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3. Des contenus d’enseignement et des milieux didactiques que l’on peut déduire de la Méthode de 1803 176

3.3 Des différentes voix

Si l’on tient compte du contexte italianisant de la Méthode, nous soulignons un élément relativement étonnant: au chapitre (IV) traitant de la « DIVISION DE LA VOIX», cette classification est faite d’après le sexe des chanteurs, en ignorant ainsi l’existence des castrats : « Les voix se

187Il faudra attendre la seconde moitié du siècle pour trouver dans les Méthodes la problématique liée au changement hormonal et à la production vocale des femmes pendant les règles. A la Scala de Milan elles pourront, sous contrat, refuser de chanter pendant cette période.

134 divisent en deux genres ; savoir : en voix d’hommes, et en voix de femmes ». (Richer et al., 1803, p. 3). De Garaudé (c. 1809) est un des seuls à mentionner cette particularité qui concerne des voix italiennes188 : « Les voix aiguës sont celles des femmes, des enfants, et de certains chanteurs d’Italie. Les voix graves sont celles des hommes. » (De Garaudé, c. 1809, p. 6). Les voix des castrats (d’ailleurs comme celles des femmes, des hommes ou des enfants) peuvent être considérées comme aiguës, moyennes ou graves, critères néanmoins relatifs, en absence d’un référent fixe.

A leur tour, les voix sont divisées par la Méthode : « en Voix Grave, en Voix du Médium et en Voix Aiguë.» (Richer et al., 1803, p. 3). Avant l’uniformisation des savoirs, la Méthode doit expliquer les équivalences des voix, ce qui constitue une tâche assez complexe :

La voix grave des hommes est appelée par les français Basse Contre et par les italiens Basso. Celle du medium, les français la nomment Basse-Taille ou Concordat, et les italiens Baritono. Quand à la voix aigue, les français la distinguent en voix de Taille, et voix de Haute Contre mais cette distinction est illusoire, car un ton plus ou moins haut, plus ou moins nasal, ne donne pas un genre de voix différent, comme on le verra plus bas à l’article de l’étendue des différentes voix. Les italiens appellent la voix haute des hommes Tenoré, car chez eux la vraie voix de Haute Contre, appartient aux femmes. Nous croyons donc devoir appeller les trois voix d’hommes, par les noms de Basse, Concordant et Ténor. Les femmes ont également trois espèces, la Haute Contre, appellée Contralto par les italiens ; le Bas dessus, qu’ils appellent Mezzo Soprano : et le Dessus, qu’ils nomment Soprano.

Nous appellerons donc la voix basse des femmes Contralto pour ne pas choquer l’usage reçu en la nommant Haute Contre ; La voix du medium Bas dessus et la voix aiguë, Dessus ou Soprano.(Richer et al., 1803, p. 3-4)

Nous constatons dans cet extrait l’usage partagé d’une terminologie italienne et française ainsi qu’une volonté de stabiliser les nomenclatures pour imposer des références communes à une ou des générations de chanteurs.

Des registres

Dans un premier temps, la Méthode considère deux registres189 : de poitrine et de tête.

Curieusement, ces registres semblent concerner exclusivement les voix d’homme190 :

Les hommes ont deux REGISTRES ou deux espèces de voix ; l’un que l’on appelle de POITRINE, et l’autre de TETE, improprement dit Fausset. Pour produire les sons que l’on nomme de poitrine, l’impulsion doit être en effet donnée de la poitrine. (On observera que ces sons sont toujours ceux du grave et du médium de la voix). Ceux qu’on appelle de Tête, doivent être portés dans les Sinus Frontaux et les fosses Nasales. (Richer et al., 1803, p. 4)

A la « Section deuxième » (Richer et al., 1803, p. 12), la Méthode mentionne toutefois un troisième registre, celui du Médium191.

188 La castration n’est pas pratiquée en France chez les musiciens, c’est qui pourrait expliquer l’absence de mention dans les livres. Mais, De Garaudé en parle : il est élève du célèbre castrat, Crescentini, à qui il voue une grande admiration.

189D’après Cornut (2004) : « la série de sons qui sont produits par le même mécanisme » (Cornut, 2004, p. 27).

Cornut considère quatre registres : les deux principaux, mécanisme 1 (poitrine), mécanisme 2 (tête) ; mais encore le

« strohbass » ou « fry », dans l’extrême grave, et la voix de « sifflet » dans l’extrême aigu. (Voir Cornut, 2008, pp.

29-30)

190En France, dans le contexte de l’époque et d’après Castil-Blaze (1855) : la voix de contralto semble ignorée.

191Cornut fait allusion aux travaux de Roubeau qui « remet en question l’existence au niveau du larynx d’un registre mixte, avec ajustement progressif des contractions des muscles antagonistes. Pour cet auteur, la ″voix mixte″, que les chanteurs décrivent comme un passage progressif entre la voix de poitrine et la voix de fausset ou de tête, est en relation non pas avec un mécanisme laryngé intermédiaire mais avec des phénomènes acoustiques liés aux cavités de résonance. Il propose donc l’expression ″registre résonantiel″ pour définir cette modification du timbre vocal. » (Cornut, 2008, pp. 29-30)

135 Il est possible que ces énumérations (dont les contenus peuvent varier) ainsi que l’usage de terminologies dont les origines appartiennent à diverses traditions, constituent non seulement un signe de changement de pratiques langagières concernant la musique, mais des indices de transformations des pratiques désignées.

Certaines définitions incomplètes, voire contradictoires, seraient ainsi des explications de contenus d’enseignement en voie de stabilisation. Cette stabilisation est accomplie par le travail de transposition didactique ayant eu lieu avant l’évacuation de pratiques considérées comme

« défectueuses ».

Au chapitre V, il est question « De l’étendue des différentes voix d’hommes ». Nous nous sommes intéressée en particulier à la voix de ténor, dont les pratiques semblent très différentes de celles d’aujourd’hui. D’après la Méthode, cette voix peut monter jusqu’au La ou au Si bémol, mais il s’agit de cas considérés comme particuliers « que les français appellent Haute Contre ».

En effet, la Méthode ajoute : « les Tenors qui ont cette étendue sont si rares, qu’on ne doit pas en faire un genre de voix particulier. » (Richer et al., 1803, p. 5). Le livre précise : « Le Tenor prend la voix de tête au La192 hors des lignes, et la prolonge jusqu’au Ré et plus encore ». (Richer et al., 1803, p. 5)

Dans le même chapitre V, l’ « étendue des voix de femmes » concerne trois « registres » (poitrine, sans nom, et de tête). La voix de femme est considérée comme une voix « sans bornes » pouvant aller jusqu’au « Sur Aigue ».

Nous trouvons ainsi, selon les contenus traités, des terminologies comportant des catégories indéterminées ou des descriptions de pratiques qui de nos jours, nous semblent assez confuses.

Nous soulignons le fait que les voix graves des femmes sont ignorées en France, dans les livres de chant. Dans la réalité des pratiques, les femmes avec ce type de voix sont découragées à faire des études (De la Madelaine, 1864): la mode est à l’émission légère.

(Méthode de chant du Conservatoire de Musique, 1803, p. 5. Bibliothèque du Conservatoire de Genève.)

Enfin, au chapitre VII, « DE LA MUE DE LA VOIX » (Richer et al., 1803, p. 6), la mue concerne surtout les garçons. La Méthode ne s’oppose pas au fait que les jeunes garçons travaillent pendant la mue : « Avec beaucoup de précautions on peut faire chanter l’élève, même pendant la mue, mais avec modération et sans forcer les sons graves, et surtout les sons aigus de la voix » (Richer et al., 1803, p. 7).

192Rappelons-nous que le diapason n’est pas fixé, nous ne pouvons pas lire ce texte d’après les mêmes références que de nos jours. Nous pensons, d’après notre pratique d’enseignement, qu’il faudrait considérer l’équivalent à un ton plus haut que de nos jours.

136 3.4 De la position de l’élève pour l’exercice des gammes

C’est la « POSITION DE L’ELEVE POUR L’EXERCICE DES GAMMES » (Richer et al., 1803, p. 7) qui figure en premier, dans la Seconde Partie de la Méthode, s’occupant de la pratique.

Cette position concerne tout d’abord la bouche de l’élève:

Les défauts les plus contraires au chant proviennent souvent d’une position vicieuse de toutes les parties qui composent la bouche, ce n’est pas en celle-ci que le Son se forme, mais elles servent à le modifier. (Richer et al., 1803, p. 8)

Ces « défauts » ont leur origine dans la forme de la bouche, toujours d’après la Méthode, « trop petite, et trop grande », mais également dans la dentition (dents « trop longues » ou « trop courtes »), enfin dans « la mâchoire supérieure trop avançant sur l’inférieure […] » (Richer et al., 1803, p. 8). L’émission du son est présentée comme tributaire des caractéristiques d’une morphologie. La morphologie pourra – le cas échéant – être un critère d’évaluation lors des examens pour entrer dans l’institution.

La gamme figure comme exercice référence de base :

De tous les exercices du chant, celui des Gammes est le plus difficile, et le plus nécessaire. C’est avec celui-ci, quand il est bien dirigé, qu’on forme, qu’on arrondit, qu’on développe, et qu’on affermit la voix d’un élève ; c’est enfin par le même exercice qu’on parvient à corriger les défauts de la voix, et les vices naturels de l’organe dont elle est formée. Les anciens maitres de chant italiens recommandaient cet exercice de préférence à tous les autres, et nous avons plusieurs exemples qui prouvent la sagesse de ce conseil.

(Richer et al., 1803, p. 8)

Cette gamme, nous la trouvons dans la Méthode, déclinée en nombreuses variantes. D’après une base harmonique déployée en notes consécutives, les variantes sont progressivement proposées à l’élève. Cette organisation correspond à la logique de la théorie (Bourdieu, 1980) : les savoirs sont présentés au lecteur élémentarisés.

Nous la trouvons encore dans les exercices pour apprendre le legato-portamento, la logique d’apprentissage correspond toujours à celle de la gamme : un son après l’autre, la notion de legato comme « lien » entre deux notes, est construite. Et c’est toujours sur le schéma d’une gamme que ce type d’exercice est calqué. La problématique liée à l’expression est reléguée au deuxième plan. Ainsi dans « DE LA MANIERE DE PORTER LES SONS » (Richer et al., 1803, p. 15), les sons portés sont appris, d’abord séparés par un intervalle de seconde (Richer et al., 1803, p.

17), ensuite l’écart des intervalles sera de plus en plus grand.