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3. Des contenus d’enseignement et des milieux didactiques que l’on peut déduire de la Méthode de 1803 176

3.7 Des agréments

Les auteurs de la Méthode ont eu une tâche particulièrement ardue, en voulant uniformiser les pratiques concernant l’ornementation. Au début du XIXe siècle, les pratiques sont encore très variées. La Méthode classe les ornements d’après quatre variantes : roulade, petite note ou appoggiatura, trille, petit groupe ou gruppetto. Les auteurs considèrent la roulade (trait rapide de notes conjointes) et le trille « parmi les agrémens du chant, ceux dont l’exécution est la plus difficile » (Richer et al., 1803, p. 40). En bas de page [N°10] les auteurs insistent encore sur le fait qu’il ne faut pas chanter lourdement comme s’il s’agissait d’un « éclat de rire »198 :

Dans cette méthode défectueuse d’exercer les Roulades, qui malheureusement ne s’est que trop propagée, sur-tout parmi les chanteuses modernes en France, on voit précisément la différence qu’il y a entre la véritable manière de chanter et sa charge. (Richer et al., 1803, p. 40)

Nous avons comparé le classement des ornements d’après la Méthode avec les contenus de Pellegrini Celoni, et avons découvert que la pédagogue italienne procède à d’autres choix. Elle considère uniquement trois types d’ornements : « 1. L’appoggiatura. 2. Il Trillo. 3. Il Mordente. » (Pellegrini Celoni, 1810, p. 29). L’auteure donne très peu d’explications, mais conseille par exemple dans le trille de le battre avec la poitrine (c’est-à-dire de le soutenir) et non avec la

198 Toujours d’après le livre : « Cette manière d’exécuter la Roulade est appellée CHEVROTER. Ce défaut une fois contracté, est très difficile à corriger. » (Richer et al., 1803, p. 40)

140 gorge et la langue, que l’auteure conseille de maintenir basse. La bouche doit rester ouverte de manière « juste ».

Pellegrini Celoni suppose que le maître produise le modèle, l’effet recherché du trille est celui de ce que l’auteure appelle le « granito », c’est-à-dire à la fois légèrement martelé et legato.

Nous aimerions souligner encore que l’auteure, avant d’aborder le trille, consacre une section aux « moyens conduisant à alléger [agilitare] la voix » (Pellegrini Celoni, 1810, p. 15). Afin d’acquérir cette agilité, l’auteure propose des exercices simples, par exemple des suites de tierces. Pellegrini Celoni recommande de les travailler tout d’abord lentement, puis progressivement de choisir des tempi plus rapides. L’auteure propose ainsi douze exercices relativement courts (proches de ceux que nous trouvons dans les solfèges à la française). Ensuite, la pédagogue incite à travailler des Solfeggi d’après l’ancienne tradition, c’est-à-dire des mélodies beaucoup plus longues remplies de difficultés, dont le trille.

Cette alternance entre exercices plus anciens et plus modernes est l’indice que nous sommes dans une période de transition entre l’ancienne tradition (travail par imitation) et une approche élémentarisée de savoirs formalisés et institutionnalisés.

Du trille et de la roulade

Dans la Méthode, les appellations françaises comme celle de cadence (qui désignait le trille) sont ouvertement censurées. D’après les auteurs :

Le TRILLE, en italien TRILLO improprement appelé Cadence, est un des plus beaux agrémens du chant, le plus nécessaire à acquérir, et le plus difficile à enseigner, attendu qu’il n’existe aucune règle précise d’après laquelle on puisse déterminer l’action des organes du gosier, dans l’exécution de cet agrément. (Richer et al., 1803, p. 52)

Néanmoins, nous trouvons un indice (de nouveau en bas de page) qui nous prouve qu’en début du XIXe siècle le terme « trille » est encore peu utilisé en France. La Méthode renseigne : « Dans ce mot, les deux L sont dures et non mouillées, et doivent se prononcer comme dans ville. » (Richer et al., 1803, p. 52). Si le terme « trille » était d’usage habituel, ce ne serait pas nécessaire de préciser sa prononciation !

La Méthode reconnaît encore la difficulté à définir le trille et son mode de production, c’est-à-dire d’après l’action des « organes du gosier ». Les auteurs font ainsi référence à « La méthode qu’employent les anciens maitres d’Italie » (Richer et al., 1803, p. 52). L’apprentissage de ce procédé en dehors de ce que la Méthode préconise est ainsi proscrit :

Sans cette précaution, et en laissant à l’élève la faculté de Triller à sa fantaisie, on risquerait de lui faire contracter ou le défaut de chevroter en martellant toujours le même son avec vitesse, ou un autre défaut, qui consiste à faire le Trille avec un intervalle à peu près de Tierce, au lieu d’un intervalle de Ton ou de Demi-Ton. (Richer et al., 1803, p. 53)

La Méthode conclut :

Il y a d’autres exemples du Trille ; mais ceux que nous avons donnés étant les principaux, et ceux dont l’usage est le plus fréquent, nous nous dispensons d’en produire d’avantage. (Richer et al., 1803, p. 55)

Nous aimerions conclure notre analyse du trille dans le contexte de la Méthode, en soulignant une pratique qui nous étonne : le trille apparait dès les premières leçons, bien avant d’être expliqué. Ceci constitue une circonstance inhabituelle dans un livre qui vante les qualités de l’élémentarisation des savoirs. En effet, le trille figure une première fois à la p. 18 de la Méthode, écrit en toutes notes comme aboutissement des « Exercices pour porter la voix » (Richer et al., 1803, p. 17).

141 (Méthode de chant du Conservatoire de Musique, 1803, p. 18. Bibliothèque du Conservatoire de Genève.)

Ensuite, nous allons le retrouver comme conclusion systématique des exercices proposés, excepté pour les traits en sons « Piqués »199. (Richer et al., 1803, p. 38), et pour les roulades (Richer et al., 1803, p. 41).

(Méthode de chant du Conservatoire de Musique, 1803, p. 41. Bibliothèque du Conservatoire de Genève.)

Curieusement, nous avions retrouvé le même procédé (qui préconise de vider préalablement l’air en émettant un long son unique en messa di voce) dans l’exercice pour apprendre le portamento.

De nos jours, ces pratiques sont de toute évidence oubliées.

Les roulades partent également d’une longue note en messa di voce (toujours 20 secondes de durée), l’élève exécute ensuite un trait contenant une gamme de huit notes (par exemple de do à do, à l’octave supérieure). La raison de l’absence du trille serait simple à expliquer : la roulade ou le trille sont considérés comme un même exercice:

La meilleure qualité du trille est celle qu’a cet agrément lorsqu’il se forme dans le gosier, sans que l’impulsion procède de la poitrine, et lorsque les deux sons qui le composent sont liés et martelés pour ainsi

199L’on peut supposer que le phrasé piqué, réservé aux « Dessus très aigues » (Soprani coloratura), est incompatible avec la « technique » de souffle (presque absence d’air) du trille. L’absence de legato du trait en staccato ne préparait pas l’élève au soutien particulier, à partir d’un corps stabilisé par un débit réduit d’air en fin de phrase : le trille, comme conclusion serait ainsi abandonné. Plus tard, au XIXe siècle, on voit apparaitre dans les partitions des traits piqués et des trilles alternés, les « techniques » ont certainement évolué.

142 dire en même tems, comme en faisant une Roulade, qui n’est au fond qu’un Trille déployé. (Richer et al., 1803, p. 53)

Nous expliquons ces similitudes entre les exercices de la gamme, portamento et trille d’un point de vue technique : il s’agirait d’un même apprentissage, l’articulation du gosier, c’est-à-dire un mécanisme résultant d’un mouvement spasmodique du larynx, qui serait favorisé par l’usage d’un débit restreint d’air. Il se peut également que la dénomination de cadence, pour le trille en France, ait des origines beaucoup plus proches du trille que ce que l’on pourrait supposer à première vue.

Pour proposer une définition, la Méthode doit utiliser le verbe triller: « Le Trille est composé d’une Petite Note placée au dessus, qu’on doit Triller, et qu’on articule alternativement avec cette même Note. » (Richer et al., 1803, p. 52). La Méthode évite de donner d’autres explications du mécanisme, et passe rapidement à des conseils issus de la pratique :

Il faut que ces exercices, et ceux du trille en général, soient exécutés très lentement d’abord, sans remuer ni la langue, ni les lèvres, ni le menton, et en enflant et en diminuant les sons du Trille, comme pour la Mise de Voix. Ce mouvement ne sera accéléré que successivement, à mesure que les moyens de l’élève s’affermiront. (Richer et al., 1803, p. 53)

Nous signalerons encore le fait que le mordent (trille double) est marqué par le signe « tr », signe qui plus tard sera employé pour représenter le trille en général.

Chez Martini, c’est l’œuvre qui dicte les choix des différentes possibilités de triller : « La mélodie et l’expression doivent indiquer au chanteur laquelle de ces manières de faire le trille est préférable. » (Martini, 1792, p. 15). C’est toujours le maître qui détient les savoirs pour apprendre à procéder à ses choix, d’après une tradition.

Du petit groupe ou Gruppetto

La Méthode aborde un dernier agrément, le gruppetto « composé de trois petites notes ». Les auteurs signalent que « les français en lui donnant tour à tour les noms de Mordant ou de Brisé, font présumer que le dit agrément en fait deux différens, tandis qu’au changement de place près, il est toujours le même » (Richer et al., 1803 , p. 56-57).

En matière d’ornementation, la Méthode institutionnalise des choix que nous allons trouver, encore de nos jours, dans les livres de musique.