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Des tentatives de représentation manquées

histoire des conceptions du journalisme et des journalistes au Québec

2.1 La lente maturation vers la constitution du groupe (1875-1965)

2.1.2 Le réveil syndical (1930-1965)

2.1.2.4 Des tentatives de représentation manquées

Cette période de 1930 à 1965 est marquée par de nombreuses initiatives de la part des journalistes afin de se rassembler et de coordonner leurs actions. Mais ces initiatives ne paraissent pas enthousiasmer l’ensemble des journalistes. L’U.C.J.L.F. ne parvient pas à se construire une place d’instance représentative de l’ensemble des journalistes et est constamment confrontée à l’éparpillement des adhésions des journalistes à de nombreux autres regroupements professionnels ou syndicaux.

2.1.2.4.1 Un enthousiasme mou pour l’U.C.J.L.F.

L’U.C.J.L.F. tentera, tout au long de son existence, de poser des jalons à une construction commune d’une certaine représentativité du groupe des journalistes du Québec. Mais, l’enthousiasme des journalistes n’est guère palpable. Dès 1957, au Congrès de l’U.C.J.L.F., Fernand Beauregard, alors journaliste-traducteur pour La Presse, explique aux membres présents que l’Union a failli à l’une de ses tâches principales : s’assurer le support de ses membres. Et c’est là que le bât blesse. Beauregard explique qu’il existe une antipathie marquée à l’endroit de l’Union, et que l’atmosphère qui l’entoure est tempétueuse ou marquée d’indifférence (Beauregard, 1957 : 1).

De nombreux discours de l’époque prévoient la disparition de l’Union et l’extinction des diverses associations. Le « rétrécissement et l’extinction » de l’Union est prévu dès 1957 (Beauregard, 1957 : 2). Mais c’est la dichotomie de l’Union, entre deux orientations l’une professionnelle, l’autre syndicale qui laisse planer l’équivoque et qui fait

dire à Jean-Marc Léger dans les colonnes du Journaliste, en 1961, qu’il faudra un jour opérer une distinction claire et nette et départager précisément les tâches (Léger, 1961 : 1).

L’U.C.J.L.F. se heurte donc régulièrement au scepticisme des journalistes, une méfiance parfois basée sur l’idée d’une influence majeure des journalistes de la presse quotidienne montréalaise au détriment des journalistes des autres régions (Gagnon, 1966 : 3). Elle œuvre d’ailleurs, selon les termes du président de l’ U.C.J.L.F., en 1966, « modestement, clopin-clopant, pour le journalisme du Québec » (U.C.J.L.F., 1966 : 2). L’existence de l’ U.C.J.L.F. est ponctuée de ‘post-mortem’ fréquents (Beauregard, 1964). Le peu d’enthousiasme entourant l’Union fera d’ailleurs dire à Pierre Vennat, ancien secrétaire général de l’U.C.J.L.F., qu’elle :

« n’existait qu’à titre consultatif, voyait gonfler ses effectifs à la veille de congrès intéressants, mais ne comptait souvent qu’une quarantaine de membres actifs tout au plus entre les congrès » (Vennat, 2000 : 19).

Ces divergences font immédiatement penser à l’intérêt mitigé des journalistes pour les associations de journalistes antérieures. Ce sera d’ailleurs une sorte de ritournelle à laquelle devront faire face toutes les instances se souhaitant représentatives, créées dans le contexte québécois et ce, jusqu’aux années 2000.

2.1.2.4.2 L’U.C.J.L.F., une union parmi d’autres

L’U.C.J.L.F. tente, tout au long de son existence, de batailler pour se faire une place comme ‘rassembleuse’ des journalistes du Québec, alors que, dans le même temps, chaque journaliste a la possibilité de s’inscrire à diverses associations : l’Association professionnelle des employés de postes radiophoniques (pour les journalistes radio) depuis 1951 (Demers, 1989 : 37), l’Association canadienne des syndicats de journalistes (A.S.C.J.) depuis 1963, et surtout l’Alliance des Syndicats de journalistes (fédération des syndicats de journalistes affiliés à la Confédération des syndicats nationaux) ou encore la Guilde des

journalistes, un syndicat affilié au C.T.C.62 (U.C.J.L.F., 1966b : 6). Du côté des propriétaires des entreprises de presse, les organismes sont aussi nombreux avec

l'Association des hebdomadaires de langue française du Canada63 depuis 1936,

l’Association des quotidiens de langue française (U.C.J.L.F., 1961 : 1), l’Association des radiodiffuseurs privés, etc. (U.C.J.L.F., 1966b : 6).

L’Union tente de définir son rôle et reconnaît elle-même, dès 1961, la distinction nécessaire entre les syndicats, la profession et les entreprises de presse (U.C.J.L.F., 1961 : 4). Les syndicats permettent d’améliorer le sort matériel des journalistes salariés, alors que la profession, que l’U.C.J.L.F. souhaite alors représenter, est « l’expression de la qualité particulière du journaliste, de son rôle et de ses responsabilités dans la société » (U.C.J.L.F., 1961 : 5). L’importance de la ‘professionnalisation’ ou du moins de l’avancée vers un statut professionnel est toujours de mise, du côté des discours de l’Union et des syndicats. Gérard Picard, alors président de la Fédération Canadienne de l’Imprimerie et de l’Information (C.S.N.), rappelle d’ailleurs, dans une allocution au congrès de l’U.C.J.L.F. de 1961, que les conventions collectives négociées par les syndicats au sein des entreprises de presse sont devenues en quelque sorte des laboratoires « où certains éléments d’un statut professionnel officiel sont mis au point avec l’accord du patronat » et qu’une idée de corporation professionnelle paraît, selon lui, peu probable (Picard, 1961 : 5).

L’Union doit, par ailleurs, s’imposer face aux clubs régionaux, lieux de formation pratique et de rencontres sociales dans de nombreuses régions du Québec, mais aussi par rapport aux cercles de presse (comme le Cercle de la presse d’affaires de langue française

62 Le C.T.C., le Congrès du Travail du Canada, est une centrale syndicale fondée en 1956 et issue de

la fusion de deux autres organismes. À cette époque, « avec environ un million de membres (250 000 au Québec), soit 80% des syndiqués canadiens, le CTC devient, de loin, le principal porte- parole du mouvement syndical canadien » (Rouillard, 1989 : 246).

63« Menacés de disparaître devant la concurrence croissante et agressive de la grande presse, les

hebdomadaires régionaux s'unissent pour vivre (...) naît l'Association des journaux ruraux de langue française d'Amérique qui devient, en 1936, l'Association des hebdomadaires de langue française du Canada. L'Association tente de redéfinir la mission de la presse régionale autour de trois pôles : l'information et la publicité locales, l'éducation populaire » (Beaulieu et Hamelin, 1966 : 337).

du Québec, le Cercle des femmes journalistes ou encore le Montreal Men’s Press Club) (Tiré à part64, 1968 : 2, art.1).

Finalement, en 1967, deux ans avant son extinction, l’U.C.J.L.F. ne représente toujours que 200 membres dont le quart sont des relationnistes65. L’Union demeure une structure parallèle à d’autres organismes tels que les clubs régionaux ou les syndicats. Ces derniers sont plus présents dans la vie quotidienne des journalistes (Tiré à part, 1968 : 2, art.1), même s’il apparaît que seul un tiers des journalistes qui pourrait être syndiqué, l’est, en 1966 (Vennat, 1966b).

Une des traces majeures de la forme identitaire du groupe des journalistes du Québec, entre les années 1930 et les années 1960, émerge grâce à cette reconstitution des discours des différentes instances. Cette trace se construit de l’opposition entre les tenants du professionnalisme et ceux prônant le syndicalisme. Le syndicalisme passe, pour certains, pour la défense nécessaire mais uniquement matérielle des conditions de travail, quand les aspects professionnels devraient revêtir des atours plus ‘glorieux’. A contrario, les défenseurs du syndicalisme s’insurgent contre ce « petit groupe d’idéalistes » et considèrent que seul le syndicalisme permettra aux journalistes d’accéder à un statut professionnel véritable (Guay, 1966b : 15). Cette dichotomie est le terrain de certaines tensions et oriente l’organisation institutionnelle du groupe des journalistes. Elle apparaît comme une caractéristique centrale du groupe qui conditionne certains discours et permet de mettre en place des stratégies discursives qui différent selon l’organisme auquel le journaliste appartient, mais surtout selon l’attitude que le journaliste ou l’instance optent vis-à-vis de cette dichotomie.

Cette dispersion des instances de représentation, cette opposition

professionnel/syndicaliste, le caractère d’auto-organisation vont se poursuivre, voire s’accélérer, à partir des années 1970.

64 Ce ‘Tiré à part’ est un document d’information publié sous la responsabilité de la mission formée

à l’issue du Colloque sur les problèmes professionnels des journalistes du Québec, tenu au Lac Beauport en avril 1968.

65 La population journalistique du Québec représentait à cette époque environ 1 000 journalistes