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William F. ou la forme comme écran

Dans le document Ateliers d’écriture thérapeutiques (Page 100-103)

Il s’agit d’un jeune homme de vingt ans qui commence une thérapie dans l’atelier au cours d’une hospitalisation pour anorexie­boulimie, ce qui est assez rare chez les hommes. Cette pathologie des conduites alimentaires est, selon lui, la conséquence de la découverte de son frère, qui était un modèle de réussite pour leurs parents, pendu dans sa chambre.

De manière générale nous relevons une utilisation de la forme poétique habituelle avec des thèmes autobiographiques centrés sur plusieurs éléments : d’une part, son quotidien et ses espoirs et, d’autre part, le traumatisme vécu ou l’anorexie­boulimie dont il souffre. Par ailleurs, les textes abordant le thème des troubles alimentaires sont bien plus nombreux ; il le dit lui­même dans un texte : « Il est plus facile de se dire anorexique que de dire avoir été le canard noir de la famille qui découvre son frère exemplaire pendu. » Nous relevons différents points sur la forme même du texte : ainsi, aux consignes qui ont pour effet de donner un rythme mais surtout de contenir, William ajoute des contraintes soit par peur de trop se livrer, soit par crainte d’être

débordé par trop d’émotions, soit encore les deux à la fois. Cela donne des phrases longues, anarchiques, comme alignées les unes à la suite des autres à l’aide de tirets ramenant toujours à l’idée que le fonction­

nement psychique serait constitué de ruptures fréquentes, permettant peu de liens entre les pensées. Le sens est par conséquent obturé, ce que nous retrouvons dans l’utilisation répétitive de points de suspension, de

« etc. », ou bien dans l’absence de toute ponctuation en fin de phrase.

La ponctuation, nous l’avons vu, est un élément important auquel nous attachons beaucoup d’importance car elle installe un récit dans une temporalité donnée.

Un rappel s’impose : le langage, par sa syntaxe, suppose une connais­

sance du temps. Nous étudierons par conséquent :

• l’ordre des mots dans la phrase ;

• les adverbes, adjectifs et prépositions de temps (avant, où, depuis, naguère, longtemps, suivant, jusqu’à, etc.) ;

• le temps de conjugaison employé ;

• la ponctuation, véritable signe de temporalité dans un récit, diffère du rythme où le temps de la description paraît long, ralenti, à l’op­

posé du rythme saccadé, dépouillé, soutenu par un grand nombre de signes ;

• le rythme ; il est non seulement transmis par la ponctuation, mais également par la répétition de certains mots, de rimes et certaines figures de style. La sonorité joue un rôle important dans le rythme.

Dans les écrits de William F., le rythme, les assonances, les coupures, c’est­à­dire toutes les caractéristiques formelles, accompagnent voire précèdent dans l’appareil psychique de celui qui écrit l’émergence du sens. Quant aux adjectifs, prépositions et adverbes de temps, une ma­

jorité de textes n’en font aucun usage, ce qui bien sûr est à noter. Ils paraissent alors peu structurés, d’autant que cette absence s’accompagne d’une forte proportion de verbes au présent. Même s’il est souvent d’usage de trouver un récit essentiellement au présent, il faut savoir qu’au sein de l’atelier nous donnons des consignes strictes et spécifi­

ques relatives au temps employé. De plus, il semble étonnant que nos écrivants puissent se cantonner à une écriture uniquement centrée sur le présent alors que leur est imposée l’introduction des termes suivants :

« avant », « après », « demain » ou encore « il y a bien longtemps de cela, j’ai ».

La ponctuation, quant à elle, est relativement inexistante avec pour caractéristique frappante une quasi­absence, comme nous l’avons dit, de points. Le point permet une coupure, une rupture entre deux mo­

ments mais surtout une possibilité de se représenter une fin, avec ce que cela peut contenir de symbolique. C’est le signe du fait accompli, la marque de l’irréversible. Son absence lors de la lecture des écrits donne l’impression d’une défaillance dans la possibilité d’historicisation, avec

une compréhension floue où les histoires, les émotions et les pensées sont toutes intriquées. Nous pouvons imaginer un chaos temporel in­

trapsychique où la linéarité du texte n’aurait ni début ni fin (pas de majuscules ni de points), où l’on ressent une impression de succession d’événements et de pensées presque télescopés comme dans le rêve, l’omniprésence du présent pouvant être comprise comme une inscrip­

tion permanente et envahissante qui vient empêcher l’appareil psychi­

que d’élaborer puisqu’il est encore incapable de narrer.

Néanmoins, grâce au rythme qui renvoie au mouvement, William arrive à donner une première impression d’homogénéité de ses textes ; ce n’est que lors d’une lecture analytique syntaxique que nous obser­

vons les ruptures, notamment en ce qui concerne les éléments de la ponctuation relevant, comme nous l’avons vu, de la temporalité. Le rythme, ce mouvement, est créé chez William par un excès de rimes soit strictes, soit en alternance, ce qui donne à la sonorité une impression de chanson, d’incantation même, qui soit irrite, soit berce, mais qui en tout état de cause fait leurre. Ce leurre est plus pour lui que pour le lecteur puisqu’il lui permet une répétition formelle métaphorique de ce qu’il n’arrive pas à dire. Cette répétition formelle que nous avons pu aborder lors d’un entretien en individuel fait écho chez William à la répétition cyclique de ses troubles des conduites alimentaires. Cette répétition rythmique, cette fixation des verbes au présent est le reflet de la fixation traumatique qui rend à la fois la projection dans l’avenir impossible et, par la rupture provoquée par le traumatisme, rend également le re­

tour au passé quasi impossible. Ainsi, figée dans un présent perpétuel, la succession syntaxique semble impossible et nous entraîne dans une sorte de circularité infernale. Ce n’est que lors d’un temps thérapeutique qui lui fut propre et lors de multiplication de séances – intitulées séances à « l’envers » et où nous demandions aux patients de raconter une histoire à « l’envers » ou encore un dialogue à « l’envers » – que petit à petit des mouvements temporels sont apparus, avec des conju­

gaisons plus souples, une ébauche de ponctuation, mais toujours sans point à la fin de chaque phrase. Pourquoi avons­nous insisté sur cette thématique de « l’envers » ? Parce que le syndrome de répétition propre au traumatisme serait comme une mémoire à l’envers, en gravant la trace traumatique, qui n’est pas un souvenir au même titre que les autres, d’où la fermeture de l’accès à la mémorisation, ce qui empêche de « stocker » l’information et donc son élaboration. L’utilisation mas­

sive de rimes reste présente et marque encore le besoin de structuration, ce que nous laissons faire car nous considérons que ce moyen artificiel de structurer les textes pourrait laisser la place sécurisante à une struc­

turation interne du temps qui reste défaillante chez William. Le groupe a eu son importance ; lors d’une séance, William, qui participait de plus en plus à la discussion au cours du temps dévolu, manifesta à maintes

reprises un profond intérêt pour les textes d’une patiente. Certes ils étaient d’une grande valeur esthétique, mais nous avons surtout saisi cette opportunité pour mettre l’accent sur la souplesse grammaticale relevée dans ces textes afin d’étayer la possibilité de la fluidité gramma­

ticale dans l’écrit ; parfois, par désir de mieux faire ou par mimétisme, les patients tentent de nouvelles formes qui leur sont obscures afin, par ce processus, de sortir de leur répétition. Le rythme est chez William dé­

sorganisé, déstructuré, mais le texte garde une forme grâce aux rimes.

La répétition formelle se retrouve ici tant au niveau de la forme que du fond (mal­être, pensées intimes, etc.) et peut être le témoin d’une diffi­

culté de représentation et de symbolisation.

C’est bien le style qui contribue à constituer le temps d’un écrit. Cer­

tains, dont Anzieu (éd. 2003), ajoutent que le travail du style et de la composition se jouerait entre le conscient et le préconscient et serait de l’ordre de l’élaboration secondaire. Comparée au rêve, l’écriture trans­

formerait donc un contenu latent en un contenu manifeste, et c’est ce à quoi nous tendons en atelier.

Dans le document Ateliers d’écriture thérapeutiques (Page 100-103)