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Les thèmes

Dans le document Ateliers d’écriture thérapeutiques (Page 91-95)

La variété des thèmes utilisés brise la monotonie et la connotation par-fois scolaire de tels ateliers. Le thérapeute ne pouvant savoir à l’avance quels thèmes vont favoriser la créativité, il doit donc les multiplier.

Leur choix peut comporter une alternance entre ceux qui sont lu-diques et ceux qui sont chargés d’émotions. Ces thèmes sont donnés en fonction du ressenti de l’ambiance du groupe par le thérapeute en début de séance.

Il nous paraît important de relever que le thème donné, quel qu’il soit, par le thérapeute, est parfois traité indépendamment de l’intention-nalité qu’il pourrait induire. Ainsi des thèmes a priori tristes peuvent au gré du moment être traités de façon inverse, voire repris ultérieurement ainsi qu’il en avait été escompté.

En fonction non seulement de son état pathologique, de son état affectif, mais aussi de son intégration et de son cheminement dans le groupe, un sujet à un moment donné peut apparaître ou non créatif.

Il est par ailleurs évident que l’atelier d’écriture révèle au plus haut point les intrications entre le cognitif et l’affectif. Le thème choisi peut être considéré a priori comme facile ou difficile. Le thérapeute peut mettre en avant certaines formes contraignantes telles que les tauto-grammes ou les exercices oulipiens ; rappelons que l’OuLiPo comprend des écrivains célèbres tels Italo Calvino ou Georges Perec dont nous nous inspirons pour certains exercices directement tirés de leurs ouvrages.

Ce qui nous intéresse dans la théorie princeps de ce mouvement littéraire, c’est que ses membres considèrent les contraintes formelles comme un puissant stimulant pour l’imagination associé au plaisir que l’on retrouve dans certains exercices littéraires. Pour ce qui est de cette contrainte, elle nous importe pour la stimulation de la pensée car elle permet d’aller loin dans la pensée mais surtout de contenir, de per-mettre l’expression, à l’intérieur d’un cadre formel littéraire, de toute pensée et toute émotion refoulées, inhibées… Le patient peut également choisir un thème porteur d’idées amenant à une réflexion d’ordre phi-losophique personnelle.

La façon d’aborder les thèmes doit être variée. Dans notre technique nous prônons des formes diverses : nouvelles, récits personnels, voyages, contes, fables, etc.

Certes, il nous a semblé que des thèmes différents pouvaient être mis en œuvre : plus encore, il nous apparaît que les improvisations induites par des objets, insolites ou non, étaient susceptibles de renforcer l’imagi-naire. Il se peut que cette atmosphère hédonique favorisant la libération de l’imaginaire dans un cadre groupal forcément non dénué de contraintes stimule non seulement la créativité, mais permet du fait même de ces contraintes une organisation ou une réorganisation de la pensée.

Un objet inconnu, ou rare, peut au même titre que d’autres induc-teurs qui stimulent les sens, en particulier l’odorat et l’audition, susciter la curiosité, tout en permettant un débridement de l’imaginaire et des constructions littéraires.

C’est ainsi, à titre d’exemple, que des ateliers ont été menés à partir de la présentation d’une masbaha (ce chapelet que l’on trouve au Li-ban, composé de pierres semi-précieuses et utilisé essentiellement par les hommes pour égrener le temps qui passe) ou d’un objet en bois sculpté : il s’agissait d’un oreiller de Tanzanie, objet qui, à première vue, est bien éloigné de nos moelleux oreillers traditionnels !

Ce qui ressort de façon évidente de ces ateliers est que les partici-pants parviennent, le plus souvent après un nombre variable de séances, à exprimer ce qu’ils souhaitent à partir de n’importe quel thème, que ce soit le récit d’un rêve, d’un souvenir, d’une rencontre, réelle ou imaginaire.

Nous insistons encore sur le fait qu’il s’agit de favoriser la créativité, de créer avec le plus de plaisir possible. Sont également utilisés des sup-ports musicaux, olfactifs, tactiles, visuels ou gustatifs. Il nous semble que l’expression créatrice littéraire peut, en effet, être stimulée par des supports divers tels qu’une musique de Keith Jarrett ou de Mercadante, un événement politique, une affiche de la dernière exposition de Rothko, tout comme une tasse de fleurs d’oranger ou une lame de sable du désert (cf. « Thèmes et supports de thèmes », dans le chapitre 14,

« Outils du thérapeute »).

Indépendamment de cela, les thèmes proposés sont très variés, issus aussi bien de la littérature que de la vie quotidienne. La variété des thèmes et des formes littéraires demandés crée souvent un effet de surprise chez les participants. Certains l’attendent dans le but de relever un défi potentiel, alors que d’autres ont du mal à ne pas se laisser déborder par ce qu’ils ressentent être une difficulté. Pour tous, l’énoncé du thème, peut-être plus que la forme, représente le moment clé de la séance. Il est à remarquer que bien des participants, absents lors de la séance précé-dente, brûlent de curiosité d’en connaître le thème. Leur absence leur apparaît alors si regrettable qu’ils en viennent à demander à écrire chez eux le texte en question.

Il peut sembler étrange que des thèmes incongrus ou des formes d’écriture aussi particulières que le sont la rédaction d’un abstract ou

la description géographique d’un lieu imaginaire soient proposés. Nous pensons que cette variété induit non seulement une ouverture intellec-tuelle mais aussi une possibilité de ce que nous appelons « assouplis-sement psychique », qui facilite la survenue du plaisir et la diversité de l’expression. Ainsi, lorsqu’une participante dont la seule possibilité était de jouer avec les mots par assonances fut confrontée à la variété des formes littéraires demandées, elle en arriva peu à peu à éprouver le plaisir d’introduire dans ses textes des dialogues entre plusieurs per-sonnages et ainsi à transcrire des émotions jusque-là bridées par l’asso-nance des mots.

Ateliers d’écriture thérapeutiques

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Chapitre 9

La prose

D

ans la prose, on peut parler au passé ; on s’inscrit alors dans le déroulement chronologique d’un récit, avec ses enchaînements et ses causalités, alors qu’au présent on donne à voir en quelque sorte le surgissement d’un événement avec toute la brutalité que cela suppose ; bien évidemment, dans tout récit à l’imparfait peut apparaître le présent qui viendra souligner l’imprévu, le drolatique, le suspens, etc.

Le Bescherelle nous dit que l’indicatif « sert à exprimer la certitude, la déclaration, le jugement, la pensée, une croyance », que le présent

« marque un fait actuel ou habituel et une pensée d’ordre général », tandis que l’imparfait indique « une action simultanée par rapport à une autre, la répétition de l’action, la supposition, une action en cours dans le passé ». Il s’agit donc du « temps » grammatical qui vient se juxtaposer au « temps » interne de celui qui écrit. Le travail de la nar­

ration, qu’il soit celui du rêveur, de l’analysé ou du romancier, a tou­

jours un caractère de ce « saut en parachute » dont parle Georges Pe­

rec (Je suis né) ; le récit au présent cherchera à partager des émotions tandis que le récit à l’imparfait partagera des « représentations » ; et dans les deux cas nous retiendrons le partage avec l’autre, le besoin de l’altérité afin de les étayer.

Qu’il s’agisse d’émotions et/ou de représentations, afin de favoriser leur expression, nous fournirons comme consignes des modalités très différentes dans le but d’aider le patient à pouvoir exprimer des émo­

tions et des représentations qui seront au fur et à mesure de l’atelier d’abord plus construites et enfin plus distanciées. Pour cela et de même que la poésie est présentée sous des formes différentes, il nous semble important de proposer aussi pour la prose des formes très diverses, cha­

cune ayant des caractéristiques qui lui sont propres. Avec toujours l’idée du triptyque théorique afin que nos patients puissent s’orienter spatio­

temporellement dans leurs écrits et se confronter à des formes littéraires inconnues, permettant ainsi par la contrainte formelle de se situer, en fonction de leur problématique psychopathologique, soit dans un pré­

sent, soit dans un passé, soit dans les deux, et de voir ainsi évoluer leurs thématiques internes. Nous verrons alors des modifications au niveau du temps vécu qui apparaîtront dans la construction grammaticale ;

l’écrivant pourra de mieux en mieux se représenter certaines théma­

tiques qui lui étaient douloureuses à appréhender. Comme en poésie, nous observerons combien la contrainte formelle va favoriser le « sur­

gissement » de certaines émotions et thématiques non accessibles par le conscient. Afin d’illustrer ce propos, nous citerons cette phrase souvent exprimée par les participants de l’atelier : « Ah, je ne pensais vraiment pas que j’allais parler de ça aujourd’hui » ; ou encore : « Mais d’où me vient cette idée étrange ? »

À propos de la contrainte formelle dans la création, nous avons l’ha­

bitude d’entendre que, par leur rigueur, ces contraintes entraveraient la création ; en effet, elles pourraient détourner la spontanéité créatrice vers des données techniques et finalement accessoires par rapport à ce qui constitue l’essentiel : les images et les visions qui peuvent habiter l’âme de l’artiste. Certes, il s’agit d’un point de vue tant historique que logique (les surréalistes avaient prôné une pratique de la poésie fondée directe­

ment sur l’absence de toute règle et aussi de tout contrôle de l’esprit sous forme d’écriture automatique). On serait donc tenté de s’en tenir au pro­

verbe latin Fiunt oratores, nascuntur poetae (on devient orateur, mais on naît poète), qui signifie que, alors que l’éloquence est une technique que l’on peut acquérir avec de l’entraînement et du temps, la poésie, elle, se­

rait un don inné, d’une autre essence, plus mystérieuse, plus délicate, autre­

ment dit qu’elle résulterait de la seule inspiration, sans avoir à s’encombrer de contraintes techniques. D’un point de vue purement littéraire, nous nous rangerons à l’avis de Paul Valéry (éd. 2009) qui soutenait que non seulement les règles étaient inévitables mais qu’elles étaient même des sti­

mulants très efficaces pour féconder l’inspiration, et à celui d’André Gide (éd. 2009) : « L’art naît de contraintes, vit de luttes, meurt de liberté. » Du point de vue de la psychopathologie, nous soulignerons l’importance de la diversité des contraintes qui non seulement sont un aiguillon certain pour l’inspiration mais qui surtout permettent l’accès à un imaginaire re­

foulé ; elles donnent une impression de sécurité afin de consentir à lâcher un ressenti douloureux ou inhibant (par exemple cette patiente qui dit avoir besoin de contraintes comme garde­fou contre les horreurs qu’elle va dire). D’ailleurs, il est très intéressant de noter que bien souvent les patients ajoutent de leur propre initiative une ou plusieurs contraintes à la contrainte initiale, et aussi de constater qu’à l’unanimité la séance la plus mal vécue reste la séance « libre », sans titre ni forme imposés.

Quelques exemples de récit en prose

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