• Aucun résultat trouvé

Pour aider à l’articulation, à la combinaison et à la mise en action des savoirs, les formateurs mobilisent diverses stratégies en situation d’interaction avec des formés. Ceux-ci trouvent leurs sources d’une part, à l’intérieur du répertoire du formateur qui guide le formé en fonction de son propre champ d’expertise et d’expérience et, d’autre part, à l’intérieur du formé qui a construit un bagage conceptuel et un bagage d’expérience lui permettant de réfléchir à son agir en classe.

4.2.1. Prescrire une conduite alternative

Le premier extrait est issu d’un entretien tripartite de stage. Celui-ci est dirigé par le formateur HEP en présence du formé et du formateur en établissement. Ce qui précède aux trente minutes d’entretien se résume comme suit : le formateur HEP réalise le protocole d’ouverture, puis sollicite la parole du formé.

ETS, films 42A + 42B Observation S3 : 00’29’38 – 00’31’00

F-HEP : Voilà, je dirais que si je devais vous pousser à faire quelque chose, puisqu’on disait que les choses allaient bien, c’est de passer beaucoup plus de temps à vous concentrer sur / le savoir lui-même que vous enseignez, sur l’enjeu mathématique par exemple / que sur la manière avec laquelle ça va se dérouler parce que ça, j’ai l’impression que ça fonctionne bien.

STA : Pour voir si j’ai compris, par exemple ça aurait été bien qu’ils remarquent que lorsqu’on écrit les diviseurs 1, 36 et après 2, 18, qu’ils remarquent la concordance que 2 est le double de 1 et /

F-HEP : Oui, c’est-à-dire d’établir des relations avec les nombres qui permettent de dire, au-delà simplement de leur position dans l’accolade, de dire simplement que ce sont des diviseurs de 36 et de voir quel rapport il y a entre ces nombres, etc. Et là, on est dans des

F-HEP : J’aimerais qu’elle puisse entendre que donner la classe ce n’est pas personnellement. Elle a l’impression que parce qu’un élève explique, elle est dans le collectif, or les élèves ne se sont pas parlés entre eux, ça passe toujours par la maîtresse. Elle renvoie la question quand elle ne valide pas. On reste dans une maîtrise de la classe, un contrôle de la classe qui fait que pour moi elle passe à côté de quelque chose de sa formation.

La stratégie du formateur HEP est d’amener le formé à modifier sa conduite. Pour cela, il exprime son point de vue et prend position tout en atténuant sa critique : « si je devais vous pousser à faire quelque chose, puisqu’on disait que les choses allaient bien, c’est de passer beaucoup plus de temps à vous concentrer sur le savoir lui-même que vous enseignez… ». Le formé est donc confronté à une prescription c’est-à-dire à « un ordre de marche ». Intéressons-nous aux caractéristiques de cette prescription. Premièrement, nous pouvons constater qu’elle porte sur le savoir à enseigner et qu’elle est formulée en termes d’objectif à viser. Deuxièmement, la prescription énoncée a la particularité de ne pas fournir les moyens concrets pour atteindre cet objectif. En ce sens, nous observons un certain « flou » dans l’énoncé du formateur HEP qui ne précise pas comment il faut faire pour se centrer sur le savoir à enseigner, mais laisse cette marge de manœuvre au formé qui devra être en mesure de saisir des modes opératoires efficaces pour atteindre cet objectif. Le formateur HEP souhaite que le formé prenne du recul par rapport à son agir et qu’il découvre d’autres façons de faire la classe. Il espère qu’une analyse des enjeux mathématiques permettra de déclencher ce

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 changement. Or, la démarche prescriptive semble davantage déstabiliser le formé que de l’aider à réaliser ce déplacement souhaité. Autrement dit, le formateur HEP aide le formé seulement en partie à regarder sous la surface des activités. Ceci constitue une source de conflit cognitif pour le formé qui constate que d’un côté la situation de travail est aboutie et réussie et que d’un autre côté, elle est insatisfaisante par rapport à la prescription du formateur HEP. Le formé est ébranlé par la prescription et le manifeste par une forme de résistance, il dit : « pour voir si j’ai compris… ». Ce début de phrase est accompagné par un langage non verbal explicite : « le formé esquisse un petit sourire de coin et jette un regard complice au FEE», il poursuit en mentionnant : « par exemple ça aurait été bien qu’ils remarquent que lorsqu’on écrit les diviseurs 1, 36 et après 2, 18, qu’ils remarquent la concordance que 2 est le double de 1 et / ». En fait, le formé cherche à rendre opérationnelle la prescription du formateur HEP. Ce dernier est de l’avis que le formé est dans le

« déni du frontal ». Du coup, il prend le parti de provoquer afin de mettre en éveil le formé, le force à formuler son avis en tentant de déstabiliser sa rationalisation de son agir en classe. L’intention du formateur HEP est de faire un pont entre le savoir-faire du formé et le savoir à enseigner propre à la discipline des mathématiques. Soulignons que par cette démarche prescriptive, il cherche à faire évoluer la pratique du formé, évolution qui passe selon lui par une démarche réflexive quant au sens et aux enjeux mathématiques. On peut cependant s’interroger quant à l’efficacité de cette stratégie prescriptive : en quoi favorise-t-elle l’évolution du savoir professionnel du formé ? A-t-elle le pouvoir de faire réfléchir le formé sur son agir ?

4.2.2. Désigner et capitaliser des concepts

Voyons, dans un autre entretien tripartite de stage, comment le formateur HEP s’y prend pour initier le formé à désigner et à capitaliser les concepts construits préalablement.

ETS, films 22A + 22B un moment donné qu’il a compris et que je peux m’éloigner ».

STA : Je ne sais pas comme ça le concept, mais ça me fait penser à tout ce qui touche au concept de zone proximale de développement /

F-HEP : Et l’accompagnant à des modalités très spécifiques, par exemple, il va réduire le degré de difficulté ou il va signaler des éléments pertinents et là vous êtes dans le concept d’étayage de Bruner qui, à un

F-HEP : Alors, là je fais deux choses. Tout pendant qu’elle est en action, je note des éléments sur lesquels je reviendrai éventuellement. Et puis après, presque au terme de l’entretien, je me dis « est-ce qu’elle y est revenue », puisque je lui donne la parole en premier, je fais un listing, alors j’aurais voulu revenir sur ça et sur ça, vous y êtes venu. Il y a tout à coup des éléments qui me directe parce que je sais qu’elle connaît les concepts, mais peut-être dans ce moment-là, elle ne les convoque pas tout de suite. Et moi, je les énumère, la zone proximale de développement, je suis en train de faire l’étayage alors que ça serait tellement simple - dans un entretien - de dire par exemple « bon, j’ai envie de parler de l’étayage, de la communication », mais là elle me parle plus en termes d’actions pratiques, ce qu’elle a fait. Et après, on verra si je peux aller convoquer un élément théorique. Et là, j’ai envie d’y revenir parce que là, on est à un autre niveau. La pratique est un objet d’étude mais maintenant, on met ça en lien avec des éléments théoriques sur lesquels on s’est déjà entretenus.

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 Dans cet extrait, le formateur HEP incite le formé à capitaliser et à formuler des concepts théoriques et à rendre explicite ce qui est de l’ordre de l’implicite. Pour cela, il stimule la réflexion du formé en partant des propos de ce dernier sur son agir « vous êtes revenu sur le jeu (…) et ce que j’ai trouvé intéressant, c’est ce que vous avez dit… ». Le retour à l’énoncé amène le formé à s’interroger sur ce qu’il fait et dit de ce qu’il fait. Le formé est doublement interpellé : dans son agir et dans la formulation de l’intention de son agir. A partir de là, le formateur HEP se sent autorisé à formuler sa question « vous vous rappelez quel est le concept théorique qui nous dit… ».

Arrêtons-nous un instant sur cette question. Le premier élément que nous relevons est le « vous vous rappelez ». Ce début de phrase indique la présence de savoirs préalables, c’est-à-dire que le formateur HEP part de l’idée que le formé possède un ensemble de concepts théoriques lui permettant de répondre à la question. Le formateur HEP le mentionne « j’ai une entrée beaucoup plus directe parce que je sais qu’elle connaît les concepts … ». Le formateur HEP fait donc appel à un savoir pour enseigner associé au savoir théorique qui a un lien avec ses propres cours. Ce savoir est déjà présent chez le formé, mais le formateur souhaite que ce dernier le nomme afin de l’amener à transformer son agir en concepts. L’intention du formateur HEP est d’une part, de relever l’aspect complémentaire de ce qui se fait en institut de formation et ce qui est fait et dit par le formé sur le terrain mais il semble, d’autre part, qu’il ait comme intention d’entraîner le formé à réfléchir sur son agir afin qu’il devienne un praticien réflexif capable de mettre des mots sur son agir, d’en trouver le sens, de conceptualiser et de revenir sur son agir pour le transformer : « La pratique est un objet d’étude mais maintenant on met ça en lien avec des éléments théoriques sur lesquels on s’est déjà entretenu ».

Penchons-nous un instant sur la posture du formateur HEP lorsqu’il développe le concept d’étayage.

Le formateur instrumente le formé dans le sens qu’il offre des outils pour penser le concept en adoptant une posture magistrale.

4.2.3. Créer un conflit sociocognitif

Le prochain extrait est issu d’un entretien en dyade. Il porte sur un outil d’évaluation (grille d’observation) élaboré par le formé dans le cadre d’une activité mathématique (algorithme). Le formateur en établissement souhaite débattre de cet outil avec le formé.

ED, films 31A + 31B Observation S6 : 00’45’15 – 00’47’30

FEE : Ce qu’il y a d’intéressant avec ce genre d’outil est de le faire évoluer. Peu importe s’il est raturé ou comme ça.

STA : Il peut y avoir de petites notes.

FEE : Voilà. Maintenant / pour éviter de faire des évaluations où l’on met des séries de présenter - c’est aussi dans les objectifs du stage 3.1. ou je crois dans le stage 3.2, peu importe dans les stages de troisième année, il est demandé de suivre les élèves, de ne pas faire absolument une évaluation détaillée mais de pouvoir évaluer le travail qu’on leur donne. Donc, je lui avais demandé de faire par écrit des items d’évaluation de ses algorithmes. Et puis, en fait, elle est venue avec une feuille où justement ce qui se passe dans son

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012

vous « non » ?

STA : C’est vrai, jusque-là je mettais des vus et j’ai remarqué que ce n’était pas forcément idéal dans le sens où ça peut être très bien ça dépend ce que vous mettez dans ce petit

« r », mais ça veut dire celui-là, il doit repasser d’une certaine façon. Mais ça / enfin on peut tous fonctionner différemment mais ça n’empêche pas la feuille volante. Par exemple, si vous avez un enfant qui a vraiment des difficultés, vous notez et le petit « r » à reporter sur votre document.

Sinon, on fait une série de petites croix mais ce n’est pas ça qui fait travailler l’enfant.

Donc ce genre de papier /

STA : Oui, parce qu’il peut y avoir deux personnes qui peuvent avoir des croix et qui ont des niveaux différents. signifie : est-ce qu’il a compris ou pas compris. Et après s’il n’a pas compris « qu’est-ce qu’on peut faire », enfin / j’aurais voulu arriver après jusqu’à lui faire comprendre que si l’enfant n’a pas compris, ça veut dire pour nous,

C’est tout le débat sur l’évaluation et les petites croix. Ce sont ces évaluations qui ne servent à rien si tu n’en fais rien. C’est sommatif et puis voilà. Tu mets des croix et qu’est-ce que tu fais avec ces croix ? Je crois qu’elle comprend en théorie, tout ça, ils l’ont fait à la HEP, ça je sais. L’évaluation formative et comment on observe un enfant, et qu’est-ce qu’on sort de sa poche pour le faire progresser, ça ils l’ont fait, je fais entièrement confiance.

Pour moi, ça c’est clair. Le boulot, je sais qu’il est fait.

Après ce qu’elle a compris de ces cours ou de ce qu’elle a vu dans d’autres stages ça aussi c’est difficile mais je n’ai pas l’impression à la voir maintenant / qu’elle avait l’intention en fait d’aller jusque-là. Il n’y a pas eu une mise en place plus pointue pour l’enfant qui ne comprendrait pas.

Ce moment d’entretien consiste à faire parler le formé à propos d’une grille d’observation qu’il a réalisée et mise en place en classe sous l’impulsion du FEE et du centre de formation. Ceci est relaté par le FEE : « dans les stages de 3ème année, il est demandé de suivre les élèves, de ne pas faire absolument une évaluation détaillée mais de pouvoir évaluer le travail qu’on leur donne ». Nous relevons un lien réel entre deux terrains de formation (stage et institut de formation) mais plus encore nous soulignons tout l’intérêt de réaliser un travail à partir d’un exemple concret issu du terrain. L’exploitation de sa propre pratique paraît primordiale pour relater des aspects théoriques.

Nous y voyons un point d’ancrage efficace pour aborder les théories d’évaluation et plus particulièrement - dans l’extrait en question - pour réfléchir aux façons de faire et d’exploiter un outil d’évaluation.

Arrêtons-nous un instant sur les stratégies du formateur en établissement pour qu’un dialogue entre les savoirs issus de l’expérience et les savoirs issus de la recherche s’instaure, pour que le formé entre dans le débat réflexif, pour qu’il discute, argumente, juge et comprenne les valeurs et les limites de son outil d’évaluation. La première stratégie de soutien motivationnel vise à souligner toute la pertinence quant au choix de l’outil : « ce qu’il y a d’intéressant avec ce genre d’outil … ». En effet, les outils d’évaluation sont nombreux et le formé aurait pu en concevoir d’autres tels que : une grille d’autoévaluation, de co-évaluation ou encore - de façon plus traditionnelle - un contrôle oral.

Par cette démarche, le formateur en établissement motive le formé dans son choix. Il y adhère ce qui a pour effet de donner confiance au formé. Par la suite, le FEE formule une question à l’intention du formé : « quel système d’annotation pouvez-vous mettre en place pour que ça vous soit utile ? » laquelle est précédée d’un réel scepticisme ou d’une remise en question sur la pratique évaluative en tant que telle: « je ne suis pas sûre qu’à long terme, ça serve à quelque chose de faire des évaluations

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 où l’on met des séries de croix et des items ». Il s’ensuit une pause relativement longue. Ne recevant aucun retour de la part du formé, le formateur stimule le dialogue en formulant une hypothèse accompagnée de quelques questions argumentatives : « si l’enfant n’a pas réparé les erreurs glissées dans la suite de l’algorithme, alors vous mettez quoi ? Pas de croix ? Mettez-vous « non » ? ». Ceci est doublement intéressant : d’une part, parce que le FEE invite le formé à donner son point de vue et, d’autre part, parce qu’il l’amène à organiser sa pensée vers la fonction formative de l’évaluation. Il y a donc dans l’invitation à dialoguer, une parole organisée fondée sur une hypothèse et quelques questions favorisant une argumentation. En fait, le FEE a comme visée principale d’amener le formé à entamer une réflexion autour de l’évaluation afin qu’il modifie certaines façons de faire. Il souhaite l’amener à prendre conscience des enjeux de l’évaluation formative et des types de régulations interactives, rétroactives, voire proactives qui ont pour effet de faire progresser les élèves vers les objectifs d’apprentissage. Il mentionne : « c’est tout le débat sur l’évaluation et les petites croix. Ce sont des évaluations qui ne servent à rien si tu n’en fais rien. C’est sommatif et puis voilà ». Pour cela, il compte sur les apports théoriques du formé lui permettant d’analyser ce qui fait problème dans la perspective de comprendre la nécessité de changer.

Notons que pour débattre d’une situation problématique, le formé devrait posséder des savoirs préalables sur les théories d’apprentissage et d’évaluation. Ce qui freine, voire interrompt le dialogue réflexif paraît donc être la faiblesse des savoirs du formé quant aux questions portant sur les théories de l’évaluation.

Pourtant, faute de réussir à débattre autour de l’évaluation et de ses fonctions : formative, sommative et diagnostique, le FEE ne s’arrête pas en chemin. Il rebondit sur les pistes d’action déployées par le formé et co-construit du sens. La tactique consiste à « entrer dans la tête du formé » dans l’idée de s’accrocher à son raisonnement et de le suivre pas à pas. Cette façon de procéder permet de conserver du lien avec le formé.

En ce sens, nous pouvons affirmer qu’il y a tout au long de cet extrait une réelle invitation à instaurer un débat réflexif et un conflit sociocognitif même si nous constatons que le travail est tout au long empêché.

Intéressons-nous aux propos du FEE qui dit : « je crois qu’elle comprend tout ça, ils l’ont fait à la HEP, ça je le sais. L’évaluation formative et comment on observe un enfant, et qu’est-ce qu’on sort de sa poche pour le faire progresser, ça ils l’ont fait, je fais entièrement confiance. Pour moi, ça c’est clair.

Le boulot, je sais qu’il est fait. Après, ce qu’elle a compris de ces cours ou de ce qu’elle a vu dans d’autres stages, ça aussi c’est difficile… ». Soulignons au passage le rapport de confiance que le FEE manifeste à l’égard de la HEP. Ceci sera approfondi dans un prochain chapitre.

Dans ce court extrait, nous percevons un principe fort de l’alternance intégrative qui relève de la complémentarité des savoirs plutôt que leur opposition. Autrement dit, il ne suffit pas d’aborder les théories de l’évaluation dans un cours en HEP et de mettre en place des outils et principes d’évaluation sur le terrain de stage pour permettre aux formés de devenir des enseignants réflexifs capables de porter un regard critique sur leur agir dans la perspective d’y introduire des changements.

La combinaison et la connexion des savoirs relèvent bien d’un entraînement et sans un espace de formation à la réflexivité, il est fort à parier que ce cas de figure se reproduise.

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 4.2.4. Tisser des savoirs savants et des savoirs d’action

Arrêtons-nous un instant sur cette réalité de formation qui émane de l’alternance entre lieux de

Arrêtons-nous un instant sur cette réalité de formation qui émane de l’alternance entre lieux de