I. DU PAYSAGE A LA GESTION
I. DU PAYSAGE A LA GESTION
I.3. L E PAYSAGE , SUPPORT DE DEVELOPPEMENT TERRITORIAL
I.3.
L
E PAYSAGE,
SUPPORT DE DEVELOPPEMENT TERRITORIALLe paysage est un sujet de représentations, mais aussi un objet matériel, une « question de société », car il est porteur d’une histoire, révélateur d’une mise en valeur et considéré à la fois comme une marchandise et une ressource économique (Joliveau, 1998 ; Cloarec, 2001 ; Doumenge, 2004 ; Marty, 2005). Au‐delà de l’acception écologique du terme, il s’avère donc être une expression spatiale d’une
4 Conception normative : représentation de ce que doit être le paysage dans un cadre de gestion.
combinaison sociale, et se révèle comme le produit et le support des usages (Nieddu, 2001). Un lien qui relie l’homme à son espace, espace vivant, en métamorphose constante ; un paysage fonctionnel (Bertrand, 1978 ; Joliveau, 1994 ; Di Pietro et al., 1997 ; Guisepelli et al., 2005).
La mutation de la société des soixante dernières années a impliqué de fortes modifications dans les différents systèmes paysagers. Les espaces ruraux voient désormais l’intervention d’acteurs plus variés qu’auparavant (Brunet, 1996), et les enjeux fonciers augmentent avec l’extension urbaine. Le paysage devient alors un instrument opérationnel de la gestion et de la planification du développement local (Joliveau, 1994). L’utilisation du paysage dans le cadre de politiques de promotion territoriale (stratégie d’implantation des entreprises à vocation touristique) participe à la reconnaissance de la qualité des produits d’un terroir. D’une manière plus générale, le paysage est un élément de marketing, un capital, dans les politiques territoriales. Cette stratégie de développement peut même mener à une restructuration physique du paysage pour augmenter sa visibilité et l’impression d’authenticité ou de typicité qu’il dégage (Lepart et al., 2004).
Selon Ferrari (2004), le paysage peut être considéré comme une aménité rurale5, une externalité environnementale positive de l’agriculture, ou un bien public localisé joint à la production agricole.
Deux points nous semblent intéressants à approfondir à partir de cette citation. D’abord, la notion de ressource publique, reprise en droit économique par Hervé Groud (2001), rapproche les systèmes productivistes et paysagers de l’émergence des politiques de préservation, par la détermination du paysage comme un objet de consommation, auquel on peut donc attribuer un prix (coût de transport, modification des prix du foncier des sites attractifs). Cette réflexion est peu reprise du fait de la complexité de sa mise en application réelle et de la prise de conscience du public de la valeur commerciale du bien désigné. Ensuite, les « externalités environnementales » de l’agriculture sont souvent perçues d’un point de vue négatif : pollution des sols et des eaux, érosion, insécurité sanitaire et alimentaire liée aux élevages d’animaux ou aux OGM (Dépigny, 2007). Or, le citadin à la campagne attend de l’espace rural des aménités positives (sources d’agrément, de sensations inédites ou convenues : air pur, espace de détente, dépaysement), incluant des éléments de patrimoine culturel ou naturel (Ferrari, 2004). Si l’on reprend l’idée des groupes sociaux de Conan6 (in Berque et al., 1994), on peut distinguer les urbains en mal de nature et de paysages, qui recherchent un paysage de mémoire ; et les acteurs locaux qui cherchent à faire perdurer la vie sociale et l’activité économique des campagnes. Cette multiple appréhension du paysage et des activités associées nécessite un cadre. Le paysage devient alors un instrument de gestion de l’espace, et les acteurs doivent penser aux outils qui produiront les paysages de demain (Joliveau, 1994).
Pour plus de clarté, les gestionnaires de l’espace s’organisent depuis le XIXe siècle autour d’un cadre législatif et réglementaire aux échelles régionale, nationale et européenne (tab.1). Il est à noter que les premières lois concernant les zones considérées comme difficiles, visent le reboisement.
Effectivement, le recul de l’activité pastorale, l’érosion massive des sols consécutive et l’appauvrissement des populations locales incitent à l’expansion des plantations : Picea abies, Abies alba, Pinus uncinata, P. cembra, et Larix decidua sont les espèces les plus utilisées (Belingard et al., 1998). Après la seconde guerre mondiale, la nécessité de nourrir une population importante et de reconstruire des pays dévastés entraîne une intensification de l’agriculture, et l’apparition de l’Europe confirme et accentue cette dynamique. Même les terres de montagne, peu propices à l’utilisation intensive, sont concernées, et pour faciliter cet essor, des indemnités sont mises en place (ISM)7. Cependant, sans préoccupation réelle du paysage, les conséquences de ces mutations sont multiples (simplification du parcellaire, élimination des structures paysagères, suppression des chemins…).
5 Au sens des économistes de l’OCDE les aménités rurales sont : les attributs, naturels ou façonnés par l’homme, liés à un territoire et qui le différencient d’autres territoires qui en sont dépourvus (Brunet, 1996).
6 Il y a conflits d’usages et conflits moraux lorsque sur un même territoire, plusieurs groupes sociaux adhèrent à
des conceptions de l’aménagement différentes.
7 ISM : Indemnité Spéciale Montagne
Tableau 1 : Cadre législatif et réglementaire visant le développement et la protection des massifs et des zones défavorisées (1860 ‐ 2010)
Intitulé Objectifs Méthodes et outils Acteurs et moyens 1860 Loi de boisement 1,3M ha de reboisement Plantations d’essences diverses Etat
1882
RTM (restauration des terrains en montagne)
Limiter la déforestation, et
l’érosion des sols Plantations d’essences diverses Etat
1937 Loi de reboisement des terres incultes
Favoriser le reboisement et
l’amélioration pastorale Plantations Etat
1946 FFN Fonds 1972 Loi pastorale Soutien à l’activité
pastorale
Au début du XXIe siècle, la protection de l’environnement devient un enjeu primordial, et le rôle des agriculteurs comme gestionnaires de l’espace est mis en avant avec les nouvelles MAE8 et le respect de normes environnementales plus strictes (Ambroise et al., 1998, 2009 ; Ambroise, 1999). On observe donc une ré‐articulation de la politique agricole et de développement rural, la nouvelle PAC s’organisant autour de deux piliers (Hervieu, 2003; Ministère de l'agriculture et al., 2004) :
1. aides directes aux exploitations et intervention sur les marchés ;
2. renforcement du développement rural autour de la multifonctionnalité de l’agriculture et des activités non agricoles : aides à l’adhésion aux dispositifs de qualité nationaux et communautaires (AOP, IGP)9, augmentation des mesures agri‐environnementales, aide à la mise aux normes, etc.
Productivité, mécanisation, intensification, qui étaient les mots d’ordre des politiques dans les années 1970, se sont transformés en respect de l’environnement, agriculture biologique et durable, impliquant de nouvelles restructurations. La France reste la première puissance agricole européenne, mais les exploitations subissent de plein fouet ces réformes dans un contexte de crise des prix.