ceux que lřon retrouve au

4 Pour une chronologie des événements liés à ce différend, voir notamment Zhang (2007), Duchesne (2007),

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15 niveau interne des États pour assurer le respect du droit, comme le gouvernement, lřadministration publique et la police. Le bon fonctionnement des mécanismes de règlement des différends internationaux repose donc sur la volonté des États à faire respecter les décisions, dans leurs intérêts réciproques. Il paraît alors important que ces décisions soient mutuellement acceptables au niveau politique et non seulement au niveau juridique, ce qui joue en faveur de lřapproche diplomatique.

La légitimation à lřinterne des mécanismes de règlement commerciaux internationaux est donc un élément fondamental de la réussite du processus de juridisation des relations commerciales internationales. Paradoxalement, il peut même être avancé que les diplomates qui sřopposent à la juridisation croissante encouragent malgré eux ce phénomène en renforçant sa légitimité au niveau interne. En effet, la culture et les pratiques diplomatiques qui accompagnent le processus de juridisation peuvent être, en quelque sorte, rassurantes pour les acteurs internes, rendant ainsi la « révolution » juridique plus facile et acceptable (Weiler, 2000). Les efforts diplomatiques pourraient même avoir lřeffet de camoufler la rapide évolution du phénomène de la juridisation des relations commerciales internationales (Weiler, 2000 : 3). De plus, Weiler argue que le phénomène de juridisation nřa pas seulement un impact sur les relations de pouvoir entre les États, mais aussi sur la culture et les pratiques en commerce international :

Juridification is a package deal. It includes the Rule of Law but also the Rule of Lawyers. It does not simply (and very importantly) have an impact on the power relations between Members, on the compliance pull of the Agreements, on the ability to have definitive settlement of disputes, on the prospect of having authoritative interpretations of clumsy or deliberate drafting of opaque provisions. It imports, willy-nilly, want it or not, the norms, practices, habitsŕsome noble some self-serving, some helpful some disastrous, some with a concern for justice others with a concern for arcane points of process and procedureŕof legal culture. It would be nice if one could take the rule of law without the rule of lawyers. But that is not possible. […] Juridification means that lawyers, practising lawyers, will be involved early on in all stages of dispute management by and within Members (Weiler, 2000: 7).

Selon Dymond, la juridisation des relations commerciales internationales amène également une complexité croissante en raison de la multiplication des mécanismes de règlement des différends commerciaux. Dans le cas du conflit canado-américain sur le bois dřœuvre, par exemple, « [t]he legal dimensions of the case are complicated because the dispute settlement procedures of both the North American Free Trade Agreement (NAFTA) and the

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World Trade Organization (WTO) have been lavishly employed since 2001 when the last episode of this dispute erupted » (Dymond, 2005 : 1). Il en résulte alors que plusieurs décisions peuvent être rendues sous divers mécanismes de règlement des différends, ce qui peut engendrer une certaine confusion au niveau du règlement à adopter dans un conflit particulier. En effet, la multiplication des mécanismes de règlement des différends internationaux peut créer des problèmes de cohérence dans le droit international, car le chevauchement des juridictions entre les tribunaux et les différentes cours peut mener à des jugements opposés sur un même litige (Brown, 2007 : 27). De plus, lřadéquation entre les règles commerciales régionales et multilatérales peut également engendrer une certaine ambiguïté quant à lřinstitution internationale qui doit prévaloir en matière de commerce international. Cette complexité est très bien illustrée, par exemple, dans le cas portant sur

les tarifs appliqués par le Canada sur certains produits agricoles en provenance des États-Unis5, institué sous le Chapitre 20 de lřALÉNA (Cantin, Côté et Duchesne, 2008).

La multiplication des mécanismes de règlement des différends commerciaux engendre également le phénomène de la course aux tribunaux, ou « forum shopping », qui se produit lorsque les États ou les parties privées sélectionnent un mécanisme de règlement des différends selon quřil paraît relativement plus avantageux quřun autre dřaprès le cas en litige et les éléments contestés à lřintérieur de ce cas. Le phénomène du « forum shopping » a été lřobjet de plusieurs travaux intéressants en commerce international6, mais ceci ne constitue pas lřobjet principal de notre thèse. Nous concentrerons plutôt nos efforts sur la tension entre les forces politiques et le droit qui, comme nous venons de le constater, caractérise la juridisation des relations commerciales internationales.

5 Les tarifs appliqués par le Canada sur certains produits agricoles en provenance des États-Unis – Rapport final du Comité (CDA-95-2008-01). Dans ce différend, les États-Unis alléguaient que le Canada avait

augmenté ses tarifs sur certains des produits agricoles, ce qui était contraire à ses engagements sous le Chapitre 3 de lřALÉNA. Le Canada a alors affirmé quřil avait dû imposer ces tarifs en vertu de lřArticle 4 de lřAccord sur l’agriculture de lřOMC. Le Comité dřarbitrage de lřALÉNA a finalement tranché en faveur du Canada.

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1.3 Problématique générale de la recherche

Depuis quelques années et plus particulièrement depuis le récent conflit canado-américain sur le bois dřœuvre, plusieurs critiques canadiennes et américaines envers lřALÉNA et son mécanisme de règlement des différends commerciaux ont fait surface dans lřarène politique : « [t]he bitter bilateral softwood lumber dispute has done considerable damage not only to broader Canada-US relations but to the reputation and credibility of NAFTA » (Hart et Dymond, 2006 : 66). En fait, après nombre de victoires sous les mécanismes de règlement des différends de lřOMC et de lřALÉNA, le Canada a réussi à obtenir la mise en conformité des États-Unis seulement quřen négociant un accord politique parallèle avec ce puissant joueur commercial, insatisfait des décisions rendues par les instances internationales :

[…] we might understand the entire Softwood Lumber saga as involving decades of litigation where the United States lost on virtually every major issue; nevertheless due, in part, to U.S. recalcitrance, the two states negotiated a settlement that institutionalizes a system of managed trade that significantly limits sales of Canadian softwood lumber into the United States. The U.S. conduct in the Softwood Lumber litigation can be seen as an instantiation of a larger compliance problem that faces dispute settlement mechanisms in the trade realm (Dunoff, 2007 : 345).

Si, tel que lřaffirme Dunoff, la non-conformité des Américains avec les décisions internationales dans le cas du bois dřœuvre peut être vue comme le reflet dřun problème plus général en droit commercial international, celle-ci paraît également intrinsèquement liée à la non-acceptation du Chapitre 19 de lřALÉNA par certains acteurs politiques importants aux États-Unis. En effet, ce différend commercial a semblé teinté par différentes forces politiques au Canada et aux États-Unis, les premières réclamant la mise en conformité des Américains et les autres contestant les décisions émises par les panélistes du Chapitre 19 de lřALÉNA. Encore aujourdřhui, plusieurs membres du Congrès américain expriment leur mécontentement par rapport au Chapitre 19 de lřALÉNA. Certains dřentre eux ont dřailleurs demandé quřune clause soit incluse au Partenariat transpacifique, actuellement en cours de négociation entre les États-Unis, le Canada et neuf autres pays de la région du Pacifique, afin dřannuler le Chapitre 19 de lřALÉNA (DeFazio, 2012).

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Au niveau du droit commercial international, le conflit canado-américain sur le bois dřœuvre est devenu une source de jurisprudence importante (Gagné et Roch, 2008) et constitue, en quelque sorte, le reflet des préoccupations contemporaines au sujet du droit commercial international. En effet, « […] Softwood Lumber reveals much about the professional preoccupations, puzzles, and perplexities that mark the current era of international doctrine, and international law more generally » (Dunoff, 2007 : 319). Lřune des dimensions les plus complexes du conflit sur le bois dřœuvre est la relation entre les mécanismes de règlement des différends de lřALÉNA et de lřOMC. Même sřil nřy a pas de contradictions en tant que telles entre les deux mécanismes, il est possible quřen pratique une décision sous un panel annule celle dřun autre en créant une nouvelle détermination, ce qui sřest produit au cours du plus récent épisode sur le bois dřœuvre :

[…] a NAFTA Chapter 19 binational panel ordered the ITC [agence administrative américaine] to issue a negative threat of injury determination. The ITC did so, albeit reluctantly, and the negative threat of injury finding was thereafter affirmed by the NAFTA panel. […] As a matter of U.S. law, absent injury, there is no basis for the imposition of antidumping and countervailing duties.

However, the ITCřs injury determinations were also subject to a separate WTO proceeding. A WTO panel concluded that the ITCřs finding of threat of injury violated the U.S.řs WTO obligations. Thereafter, the U.S. undertook a new investigation, and issued a redetermination of threat of injury. A subsequent WTO compliance panel upheld this determination. Thus, although the U.S. had issued a negative threat of injury determination as a result of the NAFTA litigation, after the WTO upheld a finding of injury, the USTR ordered the Commerce Department to continue to collect duties on Canadian softwood lumber (Dunoff, 2007 : 330-331).

Cette complexe interrelation entre le Chapitre 19 de lřALÉNA et lřORD de lřOMC est le reflet dřun des principaux défis actuels auxquels fait face le droit commercial international. Cette tension entre les accords commerciaux régionaux et le système commercial multilatéral nřest pas nouvelle et nřest pas restreinte au domaine des règlements des différends commerciaux7. Le cas canado-américain sur le bois dřœuvre nřest également pas unique en la matière. Par exemple, le cas sur les bananes (DS27) a engendré des litiges à la fois sous les cours nationale, européenne et multilatérale (Dunoff, 2007 : 335). La mésentente sur les droits antidumping imposés par lřArgentine sur le poulet brésilien (DS241) a aussi créé des litiges successifs devant le Mercosur et lřOMC (Dunoff, 2007 :

7 Lřinterrelation entre les accords commerciaux régionaux et lřOMC ne constitue pas lřobjet central de notre

thèse. Pour mieux cerner cette problématique générale, voir, entre autres, Crawford et Fiorentino (2009) et Le

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19 335). Ce phénomène pousse donc Dunoff à poser les questions suivantes, dont les réponses aideraient à mieux comprendre à la fois le conflit sur le bois dřœuvre et la complexité liée à la juridisation croissante des relations commerciales internationales :

What should the relationship be between various domestic and supranational fora? For example, should NAFTA panels follow WTO holdings? Should WTO panels rely upon NAFTA panel determinations? What level of deference should international tribunals grant to domestic determinations? How should domestic tribunals treat international decisions? In Softwood Lumber, the relationships among various fora span a continuum from deference to defiance. The protracted multitrack litigation reveals both cooperation and contestation, synergy and tension, and relationship and resistance among different tribunals (Dunoff, 2007 : 335).

Ces questions montrent que la particularité du Chapitre 19 de lřALÉNA peut être très intéressante dřun point de vue théorique. Il sřagit dřun mécanisme de règlement des différends prévu par un traité international, lřALÉNA, qui reflète les règles et les pratiques commerciales internationales. Ce chapitre de lřALÉNA peut également évoluer avec le droit international, car il intègre les législations nationales qui doivent respecter les obligations internationales des États. Lřanalyse du Chapitre 19 de lřALÉNA doit donc sřopérer sur trois niveaux : les règles nationales, les règles de lřALÉNA et, dans une moindre mesure, les règles du GATT/OMC. Ces trois ensembles de règles sont inter-reliés et leur interaction peut faire varier le degré de latitude des juges8 et les décisions rendues sous ce mécanisme de règlement des différends.

En interprétant les règles nationales ou internationales, les juges nommés sur les mécanismes de règlement des différends commerciaux internationaux sont-ils créateurs de nouvelles obligations pour les États? Les tribunaux internationaux sont-ils plutôt liés par la volonté politique des États qui leur délèguent ce pouvoir de décision? Cřest à ce questionnement global que notre thèse tentera de répondre, en sřintéressant plus particulièrement au Chapitre 19 de lřAccord de libre-échange Canada-États-Unis (ALÉ) et de lřALÉNA. Pour ce faire, il est important dřanalyser un ensemble représentatif de cas et non seulement les cas les plus litigieux, car ceux-ci peuvent mener à une conception biaisée

8 Tout au long de cette thèse, nous utilisons généralement le terme « juge » pour signifier les personnes qui

sont habilitées à émettre une décision au sein dřun mécanisme de règlement des différends internationaux. Selon cette définition, un « juge » peut donc être un avocat, un expert en commerce, un panéliste, un membre dřun groupe spécial, etc. Il ne porte alors pas nécessairement le titre de « juge ».

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du Chapitre 19. En effet, du point de vue canadien, le Chapitre 19 avait généralement été considéré comme une réussite durant lřALÉ et lors des premières années de lřALÉNA. Dans ce contexte, il convient donc de sřinterroger en profondeur sur lřévolution institutionnelle du Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA. Une telle analyse permettra dřévaluer le fonctionnement de ce mécanisme de règlement des différends et de constater si les critiques actuelles qui y sont formulées de part et dřautre du continent sont justifiées. Enfin, pour des raisons méthodologiques qui seront expliquées au chapitre 5 de cette thèse, notre analyse sera limitée aux différends commerciaux qui ont eu lieu entre le Canada et les États-Unis, excluant ainsi le Mexique.

Cette thèse a comme objectif de vérifier notre hypothèse générale de recherche voulant que la délégation juridique qui est accordée au Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA ne sřétende pas, dans la pratique, jusquřà permettre aux panels binationaux dřimposer de nouvelles obligations pour les États. Notre analyse empirique ne permet pas de confirmer cette hypothèse. Nos données suggèrent que les panels binationaux ont généralement exercé un niveau de déférence très semblable de cas en cas, ce niveau se trouvant quelque part entre la déférence forte et la déférence moyenne. Toutefois, notre analyse empirique dévoile que, dans environ 30% des cas, les panélistes du Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA ont fait preuve de déférence faible. Nos données identifient également la présence dřun développement modéré dřun mode de raisonnement indépendant sous le Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA. Ces résultats de recherche témoignent donc dřun certain niveau dřindépendance des panels binationaux, ce qui permet à ces derniers de créer de nouvelles obligations pour les États, du moins de façon interstitielle. En effet, notre recherche montre que ceux-ci ont la possibilité dřaller au-delà du simple contrôle juridictionnel en choisissant dřinterpréter les lois et dřémettre des jugements qui vont à lřencontre des décisions administratives.

À notre connaissance, aucune autre étude ne traite de façon aussi systématique et rigoureuse des aspects juridiques, politiques et économiques des décisions émises sous le mécanisme de règlement des différends prévu par le Chapitre 19 de lřALÉ et de lřALÉNA. La seule étude sérieuse que nous connaissons au sujet de la déférence des panélistes du

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21 Chapitre 19 est celle de Davey (1996), qui nřinclut que les décisions émises sous lřALÉ et qui effectue une analyse qui est uniquement juridique et normative. Nous proposons une analyse différente dans le sens où elle sřinscrit dans une approche théorique basée sur le concept de délégation en Relations internationales et quřelle inclut à la fois lřALÉ et lřALÉNA. Les résultats de notre recherche permettront dřéclairer le débat actuel qui entoure la pratique du Chapitre 19 en la situant face aux critiques américaines et canadiennes qui sont effectuées à son endroit.

Notre analyse empirique permet également de contribuer au débat théorique qui existe au sujet de la délégation en Relations internationales, notamment en avançant que le niveau dřindépendance des tribunaux internationaux évolue dans le temps et que les États, ou du moins les États les plus forts, ont de la difficulté à contrôler efficacement le comportement des tribunaux internationaux. Nos conclusions vont à lřencontre dřétudes phares que nous retrouvons dans la littérature au sujet de lřindépendance des tribunaux internationaux (par exemple, Guzman et Landsidle, 2008; Goldstein et Steinberg, 2008; Helfer, 2006; Slaughter et Helfer, 2005; Posner et Yoo, 2005). En fait, notre thèse se démarque de ces analyses en étudiant la délégation juridique du point de vue pratique des raisonnements des juges, plutôt que de ne considérer que lřoctroi dřautorité tel quřénoncé dans les textes des accords ou dřévaluer les décisions selon leur résultat, et ce, sans égard à la logique qui sous-tend celles-ci. Enfin, nos conclusions au sujet de la délégation juridique peuvent être généralisables à lřensemble des mécanismes de règlement des différends, quřils traitent ou non de questions commerciales. Cela revêt une pertinence à la fois théorique et pratique, ce qui est particulièrement saillant dans le contexte actuel de la juridisation croissante des relations internationales.

1.4 Plan de la thèse

Comme nous venons de le voir, le règlement des différends internationaux est marqué par une interrelation entre le droit international et les forces politiques en jeu. Notre thèse tentera donc de combiner les approches complémentaires du droit et de la science politique

Figure

Figure 4 : Processus d'enquête sur les droits compensateurs aux États-Unis
Figure 5 : Processus d'enquête de la Loi sur les mesures spéciales d’importation
Tableau 1 : Dépôt de plaintes américaines et canadiennes concernant le dumping et le  subventionnement de marchandises importées
Figure 8 : Le système judiciaire américain
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Références

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