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l’angle de l’arbitrage travail-loisir

protection sociale est jugée désincitative au travail (B).

A) Une relation protection sociale – offre de travail analysée sous

l’angle de l’arbitrage travail-loisir

La théorie néoclassique raisonne en terme d’utilité. A ce titre, l’objectif du consommateur est de maximiser sa satisfaction jusqu’à un seuil de satiété par la maximisation d’une fonction à deux arguments. Cette fonction est représentée par une courbe concave (du type « fonction inverse »). Or, étant donnée une droite de contrainte budgétaire, pour chaque point de la droite, la consommation d’un argument (ou bien) vient diminuer celle du second. Autrement dit, le consommateur doit effectuer un choix entre ces deux biens afin de déterminer la quantité maximale de chaque bien qui lui permettra de maximiser sa satisfaction.

Cet arbitrage, transposé dans le cadre de l’offre de travail, aboutit à considérer deux biens distincts : le bien « travail », d’un côté, auquel s’oppose, de l’autre, le bien « loisir ». Dans la théorie néoclassique, le travail est perçu comme une désutilité. Ainsi le loisir est préféré à l’activité, laquelle n’est exercée que parce qu’elle permet à l’individu de se procurer

un revenu qui va lui servir à satisfaire ses besoins : la théorie néoclassique fonde donc son analyse uniquement sur l’avantage financier (ou gain monétaire) procuré par le travail. Le niveau de l’offre de travail relève alors d’un arbitrage entre consommation et loisir, lequel « dépend (ici) de la désutilité marginale du travail et des revenus associés à une transition

entre deux états sur le marché du travail »40 (en l’occurrence ou occuper un emploi ou être au chômage). Le choix s’effectue ainsi entre deux options : soit l’individu préfère rester inactif (ou plutôt « inoccupé » pour éviter les risques de confusion avec les situations d’inactivité entendues au sens de l’INSEE41) et continuer à bénéficier des indemnités chômage ou de l’aide sociale, soit il est encouragé à entrer sur le marché du travail pour accroître son revenu. La transition d’un état à l’autre dépend dès lors du taux de salaire proposé sur le marché du travail ainsi que du montant des prestations sociales attribuées.

Selon les néoclassiques, l’offre de travail est élastique aux revenus et toute variation du salaire et/ou des allocations sociales entraîne alors deux effets contraires : un effet revenu et un effet de substitution. Par exemple, « une hausse du taux de salaire horaire net (ou une

baisse du taux d’imposition) aboutit à ce que l’offre de travail soit incitée à croître du fait que le travail est mieux rémunéré (c’est l’effet de substitution travail/loisir) et, dans le même temps, entraîne une incitation à réduire l’offre de travail parce que la hausse du salaire procure une augmentation du revenu (c’est l’effet revenu) »42.

L’effet d’une variation du salaire horaire net est, de fait, difficilement déterminable et, c’est pourquoi, il existe une ambiguïté dans la distinction entre les effets revenu et de substitution, puisqu’il n’apparaît pas possible d’affirmer avec certitude lequel de ces deux effets va être supérieur à l’autre. L’effet de l’imposition sur la reprise d’un emploi joue ainsi fortement, dans la mesure où le taux marginal d’imposition va déterminer le comportement des offreurs à entrer ou non sur le marché du travail. En effet, plus ce taux est élevé, donc plus le prélèvement marginal sur les gains obtenus par le travail est important, et plus les offreurs sont désincités au travail (l’effet revenu est ici supérieur à l’effet de substitution), et

40 CERC, « Accès à l’emploi et Protection sociale », Rapport du CERC, Rapport n° 1, La Documentation

française, Paris, 2001, p. 79.

41 Les chômeurs sont en effet considérés comme des actifs occupés (et sont donc pris en compte dans la

population active, dont les « occupés » sont les personnes ayant effectivement un emploi), alors que les jeunes encore scolarisés ou en formation ainsi que les retraités sont comptabilisés comme des inactifs.

42 O. Bontout, « L’Earned Income Tax Credit, un crédit d’impôt ciblé sur les foyers de salariés modestes aux

inversement. Il semblerait donc que la fiscalité vienne peser assez significativement sur la consommation du bien travail et soit de nature à privilégier le bien loisir.

B) La protection sociale est jugée désincitative au travail

Les libéraux admettent, à partir des conclusions de la théorie néoclassique sur l’arbitrage travail-loisir, que la protection sociale est désincitative au travail. En effet, pour eux, le versement de prestations sociales – par les phénomènes de trappes à inactivité qu’il induit – est de nature à décourager la reprise d’un emploi. En fait, le terme « trappe à inactivité » ou « trappe à chômage » désigne une situation où le chômeur n’a pas intérêt à retrouver un travail et préfère donc rester bénéficiaire d’une allocation sociale43 : il « évoque

la désincitation à reprendre un emploi »44. Ce phénomène naît lorsque l’effet revenu joue

davantage que l’effet de substitution, c’est-à-dire lorsque l’offre n’est pas stimulée à entrer sur le marché du travail et arbitre en faveur du bien loisir.

Les néoclassiques concluent en disant que cette situation apparaît quand le travail n’est pas assez rémunérateur, soit parce que le taux de salaire est trop bas, soit parce que les allocations versées sont trop élevées. En effet, tant que les allocations sociales versées restent plus élevées que le salaire obtenu par la reprise d’un emploi, l’offre n’est pas incitée. Celle-ci va alors arbitrer entre d’une part les revenus issus du travail, diminués de l’impôt et des cotisations sociales, et d’autre part le montant des allocations perçues et choisir laquelle des options est préférable en terme de gain monétaire. Or, pour les libéraux, il est impératif de laisser jouer le marché ; de ce fait, le taux de salaire naturel, résultant de l’ajustement de la demande et de l’offre par la totale flexibilité des salaires, est ainsi fixé à un niveau tel qu’il permet de réaliser (même si ce taux de salaire est bas) l’équilibre sur le marché et aboutit dès lors à une situation de plein-emploi.

Dans ce contexte, il ne s’agit bien évidemment pas pour l’Etat d’intervenir pour imposer, de façon autoritaire, un niveau de salaire minimum, car le libre jeu du marché s’en charge lui-même. La seule intervention envisageable (si elle l’est) réside alors dans une action sur le montant des différentes allocations sociales (allocations chômage, minima sociaux)

43 D. Clerc, « Y a-t-il pénurie de main d’œuvre ? », in Alternatives Economiques, Hors-série, n° 48, 2ème

trimestre 2001, p. 11 (encadré : « Trappes à inactivité : fantasmes et réalité »).

44 CERC, « Accès à l’emploi et Protection sociale », Rapport du CERC, Rapport n° 1, La Documentation

pour éviter l’apparition de ces trappes à inactivité. De plus, dans la mesure où un système de protection sociale existe et que ce dernier permet aux agents de se procurer un revenu uniquement avec une obligation de travail antérieure restreinte ou non (assurance), voire même sans obligation de travail (assistance), celui-ci est donc de nature, si le taux d’imposition des revenus issus du travail est trop élevé, à décourager au travail (car le taux de salaire net est inférieur au montant des allocations, d’où un arbitrage profitable au loisir).

De fait, l’existence de la protection sociale est perçue de façon négative, car celle-ci rend peu effective l’incitation au travail dans la mesure où, pour les néoclassiques, elle induit un effet revenu supérieur à l’effet de substitution. Puisque l’existence du système de protection sociale ne peut véritablement être remis en cause, il appartient alors aux pouvoirs publics, afin de rendre le marché du travail attractif, de mettre en place une protection sociale peu développée.

Le caractère désincitatif de la protection sociale, mis en avant par la théorie libérale, constitue l’argument principal servant à justifier et à légitimer, aux Etats-Unis, la nécessité d’une protection sociale à la fois minimaliste et peu généreuse.