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Pour ‘l’avancement moral du journalisme’

histoire des conceptions du journalisme et des journalistes au Québec

2.1 La lente maturation vers la constitution du groupe (1875-1965)

2.1.1 L’inconstance : les projets de regroupement se succèdent (1875-1930) À partir des années 1880, plusieurs initiatives de journalistes vont mener à la

2.1.1.1 Pour ‘l’avancement moral du journalisme’

Avant le XXème siècle, les écrits issus de journalistes ne cessent de clamer la grandeur et le prestige de l’exercice du journalisme. Le journalisme ne devrait ainsi « être accessible qu'aux hommes du plus grand mérite, aux esprits élevés, à la conscience ferme et au caractère imprévisible » (Buies, 1912 : 573). Le journaliste doit se « consacrer au bonheur de ses compatriotes » (Bédard, 1895 : 618), se vouer à son métier « corps et âme » (Mousseau, 1912 : 16). Pourtant, la réalité est tout autre. La carrière de journaliste est précaire et « ingrate » (Bédard, 1895 : 573). Plusieurs thèmes apparaissent en force dans les documents des années 1870-1900 : la précarité du métier, la dispersion des journalistes et l’absence de solidarité, les heurts avec des nouveaux venus qui nuisent à ‘l’avancement moral’ de la profession.

Entre 1860 et 1900, la multiplicité des journaux et l’encombrement des professions libérales attirent de nouveaux venus dans le journalisme et l’éclosion de quelques talents (Savard, 1967 : 315). Comme dans d’autres pays occidentaux, le journal est alors l’instrument de diffusion de groupes politiques ou sociaux, un outil au service de leur propagande (Godin, 1981 : 14-15). Le journal est relativement monotone (Beaulieu et Hamelin, 1966), l’information d’actualité est rare. Les nouvelles en provenance de l’Europe

3 La Confédération renvoie à l’union, en 1867, des colonies britanniques du Nouveau-Brunswick,

de la Nouvelle-Ecosse et du Canada (composé, depuis 1841, du Haut et du Bas-Canada). Cette union forme le Dominion du Canada.

ou d’autres parties du monde sont sporadiques, le bateau qui les amène ne parvenant sur les côtes qu’une à deux fois par mois. Et en réalité, le travail de journaliste avant 1900 n’est guère reluisant pour la majorité. Les témoignages sont éclairants. Avant 1900, les salles de rédaction sont décrites comme des lieux occupés par :

« quelques tâcherons surchargés. Celui qui porte le titre ronflant de rédacteur en chef, ou même de directeur, a beaucoup à faire : Alphonse Lusignan, directeur du Pays dans les années 1860, rédige à la fois les réclames, les annonces, les faits divers et les articles de fond » (Savard, 1967 : 312-313). Mais l’idée d’une figure, d’un rôle, d’un parcours spécifique du journaliste fait déjà son chemin à la fin du XIXème siècle. Dès 1875, Arthur Buies4, célèbre journaliste canadien-français, l’exprime en ces termes :

« Le journalisme est de toutes les professions peut-être la plus délicate, parce que même dans l'attaque, même dans la flétrissure, il faut toujours garder la dignité du langage : c'est une profession dont le noviciat doit être le plus laborieux et le plus long, parce qu'il ne se borne pas à une spécialité, il les embrasse toutes, il demande une grande habitude du monde, beaucoup d'observations, une éducation honnête à part une instruction variée ; et bien ! c'est à cause de cela sans doute que le premier galoupiat venu, qui n'a ni usages, ni éducation, ni étude, que le premier galopin qui sort du collège avec un accessit en thème, se croit le droit de prendre une plume et de se faire rédacteur, comme si l'on était rédacteur ou écrivain de même qu'on est porte-faix ou commissionnaire » (Buies, 1912 : 574-575).

Certains journalistes entretiennent déjà une image mythique de la figure du journaliste. Ainsi en 1895, Bédard déclare :

« Pour être journaliste, il faut de la persévérance, de la fermeté et de la bravoure ; il faut de plus et surtout ce désintéressement sublime, qui fait que le journaliste doit consacrer au bonheur de ses compatriotes ses talents et ses travaux et ne rechercher sa récompense que dans la satisfaction du devoir accompli » (Bédard, 1895 : 618).

4 Arthur Buies « fonde en 1868 la Lanterne canadienne, puis d'autres journaux anticléricaux,

nationalistes, démocratiques, condamnés par l'épiscopat. Sans se tarir, sa veine polémique, pamphlétaire, se détend dans des Chroniques nuancées sur les paysages, les rues, les mœurs, les idées à la mode, la langue (mal) parlée et écrite » (Mailhot, 2002).

Une première rencontre entre journalistes se tient en 1850 afin d’améliorer « les relations entre membres de la profession ». Vers 1855, une poignée de journalistes tente de se regrouper à la suite d’une réunion de la Upper Canada press association, réunion qui leur avait donné l’envie de créer une association similaire pour le Bas-Canada. Cette association, dont nous n’avons personnellement pas trouvé de traces, aurait duré 20 ou 30 ans (Demers, 1989 : 27). Elle organise des rencontres avec des journalistes canadiens et américains, des excursions, etc.

« Elle s’attarde aussi aux tarifs postaux, à l’amélioration des services télégraphiques, aux moyens d’assurer le paiement le plus fidèle des abonnements et encore, à l’occasion, à prendre des mesures pour acquitter l’amende encourue par un confrère accusé de libelle » (Vennat, in Demers, 1989 : 27).

Cette tentative de regroupement précède d’ailleurs la création de la première association de journaux au Canada, la Canadian Press Association, fondée à Kingston en Ontario en septembre 1859, qui a encouragé, ensuite, à partir de la fin de la décennie 1910, la création de différentes associations, telles que la Canadian Daily Newspapers

Association (Jean, 1940-41 : 8-10).

L’un des soucis essentiels des journalistes est déjà – car nous verrons qu’il est récurrent depuis cette période - la présence d’amateurs et de ‘parasites’ au sein du groupe. Le journalisme n’est en effet pas toujours à la hauteur des espérances des grandes figures de cette fin de XIXème siècle :

« cette carrière enfin, le journalisme, n'est guère autre chose chez nous que le pis-aller des avortons de l'intelligence et des fruits secs de toute nature » (Buies, 1912 : 573-574).

Une tentative parallèle – et c’est le début d’une histoire récurrente pour le groupe des journalistes du Québec, celle de créations multiples et parfois désordonnées de regroupements censés les représentés – voit le jour en 1882. Au cours d’un banquet, au mois de décembre, quelques journalistes lancent officiellement les bases d’un nouveau groupement professionnel : La Presse Associée de la province de Québec, (elle sera

d’ailleurs incorporée légalement) (Arteau, 1948 : 351)5. Cette création représente le regroupement de journalistes le plus ancien que les archives retrouvées rapportent.

Fruit d’une discussion entre journalistes, ce regroupement prend appui sur des exemples d’associations étrangères, en provenance notamment des États-Unis, mais aussi du Canada et particulièrement de l’Ontario. Cette décision de fonder une association reposait sur l’idée que « l'isolement dans lequel vivaient les journalistes était infiniment préjudiciable au caractère et à la dignité de la profession » (Arteau, 1948 : 352)6. Le but du regroupement est de « travailler à l'avancement du journalisme dans cette province » (Arteau, 1948 : 353). Les fondateurs décident de défendre et de se battre pour des avantages et bénéfices professionnels. Afin de rompre l’isolement des uns et des autres, ils ont « en vue l’avancement moral d’une profession jusqu’ici bien négligée et bien maltraitée au Canada » (Presse Associée de la province de Québec, 1886 : 4-5). Au départ, 14 journalistes se réunissent et dressent une première esquisse programmatique dont les grandes lignes sont :

(a) - affiliation de l'association avec les associations de la presse aux États-Unis et en Europe ;

(b) - fondation de clubs locaux dépendant de l'association générale ayant des salles de lecture et une bibliothèque ;

(c) - échanges des journaux de la province avec les journaux et revues de l'étranger ; (d) - jouissance aux sessions, à Ottawa comme à Québec, des droits et privilèges accordés à la tribune de la presse ;

(e) - réduction des prix de voyage à bord des convois de chemins de fer et de bateaux à vapeur et des prix de pension aux hôtels ;

(f) - acte d'incorporation ;

(g) - excursion annuelle (...) pour permettre aux journalistes de se renseigner. (Presse Associée de la province de Québec, 1886 : 7-8).

5 En ce sens, les Canadiens français suivent finalement le mouvement des journalistes des autres

pays dans leur tentative de se rassembler. Ainsi, à la même époque, est créée, en France, l’Association et Syndicat de la Presse républicaine et départementale de France, en 1879 (Arteau, 1948 : 351-352).

6 La première réunion qui fera naître La Presse associée regroupe 14 journalistes, la seconde

Ce premier7 programme8 marque déjà fortement l’orientation du discours des décennies suivantes. L’attachement des journalistes canadiens-français à se rallier aux diverses associations nord-américaines (et non françaises ou francophones comme il sera davantage prôné ultérieurement) vise à rompre l’isolement dans lequel se trouvent les journalistes du Bas-Canada. Or, cette idée de liens avec le reste du Canada intervient à la suite des discussions intercoloniales sur le projet d’union fédérale et de la création de la confédération canadienne9 en mars 1867 ( Frenette, 1998 : 73). Certains ont d’ailleurs vu dans les conséquences de cette création « la reconnaissance de la nationalité canadienne- française » (Frenette, 1998 : 73). Il est d’ailleurs intéressant de noter que le document relatant l’historique, l’acte d’incorporation, la constitution et la liste des ‘dirigeants’ est bilingue. Une attention des rédacteurs et responsables des associations qui, par la suite, sera plus rare ; les documents seront de plus en plus rédigés uniquement en langue française.

Le programme démontre aussi l’intérêt des journalistes envers la défense de leur statut : leurs droits et devoirs relatifs à la tribune de la presse, leurs droits matériels concernant le transport, etc. Le document est très descriptif et s’attarde principalement sur les questions matérielles : les notions de prestige ou de défense des prérogatives des journalistes restent très vagues. Par contre, les tentatives d’aménagement ou du moins de cadrage du territoire d’exercice du métier sont déjà présentes. La Presse Associée n’accepte comme membres que :

« les personnes attachées régulièrement à la rédaction de journaux quotidiens, semi-quotidiens, bi-hebdomadaires et mensuels, publiés dans la province de Québec ; de propriétaires de journaux remplissant les fonctions de gérants ou administrateurs de journaux publiés dans la dite province; de gérants ou administrateurs de journaux publiés aussi dans la province, mais

7 Ce programme est le premier programme de journalistes que nous ayons retrouvé dans les archives

pour le Québec ; d’ailleurs l’Association sera, en 1948, qualifiée de « premier regroupement professionnel du genre au Canada français » (Arteau, 1948 : 351)

8 55 journalistes auraient donné leur adhésion au programme (Presse Associée de la province de

Québec, 1886 : 7-8).

9 La confédération canadienne permet aux Canadiens français du Québec de « bénéficier désormais

d’un appareil étatique qu’ils dirigent de façon non équivoque, malgré les limites imposées par le partage des pouvoirs avec le gouvernement fédéral » (Frenette, 1998 : 73).

n'étant pas propriétaires ; et des correspondants officiels et salariés de journaux canadiens ou étrangers » (Presse associée de la province de Québec, 1883 : article 2).

Sont exclus les actionnaires, « associés de montre » et correspondants d’occasion (article 3). Le terme de ‘journaliste’ n’est jamais employé. Les membres doivent être des personnes attachées régulièrement à la rédaction des journaux.

La composition de La Presse Associée paraît donc volontairement floue. Elle ouvre les portes aux employés et aux cadres, aux rédacteurs et aux techniciens. Elle amalgame les rédacteurs et les techniciens dans un souci probable de regrouper le plus de membres possible. L’absence de l’emploi du terme de ‘journaliste’ n’est, par contre, pas étonnante. L’édition du journal est souvent, à l’époque, l’œuvre personnelle d’hommes publics qui s’identifient à leur feuille. On les désigne, à l’époque, par le terme de « journaliste ». Ce journaliste n’est pas l’employé d’un journal, mais son éditeur, son propriétaire (de Bonville, 1988 : 157). Les employés des journaux sont désignés par la fonction qu’ils assument dans le journal. La principale fonction est celle de rédacteur :

« Le travail dans un journal du XIXème siècle est essentiellement une activité sédentaire qui consiste à fabriquer, à partir de textes empruntés ici et là ou en composant les articles, la feuille quotidienne ou hebdomadaire. L’ensemble de ces tâches incombe aux rédacteurs » (de Bonville, 1988 : 158).

L’Association compte, en 1886, une centaine de membres représentant 51 journaux et publications périodiques de la province. La Presse associée ne peut cependant être perçue comme le regroupement des forces de défense professionnelle du journalisme de la fin du siècle. Trois ans après sa création, ce regroupement compte à son actif une réception de journalistes ontariens, des excursions, des voyages à l’exposition universelle de 1885, en Gaspésie ou dans les cantons de l’Est. Les efforts portent avant tout sur les réductions des frais de transport et d’hébergement des membres, réductions obtenues pour des voyages ou excursions collectifs, mais encore rares pour les frais de la vie quotidienne. Les

revendications de nature professionnelle (éthique, par exemple) sont quasiment inexistantes10.

Cette idée de regroupement ne fait pas l’unanimité. La création de l’Association entraîne des réactions. Certains journalistes se félicitent de l’initiative, d’autres, au contraire, s’en agacent :

« si certains de nos confrères parlaient un peu moins d'eux-mêmes et un peu plus des affaires d'intérêt général, tout le monde y gagnerait » (cité in Arteau, 1948 : 355).

Cette opinion sur le regroupement des journalistes permet de faire émerger la faille à laquelle les fondateurs de divers regroupements vont se heurter. Le discours de l’ensemble des journalistes est constamment double – s’il n’est pas multiple – quant à la nécessité de se regrouper pour défendre des intérêts perçus comme corporatifs. Ce double discours tient en fait à deux courants d’opinion divergents concernant la ‘professionnalisation’ du groupe des journalistes. Certains y voient un processus nécessaire et vital pour le groupe, d’autres n’y perçoivent que la manifestation d’intérêts particuliers visant un encadrement strict et restrictif. C’est une des raisons pour laquelle les différentes associations ou unions ne regrouperont jamais, comme nous le verrons, qu’une partie, parfois minime, des travailleurs de l’information.

La création de La Presse Associée coïncide avec la naissance de ce qui va être appelé la presse de masse et de ce qui a été analysé par la suite, comme l’apparition du journalisme d’information (voir notamment de Bonville, 1988). L’urbanisation croissante de la province (notamment à partir de 1880) amène la population ouvrière à acheter et lire les journaux11. « Le ‘nouveau journalisme’ laisse de côté les dissertations savantes de la presse d’opinion. On découvre la nouvelle, le fait brut » (Godin, 1981 : 37-38). La presse commerciale est en plein essor. Les tirages passent de dix à cinquante et à cent mille

10 La Presse Associée de la province de Québec se serait éteinte aux alentours de 1918 (Arteau,

1948 : 355).

11 Entre 1850 et 1900, la proportion de la population urbaine du Québec double, passant de 15 à

exemplaires. Des changements de typographie, de contenu, de gestion, du prix de vente et d’abonnement et des modes de livraison sont effectués. Le quotidien se vend alors à un sou (Godin, 1981 : 44). Simultanément, le financement des journaux va connaître une véritable révolution avec la publicité.

Le dernier tiers du XIXème siècle voit apparaître une nouvelle facette du métier : le reportage (le terme ‘reporter’ se confond encore sémantiquement avec les rapporteurs et les nouvellistes). « A l’opposé du travail de rédaction, la tâche du reporter consiste à se déplacer pour recueillir des informations et les ‘rapporter’ au journal » (de Bonville, 1988 : 158)12.

Au Québec, l’utilisation des télécommunications pour la transmission des articles amène les éditeurs, par souci d’économie, à diviser le travail de collecte et de rédaction des nouvelles (de Bonville, 1988 : 169). Le recours à la publication d’extraits de journaux concurrents est toujours monnaie courante. Ainsi, avant l’installation du câble transatlantique, les feuilles européennes étaient les sources de nouvelles les plus importantes. Le travail du rédacteur consistait donc avant tout à la consultation de documents et à leur mise en forme (de Bonville, 1988 : 170). Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle, avec l’apparition de la presse de masse, que le travail de journaliste qui se « limitait naguère au découpage systématique des feuilles concurrentes et à une réécriture sommaire des textes retenus » s’oriente résolument vers le reportage et l’entrevue, vers le travail de terrain. « Reporters et correspondants deviennent alors les artisans les plus nombreux et les plus importants du journal » (de Bonville, 1988 : 188).

L’arrivée du reporter bouleverse les habitudes. Les menus événements de la vie quotidienne et surtout les catastrophes deviennent source de concurrence entre publications québécoises. Dans son roman intitulé Le débutant, Arsène Bessette prête à un reporter ces propos :

«Vous voulez parler de ceux qui posent aux savants, qui se préoccupent des questions sociales ou qui font de la littérature. Ce sont des imbéciles. De la

12 Le rapport au terrain, la constitution d’un carnet d’adresses, la prise de notes, le recoupement de

l’information et la maîtrise des entretiens sont des pratiques qui naissent de cette quête de l’information (Neveu, 2001 : 10).

littérature, il n’en faut pas dans le journalisme, pas de science non plus, mais de la politique quand ça paye, des histoires à sensation surtout » (Bessette, 1914 : 83).

Et c’est ainsi que dès le début du XXème siècle, les écrits parlent de ‘journalisme en crise’ et d’informations inexactes, de nouvelles fantaisistes, de récits sensationnels farcis d’illustrations : « c’est la prédominance de la presse jaune » (Héroux, 1905 : 42).

« L’ordre de présentation des protagonistes, de l’action et des circonstances de son déroulement, jusqu’au choix du ton et du vocabulaire approprié à chaque événement, est progressivement dégagé de la pratique (…) L’illustration devient un impératif : il faut parler à l’imagination » (de Bonville, 1988 : 171).

Le journalisme est alors défini, dans les mots d’un journaliste contemporain de l’époque comme : à toutes fins pratiques, l’information, la traduction et la correction d’épreuves (Héroux, 1905 : 42). L’arrivée du reportage est alors perçue comme un déclencheur de transformations qui dépassent la pratique quotidienne : la division du travail, la spécialisation, la monotonie, le rajeunissement des salles de nouvelles (Héroux, 1905 : 43). Ces transformations en conduisent certains à déplorer l’évolution du journalisme canadien-français :

« Ce journalisme, qui n’est guère qu’une entreprise politique ou commerciale, n’est pas assez un journalisme de doctrine et d’enseignement. Les nombreuses questions sociales, politiques, religieuses, historiques, artistiques dont il faudrait instruire le public, et qu’il faudrait traiter avec une compétence suffisante et sereine, sont le plus souvent et profondément négligées » (Roy, 1907 : 339-340).

La prose des reporters est alors perçue comme extrêmement faible, souvent incorrecte, elle constitue même « une insulte faite au journalisme canadien » (Roy, 1907 : 341-341). Les dérapages liés à l’arrivée de la pratique du reportage sont de même nature que dans les autres pays occidentaux : interviews fictives, rédaction d’articles sur des événements auxquels ils n’assistaient pas, invention des faits. Cependant, les lois canadiennes et québécoises sur la diffamation limitent l’action des journalistes. Les journaux se retrouvent parfois à la merci des personnalités publiques qui s’estiment

offensées. Les partis politiques, le clergé, les milieux financiers ou encore l’employeur sont autant d’acteurs qui cadrent l’exercice de l’activité journalistique. C’est dans ce contexte que se développe le journalisme d’information13, qui était en butte surtout à la mainmise du clergé sur le milieu médiatique, à la censure ecclésiastique, etc. Au tournant du XXème siècle, le clergé va ainsi redéfinir son rôle par rapport à la presse et s’efforcer de créer une presse catholique dynamique qui pourrait combattre le socialisme et le matérialisme (Beaulieu et Hamelin, 1966 : 324). Certaines idées, décrites par Camille Roy, semblent dominantes dans ce contexte :

« Ce qui importe par dessus tout, c'est le respect de la vérité, c'est le culte du fait. (...) Il s'agit ici, évidemment, de la vérité et du fait qui peuvent être sans danger offerts au public, qui ne souillent pas les yeux et qui ne dépriment pas la morale des lecteurs. Nous ne parlons pas des théories antireligieuses ou antinationales dont un journal ne devrait jamais se faire le missionnaire et le vulgarisateur... » (Roy, 1907 : 341).

Dans ce contexte changeant du début du XXème siècle, une nouvelle association, l’Association des journalistes canadiens-français, va tenter de se charger de la ‘glorification de la patrie’. L’Association entend jouer un rôle politique de premier plan en participant à l’éveil du sentiment national et en menant une « active campagne en faveur de notre langue, de son épuration, de sa conservation » (Le Menu, 1903 : 5).