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De nouvelles structures représentatives (1969-1975)

histoire des conceptions du journalisme et des journalistes au Québec

2.2 Un projet professionnel sous contrôle ? (1968-2004)

2.2.2 De nouvelles structures représentatives (1969-1975)

Deux nouveaux organismes vont être mis sur pied dans les années 1970 : une fédération syndicale, la Fédération nationale des communications (F.N.C.), regroupant une grande partie des syndicats de journalistes, tout en représentant aussi les autres métiers de la communication, et un Conseil de presse qui, après bien des négociations, verra enfin le jour. Au milieu des années 1970, le champ de la représentation professionnelle actuelle du groupe des journalistes du Québec est en place. Les prérogatives initiales des différentes instances semblent relativement claires. La F.P.J.Q. s’occupe du versant professionnel, la F.N.C. de la partie syndicale et le Conseil de presse de la défense morale des journalistes et des médias. Le maillage de la représentation et de la défense du groupe semble en place.

2.2.2.1 La F.N.C.74 et les combats syndicaux

Avant 1972, les syndicats de travailleurs des communications, qui avaient choisi de rejoindre la C.S.N., étaient affiliés soit à la fédération canadienne de l’Imprimerie et de l’Information, soit à la Fédération des employés de services publics (FNC1979C). Les syndicats de journaux, de la radio et de la télévision s’entendent finalement pour fonder une Fédération.

La Fédération nationale des communications (F.N.C.), branche de la Confédération des syndicats nationaux (C.S.N.), est créée en novembre 1972. Fédération de syndicats, elle a pour objectif la défense des intérêts économiques, sociaux et professionnels non seulement des journalistes, mais aussi des travailleurs du secteur des communications. La F.N.C. a choisi, dès le départ, d’opter pour le syndicalisme industriel qui implique que les syndicats locaux sont encouragés à accueillir de préférence tous les employés d’une entreprise. Elle a appliqué le principe à sa propre organisation en acceptant des syndicats représentants des métiers autres que celui des journalistes (Demers, 1989 : 125). Par

74 Il ne s’agit pas de réduire le regroupement syndical des journalistes à la F.N.C. Certains syndicats

sont regroupés, par exemple, au sein de la Fédération des travailleurs québécois (F.T.Q.). Il semble cependant que la F.N.C. regroupe la majorité des syndicats de journalistes. Son analyse a donc été privilégiée, puisqu’elle permet de faire émerger les enjeux principaux portés par les syndicats.

ailleurs, elle a souscrit, dès le départ, à la forme de syndicalisme de masse dont la visée est la « libération de la classe ouvrière de l’exploitation capitaliste » (FNC1979C).

Les anicroches qui apparaissent rapidement entre la F.P.J.Q. et la F.N.C. sont fondées sur la question de l’utilité de l’existence de deux organismes. La ritournelle entre ‘professionnel’ et ‘syndicaliste’, comme au temps de l’U.C.J.L.F. et de l’A.C.S.J., n’est pas réglée et se poursuit. Dans un document de 1973, la F.P.J.Q. tente de justifier son existence. Elle insiste sur le fait que la F.N.C. ne regroupe pas que des journalistes, que tous les journalistes ne sont pas syndiqués, donc qu’ils ne peuvent pas tous a fortiori être membres de la fédération syndicale. Finalement, elle s’appuie sur un discours portant sur la responsabilité sociale des journalistes vis-à-vis du public, ce rôle devant être assumé par la F.P.J.Q. ; le domaine des relations de travail étant dévolu à la F.N.C. (F1973DOC2). Cette opposition, présente dès les premiers pas de la construction du groupe des journalistes, repose sur la dichotomie entre intellectuels et ouvriers. Les deux fédérations se présentent comme :

« deux visages pour un même désir d’être reconnu, (…) deux façons de traduire les mêmes préoccupations, (…) deux pôles d’une même situation, celui de la différence (F.P.J.Q.), celui de la solidarité (F.N.C.) » (Demers, 1989 : 73).

Plusieurs conflits syndicaux importants vont marquer les années 1970 dans le milieu médiatique. Un nouveau conflit à La Presse dure 7 mois et entraîne la mort d’une manifestante (Dionne, 1991 : 54). La grève de 1975 au Devoir entraîne la création d’un comité consultatif d’information, ayant pour mandat d’évaluer l’information publiée dans

Le Devoir et d’examiner les moyens d’améliorer la qualité professionnelle de l’information.

Parallèlement, un conflit éclate au Soleil, en 1977. Le quotidien qui intéressait Paul Desmarais, le financier ontarien déjà propriétaire notamment de La Presse, est finalement racheté, en 1974, par l’entreprise UniMédia, présidée par Jacques Francoeur. Cette vente se réalise dans un climat tendu, le premier ministre libéral Robert Bourassa est d’ailleurs obligé d’intervenir pour contrer la vente à Paul Desmarais et certains journalistes de la salle de rédaction du Soleil mettent sur pied une coopérative pour acheter le journal, une démarche qui restera vaine (Fradet, 2001 : 90). Le climat de contrôle de la salle de rédaction, la frustration des journalistes et le parachutage de cadres, déclenchent la grève.

Les demandes syndicales portent alors sur deux points : l’obtention d’un plancher d’emploi et le respect intégral des textes des journalistes. Toutes les demandes font du conflit, un « conflit professionnel » qui va durer 10 mois. Les revendications syndicales aboutissent à la reconnaissance d’un certain contrôle sur l’embauche, à la modification de la procédure de censure de manière à donner le dernier mot au journaliste, à la reconnaissance du contrôle des journalistes sur l’édition et à l’extension des clauses sur la protection des sources, etc. (Deom, 1989 : 127-148).

Cette grève est largement révélatrice des tensions qui agitent le milieu médiatique. Elle représente un carrefour où se mêlent le débat et les conséquences de la concentration des entreprises de presse (la situation s’envenimant largement depuis le rachat par UniMédia et surtout depuis le débat entourant l’achat éventuel du Soleil par Paul Desmarais), les tensions entre affiliations politiques notamment entre les fédéralistes et les mouvances nationalistes largement présentes dans le milieu journalistique et particulièrement syndical, et les différents points de vue concernant l’organisation institutionnelle du groupe des journalistes du Québec. Cette grève repose en effet sur la défense des valeurs professionnelles par les syndicats, et questionne le rôle des patrons et des journalistes dans la diffusion d’information.

Au début des années 80, les journalistes du Devoir reprochent à la direction d’avoir changé de mission qui était de produire une information analytique et investigatrice. Ils réclament une participation accrue à la définition des politiques d’information au journal, par le biais du comité conjoint de l’information créé en 1976 (Godin, 1981 : 200). Les journalistes ne parviennent pas à obtenir de la rédaction qu’elle se dessaisisse d’une certaine partie de sa responsabilité quant au contenu et au choix de l’orientation du journal et à la sélection des cadres de la rédaction. Ils gagnent néanmoins le droit de participer à la planification de l’information grâce au comité paritaire de l’information.

Les grèves des journalistes des années 1970 se déroulent dans un climat général de radicalisation des centrales syndicales. Un premier front commun regroupant 210 000 travailleurs des secteurs public et parapublic affronte le gouvernement provincial au printemps 1972 ; un second front commun est organisé en 1975-1976, une grève générale est suivie, en 1975, par 1 200 000 syndiqués au Canada pour manifester contre les mesures

de contrôle des prix et des salaires instaurés par le gouvernement Trudeau75 (Dionne, 1991 : 54).

Pendant ce temps, la F.N.C. diffuse des avis et des recommandations sur l’exercice de la liberté d’information, sur le libre accès à l’information pour le public (FNC1978C ; FNC1978P). Mais dans les faits, elle tente de défendre la parité salariale, le projet de régime de rente contrôlé et administré par les syndicats, de développer la solidarité entre les syndicats (FNC1979D). Elle tente aussi d’encourager la création de syndicats, 25 nouveaux syndicats adhèrent à la Fédération entre 1976 et 1979, et représentent les secteurs de l’édition, de la photographie et du cinéma (FNC1979C). Évidemment, pendant la période des lourds conflits syndicaux, la F.N.C. distribue des secours de grève et pourvoie à certaines dépenses.

2.2.2.2 Le Conseil de presse

Le Conseil de presse, espéré depuis le début du XXème siècle, est finalement créé en mars 1973, alors que le débat sur l’éventuel achat du Soleil par Paul Desmarais est en pleine effervescence. Les associations patronales de la presse et la F.P.J.Q. finissent par s’entendre, au début des années 1970, sur la création d’un Conseil de presse québécois, sur le modèle revisité du Press Council britannique76. Le Conseil (C.P.Q) est formé, dès sa mise sur pied, d’une structure de participation directe du public au sein de ses principales instances décisionnelles. Cette organisation tripartite, regroupant patrons, journalistes et représentants du public, s’emploie à tenir son rôle d’ombudsman ou d’arbitre dans tout différend relatif à l’honnêteté, à l’exactitude, au libre accès et à la libre circulation de l’information, sans aucun pouvoir à caractère judiciaire qui pourrait lui permettre d’avoir une force coercitive et d’imposer des sanctions.

Le C.P.Q. est une autorité morale et un tribunal d’honneur, dont le poids repose essentiellement sur la reconnaissance de ses décisions et de ses positions par le milieu

75 Pierre Elliott Trudeau, homme politique, écrivain, avocat de droit constitutionnel, a été premier

ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984 (Whitaker, 2004).

76 Plus précisément, le Conseil de Presse a été créé par la F.P.J.Q., l’Association canadienne de la

radio et de la télévision de langue française, l’Association des hebdos de langue française du Canada, les quotidiens du Québec et Radio-Canada ; Radio-Québec a rejoint le groupe un peu plus tardivement (Sauvageau, et al, 1980 : 322-323).

médiatique, les autorités gouvernementales et judiciaires et finalement le public lui-même (Gosselin, 1986 : 127-128). Le Conseil a deux objectifs officiels : protéger le droit du public à l’information et sauvegarder la liberté de presse. Il est entièrement non gouvernemental, l’idée privilégiée étant que la meilleure façon de protéger la liberté de la presse est de ne pas légiférer. Le conseil n’a pas de pouvoir coercitif, il est véritablement pensé comme un tribunal d’honneur.

Il tente de s’inscrire, dès le départ, dans le débat sur la concentration de la presse, et espère convaincre le gouvernement de créer un organisme de surveillance des « transferts de titres de propriété des organes d’information définis comme ‘Mass Media’ ou de confier cette tâche à un organisme existant (C1973DOC). Le Conseil de presse tente de prescrire des lignes de conduite au gouvernement (C1975DEC), aux représentants publics (C1973DEC2), aux entreprises médiatiques, en se basant sur ce qu’il considère être sa raison d’exister : le droit du public à l’information et la protection de la liberté de la presse (C1973RAP). Au cours de ses premières années d’existence, le Conseil de presse semble principalement se porter à la défense des journalistes afin qu’ils puissent critiquer de façon opportune les politiciens (C1973DOC2), avoir accès aux informations gouvernementales (C1975DEC), protéger leurs sources (C1976AVI), avoir accès aux huis clos lors des audiences (C1977AVI). Il tente aussi de rappeler à l’ordre les syndicats et les journalistes, au cours des années 1970, afin qu’ils reprennent le travail et cessent les grèves, pour ne pas compromettre le ‘droit du public à l’information’ (C1977DEC2 ; C1978DEC).

Mais, le Conseil connaît, dès ses débuts, des assauts contestataires, voire une indifférence flagrante de la part d’une partie des journalistes et des entreprises médiatiques. Il est constamment obligé de rappeler son rôle de ‘conscience du monde de l’information au Québec’ (C1973RAP) et semble multiplier les avis publics pour tenter de se forger sa place.

2.2.3 La formation des journalistes se concrétise dans les années 1960-1970