• Aucun résultat trouvé

REDISTRIBUTIVE ET INTEGRATIVE A PARTIR DES ANNEES

Les dépenses d’indemnisation du chômage et le coût de la protection sociale ont fortement cru depuis la fin des années 1970, et surtout au cours des années 1980. La prise de conscience politique de cet état de fait va alors se traduire, à partir du début des années 1990, par le besoin exprimé de réduire les dépenses sociales. En effet, les prestations d’aide sociale – pourtant peu élevées aux Etats-Unis – sont perçues comme pesant sur les finances publiques américaines et, dans une optique libérale de restriction budgétaire, le niveau de protection sociale est alors jugé trop important. Cette exigence de restriction budgétaire est également à l’œuvre en France où, pour des raisons de réduction du déficit budgétaire et de maîtrise des dépenses publiques – afin notamment de respecter les critères de Maastricht – la progression des dépenses de protection sociale a été considérablement ralentie (alors que le chômage continuait d’augmenter).

A partir des années 1990, la protection sociale a dès lors eu pour objectif, en plus de garantir un minimum de revenu, également de réinsérer dans l’emploi. S’est alors greffée sur la dimension redistributive du système de protection sociale, une logique intégrative fondée sur l’idée qu’il est désormais nécessaire d’activer les politiques d’emploi et donc de remettre au travail les allocataires de minima sociaux et les chômeurs.

Cette fonction de réintégration dans l’emploi désormais jouée par la protection sociale a donc été légitimée du fait de la volonté politique de mettre à contribution les allocataires de l’assurance-chômage et ceux de l’assistance sociale. Dès lors, les conditions d’ouverture des droits et les obligations pour pouvoir continuer à bénéficier des prestations d’assistance se sont durcis pour les allocataires de l’aide sociale aux Etats-Unis. C’est également le cas pour les chômeurs et les bénéficiaires de minima sociaux en France, même si les obligations n’ont pas été aussi renforcées qu’aux Etats-Unis.

Obnubilés par des impératifs d’équilibre budgétaire et financier des différents régimes, les pouvoirs publics, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis, ont donc défendu l’idée d’une activation des dépenses passives. Cette orientation de la protection sociale vers une fonction davantage intégrative a été le fruit du souhait formulé par le pouvoir politique de renforcer le lien entre la protection sociale et l’emploi. Cette nouvelle dimension de la protection sociale s’est alors concrétisée, aux Etats-Unis, par une radicalisation de l’assistance qui s’est

traduite par un durcissement de l’aide sociale (Section 1). En France, un mouvement

identique semble être à l’œuvre, puisqu’on assiste, depuis lors, à un certain alignement vers le bas du modèle de protection sociale français (Section 2).

Section 1 : Vers une radicalisation de

l’assistance : un durcissement

de l’aide sociale aux Etats-Unis

Pour des raisons essentiellement budgétaires, l’assistance américaine s’est radicalisée en renforçant désormais les conditions d’ouverture des droits à l’aide sociale et en imposant de nouvelles contraintes aux allocataires (une obligation de travail pour toucher l’aide sociale, en l’occurrence). Il y a à la base de cette attitude politique deux raisons principales : tout d’abord, l’idée que la charge financière croissante que représente le régime d’assistance finit par miner les fondements même du système de protection sociale qui, de ce fait, doivent être totalement repensés ; ensuite, un retour en force de la notion de contrepartie dans les politiques d’assistance.

A l’origine de cette radicalisation de l’assistance sociale, il y a donc l’empreinte théorique de la pensée libérale, à laquelle viennent s’ajouter des considérations d’ordre philosophique et moral au sujet des nouveaux devoirs des allocataires de l’aide sociale. Ainsi, au-delà d’une vive critique libérale de l’inadaptation des systèmes de protection sociale traditionnels (§ 1), il y a aussi la volonté de faire évoluer le système américain vers plus

d’obligations pour les allocataires. Dès lors, la mutation des politiques d’assistance peut

s’analyser comme le passage d’une relation d’assistance à une relation d’obligations réciproques (§ 2).

§ 1 : Une vive critique libérale de l’inadaptation

des systèmes de protection sociale traditionnels

Même si la redistribution est admise très largement dans son principe, elle donne cependant lieu à de vifs débats quant à son ampleur. De nombreux arguments libéraux

critiquant l’inefficacité d’une redistribution excessive ont été mis à jour53. Au-delà de considérations de justice sociale, les libéraux focalisent leur pensée sur l’aspect anti- économique de la protection sociale en insistant sur son manque de réalisme et de pragmatisme par rapport aux exigences actuelles en matière de protection respectueuses des impératifs d’équilibre financier du système.

Ainsi, la théorie libérale émet une vive critique de l’inefficacité et de l’inadaptation du système de protection sociale qui remet en cause sa légitimité et donc, en quelque sorte, son existence (en tous cas, telle qu’elle est conçue actuellement). Elle fait, les libéraux font principalement état de deux objections vis-à-vis d’un système de couverture des risques qui n’est pas soumis aux lois du marché. Tout d’abord, la protection sociale est peu efficace dans

la mesure où elle induit des comportements de « passager clandestin » (A). De plus, cette

efficacité est également mise à mal du fait même du financement du système de protection sociale qui pèse trop lourdement sur les salariés et les entreprises (B).

A) La protection sociale induit des comportements de « passager

clandestin »

Dans la théorie économique, la protection sociale est assimilée à un bien public (ou bien collectif). En fait, un bien collectif est un bien qui peut être consommé simultanément par plusieurs consommateurs sans que ces derniers soient dans une relation d’exclusion. Un bien public est donc caractérisé par deux principes : l’indivisibilité (chacun consomme le bien tout entier sans diminuer la consommation par une autre personne de ce même bien) et par la non- exclusion ou non-rivalité des consommateurs (on ne peut pas exclure de la consommation d’un bien collectif un consommateur qui n’en supporte pas les coûts). De par ses caractéristiques intrinsèques, la protection sociale – et plus particulièrement l’aide sociale – est donc un exemple manifeste de bien public.

Or, dans le cas général, un individu agissant de manière rationnelle ne révélera pas sa disposition à payer pour obtenir ce bien et il adoptera alors un comportement de « passager

53 Au titre des arguments défendus par les libéraux, on peut mentionner notamment les quatre suivants : d’une

part l’idée que les inégalités sociales sont une stimulation par le désir de promotion personnelle qu’elles suscitent, ce stimulus étant un des moteurs essentiels du progrès économique ; d’une autre, l’idée qu’une redistribution trop forte est de nature à affaiblir l’épargne ; ensuite, que la redistribution des revenus décourage l’effort productif autant pour ceux qui la financent que pour ceux qui en bénéficient ; enfin, que c’est un facteur important d’augmentation des prélèvements obligatoires.

clandestin » (ou free rider) en espérant bénéficier de l’usage du bien sans le financer54. Finalement, tous les individus agiront de la même manière et, à l’équilibre, personne ne financera le bien, même si la collectivité aurait pu tirer bénéfice de sa fourniture. Chaque individu va alors chercher à profiter de la couverture de la protection sociale sans en supporter le coût. Au bout du compte, chaque individu faisant de même, personne ne financera le système. L’allocation d’équilibre est alors inefficace au sens de Pareto.

De plus, la thèse du hasard moral met en évidence le fait qu’une fois le contrat souscrit entre l’assureur et l’assuré, celui-ci modifie son comportement. Il agit donc sur la probabilité de voir l’événement contre lequel il est assuré survenir ou encore sur le montant des pertes supportées dans ce cas. La probabilité de réalisation de l’événement chômage va alors augmenter car tout individu, se sachant couvert par le système, va modifier son comportement et accroître ses risques. Dès lors, la couverture du risque engendre le risque et, à ce titre, « l’indemnisation du chômage serait donc une source de chômage, car elle donnerait lieu à

des abus et allonge la durée du chômage »55.

La théorie du free rider met donc à jour l’idée que la protection sociale, en tant que bien collectif, ne peut être financée que par les prélèvements obligatoires institués par l’Etat. L’existence d’un système de protection sociale serait donc à l’origine d’inefficiences puisqu’elle permet de « profiter » du système sans en supporter directement le coût. En effet, les chômeurs indemnisés bénéficient de prestations sociales financées par des cotisations et impôts payés par les salariés en activité. De même pour l’aide sociale, puisque ce système est financé par des aides publiques prélevées sur le produit des recettes fiscales, lesquelles sont perçues sur les actifs occupés. Ainsi, pour les libéraux, la protection sociale forme un système incapable de révéler les préférences individuelles et, en induisant des comportements de « passager clandestin », donc d’assistés, serait alors source d’irresponsabilités.

54 Cette hypothèse est surtout valable dans le cas de l’assistance, car la protection des assurés sociaux est garantie

par les cotisations payées par ces derniers. Dans le cas, l’assurance sociale est financée par les cotisants au régime qui sont, normalement, les seuls à pouvoir bénéficier des prestations versées par ledit régime. Les allocataires de l’aide sociale, quant à eux, ne financent pas le régime d’assistance bien qu’ils en bénéficient.

55 C. Euzéby, « Mutations économiques et sociales en France depuis 1973 », Les Topos, Dunod, Paris, 1998,

B) Le financement du système de protection sociale pèse trop