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Dans cette section, nous nous attachons à mettre en évidence l’influence des normes, des règles, des obligations et des prescriptions institutionnelles dans l’activité des formateurs (F-HEP ou FEE). Plus précisément, il s’agit de repérer dans leur activité respective leur identification avec les orientations de l’institution de formation qui les emploie, voire avec les modalités et/ou des outils/moyens pratiques qui orientent leurs actions de formation.

7.1.1. Gérer les normes et prescriptions institutionnelles

Les deux extraits qui suivent ont la particularité de mettre en évidence l’effet d’une norme institutionnelle et du sens qu’un formateur HEP attribue à son activité dans un entretien tripartite de stage.

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012

ETS, film 42B Autoconfrontation V1 : 00’04’44 – 00’05’02

F-HEP : Voilà, j’essaye de me calquer sur le système qui est encore un système de contrôle. Je ne suis pas certain que ce soit un vrai système d’évaluation parce que l’étudiant n’a pas grand chose à dire, à part expliciter ce qu’il a fait. Peut-être il y aurait d’autres choses à dire sur ce qu’il a fait mais je ne suis pas sûr que ce soit le type d’entretien, donc voilà.

Autoconfrontation V6 : 00’50’34 – 00’52’30

F-HEP : Moi, je pars d’un a priori probablement, je ne sais pas, je ne pense pas qu’il soit entièrement faux, c’est que la visite est complètement biaisée par l’évaluation et que si j’étais venu dans cet entretien comme visiteur sans que je participe à cette évaluation, que je sois un visiteur neutre, un formateur / le discours serait tout autre et on pourrait véritablement parler des choses vraies. Peut-être cette prudence-là, si je suis en train de lui dire tout va bien mais tout ne va pas bien. Je lui dis les deux choses, je n’ai pas envie de la démolir, j’ai envie qu’elle saisisse le « tout ne va pas bien » comme quelque chose à faire, non pas que ça aille mieux et qu’elle soit meilleure à l’évaluation mais pour qu’elle puisse se sentir mieux quand elle enseigne devant la classe.

Dans le premier extrait, le formateur HEP dit orienter son action en fonction du système d’évaluation en vigueur dans l’institution : « j’essaye de me calquer sur le système qui est encore un système de contrôle ». Cela signifie qu’il se conforme à la prescription, s’aligne ou respecte certaines règles institutionnelles en matière d’évaluation. L’adverbe « encore » renforce la persistance de l’action.

Cela peut signifier « on est toujours dans un système de contrôle alors que l’on parle d’évaluation ».

Le formateur HEP est en quelque sorte dépendant de la prescription et en ce sens, il ne peut guère dévier complètement du rôle pour lequel il est mandaté. Ce qui retient notre attention est la façon dont il rend compte de l’efficacité de cette action évaluative: « je ne suis pas certain que ce soit un vrai système d’évaluation parce que l’étudiant n’a pas grand chose à dire, à part expliciter ce qu’il a fait ». En fait, le formateur HEP fait émerger une controverse lorsqu’il se voit faire. Certes, il a conscience qu’il doit évaluer, mais la tension apparaît lorsqu’il s’interroge sur les notions de contrôle et d’évaluation. Pour l’institution, il doit rendre des comptes sur la pratique professionnelle du formé donc la dimension de contrôle est présente et en même temps il se voit dévier un peu de la prescription pour donner sens à son activité. Autrement dit, il situe son engagement entre ce que l’institution lui demande de faire et ce que ça lui demande en énergie et en termes de compromis.

Ceci est d’autant plus manifeste que dans le langage commun et dans la prescription institutionnelle le flou entre ces notions « contrôle et évaluation » semble exister. Les formateurs sont amenés à évaluer mais quoi, qui et comment ? Notons que le chapitre précédent « évaluer » apporte de nombreuses réponses à cette question.

D’autre part, le formateur HEP propose une piste intéressante pour gérer cette tension : « il y aurait d’autres choses à dire sur ce qu’il a fait mais je ne suis pas sûr que ce soit le type d’entretien ». Par cet énoncé, il suggère indirectement l’émergence de plusieurs types d’entretiens : des entretiens de contrôle et des entretiens d’évaluation formative/formatrice permettant un travail en profondeur sur les actions entreprises par les formés. Ceci semble se confirmer dans le deuxième extrait. Ce même formateur HEP fournit des arguments intéressants pouvant penser que la mise sur pied de différents entretiens réduirait la tension entre « contrôle et évaluation » : « la visite est complètement biaisée par l’évaluation (…), si j’étais venu dans cet entretien comme visiteur sans que je participe à cette évaluation, que je sois un visiteur neutre, un formateur / le discours serait tout autre et on pourrait véritablement parler des choses vraies ». Nous supposons que le flou en matière de modalités d’évaluation du côté de l’institution engendre de multiples interprétations du côté des

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 formateurs d’enseignants. Ainsi, pour répondre à la prescription de l’institution de formation, le formateur HEP est amené - pour répondre aux exigences de son travail - à faire des compromis, à réinterpréter incessamment ses actions pour faire en sorte que le travail tienne et ait du sens. Faut-il alors renforcer la prescription ou renforcer la posture du formateur HEP ? Un renforcement issu du collectif de travail aurait certainement un effet dynamique mais cela n’empêcherait pas que la prescription soit transformée et renouvelée par les expériences multiples des formateurs.

7.1.2. S’identifier et faire preuve de loyauté professionnelle

Les formateurs en établissement (FEE) ont le souci de ne pas contrevenir à l’institution au sein de laquelle ils sont censés collaborer. En ce sens, ils démontrent un devoir de loyauté à son égard que nous mettons en exergue dans les extraits suivants. Cependant, la loyauté professionnelle n’est pas seulement dirigée vers l’institution, nous verrons dans les extraits suivants qu’elle se déploie dans d’autres directions et qu’elle occupe plusieurs dimensions. D’autre part, ces extraits montrent que la loyauté professionnelle contribue à l’identification de l’action institutionnelle et à la dimension d’appartenance à une communauté de pratique.

STA : Et bien tout ce qui est de la métacognition, c’est plus clair, se décentrer du savoir, on en a beaucoup parlé. Tout ce qui est des formes d’enseignement, par rapport au rythme d’enseignement, par rapport aux objectifs, les interrogations fondatrices que l’on aborde en première et j’avais fait oui, mais j’avais rien derrière, où est-ce que l’on veut aller.

Autoconfrontation V6 : 00’47’48 – 00’50’55

FEE : Ce qu’elle dit, c’est qu’elle est en train de comprendre ce qu’elle a appris deux ans auparavant, donc c’était une activité en math et elle m’a posé la question, à quoi ça sert ? et puis elle ne voyait vraiment pas à quoi ça servait. Elle était perdue et puis c’est essentiel si je fais telle activité et je ne sais pas à quoi ça sert ce que je fais alors là c’est moi qui lui ai expliqué. Voilà quand vous faites ceci et j’ai fait la démarche de lui dire au fond le concept qui se cache derrière c’est ça et puis elle était un peu scotchée et quand on fait ça c’est ça c’est ce que l’on a vu à la HEP. C’est souvent la confrontation et ce que j’essaye de faire régulièrement, c’est de faire moi-même le lien entre ce qu’eux voient en HEP et ce qui se fait en pratique et de donner quittance à la HEP parce qu’il y a parfois une vague qui est présente où, certains de mes collègues disent auprès des étudiants, vous oubliez ce que vous avez fait à la HEP maintenant vous êtes dans le concret, dans l’utile et j’essaye de faire l’inverse, c’est-à-dire de faire le lien, de montrer l’importance de la théorie, ce va-et-vient continue « théorie-pratique », donc de susciter la réflexion sur quand on fait ceci, qu’est-ce qu’il y a derrière et puis là ils peuvent s’accrocher à ce qu’ils ont vu en théorie et puis de voir que ce que l’on apprend en théorie, c’est extrêmement utile parce que ça suscite et contraint à la réflexion mais qu’après ça a une incidence directe sur la pratique. Et les étudiants disent régulièrement : ah quand on a fait ceci. (…) Ce que je fais ici a une justification théorique.

C’est déjà la cohérence de la formation à mon avis. Je veux dire, je me situe en tant que formateur donc je soutiens ce que fait la HEP et je défends. Je suis d’accord avec ce qui se fait en HEP et donc j’essaye moi-même de faire des liens ou de tirer des liens ou de susciter chez l’étudiant le lien. Qu’il voie l’importance de lire, d’apprendre et de passer des heures à analyser des séquences même s’ils ne les vivent pas après. Parce qu’eux veulent du concret, ils veulent le

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pratique, c’est souvent ce qui revient et moi je leur dis mais attention être dans le concret oui mais auparavant il y a la réflexion. On ne peut pas faire l’un sans l’autre. C’est un va-et-vient continuel. Ce que je fais ici à une justification théorique.

Dans cet extrait, relevons la loyauté professionnelle à l’égard de l’institution de formation dont témoigne le FEE. Il soutient ce qui s’y fait, il se positionne comme membre d’un collectif de formation et considère le produit final de l’activité de formation comme le produit d’une action collective. La question de la loyauté professionnelle envers l’institution reflète la dimension de l’appartenance professionnelle et plus largement de l’identité institutionnelle. Si nous pouvons admettre que la loyauté est une attitude attendue par l’institution, alors nous pouvons imaginer et comprendre qu’elle soit réciproque. Autrement dit, la loyauté se construit chez le FEE pour autant que l’institution renforce par divers moyens le devoir de loyauté. La HEP est censée être loyale envers le FEE.

Relevons enfin que l’absence de loyauté engendre une crise identitaire.

Comment se caractérise le lien de loyauté ou l’intensité du sentiment d’appartenance à une communauté professionnelle ? Ceci se comprend dans les propos tenus du FEE lorsqu’il fait émerger la question du rapport entre l’institution et le terrain de stage auprès du formé : « Et puis dans les liens de la HEP théorie-pratique, qu’avez-vous appris ? ». Par cette question, le FEE a recours à la loyauté ou fait preuve de loyauté dès lors qu’il adopte une posture qui le fait se lier à l’institution. Il se positionne comme acteur d’une communauté de formation et joue un rôle éminemment formateur dans le sens qu’il insiste pour que l’alternance des lieux trouve sens auprès du formé : « ce que j’essaye de faire régulièrement, c’est de faire moi-même le lien entre ce qu’eux voient en HEP et ce qui se fait en pratique et de donner quittance à la HEP ». Concrètement, le FEE facilite le travail de l’alternant et renforce son identité de formateur et son appartenance à l’institution. Autrement dit, en agissant de la sorte, il se reconnaît comme formateur tout en reconnaissant l’institution à laquelle il s’identifie. En fait, ce que nous saisissons dans les propos suivants est le lien d’attachement à l’institution et à une communauté de pratique : « je me situe en tant que formateur donc je soutiens ce que fait la HEP et je défends. Je suis d’accord avec ce qui se fait en HEP et donc j’essaye moi-même de faire des liens ou de tirer des liens ou de susciter chez l’étudiant le lien ». Notons que le FEE a certes une obligation de loyauté ou un devoir de loyauté à l’égard de l’institution mais la force que nous y voyons, ici, est l’effet que cela provoque chez le formé : « j’essaye de faire l’inverse, c’est-à-dire de faire le lien, de montrer l’importance de la théorie, ce va-et-vient continue « théorie-pratique », donc de susciter la réflexion sur quand on fait ceci, qu’est-ce qu’il y a derrière et puis là ils peuvent s’accrocher à ce qu’ils ont vu en théorie et puis de voir que ce que l’on apprend en théorie, c’est extrêmement utile parce que ça suscite et contraint à la réflexion mais qu’après ça a une incidence directe sur la pratique ».

La question de la loyauté professionnelle fait émerger dans cette situation trois dimensions : la loyauté à l’égard de soi-même (je me situe, construis mon identité en tant que formateur) ; la loyauté à l’égard de l’institution (je soutiens, adhère à ce que fait la HEP) ; la loyauté à l’égard du formé (je veille à ce que l’étudiant parvienne à percevoir ce lien).

Ceci nous amène à nous interroger sur l’absence de loyauté envers l’institution de formation. Le FEE fait allusion à ce phénomène : « certains de mes collègues disent auprès des étudiants, vous oubliez ce que vous avez fait à la HEP maintenant vous êtes dans le concret, dans l’utile ». Du côté du FEE,

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 l’absence de loyauté agit au détriment de celui-ci qui s’empêche de construire son identité de formateur, au détriment de l’institution qui n’est pas reconnue et enfin, au détriment du formé qui est pris en otage et a de la peine à percevoir le sens du dispositif de formation en alternance.

Précisons qu’en contrepartie, le FEE est en droit de recevoir des marques de reconnaissance de l’institution qui a comme devoir de stimuler l’émergence de comportements loyaux. Autrement dit : la rétribution que reçoit le FEE (aspect financier) n’est pas le seul moyen que l’institution doit mettre en place pour s’assurer l’engagement du FEE, voire pour maintenir sa motivation à exercer sa fonction en toute loyauté, il est évident que d’autres initiatives restent à prendre pour construire les sentiments d’appartenance qui permettent de renforcer la cohésion entre les diverses démarches de formation en alternance. l’activité d’algorithme pour que l’enfant puisse également approcher la problématique enfants d’une autre façon que papier à recopier.

Dans le sens que pour un enfant comme M. ça lui convient bien ce genre de travail mais /

STA : pour les petits, le travail sera différent.

FEE : Voilà, moi j’attends toujours un peu la faire comme il lui a dit, lui a essayé de lancer des idées et puis / donc, tu as vu, dès que j’ai dit : « voilà vous avez fait avec M. J. cela, donc, M. J. vous avait lancé une perche, etc.» et là elle me répond du tac au tac : « je l’ai fait » donc je suis obligée de trouver une autre entrée parce que si je ne fais pas attention / comment dire/ moi je trouve que l’on doit faire bloc les FEE et l’institution, c’est la question des alliances et tout ça, donc moi je trouve très important d’être fidèle à l’institution / c’est une maison, en fait et le FEE fait partie de cette maison. Pour moi c’est très clair, donc moi je n’ai aucun problème avec l’institution parce que ça fait partie de mon job. Moi je suis en accord avec l’institution. Le jour où je ne suis pas en accord avec l’institution, j’irai le dire à l’institution mais je n’utiliserai naturellement pas l’étudiant comme une prise d’otage. Parce que c’est clairement insupportable pour l’étudiant.

Cet extrait converge avec ce qui a été dit précédemment. Le FEE sert et défend les intérêts de l’institution dans laquelle il se situe : « moi je trouve que l’on doit faire bloc les FEE et l’institution, c’est la question des alliances (…), je trouve très important d’être fidèle à l’institution / c’est une maison, en fait et le FEE fait partie de cette maison (…), moi je n’ai aucun problème avec l’institution parce que ça fait partie de mon job ». Les notions d’alliance et de fidélité marquent une relation de confiance intense. Le FEE se sent appartenir à une communauté de pratique. On peut par ailleurs faire l’hypothèse que ce dernier se sente reconnu et valorisé par l’institution ce qui favorise la construction de son identité institutionnelle. Ce qui diffère est la façon de créer un lien de loyauté.

Cette fois-ci, le FEE crée un lien à l’égard du formateur HEP : « On avait essayé de discuter, de varier l’activité d’algorithme pour que l’enfant puisse également approcher la problématique différemment.

Et je trouve que ça serait intéressant que vous mettiez ça en place. Par rapport à ce qu’a dit M. J. (F-HEP) et puis ce dont on avait discuté ». La stratégie est d’unir les points de vue des formateurs (F-HEP et FEE), de les combiner pour faire progresser le formé. Aux dimensions que nous avons évoquées

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 dans l’extrait précédent, s’ajoute une quatrième dimension : la loyauté à l’égard du formateur HEP (je suis reconnu par le formateur HEP ou le formateur en établissement). La réciprocité est bien entendu une évidence, c’est-à-dire que le FEE est en droit d’attendre une attitude loyale à son égard de la part du formateur HEP. Cette union favorise une cohérence de la formation, mais contribue également au déploiement de l’identité professionnelle. Ce que nous voulons dire par là est que l’émergence de comportements loyaux à l’égard de l’institution, à l’égard de soi-même, à l’égard du formé et à l’égard du F-HEP ou du FEE est certes une façon de mettre l’identité en action mais plus encore cette attitude contribue à favoriser son appartenance à une communauté de pratique commune dans le champ de l’alternance.