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Paul A. ou le fond comme écran

Dans le document Ateliers d’écriture thérapeutiques (Page 103-106)

Il s’agit ici d’un homme d’une cinquantaine d’années ; il intègre l’atelier d’écriture plein d’espérance et d’attente car sa production littéraire et picturale – il est illustrateur de revues d’art – est en souffrance depuis une grave dépression réactionnelle apparue à la mort de sa mère, dé­

pression qui dure depuis plus de quatre ans. Comme pour William, l’écriture et la création en général étaient pour lui une expression privi­

légiée ; très vite, nous sommes confrontés à la tentation qui le travaille de la recherche d’une production comme résultat et d’une technique esthétique et intelligente, ce qui rend la spontanéité difficile. Paul A.

cherche dès les premières séances à produire des textes répondant aux normes habituellement admises de la littérarité. Alors que l’atelier avec ses consignes vise plus la spontanéité, à la lecture de ses textes nous avons tout de suite un cadre spatio­temporel rigide qui est posé avec une mise en abyme de cadres culturels et des personnages, avec plé­

thore de détails foisonnants mais toujours de l’ordre de la description ; cela donne une impression générale de contrôle massif de tout ce qui pourrait relever de l’émotionnel, et ce quelles que soient les consignes.

Le style lui aussi est maîtrisé, dans le sens d’une recherche spécifique utilisant des formules précieuses, des reprises anaphoriques qui scan­

dent ses vers, le tout accompagné d’un questionnement métaphysique et existentiel. Tout cela représente une intellectualisation extrême de son écriture. Le « je » est très peu utilisé et, lorsqu’il l’est, c’est soit dilué dans un lyrisme soit situé dans des situations imaginaires ou ce « je » est totalement désinvesti. De surcroît, ses écrits regorgent de références

culturelles recherchées, mais toujours avec cette prédilection pour les auteurs de poésie mystique, avec des citations rendant certains textes plus didactiques que poétiques.

Lorsque nous demandons à Paul A. ce qu’il pense de ses textes, il se dit satisfait de pouvoir écrire à nouveau, alors que nous, qui ne sommes pas dans la recherche d’un perfectionnement de savoir­faire et de techniques, mais plutôt dans celle d’une rencontre et d’une élaboration de la sphère émotionnelle, nous nous retrouvons face à une complexité qui va nous demander beaucoup de diplomatie : comment lui signifier que ses textes, d’une grande qualité littéraire et d’un intérêt intellectuel indéniable, sont à notre avis un paravent qu’il va nous falloir démolir ? Comment faire pour que cela ne soit pas vécu comme un échec, ce qui le pousserait vers un autre blocage, alors qu’il exprime sa joie de venir écrire en atelier et même, depuis un certain temps, à communiquer avec les autres ? N’oublions pas que si Paul A. n’écrivait plus, s’il ne peignait plus, c’était en raison de sa dépression. Et c’est encore une fois le groupe qui va voler à notre secours. Ayant observé tout au long de cette année la non­interaction entre les protagonistes de ses textes, nous avons émis l’hypothèse qu’il serait judicieux de favoriser l’écriture à deux en atelier afin que Paul A. soit non pas étayé par l’Autre, mais que son écriture soit confrontée à celle de l’Autre et qu’elle cherche à s’y adapter. Le challenge fut d’autant plus facile à accomplir que nous avons choisi une patiente qui, par son aptitude de très grande souplesse face aux consignes, pouvait relever ce défi. C’est ce qui s’est passé : même si au début Paul essayait tant bien que mal de rester dans un certain contrôle que nous lui connaissions, il a très vite cédé et s’est laissé emporter. Il a ainsi pu d’abord répondre au dialogue absurde et humoristique de la patiente avant de se laisser aller émotionnellement. Cet effet réussi donna à Paul la possibilité d’être aussi dans le plaisir d’écrire puisque le ludique et l’émotionnel étaient pour une fois tous les deux présents.

La séance suivante, lors d’une consigne d’écriture en individuel, et malgré encore certaines références culturelles, il s’autorisa à introduire un dialogue où l’émotion renvoyant à la difficulté à gérer la colère entre deux protagonistes était patente. Ce fut le début d’une « émancipa­

tion », même si l’on notait encore une oscillation entre le contrôle ma­

nifesté par les références aux auteurs anciens et une certaine expression émotionnelle, toutefois encore bien ténue. Petit à petit, les références culturelles toujours présentes prirent un aspect burlesque ; l’humour qui le satisfaisait autant que le didactique nous permit de penser à un début de liberté dans l’écriture de circulation entre les instances psychiques.

Selon lui, sa peinture qu’il a recommencée depuis peu a désormais du sens, alors qu’auparavant, nous dit­il, elle était dans une recherche plus de technique que de sens. Depuis, certaines thématiques de tonalité

affective triste sont apparues, telles que la douleur, la perte et la mort.

À la lecture de ses textes, nous percevons dans le regard des autres pa­

tients la surprise, tant le changement est perceptible. Ce changement a pu se faire grâce à l’introduction d’une certaine liberté qui lui a permis d’abandonner ses défenses intellectuelles pour une écriture à la fois ca­

thartique et thérapeutique mais aussi esthétique, puisque maintenant ses textes sont d’autant plus chargés d’émotions et de richesse émotion­

nelle qu’ils ne sont plus bloqués dans les mêmes thématiques.

Nous venons ainsi d’illustrer l’importance de l’utilisation de diffé­

rentes formes narratives. Certes, le groupe a, comme nous avons pu le voir, toute son importance, mais notre outil essentiel fut la connais­

sance élargie de ces différentes formes narratives qui nous permettent à la fois d’enrichir la production, de favoriser l’expression mais aussi de permettre de dénouer des blocages, comme chez William F. et Paul A.

Nous aimerions, avant de clore ce chapitre, insister sur la recherche permanente de différentes formes narratives que doit effectuer le théra­

peute et qu’il trouvera dans ses multiples lectures.

Conclusion

Au fur et à mesure des séances, on constate une plus grande liberté d’expression chez nos patients. À travers leurs textes, ils deviennent ca­

pables de se projeter dans des personnages plus différenciés, signe d’un jeu plus souple entre les instances psychiques. Et surtout entre en jeu la découverte ou redécouverte du plaisir de fonctionnement nouveau ouvrant la voie à une curiosité intellectuelle qui supplante l’inhibition intellectuelle de la plupart.

On constate aussi un assouplissement au niveau de la thématique, certains, quel que soit le thème proposé, introduisant la même théma­

tique qui les hante ou les préoccupe (par exemple, le serpent sensuel, la distanciation par l’humour, etc.), jusqu’à ce que l’effet cathartique ait enfin fonctionné. Après plusieurs séances (une année pour certains, plus longtemps pour d’autres), ils arrivent enfin à aborder autre chose, à passer à autre chose. C’est à ce niveau que l’importance des différents thèmes, sous des formes diverses, est primordiale.

Ateliers d’écriture thérapeutiques

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Chapitre 10

Exemples de consignes

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