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CHAPITRE 4 : Le contrôle judiciaire des décisions administratives au

4.2 Le contrôle judiciaire aux États-Unis

4.2.2 Les doctrines du contrôle judiciaire aux États-Unis

La doctrine du hard-look sřest dřabord articulée dans lřarrêt Overton Park80 en 1971. Dans cet arrêt, la Cour suprême des États-Unis a statué que même si lřon supposait la régularité des décisions administratives, cela ne pouvait pas exclure celles-ci dřune révision judiciaire approfondie. Plus particulièrement, la Cour suprême a déclaré que le contrôle judiciaire des

131 décisions administratives informelles81 devait être plus minutieux et prudent (de lřanglais « searching and careful ») que le demande traditionnellement le test de la décision qui nřest pas « capricieuse » ou « arbitraire » (Garry, 2006 : 151). Un nouveau processus de contrôle judiciaire a alors été établi : 1) la cour de révision doit dřabord déterminer si lřagence a agi à lřintérieur de ses compétences, ce qui demande une délimitation de lřautorité de celle-ci et; 2) la cour de révision doit sřassurer que la décision nřest pas arbitraire, capricieuse, contre la loi ou quřelle nřest pas le reflet dřun abus de discrétion (Harter, 2002 : 339).

Selon la norme de contrôle du hard-look, une cour de révision interviendra si elle considère que lřagence administrative nřa pas étudié en profondeur (hard look) tous les problèmes pertinents à la prise de décision. La cour de révision se demandera, entre autres, si lřagence administrative a pris en considération les éléments pertinents contenus dans la législation, sřil nřy a pas eu dřerreur de jugement claire et si le processus décisionnel était adéquat (Harter, 2002 : 339). En matière de réglementation, la doctrine du hard-look vise également à soumettre les agences administratives aux mêmes pressions pluralistes que sont soumis les membres du pouvoir législatif (Cane, 2004 : 20). De cette façon, certains espèrent que les cours puissent aider à « […] correct and monitor those agencies that have become pawns of the powerful private interests they are charged with regulating » (Garry, 2006 : 152). Selon cette vision, les cours de justice deviennent en quelque sorte des partenaires des agences administratives dans le processus décisionnel en garantissant que les décisions servent lřintérêt public et la démocratie.

En résumé, la doctrine du hard-look demande aux agences administratives de démontrer clairement les raisons qui soutiennent leurs décisions, ce qui peut diminuer le risque dřerreurs. Toutefois, ce processus peut être long et coûteux. De plus, la doctrine du hard-

look ne répond pas clairement aux questionnements concernant les rôles décisionnels

respectifs des cours et des agences administratives : « [t]he cases were largely directed at making the administrative process more rational and open. The question remained, however, as who Ŕ the agency or court Ŕ decided the questions of law that were not directly

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directed by Congress » (Harter, 2002: 339). En 1984, la Cour suprême a donc redéfini la réponse à cette question dans lřimportant arrêt Chevron82 :

When a court reviews an agencyřs construction of the statute which it administers, it is confronted with two questions. First, always, is the question whether the Congress has directly spoken to the precise question at issue. If the intent of the Congress is clear, that is the end of the matter; for the court, as well as the agency, must give effect to the unambiguously expressed intent of Congress. If, however, the court determines Congress has not directly addressed the precise question at issue, the court does not simply impose its own construction on the statute, as would be necessary in the absence of an administrative interpretation. Rather, the question for the court is whether the agencyřs answer is based on a permissible construction of the statute.

Le caractère intrusif de la doctrine du hard-look a été contrebalancé avec lřarrêt Chevron, qui demande un haut niveau de déférence envers les décisions des agences administratives. En effet, la citation ci-dessus avance que les cours de révision, en lřabsence dřune indication claire de lřintention du Congrès sur une question donnée, doivent accepter quřil existe plusieurs interprétations valides de la loi et laisser choisir les agences administratives parmi celles-ci. Le manque de clarté du Congrès sur une question donnée doit donc être interprété comme une délégation de lřautorité en la matière vers une agence administrative (Harter, 2002 : 340). Cette nouvelle orientation de la Cour suprême sřexplique notamment par la croyance que les agences administratives sont mieux outillées que les cours de justice pour effectuer ce choix. Tout comme les développements qui ont eu lieu au Canada à la même époque, lřarrêt Chevron demande aux juges de porter une attention particulière à ce dont ils sont les spécialistes Ŕ la loi Ŕ et dřexercer un plus haut niveau de déférence dans les domaines où ils ne sont pas des experts, cřest-à-dire dans les domaines qui demandent des connaissances techniques ou scientifiques précises. De cette façon, le système réduirait la possibilité dřune erreur dans la décision.

Dans lřarrêt Chevron, la Cour suprême des États-Unis établit un test judiciaire en deux temps afin de déterminer le niveau de déférence à accorder envers lřinterprétation dřune agence gouvernementale. Il sřagit de lřarticulation la plus claire de la norme de la déférence que la Cour suprême ait effectuée. Selon cet arrêt, une cour de révision doit premièrement se demander si le Congrès américain sřest déjà prononcé sur la question débattue. Dans la positive et si lřintention du Congrès est claire, la décision doit correspondre à la vision du

133 Congrès. Si, au contraire, il est déterminé que le Congrès ne sřest pas directement et clairement prononcé sur la question, la cour de révision ne doit pas simplement substituer le jugement de lřagence administrative par le sien. La cour de révision doit plutôt se demander si la décision de lřagence administrative est basée sur un raisonnement admissible.

Avec lřarrêt Chevron en 1984, nous constatons quřil y a eu dans les années 1980 deux élans parallèles vers un plus haut niveau de déférence envers les agences administratives : lřun au Canada et lřautre aux États-Unis. Toutefois, lřimportance de la notion de déférence était palpable bien avant 1984 aux États-Unis, mais sous une forme moins stricte que ne le dicte lřarrêt Chevron. En effet, dans lřarrêt Skidmore83 de 1944, la Cour suprême des États-Unis établit quřil convient de faire preuve de déférence envers lřinterprétation dřune agence administrative selon le degré de persuasion de celle-ci. Plus précisément, lřarrêt Skidmore demande que les cours de révision examinent les décisions administratives selon plusieurs facteurs qui renseignent sur le niveau de déférence approprié. Parmi ces facteurs, notons entre autres la validité du raisonnement de lřagence et la cohérence de celui-ci avec les décisions antérieures, la cohérence de lřinterprétation dans le temps, lřapprobation implicite du Congrès, lřexpertise de lřagence et tout autre élément de persuasion de lřagence administrative (Hertz, 2005 : 134-137). Cela est dřailleurs bien exprimé dans lřarrêt

Skidmore :

The weight of such a judgment in a particular case will depend upon the thoroughness evident in its consideration, the validity of its reasoning, its consistency with earlier and later pronouncements, and all those factors which give it power to persuade, if lacking power to control.

À la suite de lřarrêt Chevron, il nřétait dřabord pas clair si la norme de contrôle proposée dans lřarrêt Skidmore allait encore tenir. Alors, en 2000, la Cour suprême des États-Unis a établi dans lřarrêt États-Unis c. Mead corp.84 que le niveau de déférence proposé dans lřarrêt Skidmore peut être utilisé dans les cas où lřarrêt Chevron ne sřapplique pas85 (Hertz, 2005 : 128-129). Lřarrêt Skidmore fait preuve dřun plus faible niveau de déférence que

83 Skidmore c. Swift & Co., 323 U.S. 134 (1944). 84 533 U.S. 218.

85 Lřarrêt Mead corp. limite lřapplication de la doctrine Chevron aux cas où il apparaît clairement que le

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celui exigé par la doctrine Chevron, car lřinterprétation de lřagence administrative y est considérée seulement comme lřun des nombreux facteurs qui doivent influencer la décision de la cour de révision (Hertz, 2005 : 130). De façon plus précise :

The distinction here is not simply one of degree or of Ŗweakŗ versus Ŗstrongŗ deference. Rather, it goes to the nature of the judicial role in statutory cases. Under Chevron step two, courts are not deciding what the statute means. The premise is that the statute has no clear meaning (though it sets some boundaries); because the agency is engaged in an essentially legislative task, assigned to it by Congress in light of its superior accountability and expertise, the court must accept the agencyřs decision as long as it meets standards of reasoned decision making. Under Skidmore, the court independently interprets the statute; the agencyřs interpretation is one factor among many that will affect its conclusion. Under Chevron, the agency is the decision maker; under Skidmore the court is (Hertz, 2005: 130-131).

La décision de lřagence administrative a donc plus de chances dřêtre rejetée sous la doctrine Skidmore, car cette dernière est moins contraignante que la norme établie dans lřarrêt Chevron. En résumé, il existe trois principales doctrines de révision judiciaire des décisions administratives aux États-Unis, chacune reflétant son propre niveau de déférence. Il sřagit, en ordre croissant de déférence, de la doctrine du hard-look, de la doctrine

Skidmore et, enfin, de la doctrine Chevron. Ces trois doctrines peuvent être théorisées à

lřintérieur dřun continuum. Ce continuum est toutefois tronqué dans le sens où il ne couvre pas le spectre de la déférence, mais bien les principales doctrines utilisées par les juges américains en matière de révision des décisions administratives. Nous croyons donc que les extrêmes du spectre de la déférence sont plutôt la révision de novo86 et lřincapacité de révision87 et que les trois principales doctrines de révision judiciaire se retrouvent entre ces deux extrêmes :

When the legal system approaches the rule-oriented end of the scale, governmental action may be said to be based on judicially manageable standards and, hence, de novo review may be appropriate. In contrast, if legal system relies heavily on discretion, there would not be judicially manageable standards and agency action would be unreviewable. But, as noted above, reality falls somewhere in the middle (Reed, 1997: 34).

86 Il y a révision de novo lorsque la cour émet son propre jugement sans égard à la décision qui a été émise par

lřagence administrative (Reed, 1997 : 29).

87 Lřincapacité de révision revient à dire que la cour de révision est complètement contrainte par la décision

135 Dřaprès notre analyse de la littérature, le spectre de la déférence au États-Unis peut donc sřillustrer de la façon suivante :

Figure 7 : Le spectre de la déférence selon les doctrines de révision aux États-Unis

4.2.3 Révision des décisions en matière de droits antidumping et