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dualisme du système de protection sociale américain et met ainsi à mal la notion de solidarité nationale

Comme tous les programmes élaborés dans le cadre des politiques sociales américaines, le workfare repose sur une logique du mérite qui insiste sur la responsabilité individuelle des allocataires de l’aide sociale quant à leur sort et donc à leur situation par rapport à l’emploi et à la pauvreté. Cette logique du mérite est d’ailleurs au fondement du caractère dual du système américain de protection sociale, lequel est à l’œuvre depuis l’institution du système de sécurité sociale national avec le Social Security Act (SSA) de 1935, qui reposait sur l’idée d’une « segmentation » des populations bénéficiaires. Ainsi, comme le fait remarquer Morel (2000), « un dualisme tranché entre l’assurance sociale et

l’assistance est alors créé, consolidant d’ailleurs les différences de statut entre certains groupes de la population »177.

En établissant une classification des pauvres par rapport au mérite, le workfare s’inscrit donc explicitement dans la perspective d’une politique de réintégration dans l’emploi éminemment individualiste. Or, le caractère fortement individualiste des politiques de workfare a accentué le dualisme originel du système de protection sociale américain. En effet,

177 S. Morel, « Les logiques de la réciprocité : les transformations de la relation d’assistance aux Etats-Unis et en

les conditions d’ouverture des droits à l’aide sociale ayant été rendues plus restrictives et les obligations de travail ayant été dans le même temps alourdies, l’assistance ne peut plus remplir son rôle initial, à savoir agir dans le sens d’une diminution de la pauvreté des allocataires.

Cette conception individualiste du workfare est contraire à la conception beveridgienne affirmant le principe d’une protection sociale basée sur la notion de solidarité nationale. Ce principe de solidarité nationale, qui permettait de conserver un certain « équilibre » entre le régime assuranciel et l’aide sociale et visait ainsi à maintenir à un niveau acceptable les inégalités de revenus, a été brisé par le workfare, lequel conduit à restreindre les droits à l’assistance tout en renforçant les obligations incombant aux allocataires de l’aide sociale. Le workfare, en pratiquant un ciblage des populations bénéficiaires, est donc fortement individualiste et ne respecte dès lors plus l’idée de solidarité nationale.

Ce dernier a ainsi induit une dualisation croissante du système de protection sociale américain: il n’a fait qu’accroître les disparités de rémunération et, par le fait, les inégalités entre riches et pauvres. En effet, à côté d’un régime d’assurance élitiste, constituant le segment supérieur du système de sécurité sociale américain, coexiste et survit un régime d’assistance réceptacle de la « misère nationale », représenté par une aide sociale destinée à recueillir les individus qui ne répondent pas aux critères de l’assurance sociale et qui ne peuvent donc pas bénéficier des droits aux prestations afférentes à ce régime.

2. Sélectivité et discrimination tendent à remettre en cause le principe

d’universalité

Le système de protection sociale américain a la particularité d’être établi sur ce que Morel (1996) appelle un processus de catégorisation. Cela signifie que la protection sociale cible très étroitement les personnes qu’elle estime éligibles à une des allocations sociales fournies. De fait, les bénéficiaires de l’aide sociale sont, en réalité, peu nombreux par rapport à la masse des individus en situation de pauvreté et de détresse sociale. Les plus démunis, pour espérer devenir allocataire, doivent ainsi répondre aux exigences strictes imposées par l’aide sociale.

Ces conditions aboutissent alors à remettre en cause l’universalité et la redistributivité du système de protection sociale. On aboutit, de fait, à une protection sociale fortement

discriminatoire. En effet, le workfare américain n’est pas, comme dans le cas du RMI français, conçue selon le modèle universaliste. Les obligations du workfare ne s’appliquent donc pas de la même façon pour tous les allocataires. Comme dit précédemment, le workfare opère une classification, une partition au sein des allocataires et institue une hiérarchisation des individus afin de déterminer les publics prioritaires aussi bien dans l’attribution des prestations que dans les programmes de remise au travail.

Il est à noter que le modèle américain de protection sociale est construit sur une conception beveridgienne qui établit le principe d’universalité comme fondement du système de protection sociale. Or, en acceptant qu’une sélection soit effectuée entre les différents allocataires pour déterminer ceux qui peuvent bénéficier de droits et ceux qui ne le peuvent pas, le workfare remet en cause ce principe. D’autant que ce type de programme s’oriente vers la mise en application de logiques discriminatoires pour établir une sélection parmi les allocataires (discriminations sexuelles, raciales, familiales,…), ce qui est de nouveau contraire à l’esprit beveridgien d’un modèle axé sur l’universalité.

Le workfare est donc construit sur l’idée de pratiques différenciées selon les catégories d’allocataires ; dès lors, les critères ne s’appliquent pas pareillement à tous les bénéficiaires, ce qui vient mettre à mal l’universalité du système. D’autant que le principe d’universalité est aussi remis en question du fait même que les règles d’attribution de l’aide sociale sont différentes d’un Etat à l’autre178. La question est donc de savoir si, au nom de la remise au

travail, l’on peut valablement remettre en cause l’universalité du système de protection sociale. S’il semble que cela soit accepté aux Etats-Unis, il apparaît que cela soit nullement le cas en France, ou en tous cas difficilement acceptable.

Dans une optique de remise au travail des allocataires de l’aide sociale, l’assistance américaine s’est orientée vers des politiques de workfare. Or, le workfare repose sur une logique de responsabilisation des pauvres et aboutit dès lors à leur imposer, en contrepartie de

178 La gestion de l’aide sociale est, depuis l’instauration du TANF en 1996, conférée aux Etats fédérés, ce qui

leur donne plus d’autonomie et de latitude quant aux conditions d’attribution de l’aide aux allocataires. D’ailleurs, C. Euzéby précise à ce sujet, dans son article « Un revenu minimum avec ou sans obligation de travail ? », in Aspects de la sécurité sociale, AISS, en page p. 32, que « chaque Etat reçoit une enveloppe

budgétaire de l’Etat fédéral et dispose d’une entière liberté pour fixer les barèmes ainsi que les conditions de ressources et d’éligibilité à l’aide sociale, ce qui explique que le degré d’exigence en matière de contrepartie de travail soit très variable d’un Etat à l’autre ».

l’allocation qu’ils perçoivent, une obligation de participer à des activités de travail. Si l’activation des dépenses de protection sociale est, depuis quelques années, un souhait vivement exprimé en France, cela ne signifie pas toutefois que l’orientation de la protection sociale française vers une dimension plus intégrative se traduise nécessairement par le recours à de telles pratiques. En effet, bien que le workfare apparaisse comme un programme en phase avec les nouvelles vocations dévolues au système de protection sociale, il constitue également un dispositif très contraignant ayant des résultats peu certains. En France, le retour à l’emploi des allocataires ne s’accompagne pas de mesures aussi coercitives. A ce titre, l’insertion française est donc une formule beaucoup plus intéressante que le workfare américain.

CHAPITRE II :