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Le workfare vise à remettre au travail les allocataires de l’aide sociale

UNE APPROCHE CONTRAIGNANTE ET PEU EFFICACE

Section 1 Le workfare vise à remettre au travail les allocataires de l’aide sociale

Aux Etats-Unis, à partir de la fin des années 1980, s’est substitué à une protection sociale assistancielle destinée à fournir des allocations aux personnes dans le besoin, le workfare, lequel a pour objectif de remettre au travail les bénéficiaires de l’assistance. On est ainsi passé de politiques d’assistance à des politiques d’activation des dépenses passives. Or, dans les débats sur l’aide sociale, la famille devient un thème central ; c’est pourquoi l’AFDC retient toutes les attentions et est au cœur de toutes les propositions de réforme de l’aide sociale américaine, car les modifications apportées à cette allocation doivent servir d’exemple et de modèle pour l’ensemble des autres prestations également soumis au programme de workfare.

La réforme du welfare de 1996 s’est donc traduite par la transition de politiques d’assistance aux plus démunis à des politiques de retour à l’emploi des allocataires de l’aide sociale, les programmes de workfare se caractérisant principalement par la mise en œuvre de mesures plus axées sur la dimension coercitive que sur l’incitation. On est alors passé, aux Etats-Unis, d’une incitation à la reprise d’un emploi à une obligation de travailler (§ 1).

Cette nouvelle contrainte de travail en contrepartie des allocations versées peut d’ailleurs être clairement illustrée au travers de l’AFDC-TANF, lequel représente certainement le cas-type du workfare américain (§ 2).

§ 1 : De l’incitation à la reprise d’un emploi

à l’obligation de travailler

Les obligations nées de la réforme du welfare ont aboutit à alourdir les contraintes pesant à la fois sur les allocataires de l’aide sociale ainsi que sur les Etats. La dimension intégrative de la protection sociale est dorénavant synonyme, non plus d’incitation au travail – comme ce fut le cas pendant près de trente ans – mais d’une obligation de travailler imposée aux allocataires. Dans cet ordre d’idée, les anciens mécanismes de retour à l’emploi, basés sur

l’incitation, ont été revus : les conditions pour bénéficier des prestations d’aide sociale ont été renforcées et ont débouché sur de nouveaux devoirs incombant aux bénéficiaires de l’assistance.

Si l’incitation reste un concept central, celle-ci n’est plus désormais considérée comme moyen d’encourager l’offre de travail à reprendre un emploi, mais bien plutôt, dans une logique de la contrepartie, de l’obliger au travail. Ainsi, le passage d’une vision incitative à une dimension coercitive s’est traduite par la transition de politiques basées sur des

incitations fiscales et monétaires au retour à l’emploi (A) à des politiques basées sur la

notion de contrepartie et d’obligations réciproques. En effet, la logique de réciprocité s’est manifestée, dans le domaine des politiques réinsertion dans l’emploi, par de nouveaux devoirs pour les allocataires ainsi que pour les Etats (B).

A) Les incitations fiscales et monétaires au retour à l’emploi

En matière de remise au travail, il apparaît que le mécanisme du crédit d’impôt est très souvent utilisé aux Etats-Unis. A ce titre, de nombreux dispositifs reposant sur ce mécanisme d’incitation fiscale ont été mis en place et notamment l’EITC110. Or, d’autres voies ont également été explorées afin de permettre le retour à l’emploi des allocataires. Ainsi, au-delà des incitations fiscales, les différents Etats américains ont aussi opté pour des incitations monétaires. Si les premières s’apparentent surtout à des subventions indirectes à la reprise d’un travail, les secondes, quant à elles, reposent sur des mécanismes de primes directes versées lors du retour à l’emploi. On peut alors mentionner, d’un côté, l’EITC, qui représente

certainement l’illustration la plus parfaite des dispositifs d’incitation fiscale aux ménages

existant, et d’un autre côté, les primes de retour à l’emploi.

1. L’incitation fiscale aux ménages : une illustration par l’EITC

Créé aux Etats-Unis en 1975, l’Earned Income Tax Credit (EITC) est un crédit d’impôt ciblé sur les salariés modestes ayant des enfants à charge, ne bénéficiant qu’aux foyers dans

110 Pour plus de précisions sur l’EITC, consulter l’article de O. Bontout, « l’Earned Income Tax Credit, un crédit

d’impôt ciblé sur les foyers de salariés modestes aux Etats-Unis », in Economie et Statistiques, n° 335, 2000-5, INSEE, Paris, pp. 27-45.

lesquels au moins une personne travaille [en ce qui concerne les critères d’éligibilité à l’EITC, cf. encadré 1]. Ce dispositif a touché 19,5 millions de foyers américains et a représenté un coût total de 30 milliards de dollars (1,8 % du budget fédéral) pour l’année 1998. Ce crédit d’impôt, comme l’impôt négatif, « donne lieu à un versement net direct aux ménages et pas

seulement à une réduction d’impôts »111. En effet, « ce crédit est déduit du montant d’impôt

sur le revenu fédéral : s’il excède les impôts, la différence fait l’objet d’un versement direct aux ménages, s’il est inférieur à l’impôt son montant diminue d’autant l’impôt dû »112.

En fait, le principe est que les ménages qui perçoivent un revenu supérieur au seuil de pauvreté monétaire sont imposés et donc tenus de payer l’impôt sur le revenu fédéral, alors que ceux dont les revenus sont situés au-dessus de ce seuil bénéficient d’un complément de ressources. On peut alors noter qu’en 1998, l’EITC valait 3 756 dollars pour les foyers avec deux enfants ayant des revenus annuels compris entre 9 390 dollars et 12 260 dollars et que ce montant diminuait progressivement pour s’annuler à partir de 30 095 dollars [tableau 1]. Euzéby (2001) précise d’ailleurs à ce sujet que « le barème en 1998 pour un couple avec deux

enfants est tel que l’aide augmente en gros jusqu’au niveau du salaire minimum annuel (10 300 dollars, soit 2 000 heures annuelles à 5,15 dollars). Elle se stabilise ensuite jusqu’à un montant de revenu annuel de 12 260 dollars, puis diminue et s’annule lorsque le revenu annuel du ménage atteint 30 095 dollars »113.

Or, le mécanisme du crédit d’impôt est modulable en fonction de la configuration familiale [graphique 1], car « pour une famille composée d’un adulte et de deux enfants, ayant

des revenus du travail correspondant au seuil de pauvreté (13 133 dollars en 1998), le crédit d’impôt était de 3 572 dollars, légèrement inférieur à son maximum »114, mentionne Bontout (2000). Dans l’optique d’une sauvegarde de l’incitation au travail, l’EITC se réduit donc au fur et à mesure que les revenus perçus (professionnels et personnels) augmentent, mais à un rythme moins rapide que celui de l’augmentation desdits revenus. L’allocation versée au titre du crédit d’impôt est ainsi dégressive en fonction des revenus gagnés. L’EITC est en fait utilisé comme impôt négatif, puisque près de 81 % des 26,8 milliards de dollars de dépenses

111 O. Bontout, « L’Earned Income Tax Credit, un crédit d’impôt ciblé sur les foyers de salariés modestes aux

Etats-Unis », in Economie et Statistiques, n° 335, 2000-5, INSEE, paris, encadré 1, « L’éligibilité à l’Earned Income Tax Credit (EITC) », p. 28.

112 O. Bontout, ibid. (encadré 1, « L’éligibilité à l’Earned Income Tax Credit (EITC) »).

113 C. Euzéby, « Un revenu minimum avec ou sans obligation de travail ? », in Aspects de la sécurité sociale,

AISS, 2001, p. 32.

qui lui étaient consacrés en 1997 se sont faits sous forme de remboursement ; ainsi, l’EITC « est devenu le premier programme d’aide en espèce pour les salariés à bas revenus, pour les

« travailleurs pauvres » y compris, puisqu’une bonne part de ses bénéficiaires sont des parents isolés »115.

Si ce crédit d’impôt était originellement destiné à remplir deux objectifs, le premier étant de « compenser les cotisations de sécurité sociale pour les familles salariées »116, le second visant à « inciter les familles à bas revenus à occuper un emploi »117, celui-ci est, depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, surtout orienté vers l’incitation au travail pour les familles à bas revenus.

2. Les primes de retour à l’emploi

Afin de permettre le retour à l’emploi des allocataires, certains états américains ont mis en place des mesures visant à accorder des primes lors de la reprise d’un emploi. C’est ainsi que, dans les années 1980, quatre états – à savoir l’Illinois, le New Jersey, Washington et la Pennsylvanie – versaient une prime égale à 500 $ (soit environ 3500 F), 1600 $ au New

Jersey, aux demandeurs d’emploi qui retrouvaient un travail dans un délai de quatre mois maximum.

Si ces mesures ont permis de réduire d’une semaine la durée moyenne de recherche d’emploi dans les quatre états, elles n’ont toutefois pas eu un impact très important sur le temps passé au chômage. Le CERC (2001) précise en effet que « même avec des montants

plus élevés (New Jersey), le dispositif ne s’est pas révélé très efficace en termes de réduction du temps de chômage »118. Or, cette relative inefficacité est due à deux phénomènes induits par l’octroi de cette prime : d’une part, la prime accordée n’a pas été à même de jouer sur le salaire de réserve119 et, de ce fait, n’a pas été suffisamment incitative au travail ; d’autre part, ce dispositif récompense les chômeurs ayant retrouvé un emploi et constitue donc une sorte de

115 S. Morel, « Les logiques de la réciprocité : les transformations de la relation d’assistance aux Etats-Unis et en

France », Le Lien social, PUF, Paris, 2000, pp. 146-147.

116 O. Bontout, « L’Earned Income Tax Credit, un crédit d’impôt ciblé sur les foyers de salariés modestes aux

Etats-Unis », in Economie et Statistiques, n° 335, 2000-5, INSEE, Paris, p. 29.

117 O. Bontout, ibid.

118 CERC, « Accès à l’emploi et Protection sociale », Rapport du CERC, Rapport n° 1, La Documentation

française, Paris, 2001, p. 110.

119 Le salaire de réserve, également appelé salaire d’acceptation, représente le montant de salaire proposé en-

subvention à visée incitative à la reprise d’un emploi dans des délais courts. Or, il n’est pas dit que ces derniers n’auraient pas de toute façon – c’est-à-dire même sans cette prime – cherché et trouvé un emploi dans les délais impartis (effet d’aubaine).

B) Les manifestations de la réciprocité : de nouveaux devoirs pour