• Aucun résultat trouvé

Une forme identitaire journalistique au cœur d’un ensemble d’interactions

La forme identitaire professionnelle spécifique

1.2 Les fondements de la forme identitaire du groupe des journalistes

1.2.2 Une forme identitaire journalistique au cœur d’un ensemble d’interactions

En sociologie des professions, l’identification professionnelle se construit dans la gestion des interactions avec le public (les usagers), les institutions publiques (le pouvoir) et les pairs (les autres travailleurs) (Dubar, 2000). Ainsi,

20 La Révolution tranquille peut être définie comme « le bref moment pendant lequel, fort d’un

large consensus social l’État québécois, son personnage principal, a été à la fois intensément réformiste et intensément nationaliste. Entre 1959 et 1968 en effet, c’est-à-dire du gouvernement de Paul Sauvé à celui de Daniel Johnson avec un sommet sous Lesage, l’État québécois a poursuivi en même temps un objectif de modernisation accélérée sur le modèle de l’État-providence et un objectif très net de promotion nationale des Québécois francophones » (Ferretti, 1999).

« The occupation must also have dealings, sometimes cooperative, sometimes competitive, with other occupations in and around their potential jurisdiction and with educational institutions. Both may have important influence on the course of the professional project. Finally, the occupation needs to present itself to the public in the way most likely to maximize its business returns and its social standing ; the most significant section of the public is clearly its potential clientele. (...) The other social actors just described are really only the most active elements in a social context composed of factors which range from social values to legislation and from the history, tradition and power position of other social actors to the latest technological innovations to impinge on professional work » (Macdonald, 1995 : 189).

Cette perspective a d’ailleurs été appliquée au journalisme par Siméant qui pose l’hypothèse selon laquelle :

« la constitution de pratiques déontologiques est liée à un travail de réglage anticipé des relations à l’égard de ces destinataires de la pratique journalistique que sont les lecteurs, les pairs et les ‘sources’ » (Siméant, 1992 : 38).

Le journaliste doit alors se situer à bonne distance de chacun de ces pôles. L’application des techniques déontologiques permet donc, à la fois, de marquer la dépendance du journaliste vis-à-vis des sources, des pairs et des lecteurs et simultanément d’incarner la nécessité d’une distance équilibrée par rapport à ces pôles (Siméant, 1992 : 39). Les relations des journalistes à ces pôles sont finalement « circulaires, permanentes, contextualisées, récursives et surtout paradoxales » (Pélissier et Ruellan, 2000 : 4), elles entretiennent la complexité de la profession journalistique.

Les relations paradoxales que les journalistes entretiennent avec leur milieu sont en ce sens pragmatiques et renvoient à cinq niveaux : les relations avec la règle, avec les pairs, le public, les sources et le produit (donc l’information) (Pélissier et Ruellan, 2000 : 5). Dans cette perspective, il s’agit pour le journaliste de gérer sa ‘distance’ au sein de ces cinq niveaux de relation. Cela rend alors plus évidente la difficulté à laquelle le groupe est confrontée dès qu’il s’agit de mettre en place un changement d’ordre professionnel (Pélissier et Ruellan, 2000). Dans une perspective similaire, quoique reposant davantage sur une démarche socio-discursive, le journalisme peut être conçu comme :

« l’interdiscours entre les trois instances impliquées que sont les professionnels (pairs), les sources et le public. (…) Cette interdiscursivité journalistique donne lieu à des variations axiologiques : les figures du lecteur, des sources, ou du journaliste sont construites sur des valeurs et des rapports variables » (Ringoot, 2003).

La dialectique de l’identité doit donc prendre en compte des identifications multiples en provenance de l’autre. Les interactions qui génèrent ces identifications deviennent le point névralgique de la construction de la forme identitaire professionnelle. Pour notre part, nous tentons de lier la perspective de Dubar (2000) et de Siméant (1992), afin de prétendre que les interactions les plus productives théoriquement relèvent de quatre relations du groupe des journalistes au public, aux institutions publiques, aux pairs et aux sources.

Les interactions avec le public sont de deux ordres. Elles relèvent d’une part de contacts sporadiques sous forme d’échanges écrits par exemple, et d’autre part de la représentation que les journalistes et le public se font les uns des autres. Le public est ainsi incorporé, dans les produits, comme public anticipé, le journaliste se forge une conception personnelle ou parfois organisationnelle des désirs et préférences de son public. En retour, le public est appelé à manifester sa confiance ou sa fidélité, il peut aussi déposer, dans le cas québécois, des plaintes au Conseil de presse.

Les relations du groupe des journalistes aux institutions publiques sont multiples. Elles relèvent d’enjeux divers liés notamment à la reconnaissance d’un statut, à la régulation des médias par les organismes publics, aux prescriptions issues de commissions parlementaires, etc. Ces interactions sont donc fondamentales dans le processus de construction et d’affirmation de l’identité du groupe des journalistes.

Le rapport du groupe des journalistes aux sources est par ailleurs un autre enjeu central et ambigu qui voit les sources parfois prendre un statut quasi ‘professionnel’ (Schlesinger, 1992) et développer des stratégies multiples pour parvenir à leurs fins (Charron, 1994). En retour, le journaliste est amené à adopter une posture critique vis-à-vis d’elles. Finalement, les journalistes doivent aussi gérer les interactions qu’ils peuvent développer entre eux et qui recouvrent souvent une certaine forme de concurrence entre

médias et entre journalistes, et renvoient aussi à une certaine « circulation circulaire » de l’information (Bourdieu, 1996).

Ces différents indicateurs, bien que présentés très succinctement, sont primordiaux dans la compréhension des ajustements réciproques que le groupe des journalistes et les acteurs qui interagissent directement avec lui doivent composer.

Ces interactions avec l’ensemble « public, institutions, pairs et sources » semblent avant tout discursives, car elles sont le reflet d’enjeux entre les journalistes et les différents acteurs sociaux, des enjeux liés à la visibilité de certaines sources, à la reconnaissance de l’expertise du journaliste, aux différents niveaux d’intervention ou d’abstention du rôle de l’État, aux débats sur le statut du groupe des journalistes ou plus largement sur son rôle convoité d’intermédiaire, voire de chien de garde de la démocratie.

Ces interactions sont continuelles et émergent, avant tout, dans les débats qui ont lieu au sein du groupe lui-même, mais aussi sur la place publique. Or, le groupe professionnel véhicule dans ses discours une image et une représentation de lui-même qu’il estime cohérente, vraisemblable et partagée par l’ensemble de ses membres. Les interactions avec l’ensemble « public, pairs, sources et institutions » lui renvoient en retour des discours sur lui-même qu’il partage ou qui le mettent en porte-à-faux par rapport à ses propres représentations. Ces interactions circulaires (qui renvoient complètement à la dialectique et à l’identification contingente) génèrent des réactions de la part du groupe et des acteurs avec lesquels il interagit et entraînent des tentatives constantes de diminuer les écarts entre les identifications revendiquées et attribuées par et pour le groupe.

Ces interactions orientent les actions du groupe qui doit affiner ses positions, les défendre, les ajuster. Elles renvoient directement à la prescription extérieure qui œuvre dans la formation de l’identité : celle-ci étant simultanément prescrite et acquise. La démarche s’inscrit donc directement dans une perspective qui permet de décrire « la façon dont les personnes se perçoivent mutuellement, et les mobiles qu’elles s’attribuent les unes aux autres » (Strauss, 1992 : 48).

Si cette remarque prend tout son sens pour Strauss (1992) dans l’analyse des interactions entre les individus, elle est aussi pertinente dans un contexte de groupe

professionnel et d’interactions de ce groupe avec d’autres acteurs sociaux et d’autres groupes.

1.2.3 Une forme identitaire reposant sur la défense du territoire et de