SOCIO ‐ ENVIRONNEMENTAL
II. LES ESTIVES, TEMOINS DE L’OCCUPATION HUMAINE DU SECTEUR
II.3. U NE BIODIVERSITE RECONNUE
II.3.1. Des zones ouvertes protégées…
II.3.1. Des zones ouvertes protégées…
L’Auvergne dans son ensemble se situe au premier rang du réseau Natura 2000 en raison de la diversité de ses paysages et de sa situation biogéographique en France et en Europe. La mise en place de ce réseau est d’une importance cruciale pour la zone car : Il s’agit de promouvoir une gestion adaptée des habitats naturels et des habitats de la faune et de la flore sauvages tout en tenant compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales de chaque Etat membre. 52.
Le Parc naturel régional, quant à lui, est recouvert à 60 % par des espaces naturels remarquables et s’intègre donc dans de nombreux réseaux de préservation, dont Natura 2000 (zones délimitées en 2001, DOCOB validé en 201153) et de nombreuses ZNIEFF54 (DREAL Auvergne, 2008). Le site Natura 2000 de la Chaîne couvre à lui seul 2041 ha, à des altitudes variant entre 600 et 1450 m, en 9 entités pour 12 habitats (24 pour l’ensemble du PNR). La plupart des zones classées, essentiellement des landes et pelouses développées sur les flancs et sommets des volcans, se situent dans les estives des Dômes, qui paraissent donc d’intérêt général, tant patrimonial qu’écologique (Birard et al., 2011) ; fig.27.
Rappelons que les végétations prairiales et pastorales ne sont pas des formations naturelles, mais sont la résultante d’actions anthropiques comme les mises en culture, pâture, fauche, drainage, défrichements, etc. (Barjou et al., 2002). Sans ces activités, la formation naturelle tend vers la forêt, ici la hêtraie / hêtraie‐sapinière (De Montard, 1991). On peut citer parmi les espèces reconnues et classées dans la Liste rouge régionale, liste I des espèces prioritaires et dans le Livre rouge de la flore menacée en France (fig.27) : Biscutella lamottei, Campanula rhomboidalis, Cystopteris dickieana, Gagea lutea, Lilium martagon (Natura 2000, 2000 a ‐ b ; 2003 ; Antonetti et al., 2006).
II.3.2. … mais menacées par l’évolution ligneuse
Cette flore, emblématique des milieux ouverts ou en cours de fermeture, et protégée à ce titre à différents niveaux, est menacée par l’extension drastique de la forêt. On peut remarquer (fig.28) que les massifs forestiers sont divers (feuillus, résineux ou mixtes) mais surtout prépondérants dans la zone. Ainsi, les estives apparaissent comme des enclaves, des reliques des vastes zones ouvertes du XIXe siècle. D’où l’importance de mieux connaître les dynamiques en cours, les types de successions, les vitesses, et le réel impact du troupeau sur ces zones. Si les terres abandonnées sont aujourd’hui complètement boisées de façon spontanée ou par plantations, les estives sont encore ouvertes et leur gestion devient de première importance. La colonisation forestière est donc la menace principale des milieux ouverts de cette zone.
52 http://www.parc‐volcans‐auvergne.com/php/vivre/paysage/natura/reseau.php4
53 Natura 2000 : objectifs : préserver la diversité biologique sur le territoire de l’Union Européenne.
54 ZNIEFF : Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique.
Figure 27 : Localisation des zones de protection Natura 2000 et ZNIEFF ; Espèces classées dans le livre rouge des espèces menacées (photographies M.L. et http://www.tela‐botanica.org/).
Figure 28 : Carte des essences forestières des entités Natura 2000 de la Chaîne des Puys (d’après Birard et al., 2011)
Cette extension suit deux principaux types de trajectoires : celui de la friche à Cytisus scoparius (très représentée sur les estives de Ternant et de Manson) et celui de l’association callune‐nard, typique des landes à fortes influences atlantiques (les Fontêtes, Orcines et Manson). Un autre modèle peut y être ajouté, celui du Brachypode penné ; déjà observé par Lemée en 1952 sur le Puy de Dôme (estive d’Orcines), mais plus souvent synchrone à l’extension de Betula ou Corylus que comme premier stade avant leur colonisation. Nous présentons dans la figure suivante (fig.29) un modèle d’évolution global des ligneux dans la Chaîne des Puys, les types de successions ayant été développés précédemment (Loiseau et al., 1979 ; Doche, 1984 ; Coquillard et al., 1985 ; Loiseau et al., 1986 ; André, 1995 ; Orth et al., 1998b ; Sulmont et al., 2000 ; Orth et al., 2002 ; Carrère et al., 2003 ; Curt et al., 2004 ; Prévosto et al., 2004 ; Prévosto et al., 2006).
Aujourd’hui, le constat est assez sévère, la plupart des zones sont en cours de recolonisation ligneuse, et ce, malgré des initiatives multiples. En effet, les indicateurs écologiques de sous‐
pâturage ou de déprise agricole connus sont très présents, comme : Brachypodium pinnatum, Calluna vulgaris, Cytisus scoparius, Juniperus communis, Rubus sp., Pteridium aquilinum. En situation de sous‐pâturage, on observe un tri dans l’alimentation des animaux, donc un impact sur les bonnes graminées fourragères. Les espèces les moins appétentes, peu impactées, sont alors en position de force, et leur dynamisme colonisateur est plus intense qu’en cas d’abandon total, où les espèces sont toutes compétitives au même degré (Barjou, 2002). L’impact anthropique n’étant plus suffisant pour maintenir la propagation de ces espèces, les successions végétales secondaires ou postculturales
Figure 29 : Modèle global d'évolution ligneuse dans les estives
s’établissent, avec des ligneux tels Corylus avellana, Betula pendula, Pinus sylvestris puis Fagus sylvatica en milieu frais et humide et Picea abies de façon ubiquiste.
C ONCLUSION
A des échelles variées, le Parc naturel régional, la Chaîne des puys et les estives des Dômes sont des territoires emblématiques, reconnus pour leur biodiversité et la qualité de leurs paysages. Ils sont, à ce titre, l’objet de diverses mesures de protections de leur faune et de leur flore. Cet état actuel est l’héritage des actions et pratiques anthropiques sur des milieux remarquables du fait de leur géologie. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’un héritage. Les zones protégées sont, pour la plupart, des espaces encore agricoles et utilisés comme pâtures. Le maintien et le soutien de ces activités devraient donc être prioritaires dans les programmes de gestion qui visent la sauvegarde de ces milieux.
Dans ces conditions, notre étude doit donc s’attacher à caractériser ces pratiques de gestion pastorale de l’espace dans leurs particularités, afin de déceler leurs impacts respectifs sur les parcours et de cibler les difficultés qu’elles rencontrent pour persister. Mais notre travail vise également à la recherche des causes et des conséquences du phénomène d’extension ligneuse menaçant les zones ouvertes. L’objectif n’est pas ici de stigmatiser la colonisation de l’arbre, mais bien d’analyser les divers constituants de la mosaïque paysagère et leur dynamisme.
Une telle démarche scientifique a pour finalité de proposer des outils théoriques et pratiques faciles à mettre en œuvre pour élaborer une forme de gestion particulière des territoires. Ce modèle de gestion, attaché à des espaces dynamiques, est par conséquent loin des concepts d’équilibre des écosystèmes et des paysages, et doit être, ainsi que le rapporte Kunstler (2005), recentrée sur les processus. Selon lui, la connaissance de ces processus et de la dynamique des écosystèmes non à l’équilibre ne permet pas de prédictions précises mais reste préférable à l’utilisation de prédictions erronées, trop loin de la réalité des espaces.
La prise en compte de l’incertitude et de la stochasticité permettra justement l’application d’un modèle théorique de gestion dynamique plus léger (bien que nécessairement complexe), plus facile à modifier, pour rester en interaction avec la réalité et s’approcher ainsi concrètement de la gestion d’un système homme‐milieu.