C HAPITRE 6. D YNAMIQUES VEGETALES REGIONALES DEPUIS 1974
III. IMPLICATIONS DES PRATIQUES PASTORALES GENERALES
II.3. E VOLUTION DE LA VEGETATION DES PUYS ET FORTES PENTES
A l’inverse des zones planes, ces espaces sont significativement plus fermés (tab.23‐24, fig.62‐63‐
64), avec des taux de boisement moyens arborés et arbustifs égaux à 29 %. La strate herbacée, contrairement aux zones planes, n’est donc pas la classe dominante et se trouve même inférieure à la lande avec seulement 19 % de recouvrement moyen contre 22 % de landes. Ces espaces cumulent donc de faibles valeurs pastorales et sont actuellement difficiles d’accès aux troupeaux compte tenu de l’extension des zones boisées. La strate arborée a gagné 21 % sur la période soit 95 ha et une moyenne de colonisation ligneuse de 3,2 ha/an. Si l’on tient compte également de la strate arbustive, les zones fermées qui recouvraient 39 % de la zone en 1974 en couvrent actuellement presque 60 %.
Tableau 24 : Part des surfaces (en pourcentage) des puys et zones de fortes pentes du secteur en 1974 (à gauche) et 2004 (à droite).
Sur les Fontêtes, le puy des Gouttes était le puy le plus arboré du secteur dans les années 1970 avec déjà 21 % de recouvrement arboré et une strate arbustive relativement faible de 8 % (tab.23 et fig.63). Comparativement, la lande était moins importante que la pelouse et recouvre aujourd’hui beaucoup plus d’espace (61 % des pelouses en 1974 sont en landes actuellement). C’est la strate majoritaire avec 46 %, la tendance est donc inversée sur ce puy. Enfin, comme nous l’avions observé précédemment, la strate arborée a rapidement colonisé l’espace avec une augmentation de 18 % sur la période. Les difficultés d’accessibilité du troupeau dues à une colonisation arborée plus précoce que sur les autres puys sont à l’origine de cet état actuel. Le gardiennage consiste à mener le troupeau dans un parc, sans le conduire réellement vers des zones en cours de colonisation109 et sans clôtures légères, le choix de cette pratique plus « légère » a donc un impact sur la dynamique végétale. C’est donc probablement le manque important de pression pastorale qui engendre de tels écarts (aucun girobroyage n’étant effectué actuellement sur cette estive). L’arrêt de l’écobuage auparavant fréquent sur ce puy est sans doute aussi à l’origine de la recrudescence des landes (Guinamard et al., 2006)
109 L’instinct grégaire du troupeau le mène à vouloir se regrouper ou pour le moins à pouvoir s’observer en permanence, ce qui devient difficile dans des zones en cours de colonisation ligneuse.
Année 1974 2004
Type SN P L a A SN P L a A
O 2 21 21 44 12 1 16 14 40 29
Re 8 29 59 1 3 5 20 21 29 25
F 1 49 21 8 21 0 14 46 1 39
M 1 71 26 2 1 1 57 22 6 14
Tableau 23 : Part des surfaces (en pourcentage) des puys et zones de fortes pentes des estives en 1974 et 2004.
SN : sol‐nu, affleurements rocheux ; P : pelouses ; L : landes ; a : arbustif ; A : arboré ; C : cultures.
O : puys d’Orcines ; Re : puys de Recoleine ; F : puy des Gouttes sur les Fontêtes ; M : Puy de Manson.
Figure 63 : Evolutions comparées des puys des Gouttes, de Montgy et de Pourcharet (de haut en bas) entre 1974 et 2004.
Sur Recoleine, la dynamique végétale a été la plus rapide du secteur (tab.23, fig.63). La distinction entre les puys de Montgy et Pourcharet est très importante. Le puy Pourcharet (bovin) reste majoritairement ouvert avec actuellement 71 % de strates basses contre 89 % en 1974. C’est cependant la lande qui prime et gagne de l’espace entre les deux dates avec une transition de 44 % des pelouses vers cette classe. Les strates hautes sont passées de 6 % (essentiellement de vieux hêtres), sans strate arbustive, à 27 % avec peu d’arbustes, la dynamique semble donc stagner même si elle a été forte sur la période (+ 15 % d’arbres). Le fait ici qu’il s’agisse d’un troupeau bovin a son importance. En effet, ce type de cheptel recherche moins les points hauts pour chômer que les ovins et ne trouve donc aucun intérêt à pâturer les pentes moins appétentes du puy. Un girobroyage régulier limite l’extension des landes, mais sans impact du troupeau sur ces zones, elles subissent une recolonisation immédiate des espèces à fort pouvoir colonisateur que sont les fougères (Pteridium aquilinum) et genets (Cytisus scoparius).
Le puy Montgy a subi la dynamique ligneuse la plus importante de l’ensemble des puys (tab.23‐25, fig. 63), avec un recul des strates basses de 70 %, au profit des strates hautes qui passent de 1 % à 76 %. Le boisement de ce puy entre 1974 et 2004 a donc été très intense avec des vitesses de colonisation très rapides : 53 % des pelouses et 48 % des landes ont été colonisées par des taillis, et 45 % de ces deux strates se sont boisées sur la période. Plus de 70 % des zones ouvertes se sont donc fermées sur le puy à raison de 0,5 ha/an sur la période. Actuellement la strate arbustive est encore majoritaire avec presque 50 % de recouvrement, la dynamique est donc encore très active.
Rappelons que, sur cette estive, le mode de garde du troupeau est en pâturage clos (clôtures légères). C’est donc le type d’espèce en jeu, clairement peu appétant puisqu’il s’agit de Juniperus communis et de Picea abies, qui engendre une telle dynamique. La proximité d’un semencier (plantation à Picea abies à l’est du puy) est assurément la cause principale de cette dissémination rapide (comme sur les Gouttes). Une explication complémentaire à cette évolution très rapide réside justement dans le mode de gestion du troupeau : le pâturage clos a cet intérêt qu’il permet le recul de la lande à Calluna vulgaris, prépondérante dans le secteur dans les années 70. Mais en cas de dynamique agressive d’espèces peu appétentes, il a permis l’extension plus rapide de celles‐ci par perte du pouvoir inhibiteur de Calluna vulgaris. La banque de graines existante ou de jeunes pousses contraintes par la lande ont pu alors se développer à grande vitesse. La pose des clôtures en lisière de front est également à l’origine d’un manque d’impact sur les résineux.
Enfin, le puy de Manson (qui n’est pas un volcan, tab.23) détonne ici par sa faible proportion de strates hautes, avec seulement 20 % de zones fermées contre une moyenne de presque 60 % dans avec des variations inter‐édifices volcaniques que nous avons choisi de distinguer. Les fronts de colonisation sont ici des corylaies avec une dynamique végétale naturelle évoluant vers la hêtraie ou la hêtraie‐sapinière. La colonisation par dispersion des plantations d’épicéas (Picea abies) engendre également des forêts mixtes. Dans l’ensemble, ces puys sont caractérisés par un boisement précoce, antérieur aux années 1970.
Année 1974 2004
Type SN P L a A SN P L a A
Pourcharet 1 43 46 0 6 2 31 40 6 21 Montgy 11 18 70 1 0 7 12 6 47 29
Tableau 25 : Part des surfaces (en pourcentage) des puys de Pourcharet et Montgy sur Recoleine en 1974 et 2004.
Figure 64 : Evolution comparée des puys Pariou, Clierzou et Suchet sur Orcines (de haut en bas) entre 1974 et 2004.
Ainsi que l’on peut l’observer sur les cartes (fig.64) et dans le tableau (tab.26) pour le puy Pariou, la colonisation des strates ligneuses était déjà effective dans les années 70, couvrant 60 % du puy. Les strates basses (37 %), étaient surtout composées de pelouses. Elles ont nettement régressé, avec seulement 20 % aujourd’hui, au profit des strates hautes qui couvrent presque 80 % du puy. Les strates basses se sont ainsi boisées à hauteur de 85 % sur la période soit une vitesse de fermeture de 0,6 ha/an. L’intérieur et le haut du cratère sont encore dégagés, mais les flancs nord et est sont
totalement boisés. Notons que la partie sud du puy est actuellement plus ouverte qu’en 2004
La dynamique végétale est plus précoce que sur les autres puys, avec des recouvrements arbustifs déjà de 60 % en 1974. La strate arborée a augmenté de 17 %, donc moins que la tendance générale et le Pariou en particulier. On peut donc constater une nette stabilité de la strate arbustive qui a pu limiter l’extension arborée sur la période. La colonisation des fronts de Corylus avellana s’est effectuée vers le sommet du puy sur les landes qui sont par conséquent en net recul.
Les petit et grand Suchet restent peu colonisés par les espèces ligneuses au regard du Pariou ou du Clierzou proches, avec une progression de 7 % sur la période et un recouvrement de 57 %. On note ici une amélioration du pâturage avec une régression de 38 % des landes au profit des pelouses. Les sommets des deux puys sont en réalité très dégagés par rapport à leurs pentes ; l’utilisation de cette zone, notamment la nuit pour la chôme des troupeaux est sans doute à l’origine d’une évolution moins rapide : 10 % des pelouses et 15 % des landes évoluent vers des strates ligneuses. La strate arbustive évolue naturellement vers l’arboré à hauteur de 75 %. ininterrompu des troupeaux pendant toute la période et l’altitude peuvent également être des facteurs de taille. La forte proportion de landes inhibitrices composée ici de Vaccinium et Calluna est également un facteur de blocage non négligeable dans la dynamique végétale. Cette inhibition a fortement limité la fermeture de ces pentes et au regard des autres puys, le recouvrement ligneux haut n’est que de 13 % contre 71 % en moyenne sur cette zone.
Notons également ici le recul des zones érodées dans toutes les zones de fortes pentes (sauf le petit puy de Dôme), avec une perte de 5 ha sur l’ensemble des puys. Les édifices volcaniques étant relativement jeunes, les pentes dépassent parfois le seuil de stabilité des 33 %. Les plus fortes pressions de pâturage du début du XXe siècle appauvrissaient les sols, mais la lande à Calluna vulgaris avait pour effet de stabiliser de ces zones érodées. Le sous‐pâturage, combiné à la sénescence naturelle de la lande à Calluna vulgaris ont provoqué des décollements en plaques du
Année 1974 2004
Type SN P L a A SN P L a A
Tableau 26 : Part des surfaces (en pourcentage) des puys et zones de fortes pentes d’Orcines en 1974 et 2004.
SN : sol‐nu, affleurements rocheux ; P : pelouses ; L : landes ; a : arbustif ; A : arboré ; C : cultures.
pPDD : pentes du petit Puy de Dôme ; PDD : pentes du puy de Dôme.
couvert végétal et une remise à nu des cônes. Aujourd’hui, les zones érodées sont les reliques de ces pentes instables et se diversifient avec l’impact du tourisme et l’érosion des chemins de randonnée.
On peut l’observer sur la carte du puy Pariou de 2004 (fig.64) avec le dégagement du cratère et du chemin d’accès. Aujourd’hui, un escalier a été construit à l’initiative du PNR pour limiter cette érosion. On retrouve également ces aménagements sur les pentes du puy de Dôme et sur le puy de Sancy.
CONCLUSION
D’une manière générale, les zones de plaine en ovin sont donc nettement plus ouvertes que les zones de pente. Il s’agit là probablement de l’effet de plusieurs facteurs. D’abord d’un facteur humain, celui des pratiques antérieures, les plaines en bas de cônes étaient utilisées à des fins de cultures. Ces zones ont donc été fertilisées au détriment des puys, historiquement de pâture, qui se sont appauvris peu à peu. Cet appauvrissement a provoqué l’extension de la lande à Calluna vulgaris qui, de plus, se trouve peu appétente pour les troupeaux. Cette donne de départ de la majorité des groupements pastoraux de la zone, a d’emblée instauré une différence dans l’appétence de la végétation des plaines avec plus de graminées et légumineuses à l’envers des puys qui se trouvent recouverts de landes puis peu à peu boisés.
Malgré la tendance des troupeaux ovins à rechercher des points hauts pour chômer, l’utilisation antérieure des sectionaux (culture des zones planes et pâtures sur les pentes) a donc indirectement favorisé l’extension ligneuse des pentes des puys. Un abandon de quelques années ou une sous‐
fréquentation du troupeau comme cela a été le cas dans les années 1970 (suite à l’épidémie de brucellose) a souvent entraîné une dislocation de la lande à Calluna vulgaris et favorisé l’implantation ligneuse. Le processus est rapide et au moment de la reprise, les zones déjà boisées ou en cours de boisement deviennent moins intéressantes pour le troupeau qui va les éviter. La connaissance de l’histoire de ces zones est donc prépondérante dans l’explication de cette dichotomie. Les pratiques ont ensuite un rôle prépondérant dans le maintien de certaines zones ouvertes comme sur le puy de Pourcharet à Recoleine, où le girobroyage régulier du flanc sud limite l’extension ligneuse, mais où l’absence de pression pastorale ne reporte l’extension des landes qu’à l’année suivante. Le type d’espèce colonisatrice et son appétence joue également un rôle primordial, comme sur le puy de Montgy où Picea abies a pu coloniser rapidement de vastes zones à l’est puis le puy entier. Le troupeau en tant que tel, et ses habitudes, instaurent des différences comme sur les puys du grand et du petit Suchet où il a l’habitude de chômer et de passer la nuit, fertilisant les zones, faisant ainsi reculer la lande et en ayant un impact sur les fronts de colonisation des corylaies.
La proximité du parc de tri et de la cabane du berger, donc des chiens de protection et de garde, sont également des paramètres à prendre en compte dans le choix de ces zones.
Alors que dans certaines zones la dynamique végétale semble vraiment limitée compte tenu de la faiblesse arbustive, dans d’autres, cette dynamique est encore très forte. Les puys sont majoritairement plus boisés que les zones planes et la morphologie des lieux semble donc avoir un impact sur l’évolution de la végétation. Cependant, est‐ce ce facteur morphopédologique qui influence directement le développement ligneux ? Ou bien est‐ce la contrainte qu’il engendre sur les déplacements du troupeau et les pratiques pastorales qui facilite cette dynamique ? Quelques précisions s’imposent.