• Aucun résultat trouvé

Les discours collectifs et individuels

La forme identitaire professionnelle spécifique

1.3 La forme identitaire journalistique comme objet de recherche ?

1.3.2 Les manifestations discursives de la forme identitaire du groupe des journalistes

1.3.2.2 La production discursive comme manifestation de ces stratégies La construction, la cohésion, la transmission et la préservation de l’identité du

1.3.2.2.1 Les discours collectifs et individuels

La production discursive du groupe des journalistes comprend donc notamment l’ensemble des discours des instances de représentation du groupe et les discours des individus membres du groupe. Avant tout, la notion de discours renvoie ici à la « ‘manière de dire’ (parler/écrire) qui est plus ou moins attendue, codée ou improvisée selon un ensemble de conditions intentionnelles » (Charaudeau, 1997 : 39).

Il semble alors nécessaire de considérer que le discours dévoile les représentations professionnelles du groupe étudié et des acteurs observés. Évidemment,

« la représentation comme dimension de l’identité ne préexiste pas totalement au discours qui l’exprime. Elle constitue ‘une activité mimétique en tant qu’elle produit quelque chose à savoir précisément l’agencement des faits par la mise en intrigue’(Ricoeur, 1985). C’est ce passage du “représenté” à l’opératoire, du passif à l’actif, du “déjà produit” au “se construisant” qui permet de définir les identités comme des dynamiques pratiques » (Dubar, 1999 : 106).

Les représentations ne sont pas les seuls moyens d’accès aux discours du groupe. Mais elles construisent une organisation du réel véhiculée par du discours ou par d’autres

manifestations comportementales de l’individu. Elles fabriquent alors un discours de justification des échanges sociaux (Charaudeau, 1997 : 47). C’est ainsi que Van Dijk et Kintsch estiment que :

« To understand a discourse strategically as an action in an ongoing social interaction sequence means that the hearer makes assumptions about the intentions, purposes (represented goals), wishes, preferences, beliefs, opinions, attitudes, ideology, emotions, and personality of the speaker. This information may be drawn from episodic memory already established on others occasions about the speaker, or be inferred from the representation of the actual social context and communicative situation » (Van Dijk et Kintsch, 1983 : 83).

L’objectif de cette recherche sur la production discursive du groupe des journalistes vise alors à s’intéresser aux représentations du groupe d’appartenance ou de référence des membres, ces représentations composant une dimension fondamentale de l’identité. Celle- ci repose en effet sur un réseau de représentations professionnelles, qui sera activé en fonction de la situation dans laquelle se trouve l’individu ou le groupe et surtout pour répondre à une visée d’identification/différenciation avec d’autres groupes (Blin, 1997 : 187). Les représentations sont ainsi des modes spécifiques de connaissance du réel qui permettent aux individus d’agir et de communiquer (Fraysse, 2000 : 651). Elles seraient des prises de position signifiant des valeurs, instituant des normes29, délimitant le territoire symbolique d’expertise du groupe. Les constructions identitaires, activées dans une situation, interviennent ainsi « dans la mobilisation de certaines représentations, dans leur construction ou leur transformation » (Fraysse, 2000 : 653).

Cette importance théorique des représentations a été développée, au niveau de l’entreprise elle-même, par Sainsaulieu (1985) dans son étude sur les entreprises et les rapports de travail internes. Selon l’auteur, l’univers des représentations articulées en mythes, valeurs et symboles intervient profondément sur l’articulation des rapports entre

29 « Le sociologue distingue, dans la diversité des ‘paliers’ ou des ‘dimensions’ de l’expérience, les

normes, qui sont des manières de faire, d’être ou de penser, socialement définies et sanctionnées, des valeurs qui orientent d’une manière diffuse l’activité des individus en leur fournissant un ensemble de références idéales, et du même coup une variété de symboles d’identification, qui les aident à se situer eux-mêmes et les autres par rapport à cet idéal » (Boudon et Bourricaud, 1994 : 417).

acteurs, ainsi que sur la définition plus institutionnelle des règles et structures d’organisation et de travail (Sainsaulieu, 1985 : XI). C’est alors dans les mécanismes de reproduction d’une culture de l’entreprise que se situe toujours l’expérimentation concrète et immédiate des normes et valeurs transmises antérieurement. Cette expérimentation, sans cesse reprise, peut introduire un apprentissage de nouvelles significations, valeurs et idées, au point de modifier le contenu des messages transmis (Sainsaulieu, 1985 : 10). S’il existe des identités collectives, c’est que les individus ont en commun une même logique d’acteur dans les positions sociales qu’ils occupent (Sainsaulieu, 1985 : 303). L’identité repose alors sur une culture d’images et de représentations fortement articulées entre elles et symbolisées par de multiples connexions.

« La culture des normes et valeurs retenues exprimera en quelque sorte la leçon de l’expérience identificatoire. Elle emmagasinera sous forme de normes particularisées ou de valeurs plus générales, les atouts qui seront alors exprimés comme les éléments de culture du métier, du groupe, de la relation, de la hiérarchie, de la négociation... à laquelle on tient car elle désigne les voies d’accès à l’identité dans les circonstances hasardeuses de la vie de travail » (Sainsaulieu, 1986 : 282).

La logique d’acteurs présentée par Sainsaulieu (logique qui se révèle au travers des positions sociales que les individus occupent) se constitue de normes et de valeurs traduites dans des pratiques et des représentations collectives30. Cette logique d’acteurs lorsqu’elle

est appliquée à un groupe professionnel se traduit dans les pratiques et les représentations par la production d’un discours spécifique au groupe.

L’étude des représentations constitue alors un moyen parmi d’autres de saisir la signification des identités, dans la mesure où elles leur fournissent un cadre (Blin, 1997 : 169). Ces représentations articulent des objets significatifs de la pratique (dimension

30 Sainsaulieu estime que les contraintes de travail impriment des voies particulières d’accès à

l’identité. « Ainsi, l’identité des individus peut atteindre une certaine forme de rationalité, mais à la condition d’en appréhender le réel, de ne se retourner sur son expérience qu’au travers des catégories d’analyse qui rendent davantage compte de la position de la collectivité que de celle de l’individu. Les logiques ou rationalités que permettent de telles identités collectives sont sorties de l’imaginaire et du simple fantasme, mais elles sont fortement imprégnées de la masse, de la hiérarchie, selon qu’on est en bas de l’échelle ou plus haut dans la hiérarchie » (Sainsaulieu, 1985 : 335).

fonctionnelle) et des objets idéalisés (dimension de l’idéal). L’analyse des représentations donne alors à voir des identités s’affrontant dans le quotidien des interactions (Blin, 1997 : 201). Ces représentations ont quatre fonctions particulières :

- elles participent à la construction d’un savoir professionnel ; - elles définissent les identités professionnelles ;

- elles orientent et guident les pratiques professionnelles ;

- elles justifient les prises de position et les pratiques professionnelles (Blin, 1997 : 94-95).

Ces représentations qui circulent dans les discours sont à rechercher, dans l’objectif de l’étude de terrain, à deux paliers. Le premier renvoie aux déclarations publiques des instances représentatives du groupe qui sont les véhicules privilégiés de la défense de la forme identitaire du groupe. Ces instances professionnelles et syndicales ont pour mandat de veiller à la publicisation de la cohésion de l’ensemble vis-à-vis de l’extérieur ou de la hiérarchie, de réguler les modalités de définition du groupe, de tenter de maîtriser les « incidents » qui seraient susceptibles de déséquilibrer, de déstructurer ou de nuire à la stabilité présumée de la forme identitaire. Elles sont les porte-parole du groupe vis-à-vis des acteurs avec lesquels il interagit (les institutions, le public, les sources et les pairs) et les véhicules des représentations collectives construites et défendues par les membres. Le second palier renvoie aux représentations des individus qui dépendent du milieu dans lequel les acteurs exercent leur travail (Obin, 1995). La forme identitaire active nécessairement des représentations spécifiques en fonction du contexte dans lequel elle s’incarne ou dans lequel elle doit être mise en action. Les représentations permettent alors de fédérer le groupe et de fonder sa spécificité, une spécificité qui repose non seulement sur les acteurs, groupes et institutions propres au contexte, mais aussi sur les actions qui s’y développent (Fraysse, 2000 : 671-672).