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De la Méthode comme objet et de ses auteurs : description du livre

Richer, L.-A. ; Garat, P. ; Gossec, Fr.-J. ; Méhul, E.-N. ; Guinguené, P.-L. ; Langlé, H. ; Plantade, Ch.-H. ; Guichard, L.-J. ; Cherubini, L. et Mengozzi, B. (1803)

Richer et al. (1803). Méthode de chant du Conservatoire de Musique. Paris : Imprimerie du Conservatoire.

Description du livre :

La Méthode de 1803 contient 292 pages, elle est éditée dans un format de 32 cm. de haut (un peu plus grand que le format d’A4169). Les différentes premières éditions que nous avons consultées gardent la marque des moyens techniques utilisés pour les imprimer : la gravure. La Méthode est produite dans les locaux du Conservatoire à Paris, au N°152 du Faubourg Poissonnière.

Contrairement aux autres documents que nous avons analysés, la Méthode est le résultat d’un ouvrage collectif, rédigé par une commission composée de Louis-Augustin Richer (1740-1819), Pierre Garat (1762-1823), François-Joseph Gossec (1734-1829), Etienne-Nicolas Méhul (1763-1817), Pierre-Louis Guinguené (1748-1816), Honoré Langlé (1741-1807), Charles-Henri Plantade (1764-1839), Louis-Joseph Guichard (1752-1829), Luigi Cherubini (1760-1842) et par Bernardo Mengozzi (1758-1800)170.

A des fins d’analyse, nous avons divisé la Méthode en sept parties : 1. Page de « Grand titre »

167Selon Fétis : « Ancienne cantatrice dramatique et professeur de chant à Rome, au commencement du siècle présent, est auteur d’un bon ouvrage élémentaire pour l’enseignement du chant, intitulé : Grammatica, o sieno regole per ben cantare ; Rome, Piale et Martorelli, 1810 in (e. Une deuxième édition a été dans la même ville, en 1817, et Schicht en a fait une traduction allemande qui a paru chez Peters, à Leipsick. Postérieurement, madame Pellegrini-Celloni a donné un opuscule intitulé : Método breve e facile per conoscere il pianato della musica e sue dramazioni;

Rome, imprimerie de Romains, 18123, in-fol. De trente-deux-pages. Elle est morte à Rome, le 13 juillet 1833. » (Fétis, T. VI, 1864, p. 478)

168 Pellegrini-Celloni fait référence, comme nous allons le constater dans les exemples, aux savoirs de la mimésis.

169210 mm/295 mm, d’après les normes ISO.

170Références prises dans le catalogue du CNSMDP http://mediatheque.cnsmdp.fr

118 2. « Catalogue » (4 pages numérotées de 1 à 4).

3. « Avertissement » (i)

4. « Arrêtés relatifs à la confection de la méthode de chant du Conservatoire » (ii,iii)

Après ces pages introductives, le titre Méthode de chant, Première partie, signale le début du texte didactique. La numérotation est également initiée.

La suite est divisée en trois parties distinctes :

5. Une première partie « concernant le mécanisme de la voix » (pp. 1 à 7) divisée en sept chapitres : I171. De la voix (pp. 1-2). II. De la respiration (p. 2). III. De l’émission du son (p. 3).

IV. Division de la voix (pp. 3-4). V. Des registres des différentes voix (p. 4). VI. De l’étendue des différentes voix d’hommes. De l’étendue des voix de femmes. (pp.5-6). VII. De la mue de l’enfant. (p. 6).

6. Une deuxième partie « traitant de la pratique de la méthode » (pp. 7 à 85) divisée en huit chapitres (subdivisés en « Sections ») :

I. Position de l’élève pour l’exercice des gammes (pp. 7-8-9). II. De l’exercice de la gamme (pp.

9-10). III. De la vocalisation en général (pp. 11à 62). (De la manière d’attaquer les sons (pp. 11-12). De la manière de réunir les différens registres de la voix. (Exercices) (pp. 12-13-14). De la manière de porter les sons. (Exercices) (pp. 15-39). Des Agrémens du chant (pp. 40 à 62). (De la roulade. (Exercices) (pp.40à 48). De la Petite note ou Appoggiatura (Exemples) (pp. 48 à 52). Du trille (Exemples) (pp.52 à 56). Du petit groupe ou Grupetto (Exemples) (pp. 56 à 58). De la phrase musicale (Exemples) (pp. 58 à 61). Du Solfège (pp. 61-62). IV. De la Prononciation (pp.63-65). V. Des divers caractères du chant (pp. 65-66). (Du Récitatif pp. 67 à 75. Du cantabile pp. 75 -76). De l’Andante (p. 77). De l’Allegro pp. 77-78). Du Point d’orgue, et du Point de Suspension (pp. 78-79). De l’agitato (p. 79). De l’air syllabique (p. 80). Du Rondeau et des airs à deux mouvemens. (pp. 80 à 82).VI. De L’expression (pp. 82-83). VII. Des connaissances harmoniques et littéraires qu’un chanteur doit avoir (pp. 83 -84). VIII. De la conservation de la voix (pp. 84-85).

7. Une troisième partie contenant des « Solfèges de différens compositeurs, tant anciens que modernes » (pp. 86 à 290).

En abordant l’analyse des contenus de la Méthode, nous nous intéressons en premier lieu aux signes typographiques utilisés dans la page de titre.

2.1 De la page de titre de la Méthode de 1803

La page de titre de la Méthode de 1803 nous livre des indices intéressants au sujet du sens attribué aux termes employés. Par exemple, si nous comparons la taille des polices utilisées, elles mettent en évidence le fait que le mot « METHODE » est visuellement privilégié, mais aussi

« CONTENANT », le « Prix 36 f », enfin, « A PARIS ».

La Méthode annonce les contenus : « Les Principes du chant ; des Exercices pour la Voix ; des Solfèges tirés des meilleurs Ouvrages Anciens et Modernes ; et des Airs dans tous les mouvemens et les Différens Caractères. ».

L’ordre de présentation des contenus constitue un des enjeux de la Méthode : l’élémentarisation des savoirs vise la productivité.

Mais la Méthode se veut surtout le garant de « qualité » d’après des critères institutionnels. Le Conservatoire détient la clé de ce que les auteurs considèrent comme les « meilleurs Ouvrages », et comme ceux-ci sont puisés à la fois dans les « Anciens » et les « modernes », émerge la notion de répertoire. Elle vise également l’exhaustivité : les airs publiés couvrent « toutes » les variantes

171Nous avons indiqué les chapitres par des chiffres romains, et en gras, pour mieux les différencier des simples sections.

119 de « mouvemens » et de « caractères » ce qui relève d’une volonté d’une approche universelle du savoir.

Par contre, nous ne trouvons pas – comme dans les livres du XVIIIe siècle – de dédicace à un mécène à qui on prodigue en belle page des éloges, ni de lignes à l’intention du lecteur : après la Révolution, ce sont les valeurs institutionnelles qui comptent. Nous allons trouver des « arrêtés » qui témoignent des nouveaux liens avec le pouvoir, quelques pages plus loin.

(Méthode de chant du Conservatoire de Musique, 1803. Bibliothèque du Conservatoire de Genève.)

Suite à la page de grand titre, la Méthode propose quatre pages de « CATALOGUE ». Outre la fonction publicitaire, ces pages institutionnalisent un « répertoire » de musique majoritairement contemporaine. Notons que la notion ne fait pas encore référence, comme de nos jours, à la musique du passé mais à du « nouveau » :

120 Des ouvrages nouveaux de Musique Vocale et Instrumentale composant le Magasin de Musique du Conservatoire, tenu par M. Mrs Charles, Michel, Ozi172 et Compagnie, a Paris, Rue Bergère, N° 3. (Richer et al., 1803, p. 1)

C'est à l'Imprimerie du Conservatoire de Musique que la Méthode de chant a été éditée, « l'an 12 ». Nous y reviendrons.

Dans ces quatre pages de catalogue, nous trouvons une première section proposant des

OUVRAGES ELEMENTAIRES : les « Solfèges » du Conservatoire figurent en premier lieu, l’apprentissage de la lecture constitue le fondement de l’élémentarisation des savoirs.

Nous n’allons pas énumérer toutes les composantes du Catalogue, mais souligner le fait que le Conservatoire propose des partitions adaptées à la nouvelle conception de l’enseignement institutionnel. Ces partitions ont subi un travail que nous considérons comme de la transposition didactique : ces œuvres ont été « simplifiées » et adaptées à d’autres instruments, par exemple, des « OUVERTURES arrangées pour le Forte-piano » (Richer et al, 1803, p. 2). Enfin, à la page 4 des « AIRS DETACHES, Avec accompagnement de piano ou de harpe » ou encore des « RECUEILS DE Morceaux Italiens » (Paisiello et Marchesi), et en dernier lieu des « HYMNES GUERRIERS » (Méhul), restes d’un répertoire révolutionnaire que plus personne ne chante et qui ne tarderont pas à disparaître des catalogues.

2.2 Des différents co-auteurs de la Méthode

Les membres de la commission chargée de la rédaction du livre ont des fonctions diverses.

Un des co-auteurs du texte est l’homme de lettres Guinguené, le seul de la commission qui n’est pas musicien professionnel. Dans une note de bas de page (p. ii) on peut lire : « Le Citoyen Guinguené membre de l’Institut National, auteur d’une partie des excellens articles Musique insérés dans l’Encyclopédie méthodique, a bien voulu réunir ses lumières à celles de la Commission pour la formation de cet ouvrage » (Richer et al., 1803, p. ii). Guinguené recueille la tradition des spécialistes et entreprend le travail final de scripturalisation. Il est chargé de transformer le langage des chanteurs-musiciens en savoirs scripturalisés.

Quelques années avant la publication de la Méthode, dans la correspondance échangée entre Guinguené et Sarrette (lettre du 08.11.1801), nous trouvons des informations intéressantes concernant la rédaction de l’ouvrage :

Vous trouverez ci-joint, non pas encore toute la méthode de chant, mais la plus grande partie, celle qui est toute élémentaire et qui suffirait seule pour occuper pendant assez longtems les classes. Vous aurez le reste dès que je pourrai. J’ai cru devoir mettre fort peu du mien dans ce travail, fait et rédigé avec tant de soin et produit de tant de lumières. Je me suis borné à mettre les points sur les i ; c’était, en vérité, ce qu’il y avait de mieux à faire ; mais tout est revu avec beaucoup de soin et j’oserais répondre qu’il n’y a pas une virgule de trop ou de trop peu. Le peu d’additions ou de modifications que je me suis permis aura pour juge la commission entière, et ce qu’elle décidera sera bien décidé. (Pierre, 1900, p. 142)

Ces précisions nous permettent de déduire que la scripturalisation des savoirs d’expression a été, pour la commission, une tâche laborieuse. Soulignons encore l’emploi du verbe « occuper » : en attendant d’être initiés à l’expression, les élèves sont « occupés » à acquérir la « technique ».

Grâce à l’ « AVERTISSEMENT » nous pouvons déduire l’apport particulier d’un des auteurs, Mengozzi173:

172Au sujet de Charles, Michel, Ozi et Compagnie, voir article sur Rousseau : http://rousseauassociation.ish-lyon.cnrs.fr/publications/TOC/PL3/PL3-Bermingham.pdf

173 Nous aimerions souligner le fait que les éditions Fuzeau ont publié la Méthode de chant de 1803 en fac simile,

mais ont commis une erreur en considérant Mengozzi comme auteur de l’ouvrage. Cette attribution a déjà été reprise par des chercheurs comme Juvarra (2007) dont les ouvrages sont largement divulgués en Italie. Nous insistons : il s’agit d’un livre écrit par une commission désignée par une institution. Du point de vue didactique, cette démarche

121 Il est convenable d’informer le lecteur que Bernardo MENGOZZI membre du Conservatoire, enlevé trop tôt à la musique et surtout à l’Art du Chant, faisait partie de la Commission qui a établi la Méthode de Chant du Conservatoire. Ceux qui ont entendu cet habile chanteur et qui ont apprécié sa METHODE, n’auront plus à regretter que les parties fugitives de son talent ; le sentiment, le goût et la pureté qui le caractérisaient ; puisqu’il a déposé, dans cet ouvrage, les principes qu’il avait puisé dans l’école du célébre Bernacchi, et qu’il les a appuyés d’observations excellentes sur la bonne école italienne, et sur les vices qui se sont introduits, depuis quelque tems, dans l’art du Chant, même en Italie.

La Commission a ajouté le travail de MENGOZZI, à la somme des connaissances positives qu’elle a réunies, pour la formation de cet ouvrage si important pour la musique.

Mengozzi est engagé en France tout d’abord par le Théâtre de Monsieur (1789), premier théâtre italien à Paris. Ce ténor est quelques années plus tard nommé professeur de chant du Conservatoire de Paris (1795).

Mengozzi représente la tradition, celle de la « célèbre » école de Bernacchi. Rappelons que Mancini (dont la réédition du traité en français vient d’être publiée en 1790, (cf. Analyse 7, p.

247), a été également l’élève de Bernacchi, et Mancini vante précisément les avantages d’un enseignement personnalisé, qu’il a reçu de Bernacchi, de même que Mengozzi. Nous émettons de forts doutes que Mengozzi, formé en Italie, ait été partisan de l’uniformisation des savoirs ! Deux pages (ii, et iii) complètent l’authentification de la Méthode. Il s’agit des « Arrêtés relatifs à la confection de la Méthode de chant du Conservatoire » (20 nivose an XI de la République).

Le citoyen Cherubini est nommé « Rapporteur pour présenter cet ouvrage à l’adoption de l’Assemblée Générale des membres du Conservatoire » (Richer et al., 1803, p. ii). D’après le même document, nous apprenons que trois jours après, Cherubini communique l’ouvrage à l’Assemblée Générale « après avoir exposé l’ordre suivi par la Commission, dans la confection de son travail, le Rapporteur le soumet article par article à la discussion. » (Richer et al., 1803, p.

ii). Enfin, « A la suite d’un examen approfondi, l’Assemblée adopte à l’unanimité la Méthode de Chant présentée par sa Commission pour servir à l’étude dans les classes du Conservatoire » (Richer et al., 1803, p. iii).

L’arrêt de la Direction est formulé sous forme d’un ordre: « La Méthode de Chant adoptée par les membres du Conservatoire, servira de base à l’enseignement dans les classes du Conservatoire de Musique. » (Richer et al., 1803, p. iii).

A l’intérieur de la Méthode, les savoirs institutionnalisés sont imposés de manière très ferme. Par exemple, dans la « Seconde Partie » du livre figure :

[…] il sera essentiel que le maitre place toujours l’élève vis-à-vis de lui, dans tous les exercices qu’il lui fera faire, afin de pouvoir l’arrêter sur le champ, lorsqu’il verra qu’il n’exécute pas exactement ce qui est indiqué dans la Méthode. (Richer et al., 1803, p. 8)

De nos jours, cet avertissement nous interpelle principalement pour deux raisons. Tout d’abord, dans l’action d’enseigner, le face à face avec l’élève nous semble le rapport le mieux adapté à communiquer des savoirs. Le fait qu’en 1803 l’institution doive l’imposer comme norme constitue un indice que ce positionnement n’est pas habituel.

Ensuite : les contenus de la Méthode sont imposés par l’institution de manière stricte. Pouvons-nous déduire qu’il y a d’autres contenus dans les leçons ? Pour devoir insister avec tellement d’autorité sur l’application des enseignements du livre « officiel », nous pensons que c’est bien possible…

Ces deux détails annoncent d’importants changements de pratiques imposés par le Conservatoire de Paris. Par rapport aux manières de faire usuelles. Ces nouvelles pratiques ne seraient pas encore intégrées dans le quotidien des maîtres.

de dépersonnalisation, caractéristique de la démarche transpositive, transforme des savoirs en savoirs à enseigner (Chevallard, 1985/1991).

122 Cette situation n’est pas sans présenter des analogies. Le langage de la Méthode nous rappelle le langage employé dans certains textes de loi : à quelques mois d’intervalle est publié le Code civil des Français174. Des points communs sont à souligner dans la production des deux textes: le Code et la Méthode. Par exemple, une partie des lois sont issues de pratiques sociales de référence, le droit coutumier : la Méthode institue des pratiques d’après la tradition. Une commission est chargée de rédiger le texte de loi, c’est un groupe d’ « experts » qui le produit : la Méthode est également rédigée par une commission. Le code est présenté à l’Assemblée175 nationale : la Méthode de chant est approuvée par l’Assemblée du Conservatoire. Le Code civil de Napoléon est adopté comme modèle par d’autres codes européens : la Méthode, également approuvée par Napoléon, constitue le modèle de beaucoup d’autres livres de chant, partout en Europe.

Quelles ont été les conséquences de la scripturalisation des pratiques sur la transformation des contenus d’enseignement et de ces mêmes pratiques ? Depuis le début du XIXe siècle, de nombreux livres se succèdent et prétendent livrent les « secrets » de l’ancienne tradition vocale.

Nous pensons que ce sont précisément ces écrits qui contribuent à la construction d’un paradigme du « beau chant », comme tradition uniformisée. Ceci constituerait un non-sens : la variété serait précisément la première caractéristique du belcanto.

3. Des contenus d’enseignement et des milieux didactiques que l’on