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Dans cette section, il est question d’avancer dans la problématisation, d’organiser plus finement le questionnement, de cibler quelques exigences de recherche et de présenter les axes et les questions de recherche ainsi que les finalités.

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 1.2.1. Trois exigences

Les raisons qui nous poussent à nous intéresser et à comprendre l’activité des formateurs intervenants dans trois dispositifs de formation en alternance, à nous concentrer sur les actions réalisées et à prendre en compte la complexité de l’humain au travail renvoient à trois exigences.

Exigence de connaissance et de reconnaissance d’une partie du métier de formateur en formation d’enseignants

La première raison milite en faveur d’une certaine clarification du métier de formateur dans la mouvance actuelle des formations d’enseignants ainsi que d’une reconnaissance institutionnelle, sociale et professionnelle. En quoi consiste le métier de formateur ? Il suffit pour le savoir de répondre à la question d’une personne qui vous demanderait : quel est votre métier ? Le métier de formateur en formation d’enseignants ne laisse pas insensible et il n’est pas rare que cette même personne vous demande ce que cela signifie ou ajoute « ah, vous apprenez le métier aux futurs enseignants », « vous contrôlez le travail des futurs enseignants » ou « vous êtes professeur des enseignants ». Les représentations souvent spontanées, voire imprécises et les difficultés à mettre des mots simples sur les tâches qui président aux formateurs irritent et font, à force, que l’on ne sait plus vraiment ce qu’est le métier de formateur. Par ailleurs, lorsqu’on demande à ceux-ci de se nommer, il n’est pas rare que l’on recense des dénominations telles que professeur, enseignant, expert-enseignant, chargé de cours ou d’enseignement, didacticien, responsable de la formation, responsable de la pratique professionnelle, psychopédagogue, chercheur, etc. Or, n’y a-t-il pas le risque au travers de ces dénominations multiples, de créer une certaine confusion, voire d’appauvrir ou de fragiliser le métier de formateur. Mais plus précisément, ceci nous amène à nous poser la question du travail du formateur. Que fait-il réellement lorsqu’il agit en formateur dans des dispositifs de formation en alternance dans une formation d’enseignants ? Cette question est centrale pour reconnaître le métier de formateur, mais également pour comprendre tant l’aisance que les tensions ou embarras qui émergent dans l’activité du formateur.

Exigence d’identification des compétences et des ressources des formateurs et de questionnement des formations de formateurs

La deuxième raison consiste à s’interroger sur les compétences et les ressources des formateurs ainsi que sur leurs formations. Qu’en est-il des compétences et des ressources des formateurs intervenant dans des dispositifs de formation en alternance ? Qu’en est-il de leurs formations ? Suffit-il d’être enseignant expérimenté, d’avoir suivi un module de formation de formateurs d’adultes et/ou être compétent dans un domaine disciplinaire pour accompagner les alternants ? Suffit-il de connaître les éléments qui constituent le métier d’enseignants pour former des futurs enseignants ? Suffit-il de maîtriser différentes disciplines issues des sciences de l’éducation et des didactiques ou encore exercer le métier d’enseignant, depuis quelques années, pour assurer le suivi des étudiants dans le cadre des stages ? Les réponses que l’on obtient toujours à ces questions sont : cela dépend du statut qui lui sera délivré en fonction du type de tâches qu’il devra assumer au sein de l’institution. Ainsi, celui qui est en charge de l’encadrement et du suivi des étudiants dans le cadre de la pratique professionnelle est celui qui obtient le statut de professeur HEP ou de chargé d’enseignement. Il doit être, selon la Politique de développement professionnel des formatrices et des formateurs de la HEP-BEJUNE (2010), au bénéfice d’un titre universitaire dans le champ des sciences de l’éducation ou

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 dans un domaine disciplinaire, d’un diplôme d’enseignement et d’une expérience avérée de l’enseignement dans le degré scolaire concerné (ou à acquérir en emploi) et enfin d’une formation pour un public du tertiaire en lien avec l’enseignement ou une expérience dans ce domaine durant cinq années (ou à acquérir en emploi). Suffit-il d’être un bon analyste du travail ? Et qu’en est-il du formateur en établissement ? S’il existe deux fonctions distinctes chez les formateurs HEP (formateur en sciences de l’éducation et formateur en didactique) et différentes qualifications requises, du côté des formateurs en établissement, les fonctions et surtout les compétences sont plus vagues.

Actuellement, l’ouvrage est en cours et, à ce jour, une commission s’interroge sur la formation des formateurs en établissement. Reconnaissant le rôle important que ces formateurs en établissement ont à jouer auprès des futurs enseignants, il est suggéré une formation certifiée par un Certificat of Advanced Studies (CAS). Mais qu’en est-il des compétences et des tâches professionnelles ? Si les tâches d’enseignement sont assez bien décrites et réparties en fonction de la formation et des qualifications du formateur HEP, la délivrance des tâches d’encadrement et d’accompagnement reste floue et semble perçue comme un allant de soi et relever parfois d’une distribution d’heures en fonction du poste à occuper. Ainsi, il n’est pas rare que tous les formateurs HEP se voient confier des responsabilités d’encadrement et d’accompagnement sans une formation préalable et qu’ils prennent en charge des tâches telles qu’accompagner des mémoires professionnels, diriger des séminaires de réflexions sur les pratiques professionnelles, faire des visites de stage, mener des entretiens durant les stages, réaliser des évaluations à propos de la pratique professionnelle, etc. La volonté de coller au monde professionnel duquel on forme est souvent évoquée mais cela suffit-il pour être compétent, pour accompagner et encadrer dans un dispositif de formation en alternance ? La question légitime que nous posons est la suivante : quelles sont les compétences requises pour agir avec professionnalisme dans des dispositifs de formation en alternance ? Pour répondre à cette question, nous pensons qu’il est urgent de passer par une description du travail réel du formateur intervenant dans des dispositifs de formation en alternance et d’analyser l’activité de ceux-ci dans quelques pratiques en cours sur le terrain de recherche que nous avons sélectionné. Nous pensons qu’il s’agit d’une clé d’entrée pertinente pour décrire et comprendre le travail du formateur, ses niveaux de responsabilité ainsi que de contribuer à une réflexion quant aux formations de formateurs.

Une exigence de compréhension des formations par alternance et de ses dispositifs/pratiques La troisième et dernière raison milite en faveur d’une recherche dans le domaine des formations par alternance, notamment d’une recherche de compréhension des dispositifs de formation dits en alternance. De quels dispositifs voulons-nous parler ? De tous ceux qui travaillent sur l’explicitation de l’agir, qui aident à la mise à jour des ressources mobilisées dans l’activité et qui favorisent par un travail de reconstruction de l’activité, le réinvestissement dans le travail. Comme mentionné, nous nous intéressons à trois dispositifs de formation en alternance en vigueur au sein de la HEP-BEJUNE, à savoir : l’entretien en dyade et l’entretien tripartite de stage se déroulant sur le terrain de stage ainsi que le séminaire de réflexion sur les pratiques professionnelles se réalisant sur le terrain de l’institution HEP. Toutefois, ces dispositifs et pratiques prennent place en marge des tâches d’enseignement, ils ne sont pas toujours formalisés et reconnus par les formateurs et les formés et sont, dans certains cas, peu pris au sérieux, voire combattus de l’intérieur de l’organisation. Or, la discussion porte sur leurs effets et leurs nécessités : sont-ils des dispositifs de formation contribuant à faire vivre l’alternance ? Sont-ils nécessaires pour aider les formés à devenir lucides et à faire face aux difficultés rencontrées dans les diverses situations de travail ? Favorisent-ils la réflexivité et une

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 compréhension du travail ? Contribuent-elles à faire construire et à développer les compétences professionnelles des formés ? Aident-elles les formés à faire un travail de mise à distance dans la perspective d’acquérir une maîtrise de leur propre activité ? Ces questions complexes sont, bien entendu, centrales dans notre recherche. Elles nous amènent à nous interroger sur l’alternance, sur les dispositifs privilégiés et à questionner les pratiques en alternance en cours sur le terrain de recherche. Il est à noter, par ailleurs, que le mouvement de tertiarisation et de professionnalisation oblige les Hautes écoles suisses à former des futurs praticiens réflexifs. Pour ce faire, il s’agit de placer les formés face à une culture scientifique solide, à une formation pratique importante et face à des dispositifs de formation favorisant la construction des compétences professionnelles. Il est donc d’autant plus intéressant de questionner les dispositifs de formation en alternance mis en place et d’interroger les mérites d’une activité réflexive dans laquelle le formé se donne comme objet d’analyse sa propre activité. Si du côté de la recherche, de nombreuses études s’y intéressent, il en est de même du côté de la HEP-BEJUNE et de sa Politique de développement professionnel des formatrices et des formateurs de la HEP-BEJUNE (2010) qui prévoit, outre le fait de définir les fonctions et qualifications des formateurs engagés, d’être en phase avec les avancées les plus récentes dans le domaine de la formation professionnelle à l’enseignement, entre autre dans les nouvelles pratiques de formation. Ceci nous interpelle et nous semble une raison suffisante pour discuter de cette question de l’alternance et de quelques dispositifs de formation mis en vigueur.

1.2.2. Axes et questions de recherche

Ces trois exigences évoquées nous amènent à cibler et à définir plus précisément nos axes et questions de recherche.

Axe 1 : l’activité des formateurs (F-HEP et FEE) en interaction avec des formés

- Quelle est l’activité des formateurs, en contexte situé, dans les interactions avec les formés dans des dispositifs de formation en alternance ? Quel sens donnent-ils à leur activité ?

- Comment l’activité est-elle organisée et que fait-elle émerger en termes de registres et facettes d’activité, de ressources et de stratégies, de postures ou rôles, de tours de main, d’attitudes et de compétences ?

Axe 2 : les dispositifs et pratiques de formation en alternance (ED, ETS, RSP)

- Quels sont les liens, les similitudes, les ruptures et les contradictions entre les trois dispositifs et ses pratiques de formation en alternance ?

- En quoi la pluralité des dispositifs et pratiques de formation contribue-t-elle à faire vivre l’alternance ?

Axe 3 : les bénéfices ou limites de l’action collective

- Qu’est-ce qui unit et différencie le travail des formateurs provenant de deux communautés de pratique différentes ?

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 - Comment les formateurs construisent-ils les gestes et règles du métier en termes de

relation institutionnelle, de dynamique sociale, de reconnaissance ou appartenance à un groupe ?

- Comment les formateurs accroissent-ils ou diminuent-ils leur champ d’action en fonction des événements et/ou empêchements ?

Ceci amène à la question de recherche suivante guidant toute notre démarche :

Dans le cadre de cette mouvance de tertiarisation et de professionnalisation des formations, en quoi consiste l’activité des formateurs (F-HEP et FEE) intervenant dans des dispositifs de formation en alternance ?

Ces axes et questions de recherche renvoient à notre avis à une problématique riche, complexe et d’un grand intérêt actuel, dans la mesure où ils permettent de contribuer à une meilleure compréhension de l’activité des formateurs d’enseignants et des dynamiques qui favorisent, voire obstruent l’évolution du champ de l’alternance comme voie de professionnalisation des formations d’enseignants. Pour ce faire, nous allons approcher et analyser finement, en contexte réel, les diverses activités réelles des formateurs.

1.2.3. Finalités, enjeux et possibles retombées

Qu’il porte sur l’identification et le repérage des ressources et des compétences des formateurs engagés dans des pratiques de formation, sur le type de coopération et les formes de partenariat entre formateurs, sur l’émergence des compétences collectives à définir de façon opératoire, le présent objet s’inscrit résolument dans le champ de la recherche des Sciences de l’éducation et des Sciences du travail et, plus précisément, dans une logique de professionnalisation des formations d’enseignants. À sa manière, cette recherche « impliquée » (Hugon & Seibel, 1988) vise à décrire et comprendre la complexité du métier de formateur, à approfondir la question du processus de professionnalisation des formateurs et des conséquences de la division du travail tout en essayant de mettre en évidence la transition du genre dans les HEP. Nous cherchons également à alimenter les réflexions à propos des dispositifs de formation en alternance et à trouver de nouvelles pratiques ou modèles.

Nous postulons que l’organisation du travail des formateurs dans un dispositif d’alternance est avant tout une construction sociale dans la mesure où plusieurs formateurs communiquent et coopèrent pour accompagner les formés. On ne devient pas compétent tout seul, mais il y a lieu d’articuler différents savoirs, différentes sources d’expertise, différents acteurs. La coopération et la coordination sont deux concepts-clés de l’organisation du travail (Gather Thurler, 1995, 2000, 2004 ; Gather Thurler & Perrenoud, 2005). Pour accompagner dans l’alternance, il est préférable que les formateurs agissent en commun et instaurent, en préalable, un mode de coordination reposant sur des conventions et des interactions sociales, des règles informelles et des routines. Celles-ci ne sont ni prescrites, ni figées dans les règlements, ni imposées par le haut mais elles sont construites et régulées par les formateurs pour que leur activité fonctionne. Autrement dit, nous avançons l’idée selon laquelle l’existence d’une action collective fondée sur des relations partenariales entre formateurs contribue à une alternance professionnalisante.

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 Par ailleurs, la mise en place d’un dispositif d’alternance produit des effets sur les formateurs et induit des transformations dans leur activité et plus spécifiquement dans leur rapport à soi, leur rapport aux autres et leur rapport au savoir. Autrement dit, les formateurs se transforment par et dans la mise en œuvre de moyens ou d’outils faisant vivre et évoluer le dispositif d’alternance mais transforment également les pratiques. Les formateurs produisent, apprennent et innovent car ils tirent parti de leurs expériences et déplacent leurs représentations. Dans cette perspective, nous avançons l’idée d’un développement individuel et social des formateurs ou plus largement d’une dynamique du changement (Gather Thurler, 2000) qui résulte des capacités d’apprentissage individuel et collectif.

Nos axes d’orientation de la recherche consistent à :

1) Produire de la connaissance sur l’activité des formateurs (F-HEP et FEE) intervenant dans des dispositifs de formation en alternance ;

2) Favoriser l’avancement du champ de la formation initiale et alimenter le débat à propos des formations par alternance et de ses dispositifs et pratiques de formation articulant « travail et formation » ;

3) Rendre visible les bénéfices et les limites de l’action collective fondée sur des relations partenariales entre formateurs (F-HEP et FEE).

En ce sens, nous nous inscrivons dans le processus de professionnalisation des formations en alternance et de la professionnalité des formateurs. Notre démarche de recherche est portée par la conviction que la formation initiale peut améliorer ses espaces de transition « travail et formation », notamment au travers d’une meilleure connaissance de ce qui s’y fait et s’y produit. En effet, malgré une formation et un accompagnement de qualité, les Hautes écoles pédagogiques s’interrogent sur les conditions et les dispositifs permettant d’une part, d’articuler les activités de travail-formation et, d’autre part, de favoriser une meilleure collaboration entre formateurs (formateurs HEP et formateurs en établissement).

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012

Chapitre 2

À la croisée des sciences de la formation et du travail

Ce chapitre vise à concrétiser et à rendre cohérent un ensemble de questionnements d’ordre théorique, sémantique et épistémologique de la recherche. Il est composé de deux sections.

La section 1 fait état de quelques objets et concepts constitutifs des sciences de la formation. On y trouve : la professionnalisation des formations et des formateurs d’enseignants, les dispositifs d’alternance et ses pratiques de formation, les savoirs d’action et les compétences.

La section 2 présente les principaux objets et concepts constitutifs des sciences du travail. On y trouve : le travail prescrit et le travail réel, l’activité et la tâche, la reconnaissance et le jugement (de beauté, d’utilité), l’activité réalisée, le réel de l’activité, le pouvoir d’agir, la compétence, le schème, le concept pragmatique et la question du langage au travail.

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012

’enjeu de ce chapitre est de préciser le positionnement théorique, épistémologique et sémantique à partir duquel nous souhaitons analyser l’activité des formateurs engagés dans des pratiques de formation en alternance. Proposer une réflexion sur cet objet d’étude propre aux sciences humaines et sociales ne peut se faire sans nous référer d’une part au champ des sciences de l’éducation et plus spécifiquement de la formation (section 2.1) et, d’autre part, à différents courants des sciences du travail (section 2.2). Même si nous constatons et admettons que, progressivement, les frontières entre la formation et le travail tendent à s’estomper (Carré & Caspar, 2004), nous choisissons de les aborder séparément tout en tenant compte de l’effet porteur d’une réelle dynamique de rapprochement.

Dans un premier temps, nous clarifions les notions de professionnalisation, de dispositif d’alternance, de pratiques de formation, de savoirs et de compétences. Dans un deuxième temps, nous présentons les principaux concepts qui structurent notre cadre de l’analyse de l’activité des formateurs en situation de travail en puisant dans plusieurs disciplines contributives des sciences du travail : notamment l’ergonomie de langue française, la psychodynamique du travail, la clinique de l’activité et la didactique professionnelle. Notre propos est de mettre en relation ces disciplines tout en prenant en compte leurs courants théoriques parfois antagonistes avec l’idée de les faire converger vers l’univers complexe de l’activité et plus particulièrement du champ de l’analyse de l’activité. Ce concept d’activité constitue pour plusieurs chercheurs (Barbier & Durand, 2003 ; Durand & Plazaola Giger, 2007 ; Filliettaz, De Saint-Georges & Duc, 2008 ; Méard & Bruno, 2009 ; Plazaola Giger &

Stroumza, 2007 ; Yvon & Saussez, 2010) une entrée privilégiée pour aborder des questions de formation professionnelle en alternance et plus particulièrement de formation des enseignants.