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En France, si la protection sociale est relativement développée, c’est en grande partie pour des raisons historiques. En effet, historiquement, la coutume de la solidarité est au fondement même de la dimension redistributive de notre système et prédomine l’ensemble des mécanismes aussi bien d’assurance que d’assistance. Cette logique solidariste se

manifeste alors par la reconnaissance d’un devoir de la collectivité envers ses membres, lesquels, en tant que sujets-citoyens de la Nation, ont des droits. En effet, « le credo

républicain au sujet de la pauvreté a toujours considéré l’assistance comme un droit… »28, précise Procacci (1996). Cette logique de solidarité relève, selon Paugam (1996), des idées républicaines issues de la Révolution française, ce dernier indiquant que « les français (…)

restent attachés à l’idée d’une dette nationale à l’égard des plus faibles dont on peut trouver l’origine au XVIIIème siècle, notamment aux débuts de la Révolution française avec l’expérience du Comité de mendicité ».

Dès cette époque donc, il y avait implicitement la volonté de lutter contre les inégalités sociales en acceptant de fournir une assistance aux plus pauvres. Cette coutume s’est perpétuée dans le temps et le principe de la « dette sociale » de l’Etat s’est alors surtout concrétisé à partir de la fin du 19ème siècle. Pour preuve, les lois d’assistance (assistance médicale gratuite en 1893, enfants assistés en 1904 et assistance aux vieillards en 1905) sont des lois qui posent l’intervention « soit comme une dette envers les vieillards qui ont déjà

travaillé, soit comme un placement envers les enfants qui coopéreront bientôt à l’œuvre commune, soit comme un prêt envers les malades qui récupéreront ainsi leur capacité de travail »29. Ces lois viennent donc valider l’idée que « la conception solidariste de la

primauté de la dette sociale ne vient donc pas légitimer, comme on l’entend parfois, l’imposition d’un devoir pour les pauvres mais, au contraire, leur droit à l’assistance »30.

Dans la relation à l’emploi, cette « dette » s’institue comme la contrepartie de l’Etat vis- à-vis des chômeurs qui ne sauraient trouver un travail ; dès lors, si les individus ont une obligation de travailler, la réciproque est également valable, puisqu’ils ont aussi un droit au travail, celui-ci étant d’ailleurs inscrit dans la Constitution de 194631. L’idée est alors qu’en réponse au devoir de travailler imposé à l’individu pour obtenir un salaire et donc pour vivre, la collectivité doit lui permettre, en cas d’impossibilité de ce dernier de réaliser ce devoir, de continuer à vivre décemment grâce à un revenu de remplacement (allocation d’assurance- chômage) proche de son ancien revenu de travail (salaire). Ainsi, comme le souligne Bec

28 S. Morel, « Les logiques de la réciprocité : la transformation de la relation d’assistance aux Etats-Unis et en

France », Le Lien social, PUF, Paris, 2000, p. 112.

29 C. Daniel et C. Tuchszirer, « Assurance, assistance, solidarité : quels fondements pour la protection sociale des

salariés ? », in La revue de l’IRES, n° 30, 1999/2, IRES, Noisy-le-Grand, 1998, p. 9.

30 S. Morel, op. cit., pp. 117-118.

31 La Constitution du 27 octobre 1946 précise en effet que « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir

(1998), « le travail est la valeur centrale, organisatrice de la société et donc le premier des

devoirs qu’a chaque individu. Mais en cas d’impossibilité objective d’assurer ce devoir, son droit sera d’être aidé »32.

En référence à cette logique d’une « dette sociale » de l’Etat, le système d’assurance chômage mis en place en 1958 en France représente alors le droit reconnu envers les allocataires du chômage de l’obligation de l’Etat de leur fournir une aide (revenu de remplacement) qui leur garantisse un minimum de ressource pendant leur période chômage, ce minimum étant, dans une conception bismarkienne de la protection sociale, généralement élevé. Ainsi, la notion de solidarité est, dans le cadre du solidarisme, étendue à l’assurance sociale, la logique solidariste s’attachant à définir un « vaste système d’assurance collective

visant à prévenir et surtout réparer, grâce à la mise en œuvre du devoir juridique de solidarité, les conséquences néfastes résultant de la survenance d’un certain nombre de risques sociaux »33 (Borgetto, 1991).

La logique solidariste constitue ainsi le socle fondamental régissant la plupart des règles des politiques d’assistance, mais également d’assurance depuis la fin des années 1940, puisque « au fondement des premières lois d’assurance sociale adoptées au tournant et au

début de ce siècle, le concept de solidarité figurera également au premier article de l’ordonnance du 4 octobre 1945, instituant le système de la Sécurité sociale »34. La

solidarisme est donc, avec les idées keynésiennes, à la base du caractère à la fois redistributif et universel de la protection sociale en France.

B) Une couverture sociale étendue propre à agir sur la pauvreté

La coutume solidariste historiquement prépondérante en France a entraîné la mise en place d’un système de protection sociale tenant obligatoirement compte de l’impératif de solidarité nationale. C’est la raison du caractère hybride du modèle français de protection sociale qui mèle allègrement conception bismakienne et conception beveridgienne au sein d’un même système. Le modèle français élaboré à partir de 1945 a donc emprunté aux deux

32 C. Daniel et C. Tuchszirer, « Assurance, assistance, solidarité : quels fondements pour la protection sociale des

salariés ? », in La revue de l’IRES, n° 30, 1999/2, IRES, Noisy-le-Grand, 1998, p. 9.

33 S. Morel, « Les logiques de la réciprocité : les transformations de la relation d’assistance aux Etats-Unis et en

France », Le Lien social, PUF, Paris, 2000, p. 119.

conceptions pour construire un modèle original permettant de concilier solidarité professionnelle et solidarité nationale, et donc de garantir un haut niveau d’assurance sociale tout en conservant une dimension assistancielle assez prononcée.

Pour des raisons de croissance économique soutenue (5 % de croissance du PIB en moyenne sur la période 1950-1973) et de situation de plein-emploi des diverses branches productives, la France a construit son modèle de protection sociale sur une logique assurancielle, laquelle permettait, par la redistribution horizontale35, de pallier les insuffisances du système d’aide publique et assurait un minimum de protection contre les risques sociaux encourus par les travailleurs. L’assistance avait donc un rôle limité qui se justifiait par le fait que le plein-emploi permettait à la majeure partie de la population active de bénéficier d’une protection sociale. De plus, par le jeu des droits dérivés, qui confèrent au conjoint et aux enfants du travailleur-assuré social les mêmes droits que ce dernier, l’assurance sociale permettait alors à une large frange de la population d’être couverte (en 1960, déjà 76 % de la population était en effet directement protégée par la Sécurité sociale).

La place prééminente occupée par le régime d’assurance était donc essentiellement due au faible taux de chômage que connaissait la France durant cette période (2 % en moyenne : 1,75 % en 1955, 1,43 % en 1960, 1,56 % en 1965, 2,5 % en 1970). En effet, ce faible taux signifiait qu’une part importante des individus étaient en emploi. De fait, il y avait un nombre élevé de cotisants pour peu de personnes indemnisées, d’où des recettes supérieures aux dépenses. A ce titre, il est à remarquer que les chômeurs étaient, du fait même de la bonne santé financière du régime d’assurance chômage, bien couverts, ce qui ne nécessitait pas de développer davantage le régime d’assistance.

La conception bismarkienne fondatrice du modèle français insistait alors sur la notion de garantie de revenu, plus que sur celle de garantie de ressources. L’idée était alors, dans une logique d’assurance sociale, de fournir un revenu de remplacement proportionnel au salaire antérieur. Le système français reposait de fait sur l’ « idée que les différentes branches de la

35 La redistribution des revenus s’opère de deux façons différentes. On oppose à la redistribution verticale la

redistribution horizontale. Si la première s’effectue des riches vers les pauvres et est à même d’agir sur la pauvreté, la seconde, quant à elle, s’effectue entre membres d’une même classe sociale ou d’une même catégorie socio-professionnelle et a alors pour objectif de réduire les inégalités de revenus par le jeu des transferts des biens-portants vers les malades, ou des actifs vers les inactifs (enfants et retraités), ou encore des actifs occupés (travailleurs) vers les actifs inoccupés (chômeurs),… Le modèle français est, à ce titre, particulier puisqu’il tente d’opérer une redistribution transversale et a donc pour but à la fois, dans une optique de solidarité nationale, de réduire la pauvreté dans son ensemble, mais également, dans une logique de solidarité professionnelle, d’accroître le bien-être entre individus d’une même CSP.

protection sociale poursuivent finalement un objectif commun : à savoir, la recherche d’une plus grande sécurité face aux aléas de la vie, la garantie d’une continuité du revenu »36. De plus, la spécificité du système d’indemnisation chômage, mis en place à partir de 1958, était de faire coexister assurance et assistance chômage au sein d’un même modèle. Si les régimes ont été séparés jusqu’en 1979, la distinction entre les deux étaient ténue puisque l’aide sociale pouvait venir en complément de l’assurance chômage. Dès lors, les prestations versées au titre de l’indemnisation du chômage étaient élevées, puisqu’il était possible pour un chômeur de cumuler allocations chômage et prestations d’aide sociale. La réforme de 1953 concrétise cette idée, puisque « tout individu, même s’il est travailleur, peut bénéficier de l’aide sociale

si, sans la participation de cette dernière, l’accès à certains biens et certains services lui serait alors interdit »37.

C’est ainsi que « l’assistance n’est pas seulement une mesure catégorielle de lutte

contre la pauvreté s’adressant à des populations particulières. Elle est aussi, peut-être autant, une intervention à visée universaliste. Articulée à un ensemble de politiques promotionnelles et intégratrices, elle s’inscrit dans la lutte contre les inégalités »38, indique Bec (1999). Couplée à une démarche keynésienne de soutien de la demande, la logique solidariste, qui concernait surtout l’assistance au départ, s’est ainsi concrétisée, dans le domaine de l’assurance chômage, par une couverture sociale étendue propre à réduire la pauvreté (le taux de pauvreté est en effet passé de 19,9 % en 1975 à 17,5 % en 198539).

Si le système de protection sociale français est axé sur une dimension principalement assurancielle, caractéristique d’un modèle de type bismarkien fondé sur la solidarité professionnelle, tel n’est pas le cas des Etats-Unis, dont le modèle, établi sur la base d’une solidarité nationale est, quant à lui, fortement orienté vers l’assistance sociale.

36 C. Daniel et C. Tuchszirer, « Assurance, assistance, solidarité : quels fondements pour la protection sociale des

salariés ? », in Revue de l’IRES, n° 30, 1999/2, IRES, Noisy-le-Grand, 1998, p. 7.

37 C. Bec, « Assurance, assistance, solidarité : quels fondements pour la protection sociale des travailleurs ? », in

Revue de l’IRES, n° 30, 1999/2, IRES, Noisy-le-Grand, 1998, p. 12.

38 C. Bec, « Assurance, assistance, solidarité : quels fondements pour la protection sociale des travailleurs ? », in

Revue de l’IRES, n° 30, 1999/2, IRES, Noisy-le-Grand, 1998, p. 12.

39 Source : C. Euzéby, « Le revenu minimum garanti », Repères, n° 98, La Découverte, Paris, 1991, p. 20. A

noter que le chiffres concernant la pauvreté avant 1975 sont difficiles à trouver, car les pouvoirs publics français ne se sont véritablement intéressés au problème de la pauvreté qu’à partir de la crise de 1973.

Section 2 : Le modèle de protection sociale

américain est surtout orienté