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2.1 L’art du chant des Français : De Bacilly

Les Remarques curieuses sur l’art de bien chanter publiées en 1668 sont connues également sous le nom de L’Art de bien chanter de De Bacilly. Ce livre est considéré comme le premier traité de chant écrit en langue française. Pourtant, bien avant la parution de l’ouvrage, d’autres auteurs avaient écrit sur la voix, comme Zarlino (Les Istitutioni Harmoniche, 1562, Cap. X, p.

77), Zacconi (Prattica di musica, 1596), ou encore Mersenne (1636). Ces trois auteurs ont en commun le fait d’avoir traité de la voix, mais contrairement à De Bacilly, ils l’ont fait dans une approche encyclopédique, parmi d’autres sujets. En outre, L’Art de bien chanter se différencie des anciens écrits par le fait qu’il s’agit d’un ouvrage écrit par un chanteur, pour des chanteurs : à l’époque, cette démarche n’est pas – comme de nos jours – habituelle.

241 Dont on retrouve actuellement sur le site Gallica de la BNF l’original en consultation libre.

167 A la fin du XVIIe siècle, le métier de « chanteur » ne semble pas clairement différencié de celui de « musicien ». Dans le premier chapitre de son livre, De Bacilly aborde précisément le fait qu’:

« il n’y a [...] rien de si équivoque que le mot de Musique ». (De Bacilly, 1679, p. 3) ; et se demande: « Si l’on peut sçavoir la Méthode de Chanter sans sçavoir la Musique » (De Bacilly, 1679, p. 7). De Bacilly essaye de définir ce terme de « musique ». Parmi les définitions qui circulent de son temps, De Bacilly procède à des choix :

Je n’entens point parler de la Musique, en tant qu’elle est prise pour l’Art de composer ; mais seulement je la considere comme l’Art de chanter sa partie ; & de cette maniere il est certain que l’on ne peut se rendre parfait dans le Chant sans le secours de la Musique. (De Bacilly, 1679, p. 7)

En Italie, au XVIIe siècle, le musicien qui ne sait que chanter est considéré comme ayant eu une formation…déficitaire. D’après De Bacilly, en France, beaucoup de musiciens ignorent la composition ou le jeu d’instruments : le métier de musicien est mal considéré. Le livre sur l’art vocal émerge ainsi dans un contexte où les musiciens, de plus en plus, ne savent « que » chanter.

De Bacilly entreprend une tâche difficile : celle de transposer des savoirs qui jusque-là étaient transmis essentiellement de maître à disciple. A travers les essais qu’il fait pour définir les savoirs et fixer une terminologie, il jette les bases d’un immense chantier : celui d’un travail de scripturalisation aboutissant, à peine un peu plus d’un siècle plus tard, à la formulation de savoirs à enseigner (Chevallard, 1985/1991). De Bacilly ne dispose pas d’une tradition assez significative d’écrits pour pouvoir le faire.

2.2 Description du livre

Le livre de De Bacilly est assez volumineux, presque 500 pages, mais ce qui nous a frappée au premier abord, c’est son unité thématique. Dans la première page, l’auteur annonce: « Ouvrage tres-utile, non seulement pour le Chant, mais même pour la Declamation » (De Bacilly, 1679, p.

Titre/2). Si l’on prend à la lettre ses déclarations d’intention, De Bacilly s’adresse à des praticiens, des chanteurs et à des orateurs, notamment des compositeurs et des maîtres, et délivre des règles qui leur seront utiles au moment de composer, ou de chanter/parler en public. Il ne s’agit pas d’un manuel à utiliser en classe, mais d’un livre dont le but est tout d’abord la divulgation, en l’espèce, de savoirs d’après certaines normes.

Si nous excluons la dizaine de pages d’Avant-Propos et de Table de matières, ainsi que le

« Discours qui sert de réponse à la Critique de l’Art de chanter » (qui occupe une trentaine de pages), les Remarques sur l’art de bien chanter, et particulièrement pour ce qui regarde le Chant François, dans l’édition de 1679, comporte un volume de 428 pages entièrement consacrées à l’art vocal : nous n’avons pas trouvé d’autre ouvrage équivalent auparavant.

L’auteur a divisé l’ouvrage en trois Parties :

– Une Première Du Chant en general, (pp. 1-243) divisée en treize chapitres qui concernent des réflexions variées, comme par exemple sur l’art, la méthode et les dispositions des chanteurs ; sur le choix d’un maître, sur l’expression (sentiment) utilisée, ou encore l’usage des

« passages ».

– Une deuxième Partie, de 117 pages, De l’application du Chant aux Paroles quant à la Prononciation (243-326) divisée en sept chapitres. Elle est consacrée aux principes de la bonne prononciation.

– Une troisième Partie, de 101 pages, De l’application du Chant aux Paroles pour ce qui regarde la quantité (pp. 327- 428) divisée en six chapitres. Elle traite des syllabes longues et brèves de la langue française.

Cette répartition nous semble significative: sur un total de 428 pages, nous avons 184 pages consacrées à la prononciation et à la quantité syllabique. En outre, l’auteur souligne l’importance

168 de cette dernière partie, qu’il considère, au début de l’ouvrage, comme : « la principale fin de ce Traité »242 (De Bacilly, 1679, p.1). D’ailleurs, il reviendra à plusieurs reprises sur cette affirmation dans le livre.

Pour privilégier l’approche de la vocalité, qui nous semble d’un grand intérêt didactique à ce stade d’organisation des savoirs vocaux, nous avons choisi d’analyser les 241 pages (Première Partie) qui traitent des contenus et des pratiques de transmission de la voix. Nous n’aborderons pas les deux parties du livre qui concernent la prononciation et la quantité, même si les contenus sont également d’un grand intérêt.

2.3 Des Privilèges du Roy

Dans la dernière page du livre de De Bacilly figure: « Par Grace & Privilège du Roy, Donné à Paris le 22 Janvier 1668 » (De Bacilly, 1679, p. 429). Ce privilège243 autorise l’auteur à

« imprimer, vendre & debiter, […] par le temps de sept ans entiers & accomplis, à compter du jour que le dit Livre sera achevé d’imprimer pour la première fois. » L’auteur est également protégé contre des possibles contrefaçons, pour lesquelles d’éventuels contrevenants seront – toujours d’après le document – poursuivis.

Dans l’Histoire de l’édition française, Martin (1984) a abordé précisément la problématique de la production du livre dans la période qui nous concerne. Comme l’explique Martin, « La direction des lettres » est une forme de pouvoir qui s’est matérialisée par un important dispositif :

La production est régulée grâce au mécanisme de privilèges, la surveillance des presses françaises et le contrôle des frontières afin d’éviter l’entrée dans le royaume de mauvais livres que la censure préventive aurait empêché de paraître dans le royaume même. (Martin, 1984, p. 73)

Le monde de l’édition est étroitement surveillé (Netz, 1997). Les chants ont des paroles, dont les contenus peuvent déranger certains. D’après Roche (1984), une censure centralisée par le pouvoir agit, avant même la sortie d’un livre, et contrôle à l’époque de De Bacilly les principales institutions produisant de l’écrit:

La censure préalable ne se manifeste en sûreté que sur le circuit légal. L’étape décisive a été franchie en ce domaine à la fin du XVIIe siècle, au terme d’une transformation qui a vu progressivement la censure royale s’imposer au-dessus de tous les autres organismes de contrôle, Université, Eglise, Parlement, dans la mise en place définitive du système de privilèges et des permissions. (Roche, 1984, p. 89)

D’après le même auteur, il s’agit d’une période de crise, caractérisée par des jeux de pouvoir, où l’Université « perd le monopole de la surveillance que lui avait délégué François Ier, par suite de la création des censeurs royaux (1623)244 » (Roche, 1984, p. 89). Même l’Eglise « ne conserve plus qu’un droit de réprobation quand les ouvrages sont déjà entre les mains des lecteurs »245 (Roche, 1984, p.90).

Roche (1984) retrace la transformation de la censure durant les deux siècles qui précèdent la Révolution246 :

242 Selon De Bacilly : « […] dans la troisième, de la Quantité des Mots François qui se trouvent plus communément dans le Chant, & du Moyen de discerner les Syllabes longues d’avec les bréves, qui est la principale fin de ce Traité. » (De Bacilly, 1679, p. 1)

243 Massip (1999) explique l’acquisition d’un autre privilège par De Bacilly, déjà en 1661. Il concernait la publication d’airs « gravés au burin », mais aussi un « Traitté de la methode de chanter »: « Bacilly avait obtenu un privilège de dix ans, le 10 janvier 1661, enregistré le 13 avril 1661. » (Massip, 1999, p. 145)

244 Roche insiste : « Le système de contrôle instauré à partir des années 1630-1640 n’a, en fait, été utilisé avec efficacité que dans les années 1670-1680. (Roche, 1984a, p. 99)

245 D’après Roche : « Seuls les livres de théologie et de piété sont soumis à une double autorisation, celle des autorités ecclésiastiques, celle des censeurs royaux. Dès la seconde moitié du XVIIe siècle la mécanique du contrôle est laïcisée. » (Roche, 1984, p. 90)

246 Selon Roche : « A la fin du XVIIIe siècle, son action est à la fois de refoulement et d’intégration. La force des idées était soumise au frein d’un arbitrage tolérant et de moins en moins efficace et utile. Le contrôle et la bonne

169 Au XVIIe siècle, elle a surtout servi à lutter contre tout ce qui s’opposait au triomphe de l’idéal monarchique et de la réformation catholique. Dès 1700, le groupe d’érudits et de clercs regroupés par l’abbé Bignon a utilisé sa force pour imposer une vision du monde, de la religion, de la société déjà éclairée et moderne mais, en même temps, hostile aux cultures populaires et à l’esprit critique: donc à toute science dangereuse parce que non conventionnelle. (Roche, 1984, p. 93)

L’idéal de De Bacilly est conforme aux principes des académiciens : son texte obtient les Privilèges du roi, « protecteur » de ces derniers.

2.4 La manière de dire à l’origine du clivage social

De nos jours, le chant classique est revendiqué comme une spécialité par des groupes sociaux, qui ignorent le plus souvent d’autres manières de chanter247. A la lecture des documents anciens analysés, nous déduisons qu’au XVIIe siècle, ce clivage entre pratiques ne serait pas encore à l’oeuvre ni même défini, dans le contexte de la vocalité. A titre d’exemple, Zacconi (1596, p. 47) distingue les maestri dell’arte et les dilettanti248, ce que nous considérerions de nos jours – mais dans un contexte très différent – comme des professionnels et des amateurs.

Par contre, nous trouvons déjà chez Doni (1635) un discours méprisant envers d’autres pratiques que les pratiques académiques :

Bien qu’une sorte de mélodie à une voix s’est pratiquée depuis toujours, avec accompagnement d’instruments ; ces vulgaires rangaines ne doivent pas être prises en compte, qui sont chantées presque sans art ni grâce devant des gens simples et idiots, comme parmi les aveugles, [ces mélodies] encore aujourd’hui on peut les entendre un peu partout. (Doni, 1635, p.100)

E se bene in ogni tempo s’è praticata qualche sorte di Melodia a una Voce, con l’accompagnamento d’instrumenti; non debbono però entrare in questo conto quelle volgari Cantilene, che quasi senz’alcun arte, o gratia, e per avanti si cantavano dalle persone semplici, & idiote, come da’ciechi; & ancor hoggi in ogni paese per poco si sentono.

Soulignons le fait que, contrairement à Doni, Zacconi ne considère pas les dilettanti comme des

« ignorants » dont les pratiques seraient « défectueuses », mais simplement des chanteurs qui chantent pour le « plaisir » et qui n’ont pas les connaissances des premiers. La différence nous semble très significative : chez Zacconi, diverses approches de la pratique sont admises. Chez Doni, et plus tard chez De Bacilly, seul le chanteur agissant d’après certaines normes est reconnu par des élites qui sont en train de se constituer. Néanmoins, le fait que De Bacilly doive rappeler ces différences serait l’indice que le clivage n’est pas encore effectif : le discours de De Bacilly contribue d’ailleurs à instaurer cette différence : il ne faut pas confondre chanteur et ménétrier.

Par exemple, il conseille : « Il est à propos qu’un Maistre sçache bien la Langue Françoise, non pas comme le vulgaire ; mais je veux dire qu’il connoisse fort bien le sens des Paroles, la Prononciation, & la Quantité » (De Bacilly, 1679, p. 66). Le chanteur « vulgaire » dont la seule exigence serait d’avoir de la voix249 émerge comme un chanteur « primaire » dont la spontanéité de ses actions charme par la seule « beauté » du timbre. Par contre le chanteur défini d’après l’idéal académique est nécessairement doué de: « la Voix, la Disposition250 & l’Oreille, ou Intelligence » (De Bacilly, 1679, p. 33). De Bacilly nous explique que l’Oreille/Intelligence (que

marche du commerce du livre s’accommodent comme ils peuvent. A la veille de 1789 le système de la censure fonctionne à vide. » (Roche, 1984, p. 93)

247 Nous pouvons affirmer, également, que ceux qui s’intéressent aux musiques actuelles, ignorent souvent le classique.

248 Les premiers capables d’improviser en connaissant les principes de la composition.

249 Selon De Bacilly : « lesquels avantages le vulgaire confond mal à propos, donnant tout le merite du Chant à la Voix qui le produit, sans considerer que fort souvent on a de la Voix, sans bien chanter & mesme sans pouvoir jamais y parvenir, faute de Disposition, ou d’Intelligence. (De Bacilly, 1679, p. 33)

250 Dans les dictionnaires du XVIIe siècle, la Disposition signifie entre autres, « aptitude » : « Il signifie encore, Inclination, genie, aptitude à quelque chose. » (Dictionnaire de l’Académie Française, 1694, p. 285)

170 nous traduirions dans un langage actuel par « avoir de l’oreille musicale251, ou musicalité»), constitue un « don » inné. Nous avons en effet trouvé cette conception ailleurs, assimilée à l’Intelligence252 : le don est défini dans le Dictionnaire de l’Académie (1762) en opposition à

« l’étude et au travail », ce qui nous confirme sa nature de «don » inné.

De Bacilly contribue à établir ce clivage entre pratiques en parlant avec mépris des ménestriers253. L’auteur fait référence ici à la pratique de ces chanteurs :

[…] tant cet Exercice s’est rendu méprisable par le peu de gens qui ont eu soin d’y joindre un peu d’Etude des Lettres & de Politesse dans le Langage, & qui se sont bornnez à ce Talent, sans penser à se corriger des défaut qui d’ordinaire l’accompagnent je veux dire pour les mœurs & pour savoir converser parmi le monde ; ce qui fait que l’on confond la qualité de Chanteur avec celle d’un Menestrier. (De Bacilly, 1679 Réponse, p. 5)

Soulignons un fait, du moins étonnant : De Bacilly ne compare le chanteur « classique » à quelqu’un qui maîtrise un art vocal différent de celui du ménestrier, mais dessine une frontière selon des utilisations…, la frontière dans l’utilisation du langage et des bonnes manières, dans un contexte moralisant. La vocalité ne serait qu’un prétexte, elle émerge comme condition pour appartenir au groupe de chanteurs « savants » seulement des années plus tard. De Bacilly insiste sur la reconnaissance de ces élites de chanteurs:

Il est vray qu’à parler sincerement le Chant n’est pas estimé comme il le devroit ; que c’est assez pour estre méprisé que de Passer pour un Chanteur, & que souvent cette qualité loin d’honorer celuy qui la possede semble étouffer ses autres Talens. (De Bacilly, 1679 Réponse, p. 5)

Le discours de De Bacilly annonce une nouvelle manière de faire, celle du chanteur soliste dans un contexte académique. L’historienne Massip (1999) situe ces pratiques innovantes vers le milieu du XVIIe siècle : « Indépendant de la tradition polyphonique, Lambert nous paraît le premier véritable maître de la monodie en France. » (Massip, 1999, p. 283). Lambert est âgé d’une dizaine d’années de plus que De Bacilly.

Comment cette notion de « vocalité solistique » est-t-elle arrivée en France ?

De Bacilly est formé par Nyert, chanteur ayant séjourné à Rome. Nous reviendrons sur ce fait.

Au moment où De Bacilly écrit son livre, la vocalité en France est reléguée à l’ornementation.

Pourtant, De Bacilly insiste sur le fait qu’il ne suffit pas de « bien » chanter mais qu’il faut

« bien » prononcer:

Il seroit donc à souhaiter que ceux qui veulent cultiver ce bel Art, eussent du moins quelque connaoissance grossiere de la langue Françoise, & sur tout un peu d’Ortographe qui les empescheroit de tomber dans mille inconveniens que je remarque tous les jours. (De Bacilly, 1679, Réponse, p. 6)

De Bacilly débute ainsi son ouvrage en soulignant l’importance du « bien » dire, et généralise l’« ignorance » des musiciens, ses contemporains. Par cette critique, il essaye de convaincre le lecteur :

J’estois le seul qui pouvois l’entreprendre, par la raison que comme j’ay quelque Etude des Lettres, un peu de connoissance pour la Poësie & pour la Declamation, joint à un Genie particulier, j’avois cet avantage par dessus les autres, qui n’ont esté elevez que dans la Musique de pouvoir établir des Regles de Quantité pour ce qui regarde le Chant François, desquelles toute la Regularité dépend. (De Bacilly, 1679, pp. 3-4)

251 D’après Lexilogos CNRTL : « Distinguer avec précision la justesse des sons et apprécier la musique; p.

extension, être sensible à l'harmonie du rythme et des sonorités verbales. »

252 Selon le Dictionnaire de l’Académie française, (4ème éd.) (1762) « En termes de Peinture, il se dit Des parties qui ont plus de rapport au goût de l'Artiste, qu'à l'étude & au travail. Ainsi on dit, La science du dessein, & l'intelligence du clair obscur. » (DAF, 1762, p. 941), http://portail.atilf.fr

253 D’après Charles-Dominique (1994), les ménestriers sont quasi exclusivement des hommes, et des instrumentistes. Mais, De Bacilly fait allusion à eux – probablement comme groupe social – pour identifier des chanteurs à leurs pratiques.

171 De Bacilly consacre plus d’une centaine de pages de son traité à la prononciation : ce n’est pas un hasard. Au XVIIe siècle, la bonne prononciation devient un milieu didactique à travailler, notamment dans les métiers utilisant la parole. Pourtant, nous aimerions souligner le fait que contrairement aux idées reçues, cette importance donnée au « dire » serait également

« importée » des pratiques des Italiens, partisans du recitar cantando. En effet, avant le voyage de De Nyert (1633-1635) en Italie, la prononciation en France ne semble pas avoir été particulièrement valorisée. De Bacilly insiste maintes fois sur le fait qu’un des problèmes qui empêchent les « maîtres ordinaires » de « bien » montrer serait « qu’ils ne prononcent pas assez bien chaque syllabe pour faire exécuter les mesmes choses à leurs escoliers. » (Mersenne, 1636, p. 356). Cette affirmation nous permet de déduire que malgré tous les livres donnant des règles sur la prononciation, celle-ci est toujours apprise par imitation. Ce qui instaure un rapport très particulier à la partition d’une œuvre écrite.

Comment les chanteurs abordaient-ils une partition, en France, à la fin du XVIIe siècle ?

Le musicologue Rogers (1995) s’est intéressé aux modes de lecture des airs de cour et affirme:

« Ils se caractérisaient par une grande liberté rythmique. L’absence presque complète de barres de mesure permettait à la ligne mélodique de se déployer librement, avec un naturel proche du langage parlé ». (Rogers, 1995, p. 509). L’écrit fonctionne comme un aide-mémoire. Le rapport à la vocalité et à l’écrit musical aurait encore beaucoup de points communs avec le chant pratiqué hors des cercles académiques254. Ultérieurement, la lecture « fidèle » à l’écrit serait une démarche propre à des sociétés où l’autorité appartient à ceux qui décident des modes de lecture, académiciens et éditeurs : ce n’est apparemment pas encore le cas.

2.5 De la diversité, avant la normalisation des savoirs

Encore au début du XVIIe siècle, l’existence d’une grande variété de pratiques en Europe est attestée par divers auteurs. L’ingénieur De Caus (1615) affirme, quant aux particularités des musiciens des différentes « nations » :

Sy l’on donne une certaine piece de Musique à chanter à un Italien, il le chantera d’une autre façon que ne fera que ne fera le François. L’Espagnol aura aussy une façon toute autre, & aussy l’Alemand. Et chacun pense que sa façon est meilleure.(De Caus, 1615, p. 54)

De Caus ajoute :

La façon usitée en France à faire les dites Tirades255 est fort propre en choses gayes. Mais s’y l’on veut chanter quelque air, ou le subiect soit lamentable, alors la façon usitée en Italie ou en Espagne sera plus propre. (De Caus, 1615, p. 54)

Grâce aux comparaisons de De Caus, nous pouvons déduire qu’en France, l’ornementation aurait un rôle essentiel d’embellissement, approche commune à celle pratiquée par les instrumentistes.

D’après la lecture des partitions contemporaines de Mersenne et de De Bacilly – et comme l’a

D’après la lecture des partitions contemporaines de Mersenne et de De Bacilly – et comme l’a