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Les différentes formes narratives

Dans le document Ateliers d’écriture thérapeutiques (Page 78-82)

Ateliers d’écriture thérapeutiques

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Chapitre 7

Le fond

« Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. »

René Char

U

ne pensée en chantier doit être sans la patine ni le fini ni la soigneuse rhétorique propre aux livres. C’est une pensée à l’œuvre plutôt qu’une œuvre bien pensée, avec ce qu’elle comporte d’incertitudes, d’hésita-tions, de redites, de remords, de possibles qui s’esquissent et de sentiers qu’on ne suit qu’un moment.

Ce que l’on va essayer de conduire en atelier est l’impulsion que c’est en écrivant que l’on trouve ce qui finit par être dit ; en ce sens, l’écriture est une machine à penser, c’est le moyen de production d’une pensée encore à venir. Mais il faut aussi comprendre que c’est en transformant ce qui est écrit que l’écrit advient. L’écriture est l’acte de celui qui en raturant son écrit parvient à lentement penser ce qu’il ne pense pas encore, ou ce qu’il ne veut ou peut penser. Ce qui favorisera ce proces-sus de changement va être, toujours en nous référant à notre triptyque théorique, la multiplicité de la forme et du fond qui est allouée à chaque séance. D’abord afin de se familiariser avec les différentes formes possi-bles, d’élargir ainsi les possibilités formelles d’expression adéquate avec leur humeur, ensuite d’assouplir les processus de pensées, et enfin de parvenir à les transformer. Si dans un temps, autre que celui de l’atelier, une publication est un objectif, alors il y aura l’étape de la réécriture qui dépassera le cadre propre de l’atelier.

Afin de favoriser ce processus du travail de la pensée, nous envisa-gerons la thématique abordée, que nous appelons aussi le fond ou le contenu. Cette thématique est révélatrice de l’état du monde interne. Si cet angle est seul à être pris en considération, cela nous semble insuf-fisant. D’où la méfiance que nous portons aux interprétations hâtives et sauvages. D’ailleurs, nous avons noté qu’un thème supposé provo-quer une réaction peut rester lettre morte (par exemple, le thème de la « séparation »), alors qu’une thématique en apparence anodine et sans connotation directe peut déclencher un effondrement interne (par exemple : « les coquelicots sont épuisés »). Ce qui nous fait dire que nous devons nous pencher autant sur la forme que sur le contenant.

D’où notre application à présenter des formes diverses et variées, la forme incluant le style. « La forme, c’est le fond ramené à la surface », disait Victor Hugo. Le style exprime les défenses et l’intrigue transpose le fantasme (Anzieu, 2003).

Le style

« Le style n’est que l’ordre et le mouvement que l’on a dans ses pensées. »

Buffon (Discours sur le style, prononcé à l’Académie française,

le jour de sa réception, le 25 août 1753) Du latin stilus, « poinçon servant à écrire », il s’agit de la manière d’écrire propre à chacun, mais aussi de la notion d’outil d’écriture. Ef-fectivement, le style peut être perçu comme un outil renvoyant à une personne (le style personnel), à un mouvement (par exemple, le style parnassien), une période (le baroque) et un genre (le style dramatique).

Le style que l’on peut reconnaître, noter, relever (les ornementations, les tournures, etc.), de par cette structure, introduit un cadre spatio-temporel singulier à chacun. Cet outil, de langage et surtout d’écriture, sera utilisé tant consciemment qu’inconsciemment.

C’est cet outil d’écriture que nous allons examiner. Ce style qui fa-çonne la phrase est le reflet en quelque sorte de la structure interne du Soi, de ses failles et des « leurres par lesquels le Moi cherche à fasciner la conscience » (Anzieu, 2003). À titre d’exemple, le style oral réside dans les qualités vocales, dans les caractéristiques de l’élocution ainsi que dans les signaux infraverbaux (gestes, mimiques, etc.) qui passent directement par le corps. À l’écrit, ces manifestations infraverbales vont se faire grâce à des procédés linguistiques qui produiront sur le lecteur des effets analogues à ceux que les signes infralinguistiques produiront sur l’auditeur. C’est ce que Genette appelait l’illusion sémantique et Anzieu l’illusion symbolique. Dans les figures stylistiques nous retrou-vons, tout comme dans le rêve, la dramatisation, la condensation, la permutation, le renversement ; Freud considérait qu’il existe une étroite ressemblance entre les processus intrapsychiques et les procédés stylis-tiques qui visent à produire l’illusion narrative.

Alors, que faire en atelier ? Observer et lire attentivement afin de décoder ce qui se joue derrière les différents styles ? Aider l’écrivant à trouver son propre style puisque l’on entend souvent que le style, c’est l’identité ? Ou le sortir de son style afin de laisser émerger ce qui se cache derrière ce style qui peut alors constituer une sorte de défense ? Eh bien justement, rien, absolument rien d’intentionnel, car le style est avant tout une musique, un rythme que nous rattachons au temps. Ce temps est interne et doit être respecté ; néanmoins, notre

objectif thérapeutique est justement de présenter en atelier des consignes strictes afin de montrer combien de formes différentes existent ; le patient pourra ainsi choisir un autre style, en s’adaptant à certaines consignes qui proposent d’autres styles, se laissant aller aussi à l’émer-gence de mouvements pulsionnels internes, enfouis sous le style qu’il s’était forgé. L’écrit a cela de merveilleux qu’il peut convertir le passé en mémoire et le futur en désir. Faulkner (éd. 1962) l’a dit mieux que quiconque : « Tout est présent, comprends-tu ? Aujourd’hui ne finira que demain, et hier a commencé il y a dix mille ans. »

L’exemple le plus représentatif pour proposer l’utilisation d’autres styles est l’amusant et étonnant Exercices de style de Raymond Que-neau (1947) qui raconte la même histoire de quatre-vingt-dix-neuf ma-nières différentes !

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