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Une volonté de cadrage de l’expertise

histoire des conceptions du journalisme et des journalistes au Québec

2.1 La lente maturation vers la constitution du groupe (1875-1965)

2.1.2 Le réveil syndical (1930-1965)

2.1.2.2 Une volonté de représentation unifiée : l’U.C.J.L.F (1954)

2.1.2.2.2 Une volonté de cadrage de l’expertise

Au cours des années 1950-1960, divers enjeux professionnels importants vont traverser les discours de l’Union : une charte professionnelle, la formation des journalistes et la création d’un Conseil de presse. L’U.C.J.L.F. tente de faire avancer la construction du groupe à partir d’une conception proche de celles des corporations ou des professions.

2.1.2.2.2.1 La charte professionnelle

L’ U.C.J.L.F., par diverses propositions et prescriptions, va non seulement tenter de fédérer les syndicats de journalistes et les journalistes de tout ordre au sein d’une même instance représentative, mais elle va aussi s’essayer au cadrage de l’expertise des journalistes. Plusieurs résolutions disparates, rendues notamment au cours de congrès ou de réunions plénières, vont proposer des directives, des lignes de conduite aux journalistes et surtout aux propriétaires des médias. C’est ainsi qu’elle va demander aux journaux de réduire « l’information teintée de publicité ou qui est de la publicité pure et simple » dans un souci d’objectivité et de vérité concernant la nouvelle (U.C.J.L.F., 1957b : 1).

L’annonce de la rédaction d’un code d’éthique par l’U.C.J.L.F. sera reprise plusieurs fois au cours des premières années de la décennie 1960 (U.C.J.L.F., 1960 : 7; U.C.J.L.F., 1961).

Finalement, le ‘code d’éthique’ se nomme Charte de l’intégrité professionnelle et est adopté en 1963 au congrès général de l’U.C.J.L.F. Cette charte est présentée comme la « règle souveraine de [la] conduite professionnelle » des journalistes (U.C.J.L.F., 1963 : 1). La charte pose des balises concernant la pratique des journalistes, et se concentre principalement sur les questions de diffamation, d’usage de moyens déloyaux, des pots-de- vin, des missions publicitaires, du plagiat, etc. Les visées sociales et professionnelles s’entremêlent dans les 13 points composant la charte. Le journaliste travaille, en préservant sa « dignité professionnelle », dans l’intérêt du public et en tendant à l’objectivité pour rendre « les informations plus accessibles et plus intelligibles au public » (U.C.J.L.F., 1963 : 2). Le treizième point impose au journaliste de garder le secret professionnel. Cette

question, nous le verrons, sera un leit-motiv tout au long des décennies ultérieures. Le secret professionnel est posé comme un droit et un devoir par les journalistes eux-mêmes, un indice des plus importants dans les processus de construction et de reconnaissance des groupes professionnels traditionnels tels que les avocats ou les médecins.

Les membres de l’U.C.J.L.F. s’engageaient à adopter cette charte,

« mais cet engagement en fait n’était qu’une question d’honneur, aucune sanction en fait n’était prévue pour ceux qui ne la suivraient pas, pas plus que des moyens seraient pris pour contrôler si tout le monde la respecterait. On ne prévoyait même pas l’expulsion des membres fautifs » (Vennat, 2000 : 14).

Malgré le peu d’impact de cette charte professionnelle sur la pratique, elle représente tout de même une trace tangible de l’intérêt du groupe (ou de la partie du groupe représentée par l’U.C.J.L.F.) envers le cadrage moral de l’exercice du métier. Cette charte vise alors à baliser les conditions d’exercice du métier de journaliste. Ces balises mêlent dignité professionnelle, objectivité et intérêt du public.

2.1.2.2.2.2 La formation professionnelle

La question de la formation est toujours à cette époque un enjeu primordial. Un comité est d’ailleurs chargé, en 1957, au sein de l’U.C.J.L.F., d’entreprendre des pourparlers avec les autorités universitaires et les employeurs pour encourager la création d’écoles de journalisme (U.C.J.L.F., 1957c : 1). Évidemment, ces formations devront, selon la résolution de l’Union, être sous son contrôle, comme le sont toutes les formations des corporations professionnelles et les candidatures seront examinées par l’Union elle-même (U.C.J.L.F., 1957c : 1). Jean-Louis Gagnon, au congrès de l’U.C.J.L.F. de 1957, insiste d’ailleurs sur le caractère technique que devrait revêtir l’école de journalisme afin que « la formation donnée soit en fonction des besoins primordiaux de la profession et des entreprises de presse » (Gagnon, 1957 : 2).

Lorsque la question de la formation est abordée officiellement, il n’est nullement question de fermer le groupe. Au contraire, l’U.C.J.L.F., dans son mémoire déposé au Premier ministre en 196048, rappelle que :

« Il n’entre évidemment pas dans notre pensée que la fréquentation d’une École de journalisme est un impératif pour l’exercice convenable de la profession, que c’en soit une condition nécessaire et suffisante de l’activité du journaliste, que ses responsabilités envers un public toujours plus large et que la complexité sans cesse croissante de certains secteurs, supposent des connaissances très étendues et une solide formation de base » (U.C.J.L.F., 1960 : 6).

Ces discours d’ouverture ne masquent pas l’intérêt immédiat que l’Union trouverait à être associée étroitement au projet de création et notamment à l’éventualité d’un concours d’entrée.

Quelques cours sur le journalisme se donnent à cette époque, vers le milieu des années 1960, dans quelques universités, notamment à l’Université Laval, sous forme de cours du soir. Les cours sont préparés en collaboration avec les facultés de droit, des lettres et des sciences sociales. Plus de 70 personnes dont plus de 30 journalistes syndiqués de Québec ont suivi, en 1965, une série de cours sur le droit de la presse, l’histoire du journalisme, les institutions politiques canadiennes ou encore les principes d’économie politique (Vennat, 1966 : 11). À l’Université de Montréal, des cours de culture générale et des séminaires dirigés par des journalistes sont aussi envisagés (U.C.J.L.F., 1966c : 1).

La question de la formation est ainsi défendue selon la conception d’un ‘passeport d’entrée’ qui permettrait de mettre en place une forme de socialisation. Bien que les discours portent sur la nécessaire culture générale du journaliste, l’idée d’une certaine forme d’examen à l’entrée dans le métier est clairement perceptible.

2.1.2.2.2.3 Le Conseil de presse

Dès le milieu des années 1950, des débats vont avoir lieu au sujet de la création d’un Conseil de presse. Déjà l’Association des journalistes canadiens-français, antérieure à

l’U.C.J.L.F., avait préconisé, dans sa charte, la création d’un tribunal d’honneur (Denault, 1904). L’éventualité de cette création, lancée par l’Union en avril 1957, est relancée en 1958, à la suite de la grève à La Presse et évoquée par le secrétaire général de l’Union comme la « possible création d’un ‘Conseil de presse’ où l’Union serait appelée à représenter globalement l’élément ‘journalistes’ » (Léger, 1959 : 1). À cette époque, le Conseil est envisagé comme un organisme bipartite composé des journalistes des différents médias et des chefs d’entreprise afin « d’assurer une relance de la presse canadienne- française » (Léger, 1959 : 8).

Quelques années plus tard, en 1961, l’U.C.J.L.F. propose, une nouvelle fois, la création d’un Conseil de presse en collaboration avec le « patronat » afin d’affermir et d’améliorer « notablement les positions, l’autorité, l’influence, même la situation matérielle de la presse canadienne-française » (U.C.J.L.F., 1961 : 6).

Le congrès de l’Union, en 1965, remet la question au goût du jour (Gagnon, 1966 : 1) ; un document de travail sur un projet de Conseil de presse voit le jour à partir de la résolution Dufresne adoptée en 1965. Cette résolution proposait la création d’un Conseil tripartite composé du public, des journalistes et des propriétaires des médias, « dans le but de déterminer les rapports qui doivent régir l’exercice de la profession des moyens d’information généralisés, écrits, parlés et télévisés, envisagés comme services publics » (U.C.J.L.F., 1966b : 2)49.

L’idée première était de confier au Conseil de presse la réalisation d’une enquête « sur le problème que pose la communication de l’information dans une société moderne en pleine évolution » (U.C.J.L.F., 1966b : 2). La commission chargée de l’étude du projet va se baser sur les expériences étrangères de créations de Conseil de presse, et notamment sur les exemples britannique et d’Allemagne occidentale. Les objectifs principaux de ces Conseils sont la défense de la liberté de la presse, la surveillance des abus dans le journalisme et de l’évolution du milieu médiatique et enfin la volonté de créer une instance représentative devant les pouvoirs publics et le public (U.C.J.L.F., 1966b : 7). Évidemment,

49 Ces discussions sur la création d’un Conseil de presse reposaient, en partie, sur la consultation du

rapport de 1962 de l’Institut international de la Presse sur les Conseils de presse et codes d’honneur professionnels (U.C.J.L.F., 1966b : 4)

l’établissement d’un tribunal d’honneur, l’émission d’une carte de presse et l’élaboration d’un code d’éthique sont au cœur des discussions.

Cette relance de l’idée du Conseil de presse doit aussi être mise en relation avec le contexte politique de l’époque qui, à la faveur de débats critiques sur le rôle des journalistes, encourage l’Union à demander une enquête sur les contenus des principaux journaux québécois durant la campagne électorale de 1966, ce à quoi répondra le rapport Bourassa50. La stratégie se peaufine : le Conseil de presse est perçu, par les organisations de journalistes, comme « le meilleur moyen d’assurer le droit du public à une information libre et complète » (Martin, 1967 : 2). Toute intervention gouvernementale est rejetée, mais le principe de la participation du public, par le truchement des corps intermédiaires est accepté (Vennat, 2000 : 57).

Mais les perceptions des journalistes oscillent entre une adhésion à l’idée car le Conseil favoriserait la protection des journalistes et du public, et un rejet de celui-ci car ils le considèrent comme un instrument d’oppression des journalistes (Vennat, 2000 : 75). Les opinions divergent donc quant à la finalité du Conseil de presse et attisent les oppositions entre les tenants des aspects professionnels et ceux qui prônent le syndicalisme, ce que résument bien les propos du journaliste J. Ivan Guay, en 1966 :

« L’inquiétant, c’est qu’une partie des journalistes, surtout les promoteurs de ce masochisme journalistique qu’est le Conseil de presse, semblent avoir une méfiance, et disons-le, un mépris hautain pour le syndicalisme » (Guay, 1966 : 14).

Finalement, les discussions survivront même à la disparition de l’ U.C.J.L.F. et ce n’est qu’en 1973 que le Conseil de presse du Québec verra enfin le jour.