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Des velléités de reconnaissance officielle

histoire des conceptions du journalisme et des journalistes au Québec

2.1 La lente maturation vers la constitution du groupe (1875-1965)

2.1.2 Le réveil syndical (1930-1965)

2.1.2.2 Une volonté de représentation unifiée : l’U.C.J.L.F (1954)

2.1.2.2.3 Des velléités de reconnaissance officielle

Les écrits portant sur la volonté de reconnaissance, notamment par le milieu politique, du rôle ou d’un statut, même honorifique, des journalistes sont récurrents. Le manifeste du Menu, en 1903, avait déjà ouvert la voie aux velléités de reconnaissance du

50 Ce rapport, rédigé par M. Bourassa, professeur d’Université, portait sur l’analyse du contenu des

journaliste par une carte de presse, donc par un acte officiel. Dans les années 1950, les discours à ce sujet se multiplient et se rejoignent sur l’idée que « le journalisme au Canada n'est pas encore une profession légale ; nous n'avons pas de statut du journalisme » (O’Leary, 1955 : 9).

À cette époque, le chemin pour parvenir à l’obtention de ce statut semble passer par le syndicalisme. O’Leary, le président de l’Association Internationale des journalistes de langue française, le rappelle quand il parle de la ‘profession’ au Canada :

« Beaucoup se sont étonnés de nous voir établir notre profession sur la base syndicale ; les patrons eux-mêmes se rendent maintenant compte qu'il n'y avait pas d'autres moyens. Il fallait, pour obtenir sinon un statut professionnel vers lequel nous tendons, du moins un début d'organisation, tenant compte de notre situation de fait : salariés, notre premier stade d'organisation ne pouvait être que syndical » (O’Leary, 1955 : 9).

D’ailleurs, cette volonté de reconnaissance passe aussi par la légitimation de l’Union à un niveau international. En 1950, le Syndicat des journalistes de Montréal reçoit du Syndicat national des journalistes de France, une invitation à assister à son congrès annuel à Limoges. Au cours de ce congrès, une motion adoptée à l'unanimité encourage la création d'une association internationale de journalistes d'expression française. C’est ainsi que voit le jour l'Association internationale des Journalistes de Langue française (A.I.J.L.F.)51 qui permet au Canada de ne plus être représenté à la Fédération internationale des journalistes par les délégués des États-Unis ; ce qui était le cas jusqu’en 1952. Les journalistes obtiennent leurs propres délégués (O’Leary, 1955 : 9). Cette reconnaissance d’une certaine autonomie dans les délégations permet aux journalistes de prétendre, tout en posant le problème canadien-français ‘devant le monde’, de « rendre service à la nationalité à laquelle il appartient en même temps qu'il sert sa propre cause » (O’Leary, 1955 : 11). L’Union est d’ailleurs chargée, en 1957, de la publication d’un « bulletin d’information sur

51 Les premiers congrès de l’Association mettront de l’avant « la nécessité de poursuivre le combat

syndical non seulement pour l’amélioration des conditions matérielles de vie du journaliste mais aussi pour l’obtention d’un statut officiel, un recrutement plus sévère, une plus large liberté d’expression, notamment du point de vue du respect du secret professionnel, c’est-à-dire le droit pour le journaliste de ne pas dévoiler la source de son information » (Léger, 1955 : 338). Ces orientations montrent ainsi à quel point les objectifs professionnels de l’U.C.J.L.F. sont, à l’époque, partagés par d’autres groupes de journalistes nationaux.

le Canada, destiné à l’étranger, afin de faire le point sur des informations, parfois erronées, qui circulent à son sujet » (U.C.J.L.F, 1957d : 1).

Dans la même veine, l’U.C.J.L.F., qui a, en 1956, absorbé la section canadienne de l’A.I.J.L.F. (Léger, 1956 : 2), se réjouit, en 1961, d’être membre de la Fédération internationale des journalistes, de l’Association internationale des journalistes de langue française et de l’Union internationale de la presse catholique (U.C.J.L.F., 1961 : 5). Les représentants de l’Union se félicitent d’être l’instrument de présence des journalistes sur le plan international (Léger, 1956 : 1).

L’idée d’un rassemblement des francophones canadiens n’échappe pas non plus à l’U.C.J.L.F. qui souhaitait, dès 1958, former des sections dans les Maritimes et l’Ouest canadien avec les journalistes francophones de ces régions (Léger, 1958 : 5).

Les gestes posés par l’Union pour être reconnue au niveau international s’inscrivent simultanément dans le contexte provincial du Québec. C’est en terme d’« organisation de la profession » et de sa reconnaissance par les pouvoirs publics que les journalistes entendent débattre au cours des années 50. Les annonces se succèdent. O’Leary lance d’ailleurs une discussion à ce propos à la réunion plénière annuelle de l’U.C.J.L.F. en 1956, proposition qui suscite une large opposition et qui est « renvoyée à plus tard pour étude » (Léger, 1956 : 3).

Des démarches similaires se suivent. Ainsi, se félicitant de l’amélioration des conditions de travail, Jean-Marc Léger, dans Le journaliste canadien-français, tient à rappeler, en 1959, que :

« Maintenant qu'il a conquis en quelque sorte, grâce à l'action tenace et courageuse de ses syndicats, le ‘droit de vivre’ matériellement, le journaliste doit consolider son droit d'expression, organiser sa profession, manifester sa maturité dans un souci constant de réflexion, de recherche, de perfectionnement » (Léger, 1959 : 1).

Les différentes traces des discours réclamant la construction et l’assise de la profession de journaliste au Québec se multiplient au tournant des années 1960. La stratégie de l’Union va reposer sur la conception traditionnelle des professions et réclamer

des moyens de formation, un contrôle, un ‘code d’éthique’ et la consécration officielle par l’État (Léger, 1960 : 1).

C’est ainsi qu’un mémoire est déposé au premier ministre de l’époque, Jean Lesage. Le texte du mémoire a deux objectifs principaux : présenter les vues et les vœux de l’U.C.J.L.F. par rapport d’une part, à la profession elle-même et d’autre part, à certains grands secteurs de la vie nationale (U.C.J.L.F., 1960 : 4). Cet entrelacement des velléités professionnelles de l’Union et des idées du groupe concernant son apport à l’évolution de la société est relativement fréquent depuis le début du XXème siècle. Dans le Manifeste publié en 1903 dans Le Menu, le rôle du journaliste était la défense de la cause nationale, il est à présent, en 1960, le défenseur de la langue française.

L’objectif du mémoire est de présenter au gouvernement une volonté claire de se « rapprocher progressivement du statut de profession organisée » qui est présentée, à cette occasion, comme « le principal objectif à long terme de l’Union » (U.C.J.L.F., 1960 : 7). Les prescriptions sont de différents ordres : la nécessité de coordonner les informations fournies par le gouvernement ; la création de cartes officielles de journaliste et d’une ‘commission de la carte’ ; l’obtention de plaques d’immatriculation spécifiques pour les journalistes ; la création d’une École de journalisme ; un Journal officiel des débats au parlement provincial ; le service gratuit de l’Annuaire statistique et autres publications officielles de l’État provincial ; et enfin un statut de journaliste sanctionné par l’État (U.C.J.L.F., 1960 : 5-6).

La reconnaissance officielle du statut de journaliste par l’État est au cœur de ce mémoire et repose sur l’argumentation habituelle fustigeant les amateurs52. C’est ainsi que pour l’U.C.J.L.F.,

« La création d’une corporation représenterait pour la profession un instrument capital de stabilité et de progrès et faciliterait la mise en œuvre d’un code d’éthique, de normes de compétences et de règles de discipline » (U.C.J.L.F., 1960 : 7).

52 Il est mentionné dans le mémoire que « pendant longtemps le qualificatif de ‘journaliste’ a été

Le mémoire repose sur une conception traditionnelle de la profession qui pose que celle-ci doit, pour exister, obtenir un statut officiel, une formation, des codes de déontologie, voire un ordre professionnel (un thème que l’Union n’aborde pas dans son mémoire). Ces revendications sont ainsi exprimées en première partie du mémoire avant que ne soient présentées les conceptions de l’Union concernant les problèmes de la langue, de l’enseignement, du syndicalisme et des problèmes sociaux, l’Union souhaitant que le gouvernement intervienne davantage dans ces secteurs.

Ce mémoire ne semble pas avoir eu de suites politiques. Par contre, sa présentation officielle a, selon les documents de l’U.C.J.L.F., entraîné le dépôt d’un mémoire de l’Association des Quotidiens de langue française (A.Q.L.F.), association qui regroupe les propriétaires-éditeurs de quotidiens ; dépôt qui a, à son tour, suscité un nouveau document complémentaire au mémoire de l’U.C.J.L.F. Selon cette dernière, le mémoire de l’A.Q.L.F. met directement en cause l’Union, aborde des questions sur la profession et expose des thèses qui ne vont pas dans le même sens que celles prônées par l’Union (U.C.J.L.F., 1961 : 1). L’Union s’insurge de la vision paternaliste des propriétaires et du rôle d’employé subalterne dévolu aux journalistes. L’Union souhaite ainsi que la distinction entre les journalistes et l’ensemble des travailleurs salariés soit claire (U.C.J.L.F., 1961 : 2).

Mais les discussions sur la reconnaissance des journalistes par les instances publiques et le public ne s’arrêtent pas à cette période. Elles sont récurrentes. Des démarches sont ainsi réalisées, en 1961, par le président de l’U.C.J.L.F., auprès du procureur général, pour l’obtention d’une carte officielle de presse, sur le modèle de la commission de la carte en France. Mais l’idée d’une ingérence des pouvoirs publics dans les questions de la presse rebute le milieu, celui-ci semble préférer l’option d’une délivrance de la carte de presse par un éventuel Conseil de presse (U.C.J.L.F., 1966b : 8). C’est ainsi que lors des discussions de l’Union sur l’éventualité de la création d’un Conseil de presse (1965-66), l’idée de l’émission d’une carte de presse refait réellement surface. L’Union souhaite que soit établie une carte à valeur universelle qui permette d’identifier les journalistes professionnels et de ne pas laisser aux mains de diverses institutions et pouvoirs publics le soin de délivrer ces cartes de presse (U.C.J.L.F., 1966b : 7).

Un court mémoire à ce sujet est d’ailleurs présenté au secrétaire du Premier ministre, en 1967, en provenance de l’Union et de l’Alliance canadienne des syndicats de journalistes (A.C.S.J.)53. Dans la lettre accompagnant le mémoire, les propos semblent très encourageants puisque qu’il est indiqué que « le gouvernement semble à première vue favorable à ce projet » (U.C.J.L.F.-A.C.S.J., 1967 : 1). L’argumentaire de ce mémoire repose sur les moyens de faciliter le métier des journalistes et surtout de « se distinguer nettement d’éléments douteux qui utilisent abusivement le titre et réclament les privilèges de journaliste »54 (U.C.J.L.F.-A.C.S.J., 1967 : 2). Dans ce document, la stratégie est modifiée. L’Union et l’Alliance ne souhaitent plus que ce soit l’éventuel Conseil de presse qui soit chargé de délivrer cette carte, mais bien qu’elle soit émise par le gouvernement du Québec. Le titulaire de la carte serait capable de prouver qu’il tire la majeure partie de ses revenus de son exercice et qu’il respecte « les normes généralement admises de l’éthique professionnelle » (U.C.J.L.F.-A.C.S.J., 1967 : 3). À cet effet, une commission de la carte serait formée et constituée de deux sections, l’une francophone, l’autre anglophone et composée de représentants désignés par les employeurs, par l’U.C.J.L.F. et par l’Alliance canadienne des syndicats de journalistes.

Cette idée récurrente d’une création de la carte de presse est renforcée, à cette époque, par des difficultés rencontrées par les journalistes pour accéder à certains événements, notamment à des grèves, ainsi qu’à la tenue de l’Exposition universelle de 1967 à Montréal.

Ces différents textes sont extrêmement révélateurs de la conception de la profession telle qu’envisagée par l’U.C.J.L.F., et représentent une trace importante de la volonté de reconnaissance officielle du groupe des journalistes du Québec. Les discours autour d’une charte, de la formation et d’un conseil de Presse marquent les questions d’ordre professionnel véhiculées par le groupe. Ils ne parviennent pas encore à déboucher sur des gestes concrets, mais commencent à poser les bases des actions du groupe dans les années 1960.

53 Cette Alliance est fondée en octobre 1963 (Tiré à part, 1968 : 2, art.1) et est détaillée dans les

prochains paragraphes.

54 Cette insistance sur les citations portant sur les ‘éléments douteux’, donc sur les frontières du

métier, peut paraître redondante, mais elle est volontaire et sera explicitée plus en avant dans cette partie de thèse.