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Le terrain que nous allons investiguer est celui de la Haute école pédagogique des cantons de Berne francophone, Jura et Neuchâtel (HEP-BEJUNE). Celle-ci implique trois sites2 et cinq plates-formes3

2 La HEP-BEJUNE déploie ses activités de formation sur trois sites : Bienne, Porrentruy et la Chaux-de-Fonds.

3 La HEP-BEJUNE comprend des formations initiales PF1 et PF2 (formation primaire, formation secondaire I + II et enseignement spécialisé) ; des formations post-grades ; des formations continue PF3; des médiathèques PF4 ; de la recherche PF5.

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Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 se dispensent des formations et des services. Notre recherche investigue la formation primaire (degrés 1-8 selon HarmoS) de l’espace BEJUNE et de manière plus spécifique adopte le point de vue des formateurs engagés dans trois dispositifs de formation en alternance dont la caractéristique principale est de prendre en compte les situations concrètes et singulières de la pratique professionnelle pendant et après le stage.

Relevons que le travail présenté ici, dans le cadre d’une thèse de doctorat, trouve son origine dans la proximité avec le terrain de recherche et dans le rapport étroit que la chercheuse entretient avec son objet et avec la Haute école pédagogique en question. L’implication sur son propre terrain professionnel peut être considérée comme un frein pour les tenants du scientisme qui évoquent le devoir d’objectivité et de séparation entre le chercheur et son objet. Pour notre part, cette posture de proximité ne nous semble pas un obstacle, mais plutôt une plus-value dans le processus de production de connaissances et une ressource pour penser.

L’objet de cette thèse, qui se concentre sur la dynamique d’une des HEP romandes, HEP-BEJUNE, entend privilégier, dans le mouvement vers la professionnalisation des formations, la logique de l’alternance « institution de formation/lieux de pratiques professionnelles » et l’articulation des rapports au sein de cette interface, en soulignant l’importance de la pratique d’accompagnement et d’un partenariat entre divers acteurs, - pour la HEP-BEJUNE, formateurs HEP (professeurs en sciences de l’éducation et didacticiens des disciplines) et formateurs en établissement (FEE). Cette spécificité ne va pas sans difficultés et les tensions entre deux mondes conditionnées par des logiques organisationnelles et conceptuelles parfois contraires ne favorisent pas toujours une collaboration fructueuse.

En lien avec ce qui précède, l’objet de cette thèse met notamment en évidence les caractéristiques des formateurs, les tensions, les évolutions, les ruptures et les continuités de la profession, ceci en questionnant l’activité des formateurs (F-HEP et FEE) et en identifiant les compétences que ces derniers développent pour assurer les rôles et les tâches de chacun dans une formation par alternance. Il faut également relever que tous les formateurs n’ont pas les mêmes fonctions, les mêmes modes d’intervention et les mêmes compétences. La division du travail, qui est selon Perrenoud (1998, p. 20) un enjeu dans l’évolution des fonctions et des métiers de la formation, a fortement marqué les acteurs impliqués dans les Hautes écoles pédagogiques suisses dès leur création en 2001, dans la mesure où les divers fonctions et rôles ont connu une redistribution et redéfinition qui ont entraîné des exigences institutionnelles et des bouleversements identitaires indéniables.

Il n’en demeure pas moins que dans le cadre actuel de mouvance épistémologique, identitaire et pédagogico-didactique qui accompagne la tertiarisation et la professionnalisation des formations, le profil, les compétences et les activités des formateurs évoluent, se complexifient et se transforment.

Le travail des formateurs ne se limite ainsi dans la majorité des institutions de formation plus exclusivement à l’enseignement, car leur mission consiste désormais à encadrer, accompagner, guider, restaurer le propre « pouvoir d’agir » des futurs enseignants, ce « pouvoir d’agir (en tant que traduction libre du terme « empowerment ») étant actuellement censé réunir en un seul terme des facettes telles que la capacité à prendre de l’initiative, à se sentir impliqué (Jorro, 2007), à s’engager dans la mise en œuvre des finalités de l’école, à exercer de l’influence sur autrui, voire à travailler sur les résistances au changement, etc. (Perrenoud, 2001).

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 1.1.1. Principe d’alternance et dispositifs de formation

La mise en place de l’alternance est l’un des enjeux centraux des formations de la HEP-BEJUNE et plus largement de toute formation professionnelle. Par ailleurs, c’est l’un des objets de recherche d’actualité en sciences de l’éducation. Ce mouvement en faveur d’une meilleure articulation entre formation en institution et formation sur le terrain se conçoit comme un des principes organisateurs de la formation tertiaire des enseignants. Se pose néanmoins la question des dispositifs d’alternance et de ses pratiques introduits dans la formation pour développer une capacité réelle de réflexivité en prenant comme référence l’expérience du terrain. Or, les espaces de travail, qui associent plus ou moins les formateurs du terrain et de l’institution de formation et qui permettent aux apprenants en alternance d’articuler différents types de savoirs dans la perspective d’un développement de leurs compétences professionnelles, sont peu analysés.

Rappelons que la formation par alternance est d’abord une organisation des études qui concerne l’ensemble d’un cursus et mobilise l’ensemble des formateurs qui interviennent, que ce soit en Haute école ou en établissement scolaire. Cette organisation des études commande généralement plusieurs dispositifs centrés sur l’articulation entre l’expérience de terrain et son retraitement, qu’il s’agisse de divers types de stages et de leur accompagnement, de groupes d’analyses de pratique, de discussions sur les problèmes professionnels, de mémoire professionnel, de jeux de rôle ou de simulation. Chacun de ces dispositifs, destiné à faciliter un processus d’apprentissage, se caractérise par des objectifs particuliers, un positionnement dans le cursus, un espace-temps qui lui est dédié, des ressources humaines et matérielles, un contrat didactique, des modalités d’évaluation et un poids en crédits ainsi qu’une mise en réseau de divers types de formateurs.

Au sein de l’institution de la HEP-BEJUNE, nous retrouvons différents dispositifs situés au cœur de l’alternance. Ainsi, nous pouvons citer neuf types de stage (trois stages en HEP1, quatre stages en HEP2 y compris le stage linguistique et deux stages en HEP3) dont la durée varie d’une année à l’autre (HEP1 : 8 semaines ; HEP2 : 15 semaines et HEP3 : 12 semaines). Chaque étudiant bénéficie de plusieurs entretiens en dyade avec le formateur en établissement et de une à deux visites des formateurs HEP par stage. A cela, s’ajoutent : les séminaires d’analyse de pratique professionnelle dont la durée est de 36 périodes pour les trois ans de formation ; les séminaires de recherche préparant au mémoire professionnel ainsi que les nombreux jeux de rôle ou de simulation portant par exemple sur la mise en place d’une réunion de parents, d’entretiens d’évaluation, etc. Notre recherche s’intéresse, en particulier, à trois dispositifs de formation en alternance dont nous décrivons brièvement les pratiques.

L’entretien en dyade (ED) se déroule en classe sur le terrain de stage et repose sur les activités menées en classe par le formé. Il réunit le formateur en établissement (FEE) et le formé pendant le stage. Le formateur va s’entretenir avec le formé, plusieurs fois durant le stage, après avoir prêté attention à l’activité singulière du candidat. Le cadre de l’entretien est à la fois un cadre de coopération et de régulation, dans le sens que le formateur tente de dire le faire et le formé d’apprendre à dire son faire. Le processus d’apprentissage s’opère au travers de la parole du formateur laquelle oriente le formé pour favoriser des prises d’initiatives nouvelles du candidat. Le dialogue entre « formateur/formé » après une ou plusieurs périodes de cours est susceptible de favoriser des ajustements et des régulations dans le cours de l’action.

Thèse no 505- version finale du 30 juillet2012 L’entretien tripartite de stage (ETS) est une pratique sociale et institutionnelle s’exerçant sur le terrain de stage en présence du formé, du formateur en établissement (FEE) et du formateur HEP (F-HEP). Cette pratique de formation offre un potentiel réflexif intéressant dès lors qu’elle a comme principe de permettre au formé de revenir sur son action, d’analyser ses pratiques et les effets produits par celles-ci ainsi que de réguler son action en proposant de nouvelles pistes de réinvestissement, et ceci en étant accompagné par deux formateurs issus de communautés de pratiques différentes.

Le séminaire de réflexion sur les pratiques professionnelles (RSP) s’articule autour de l’écriture et de la verbalisation d’un incident critique réellement vécu en stage par un formé et donc porteur de sens. Il met en scène un petit groupe de formés et un formateur HEP en institution, lesquels travaillent ensemble durant toute la démarche sur une situation rapportée. C’est une démarche d’intégration des savoirs issus tant des pratiques singulières que des théories scientifiques. Dans les grandes lignes, la démarche fonctionne en trois grandes phases : présentation de l’incident critique ; problématisation (analyse et interprétation) et réinvestissement (pistes d’action).

Ces trois dispositifs de formation, constitués de pratiques, ont en commun une démarche privilégiant l’investigation des expériences sur le terrain et ce, pendant et après le stage. Précisons que ces dispositifs de formation contribuent à définir l’alternance et qu’ils n’ont pas de strict équivalent dans une autre institution, mais ils illustrent une partie du travail spécifique des formateurs dans ce genre de contrat et d’interaction avec les formés. Conçus pour faire vivre l’alternance, ces types de dispositifs de formation se développent à la frontière de deux mondes (le terrain et l’institution de formation) et font émerger une narration expérientielle permettant au praticien de décrire ses pratiques et ainsi de mieux les comprendre, de les changer et d’accroître sa capacité réflexive et sa professionnalité.

D’où la question centrale : comment les formateurs (F-HEP et FEE) interviennent-ils dans le cadre de ces trois dispositifs de formation en alternance mis en place au sein de la HEP-BEJUNE ? Et à partir de là : quels sont les savoirs et les compétences à construire dans l’alternance ? Quelle est l’activité de chaque formateur dans le cadre d’un travail collectif efficace et pertinent ? Comment les deux catégories de formateurs (F-HEP et FEE) se rencontrent-ils et travaillent-ils ensemble ? Quels effets produisent ces regards croisés et ces interactions étroites en termes de climat relationnel, de clarification des fonctions et rôles respectifs, voire en termes de compétences collectives ? Comment le métier de formateur apparaît-il et se transforme-t-il dans un contexte de travail en alternance ? Quelles ressources les formateurs mobilisent-ils dans ces dispositifs de formation en alternance ? Quelles tensions vivent-ils et quels problèmes rencontrent-ils ? Quel est le processus qui permet à terme aux formateurs de construire leurs compétences ? Quels sont les liens, les similitudes, voire les ruptures et contradictions entre différentes démarches et méthodes permettant d’analyser les pratiques ?