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Didactique du belcanto : approche épistémologique des contenus d'enseignement et des pratiques de transmission

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

Didactique du belcanto : approche épistémologique des contenus d'enseignement et des pratiques de transmission

MARTIN-BALMORI, Isabel

Abstract

L'objet de cette recherche est, dans un premier temps, à travers des traces écrites laissées entre le début du XVIIe et le milieu du XIXe siècle, de repérer les principaux éléments de didactisation dans les processus de transmission de la tradition vocale belcantiste et la mise en évidence des éléments transpositifs ayant contribué à l'émergence et à la transformation du belcanto comme objet à enseigner. La finalité est de mieux cerner la didactique vocale de cette période, mais aussi de mieux saisir celle en usage de nos jours , notamment le fonctionnement du belcanto comme modèle-référence.

MARTIN-BALMORI, Isabel. Didactique du belcanto : approche épistémologique des contenus d'enseignement et des pratiques de transmission. Thèse de doctorat : Univ.

Genève, 2016, no. FPSE 644

URN : urn:nbn:ch:unige-880942

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:88094

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88094

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1 Section des Sciences de l’Education

Sous la direction du Pr. Isabelle MILI

Didactique du belcanto : approche épistémologique des contenus d’enseignement et des pratiques de transmission

THESE

Présentée à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’Education

par Isabel MARTIN-BALMORI

de Suisse (Genève), Espagne et Portugal

Thèse No 644

GENEVE, 13 septembre 2016 Numéro étudiante : 12-342-135

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Remerciements

Mes profonds remerciements vont à ma directrice de thèse, la Professeure Isabelle Mili, pour ses conseils toujours pertinents et clairs, pour sa patience, tout au long de la thèse. La Prof. Isabelle Mili m’a accompagnée dès les premiers pas dans la découverte du didactique, en m’encourageant et en me donnant confiance dans les moments difficiles.

Venant du monde de la pratique, j’ai dû apprendre l’expression dans la langue écrite : la Prof.

Isabelle Mili a su me guider au moment de passer des réflexions et de la parole à l’écrit.

Je remercie l’équipe de recherche DAM, qui m’a fait découvrir le travail de recherche en groupe dans un contexte de confiance et d’amitié.

J’exprime ma grande reconnaissance au Professeur Gabriel Aubert et à son épouse Suzanne Aubert-Lebet pour leur soutien dans mon travail. Le cours de Rhétorique à l’Université de Genève donné par le Prof. Aubert m’a été extrêmement utile au moment d’analyser les anciens livres : les ouvrages de sa bibliothèque personnelle – qu’il a mis généreusement à ma disposition – m’ont permis de mieux saisir la dimension représentative des savoirs des chanteurs, et de déduire certains savoirs « absents » des méthodes de chant – notamment ceux concernant l’action.

Je remercie les bibliothécaires du Conservatoire de Musique de Genève : Jacques Tchamkerten, Jolanka Tchamkerten, Dominique Baud et Nimrod Ben-Zeev. Ils m’ont facilité, entre autres, la consultation de documents hors catalogue dans les sous-sols de la bibliothèque, et tenu au courant des nouvelles acquisitions. Leur aide m’a été précieuse.

Je tiens à remercier les chanteurs, Mmes Dolos Aldea, Elvira Archer, Adela Bonay, Carmen Bustamante, Chen, Marimí Del Pozo, Guo, Marie-Lise De Montmollin, Huang, Irma Kolassi, Luigia Mandelli, Elena Maretto, Julieta Padesca, Isabel Penagos, Qian, Elsa Saque, Suzanne Sarroca, Stefania Sina, Rachel Székely, Enriqueta Tarrés, Lina Vasta, Yang, Zhou Xiaoyan, Zhou1, et MM Giuseppe Catena, Manuel Cid, Michel Corboz, Hugues Cuénod, Ge, Eduardo Giménez, Esteban Leoz, Ramón Regidor, Eric Tappy, Michel Sénéchal, Jakob Stämpfli, Malcolm Walker, Yu, Giuseppe Zazzetta et Zhou2 qui ont accepté d’être questionnés, en me donnant leur temps et leur confiance. Ils m’ont permis de partager plusieurs points de vue sur le belcanto et ses pratiques. J’ai beaucoup appris grâce à leurs récits.

Je remercie de tout cœur ma famille : ma mère, qui a su me transmettre l’amour du chant et qui m’a fait part de son parcours d’apprentissage et son vécu comme cantatrice, dans un contexte d’un « autre temps ». Mes trois enfants, Elisabeth, Paloma et Manuel, qui m’ont soutenu et encouragé dans ma démarche. Mon mari, Denis, qui a été mon premier lecteur et qui a transcrit en français tous les entretiens (en portugais, espagnol et italien) à partir de dizaines d’heures de vidéos. Malgré mes absences prolongées au bureau, des départs en vacances avec des valises pleines de livres, ils ont toujours montré beaucoup de compréhension et d’amour.

1 Ecole de musique, Conservatoire de Shanghai.

2 Université de Shanghai.

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5 Table des matières

Souvenirs d’un questionnement………..………p.7 Problématique………...p. 9

Questions de recherche et hypothèses…….………..…p. 46 Cadre théorique………...p. 47

Méthodologie……….……..p. 94 Analyse 1. De la méthode de chant du Conservatoire de Paris (1803). Première partie…..p.109 Analyse 2. Des écoles légendaires à Rome au XVIIe siècle : Bontempi (1695) et Maugars (1639/1672)………...p.147 Analyse 3. De l’Art de chanter selon De Bacilly (1668) : problématiques soulevées par la scripturalisation des savoirs………..…....p. 166 Analyse 4. Des comparaisons entre deux traditions vocales, à l’origine du paradigme « à la manière des Italiens » : Raguenet (1702) et Le Cerf de la Viéville (1705/1706)………..…p. 195 Analyse 5. Des découvertes scientifiques et de leur mention dans les traités sur l’art vocal : Dodart (1700) et Ferrein (1714)……….…...p. 217

Analyse 6. De l’enseignement comme action créative : Montéclair (1736)……….…….…p. 235

Analyse 7. Des traités italiens de la période belcantiste : Tosi (1723) et Mancini (1774)...p. 246 Analyse 8. Des savoirs de la mimésis dans la Méthode de 1803. Seconde partie……….…p. 274 Résultats, discussion des résultats et conclusions de la thèse……….….………...p. 293 Lexique………...…...p. 319 Bibliographie………...…..p. 325

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Souvenirs d’un questionnement

Dans mon enfance, dans la maison familiale à Lisbonne, le chant et la musique faisaient partie de l’entourage sonore. Ma mère était cantatrice à l’Opéra et ma grand-mère pianiste, elles pratiquaient quotidiennement. A la fin des années 50, Lisbonne – qui avait été épargnée de la Guerre – était encore restée au XIXe siècle. Cela se traduisait par certaines pratiques de société, de l’avant radio : les jeudis, de manière régulière, des chanteurs et des amis, plus ou moins amateurs, se réunissaient pour faire de la musique autour d’une tasse de thé, dans la plus pure tradition de la musique de salon que l’Europe avait perdue ou était en train de perdre. Des actes entiers d’opéras étaient mis en scène dans les trois pièces qui communiquaient par des portes qui permettaient faire des « entrées » et des « sorties ». Je garde un souvenir joyeux et insouciant d’adultes qui se réunissaient pour le plaisir de chanter, plaisir qui se prolongeait dans les soirées d’été, fenêtres ouvertes, avec des voisins plus ou moins contents. Ces voix, qui me semblaient immenses, voire envahissantes, me fascinaient.

Le départ de la famille pour Madrid changera radicalement mon approche de la musique. Inscrite au Conservatoire pour apprendre le solfège et le piano, j’ai connu un enseignement, selon le modèle pédagogique français, avec des programmes imposés, des gammes et exercices, la découverte de la notion de répertoire et des auditions dans des salles prévues à cet effet : j’ai découvert une musique qui suivait des normes scolaires. J’ai gardé un bon souvenir de professeurs très exigeants mais qui allaient au-delà de ces normes: des artistes.

A huit ans, j’ai déclaré que je voulais étudier le chant, mais je ne voulais pour rien au monde être cantatrice, je rêvais d’apprendre pour comprendre. A l’époque, je me posais la question de savoir comment on faisait pour changer des gens « normaux » en chanteurs d’opéra.

J’ai dû attendre l’arrivée de la mue, six longues années, jusqu’à 14 ans. Pour patienter, on m’a proposé d’étudier le piano, mais surtout on m’a encouragée à lire, et c’est à ce moment-là que j’ai découvert les premières méthodes de chant anciennes, celle de Francisco Viñas (1932), chanteur wagnérien catalan, et celle d’Emma Fonseca (1927), la seule méthode éditée au Portugal, ainsi que des livres d’anatomie et de physiologie, laissées par mon grand-père, médecin et chercheur.

J’entrais à 14 ans à l’Escuela Superior de Canto de Madrid, une école d’opéra pionnière, qui venait d’ouvrir ses portes et qui été inspirée par l’organisation des « anciens conservatoires italiens ». Durant sept ans j’ai suivi les cours de chant, de scène, de langues. On y chantait différemment qu’à la maison : l’esthétique, plus « moderne », était proche de celle pratiquée dans le reste de l’Europe. L’industrie discographique, en pleine expansion, favorisait la promotion de nouvelles références pour le Lied, l’opéra ou la mélodie française, et notre école était pro-allemande. Il y avait de plus en plus de spécialistes et progressivement s’imposait une nouvelle notion de style national, qui avait était moins définie avant la Guerre, et que le Portugal n’avait apparemment pas encore assimilée.

C’est la première fois que j’ai entendu dire, à la maison, que ces gens chantaient « très correctement », mais que c’était « ennuyeux ». Les anciens Italiens, eux, « savaient » chanter : discographie à l’appui, j’ai appris à reconnaître l’égalité d’émission tant vantée par la nouvelle vague et à la comparer aux subtilités de l’émission du son comportant des « inégalités » à l’origine de la variété, qualité rhétorique totalement démodée à l’époque, à reconnaître les

« infidélités » à l’écrit – pour certains, pleines de charme – condamnées comme des entorses à la

« pensée du compositeur ». Pourtant, adolescente, j’ai suivi les conseils de mes professeurs et je me suis distanciée de ce chant que certains considéraient comme « affecté » : il était incompatible de pratiquer une autre manière et de suivre le parcours institutionnel.

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8 Dans les années 1970, les mouvements baroqueux, en éveillant une conscience sur la problématique de l’interprétation, d’après la lecture de textes et traités anciens, avaient défendu une esthétique déduite en grande partie par des musicologues – peu enclins aux débordements –, causant une rupture avec la tradition orale. Les chanteurs se sont alors divisés en chanteurs et en spécialistes de la musique baroque– ayant des lieux de formation séparés – distinction qui allait de l’utilisation des voix à l’usage d’instruments « authentiques » en passant par l’habillement ou la coiffure. Devant toutes ces variantes vocales, toutes convaincues d’orthodoxie, il était difficile de comprendre : Qu’est-ce c'était que savoir chanter ? Qui était dépositaire de ce savoir ? Les musiciens suivant l’ancienne tradition italienne, version portugaise, de mon enfance ? D’autres – en grande partie d’école allemande, version espagnole – proposés comme référence par l’école?

Les chanteurs espagnols que l’on entendait au concert ? Les baroqueux, utilisant parfois des techniques sans vibrato, de la « nouvelle » esthétique ?

Il y avait aussi d’autres chants, populaires – souvent accompagnés par la danse – qui dans l’Espagne de mon enfance étaient encore présents un peu partout. A l’école, au moment de la pause entre deux cours, des enfants qui étaient comme les autres se transformaient quand ils chantaient ou dansaient.

Je voulais devenir professeur de chant, mais à l’époque il n’y avait pas de formation spécifique.

Les enseignants étaient, dans la majorité des cas, des chanteurs qui, après une carrière plus ou moins reconnue, se « consacraient » à l’enseignement. J’ai ainsi entrepris, après mon diplôme à Madrid, des études à Londres, à Paris et finalement en Suisse. Engagée au Conservatoire de Lausanne, c’est en enseignant que j’ai acquis une certaine expérience du métier.

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Problématique

Objet et but de la recherche

L’objet de cette recherche est, dans un premier temps, à travers des traces écrites laissées entre le début du XVIIe et le milieu du XIXe siècle, (1) de repérer les principaux éléments de didactisation3 dans les processus de transmission de la tradition vocale belcantiste et (2) la mise en évidence des éléments transpositifs4 ayant contribué à l’émergence et à la transformation du belcanto comme objet à enseigner.

La finalité est de mieux cerner la didactique vocale de cette période, mais aussi de mieux saisir celle en usage de nos jours5, notamment le fonctionnement du belcanto comme modèle- référence.

Enjeux de la recherche

Nous cherchons à comprendre ce que le belcanto représente depuis la constitution des académies de musiciens au XVIIe siècle et jusqu’à nos jours. Nous traiterons des origines de ce paradigme6 et de sa construction, aboutissant à son usage comme référence dans l’enseignement vocal classique.

Dans notre approche didactique, nous nous questionnerons sur l’usage de ce paradigme comme milieu symbolique, et analyserons les procédés qui ont amené à la transformation des contenus d’enseignement et du rapport topogénétique7 entre le maître et le disciple.

Le Conservatoire de musique de Genève ayant été fondé en 1835, les opéras étant des institutions pluriséculaires, l’idée que l’on se fait du belcanto est liée à des institutions connues par leur pérennité, mais d’une part cette pérennité ne signifie pas nécessairement stabilité de pratiques et d’autre part cette impression pourrait être trompeuse. C’est pourquoi il nous a fallu explorer et questionner les apparences de cette pérennité.

Il y a une dizaine d’années, quand nous avions commencé les premières analyses d’anciens livres de chant dans le but de comprendre les contenus d’enseignement que nous étions en train de transmettre à nos élèves et étudiants, nous nous sommes rapidement aperçu des glissements

3Didactique. D’après Reuter, Y (éd.) (2010) dans le Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques: « On pourrait définir, en première approche, les didactiques comme les disciplines de recherche qui analysent les contenus (savoir, savoir-faire…) en tant qu’ils sont objets d’enseignement et d’apprentissages, référés/ référables à des matières scolaires. » (Reuter, 2010, p. 69). L’auteur ajoute : « C’est donc la focalisation sur les contenus et sur leurs relations à l’enseignement et aux apprentissages qui spécifie les didactiques. » (Reuter, 2010, p. 69).

4 Transposition didactique. D’après Chevallard (1985/1991) : « Un contenu de savoir ayant été désigné comme savoir à enseigner subit […] un ensemble de transformations adaptatives qui vont le rendre apte à prendre sa place parmi les objets d’enseignement. Le "travail"qui d’un objet de savoir à enseigner fait un objet d’enseignement est appelé la transposition didactique. » (Chevallard, 1985/1991, p. 39).

5 Avec les spécificités particulières d’un apprentissage associant la production du son de la voix, de la parole et du geste, dans un but de communication expressive qui se situe en rapport avec un idéal.

6 Paradigme. D’après le CNRTL: « Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d'explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée. » http://www.cnrtl.fr/definition/paradigme

7Topogénèse et Chronogénèse. Chevallard (1985/1991) théorise ces deux concepts ensemble : « Enseignant et enseigné occupent des positions distinctes par rapport à la dynamique de la durée didactique : ils diffèrent par leurs rapports spécifiques à la diachronie du système didactique, à ce que l’on peut nommer la chronogénèse. Mais ils diffèrent aussi selon d’autres modalités : selon leurs places respectives par rapport au savoir en construction, par rapport à ce qu’on peut appeler la topogénèse du savoir, dans la synchronie du système didactique. » (Chevallard, 1985/1991, pp. 72-73).

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10 sémantiques de certains termes8. Ceux-ci, employés depuis des siècles, ont subi des transformations liées aux pratiques de performance, comme par exemple dans l’utilisation du vibrato (plus « serré » il y a un siècle) ou encore l’emploi de timbres plus « clairs » chez les chanteurs du début du XXe siècle. De toute évidence, les chanteurs « classiques » d’il y a cent ans ne chantaient pas comme ceux de nos jours, et nous avions pu constater ces différences par l’analyse des procédés utilisés et les diverses manières de dire9 dans les enregistrements des premières années du XXe siècle.

Tout au long de nos lectures, nous avons pris conscience de l’ampleur de la tâche: il s’agissait d’aborder quatre siècles de pratiques et d’écrits publiés en différentes langues, situés dans des contextes très divers.

Nous avons cherché des témoignages de pratiques, chez des collègues expérimentés, dont la plupart d’entre eux étaient des retraités de différents théâtres d’opéra et/ou de l’enseignement.

Les récits d’apprentissage que nous avons analysés d’après une quarantaine d’entretiens avec ces chanteurs, certains très âgés (cf. Annexe 1), témoignaient de la transformation des pratiques de transmission et de performance. Plus difficiles à déceler et à définir dans leurs caractéristiques exactes étaient les pratiques plus anciennes, car nous ne disposions que de rares écrits pour les cerner.

Les textes écrits par des historiens de la musique et des musicologues n’apportaient pas toujours de réponse à notre questionnement. Nous allons précisément aborder la problématique que soulèvent certains de ces livres spécialisés.

Qu’est-ce que le belcanto ?

Les origines du belcanto partagent les avis des musicologues et historiens de la musique. D’après certains auteurs, le terme de belcanto fait référence à une tradition vocale qui serait apparue à Florence dès la fin du XVIe siècle. Le belcanto aurait connu un « âge d’or » dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, entre autres à travers des chanteurs légendaires comme les castrats10. D’autres spécialistes situent le belcanto beaucoup plus tard, dans la première moitié du XIXe siècle, et associent cette vocalité à l’écriture de compositeurs comme Bellini et Donizetti, ainsi qu'aux performances des premières divas romantiques. Thèse vivement contestée par Celletti (1987) : « parler de belcantisme pour les compositeurs postérieurs à Rossini est impropre ou erroné » (Celletti, 1987, p. 21).

Les avis divergent également en ce qui concerne l’usage du terme pour désigner un style particulier de vocalité. D’après le Dictionnaire de la musique Larousse :

Le terme, apparu vraisemblablement vers la fin du XVIIIe siècle, et qui sera couramment cité par Stendhal, fut sans doute créé par les amateurs et non par les musiciens. Il se substitua aux expressions buona maniera di cantare (Caccini), puis buon canto (Burney, 1772). » (Dictionnaire de la musique Larousse, 2005, p. 95)

Un autre dictionnaire de musique, le Grove, situe cet usage un siècle plus tard et explique comment cette notion surgit dans un contexte nostalgique de « perte de tradition » face à l’émergence d’autres pratiques, notamment celle des chanteurs de l’opéra wagnérien11. Ce même dictionnaire insiste sur l’ambiguïté du terme:

8 Précisément le terme « transmettre », selon le contexte d’apprentissage où il est employé, peut s’avérer anachronique. (cf. Cadres théoriques, p. 75)

9 Nous employons ici le verbe « dire » à la place d’interpréter. L’expression « dire » est souvent utilisée dans les anciens documents : celle-ci serait mieux adaptée à l’approche rhétorique du chant.

10Eunuques/Castrats. Comme le rappelle Mamy (1998). « Dans le vocabulaire actuel, le terme eunuques désigne généralement les gardiens des sérails orientaux, tandis que l’appellation castrats est réservée aux chanteurs italiens des XVIIe et XVIIIe siècles opérés avant l’âge de la mue afin de leur conserver leur voix d’enfant. » (Mamy, 1998, p. 3)

11 «The phrase "belcanto" along with a number of similar constructions ("belezze del canto", "bell’arte del canto") has been used without specific meaning and with widely varying subjective interpretations. It did not take on special

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11 Le terme « belcanto » fait généralement référence au style vocal italien du XVIIIe siècle et début du XIXe siècle, dont les qualités requises supposent d’avoir un legato parfait dans toute la tessiture, l’utilisation d’un ton brillant dans le registre aigu et une émission agile et flexible. Plus précisément, ce terme est appliqué exclusivement à l’opéra Italien contemporain à Rossini, Bellini et Donizetti. (Prose Works; Eng. Trans.

London 1894, iii p. 202; iv p. 238)12.

Generally understood, the term «belcanto» refers to the Italian vocal style of the 18th and early 19th century, the qualities of which include perfect legato production throughout the range the use of alight tone in the higher registers and agile and flexible delivery. More narrowly, it is sometimes applied exclusively to Italian opera of the time of Rossini, Bellini and Donizetti.

Nous pensons que ces divergences sont l’indice d’une problématique particulière à des savoirs nécessitant l’incorporation (Faure, 2000) (cf. Cadre théorique, p. 52), savoirs longtemps transmis de maître à disciple par l’exemple et la parole, sans nécessairement passer par l’écrit, c’est-à-dire : sans laisser de trace. Comme nous le verrons, ce type de savoirs est difficile à cerner si l’on tient à situer des pratiques, en les présentant comme stables, dans un contexte temporel délimité.

Nous émettons l’hypothèse que, de nos jours, le belcanto correspondrait plutôt à une représentation, modèle d’un idéal vocal, qu’à une manière ou technique stabilisée du faire vocal.

Le belcanto aurait ainsi une fonction didactique de référence, modèle peu défini, mais qui produit tout d’abord des effets anthropologiques et culturels, et ensuite des effets didactiques.

Pour cerner la dimension représentative du belcanto, nous avons entrepris une première démarche : celle-ci a consisté en une recherche des causes qui ont fait qu’à un moment donné de l’histoire, un groupe social restreint – des élites ayant accès à la musique à travers l’écrit – ont senti le besoin de différencier leurs pratiques musicales d’autres manières de faire. La problématique soulevée par l’écrit, dans un contexte d’historicité, est ainsi au centre de notre questionnement.

Nous allons diviser les problématiques soulevées par notre corpus de recherche en trois parties : tout d’abord celles concernant le contexte de lecture (1. Texte et contexte) ; ensuite, celles concernant l’écrit (2. De l’écrit et de ses contenus) ; enfin, celles qui concernent la dimension mimétique de l’écrit (3. Des fonctions de l’écrit)

1. Texte et contexte

En faisant allusion aux origines de l’opéra, Nietzsche (1872) affirmait, non sans un certain regret:

[…] l'opéra [est] un art fondé sur les mêmes principes que notre culture alexandrine. L'opéra est le produit de l'homme théorique, de l’amateur critique, non de l'artiste, phénomène qui reste un des plus déconcertants de toute l'histoire de l'art. (Nietzsche, 1872/1964, p. 125)

Die Oper ist die Geburt des theoretischen Menschen, des kritischen Laien, nicht des Künstlers; eine der befremdlichsten Tatsachen in der Geschichte aller Künste. (Nietzsche, 1872/2016, p. 165)

Ce « produit de l’homme théorique », l’opéra, serait le résultat de la construction d’un discours légitimant des pratiques, discours à l’origine de bouleversements profonds. Mais, comme le souligne Eisenstein (1983/1991), ce ne serait pas le passage d’une tradition « orale » à celle de meaning as a term until the mid-19th century; "neither musical nor general dictionaries saw fit to attempt definition until after 1900" (Duey). Even so, the term remains ambiguous and is often used nostalgically in its application to a lost tradition. […]"belcanto" is usually set in opposition to the development of a weightier, more powerful and speech-inflected style associated with German opera and Wagner in particular. » (Grove’s Dictionary: sous belcanto, 1954/1961, p. 161)

12 http://www.oxfordmusiconline.com/subscriber/article/grove/music/02551

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12 l’ « écrit »13 « qui a révolutionné toutes les formes du savoir » (Eisenstein, 1983/1991, p.19), mais le passage entre deux manières de reproduire l’écrit : celle du copiste (manuscrit), à l’atelier typographique (imprimé). D’après l’historienne, cette transition s’est produite en l’espace de quelques années: « Inconnus où que ce soit en Europe avant le milieu du XVe siècle, des ateliers typographiques existaient, en 1500, dans toutes les grandes cités » (Eisenstein, 1983/1991, p.

31). Eisenstein ajoute :

[…] l’imprimerie fit de la rédaction de manuels un genre nouveau et rémunérateur. En elle-même, la préparation de manuels de niveaux différents pour l’enseignement de diverses disciplines entraîna une réévaluation des méthodes héritées et une réorganisation des façons d’aborder les divers domaines.

(Eisenstein, 1983/1991, p. 92)

Cette réorganisation implique une transformation de la notion de « méthode ». Gilbert (1960)– cité par Eisenstein –, explique comment cette notion est développée par Platon et Aristote. A la Renaissance, le terme serait systématiquement évité par les premiers humanistes qui excluaient l’usage de termes dont les origines n’étaient pas « classiques » ni présentes dans l’œuvre de Cicéron14. Toujours d’après Gilbert, néanmoins, dans cette période, croît également l’intérêt pour les méthodes d’enseignement, mais dans un contexte de pratiques15 :

Pendant la Renaissance, l’humanisme s’est manifesté comme mouvement de réforme de l’éducation, mais il ne s’agirait pas tant d’une réforme abstraite que pratique, celle-ci constituera une menace pour des modes de faire établis et les méthodes d’enseignement. (Gilbert, 1960, p. 67)

During the Renaissance, Humanism took on the character of a movement for reform in education, not so much an abstract reform as a practical one, which soon began to threaten established modes and methods of teaching.

Gilbert insiste sur un autre élément qui nous semble important du point de vue didactique : les réformes éducatives avant la Renaissance reposent sur des propositions individuelles, comme celles de « John of Salisbury, Roger Bacon, ou Vincent de Beauvais » auteurs des XIIe et XIIIe siècles. Ces auteurs déplorent déjà : « […] l’état actuel de l’éducation et les alternatives souvent suggérées qui ont ressemblé à certains égards à celles que les humanistes ont postérieurement préconisées »16 (Gilbert, 1960, p. 67).

L’écrit sur la voix a une tradition beaucoup plus ancienne que le XVIIe siècle, mais ce serait surtout à partir de la diffusion des textes et partitions par l’imprimé que nous pourrions prendre en compte le phénomène de scripturalisation comme facteur influant sur les pratiques à grande échelle.

Nous allons essayer de retracer précisément – documents à l’appui – comment l’écrit a progressivement transformé ces pratiques.

13 D’après Eisenstein ces deux moyens de communiquer, oral et écrit, ne sont pas cloisonnés : « Dans les scriptoria, la copie s’effectuait sous la dictée, et c’était par leur lecture à haute voix qu’étaient "publiées" les compositions littéraires ; même l’étude "dans les livres" passait par la parole – d’où une culture hybride, semi-orale et semi-écrite, à quoi rien ne correspond exactement aujourd’hui. » (Eisenstein, 1983/1991, p. 24)

14 « Part of the explanation for the neglect of methodus in the intervening period seems to lie in the aversion of early humanists to Latin words of non classical or even non-Ciceronian origin. This aversion was strongest in the Italians [...] ». (Gilbert, 1960, p. 60)

15 Gilbert explique leurs origines et développement: « Beginning with lower schooling and the humble fields of grammar and rhetoric, the Humanists gradually revamped traditional curricula and methods. These changes, first made in Italian schools, were described and advocated in small and unpretentious pedagogical treatises such as Pier Paolo Vergerio’s De ingenuis moribus et liberalibus studiis and Battista Guarino’s De ordine docendi ac studendi, both fifteenth-century works, but printed often in the next century. » (Gilbert, 1960, p. 68)

16 Dans le texte original: « […] current state of education and often suggested alternatives that resembled in some ways those which the Humanists were later to advocate. » (Gilbert, 1960, p. 67)

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13 Mais prouver comment cette transformation a eu lieu constitue un tout autre défi. Comme le rappelle Eisenstein : « les conséquences de l’invention de l’imprimerie ne sont nullement évidentes en elles-mêmes »17 (Eisenstein, 1983/1991, p. 21). L’historienne explique :

Une chose est de montrer en quoi les méthodes de production du livre ont changé au cours de la seconde moitié du XVe siècle ou d’estimer les ordres de grandeur de cette production. Mais c’est tout autre chose que de déterminer comment l’accès à une abondance ou une variété accrue de documents écrits a affecté les façons d’apprendre, de penser et de percevoir des élites alphabétisées. (Eisenstein, 1983/1991, p. 21-22)

Dans le domaine du chant, cet accès aux savoirs scripturalisés est difficile à estimer. La tradition de transmission proche de la forme dite « orale » (cf. Problématique, p. 21) étant pratiquée, il ne suffit pas de déterminer l’usage des méthodes de chant dans une institution pour en déduire la présence de certains contenus d’enseignement18. Il faudrait plutôt se poser la question de savoir comment ces méthodes étaient employées comme milieu didactique19.

Malheureusement, nous ne disposons que de très peu de témoignages directs des actions d’enseignement dans un contexte de leçon, et ceux dont nous disposons montrent un rapport très libre à l’utilisation de l’écrit. Par contre, l’analyse comparative des anciens documents que nous avons entreprise au début de notre recherche, ordonnés chronologiquement, met en évidence les transformations dans les façons d’apprendre, de penser et de percevoir des élites concernées.

Mais il y a un dernier élément qui détermine l’influence des écrits dans les pratiques. Ces écrits n’auraient probablement pas transformé les pratiques sans l’appui des institutions. Nous allons voir précisément comment ces écrits sur les manières de faire se sont transformés et sont passés de l’utilisation d’un modèle explicatif à l’institution de principes.

1.1 De la constitution d’un capital culturel

Bourdieu (1976) a montré comment écrit et pouvoir maintiennent souvent des liens étroits. Dans le contexte du chant de tradition belcantiste, ce lien est fondamental : l’écrit est à l’origine même du belcanto, et cet écrit est issu de milieux institutionnels et se renouvelle de manière récurrente depuis quatre siècles.

Dans l’entourage de cours princières comme celle des Medici à Florence furent produits, surtout dès le XVIIe siècle, des textes sur les pratiques vocales et gestuelles. Ce type de textes serait à l’origine de la constitution de ce que Bourdieu (1979) a appelé le «capital culturel» (cf. Cadre théorique, p. 64). Parmi ces écrits sur les pratiques vocales et gestuelles, les conseils de performance donnés aux chanteurs par Caccini dans les préfaces des Nuove musiche (1601/1614) seraient à l’origine du la légende belcantiste, comme nous allons voir ci-dessous.

D’autres documents, comme les préfaces d’opéras, nous renseignent en ce début du XVIIe siècle sur le contexte ayant favorisé le renouvellement de la vocalité et l’emploi du geste. Depuis les indications de Guidotti (1600) pour La rappresentazione di Anime e Corpo de Cavalieri jusqu’aux conseils donnés par Peri sur son Euridice (1600), en passant par la préface écrite par Gagliano pour sa Dafne (1608) – riche en détails sur les déplacements sur scène des chanteurs, ou l’emploi du geste –, nous trouvons régulièrement des principes sur la «buona maniera» de faire.

17 Eisenstein explique : « Même aujourd’hui, alors que des masses de données sont recueillies auprès de sujets vivants et coopératifs, et qu’elles sont traitées par des spécialistes de l’analyse d’opinion, du sondage et de l’étude des comportements, nous ne savons toujours pas grand-chose sur la façon dont l’accès à la matière imprimée affecte les attitudes humaines. […] Les historiens, qui doivent explorer le passé pour reconstruire d’anciennes formes de conscience, sont particulièrement désavantagés lorsqu’ils traitent pareilles questions. Les théories selon lesquelles les changements discontinus affectent les processus d’acquisition du savoir, les attitudes et les espérances, ne se prêtent pas, en la matière, à des formulations simples et nettes, facilement vérifiables ou intégrables dans le récit historique classique. » (Eisenstein, 1983/1991, p. 22)

18Contenus d’enseignement. D’après Reuter (2010): « Cette notion désigne […] tout ce qui est objet d’enseignement et d’apprentissages, implicites ou explicites. » (Reuter, 2010, p. 45)

19Milieu didactique. (cf. Cadre théorique, p. 83)

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14 Ces textes ont favorisé la structuration et la stabilisation de pratiques, présentées dans leur temps comme «nouvelles», mais qui étaient certainement beaucoup plus anciennes que ce que les auteurs eux-mêmes affirmaient (et que l'histoire de la musique a longtemps admis comme

« nouvelles ») : c’est pourquoi nous préférerons parler de renouvellement.

Comme l’énonce Vincenzo (1628/1903) dans son Discorso sopra la musica :

[…] la façon et la manière de chanter varie de temps à autre avec les goûts et les plaisirs de Seigneurs et de grands Princes, précisément comme dans la manière de s'habiller, dont les formes se renouvellent toujours selon leur introduction dans les Cours des grands; comme par exemple les façons française et espagnole en Europe (Solerti, 1903, p. 112).

[…] il modo e maniera di cantare si va di tanto in tanto variando dalli vari gusti de’ Signori e Principe grandi che se ne dilettano, appunto come segue nel modo di vestire, che si vanno sempre rinnovando le fogge [formes], secondo che vengono introdotte nelle Corti de’ grandi; come per esempio in Europa il vestire a modo di Francia e di Spagna.

De nos jours, pour essayer de restituer les pratiques du passé, nous ne disposons que d’écrits et d’images qui ont survécu à toutes sortes d’événements d’ordre sélectif. Ces documents ont été produits par des contemporains et des témoins directs, de même que par des auteurs ultérieurs, qui ont relaté ces pratiques (pour eux antérieures) avec un regard propre à leur temps. Tous ont contribué à définir et expliquer le belcanto, comme nous-mêmes, à notre tour, forgeons les explications propres à notre époque, à notre contexte. Ainsi, nous n’avons certainement pas le même mode de lecture que celui qu’avaient les contemporains des auteurs des documents (cf.

Cadre théorique, p.42). Pourtant, nous pouvons essayer de déduire ce que le belcanto avait comme fonction et ce qu’il représentait pour les personnes qui ont été témoins de ces pratiques.

1.2 De ce que représente la « buona maniera »

La recherche d’un idéal vocal, celui que l’on supposait être « à la manière des Grecs » – pratiqué jadis dans les anciennes tragédies – correspondait à la «nouvelle» vocalité prônée par quelques musiciens du XVIIe siècle qui fréquentaient les milieux humanistes de la ville de Florence20. Cette vocalité valorisait la compréhension de la parole et calquait – d’après la rhétorique classique – les principes de variété dans l’usage de la voix et du geste ; quête qui sera à l’origine de ce qu’on appellera plus tard la musique «classique».

Pour comprendre l'émergence du belcanto, la notion de prestige nous semble significative.

Durante (1992) rappelle que les chanteurs des cours avaient tout d'abord une fonction représentative:

L’histoire de ces musiciens est tellement étroitement liée à celle de leurs patrons, qu’il serait faux d’interpréter leur carrière professionnelle dans une politique moderne. Leurs déplacements de cour en cour reflètent également des événements politiques et diplomatiques. Ils correspondent à un désir de présenter à l’étranger une image prestigieuse. (Durante, 1992, p. 375)

Le chanteur va développer des qualités vocales et gestuelles répondant à des codes précis et exigeants, il suit de longues études dans des écoles protégées par ses propres mécènes et est enfin sélectionné suivant des critères expressifs et performatifs, selon des normes de plus en plus formalisées.

L'auteur des Nuove musiche (1601/1614), Caccini, appartenant à la camerata du comte Bardi, aurait été – selon le musicologue Pirrotta (1965/1975) – à l'origine du mythe21 de la création de

20 Ces milieux avaient accès à des textes classiques récemment divulgués par les ateliers de typographie. Pour connaître les ouvrages qui circulaient à Florence, nous avons consulté, entre autres, l’intéressante préface de Magnien (1990) trad., dans Aristote (vers 340 av. J. C.), Poétique. Paris : Les Classiques de Poche.

21 Pirrotta explique: «Caccini, primo e maggiore responsabile del mito della Camerata fiorentina come punto di partenza della monodia e dell’opera, non ci indurrà in tentazione di crearne un altro, il mito di una Camerata

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15 ce qu’il considérera comme musique «nouvelle », mythe récurrent que l'on retrouve encore de nos jours dans les livres spécialisés.

La production importante d'écrits sur les ouvrages et les manières de réaliser le chant – qui durera, selon Di Benedetto (1995), de la fin du XVIe siècle jusqu'à environ 164022 – est décisive dans l'émergence de ce que l'on considérera comme un «nouveau » genre : l'opéra. Elle va créer des attentes renouvelées sur les effets vocaux (entre autres, les coloris23 de timbre et d'intensité et, plus tard, la valorisation du son de la voix, au détriment du texte).

Dans des préfaces d’opéras et d’oratorios, les auteurs s’adressent à des chanteurs expérimentés ou à des jeunes qui participent au spectacle, accompagnés par leur maître (souvent le compositeur, lui-même). Les textes de cette époque semblent peu soucieux de présenter les difficultés dans un ordre progressif (élémentarisation des savoirs), ou encore d’expliquer des mécanismes comme par exemple la production du son, qui était pourtant connue depuis l’Antiquité.

Dans ce travail de transcription des savoirs, il s'agit de poursuivre un idéal de perfection que l'on identifie, d’abord et comme nous venons de voir, à la manière des Grecs. Pourtant, les spécialistes soulignent la notion assez vague qu’avaient ces musiciens-humanistes de ce qui avait été la musique grecque de l’époque classique. Di Benedetto explique :

[...] Peri, après avoir illustré les principes de ce que l’on appellera, selon une expression tirée du frontispice de la Rappresentazione di Anima e di Corpo, le recitar cantando, reconnaît ne pas pouvoir affirmer qu’il s’agit là du « chant dont usaient les Grecs et les Romains dans leurs fables », mais seulement de « ce que notre musique peut nous offrir de mieux pour s’accorder à notre langage ». (Di Benedetto, 1995, pp. 10 - 11)

Quelles fonctions avaient ces préfaces de compositions, au début du XVIIe siècle ? Tout d'abord, elles légitiment une pratique – comme nous venons de le voir chez Caccini – mais sont également utiles à vanter les qualités représentatives de l'œuvre, c'est-à-dire les mérites de son auteur24, et surtout du mécène dont les moyens de subsistance de l'auteur dépendaient. Selon Di Benedetto (1995):

On y insiste avant tout sur la fonction de publicité et de propagande du spectacle, conçu comme amplification d’un événement dynastique ou politique mémorable, que l’on décrit minutieusement afin d’en magnifier l’excellence, voire le caractère unique et exceptionnel. (Di Benedetto, 1995, p.11)

A qui ce belcanto était-il destiné ? Comme l'historien italien Piperno (1992) le rappelle, à des marchands, des familles puissantes, installées dans le pouvoir, qui soutiennent et contrôlent la production de la «nouvelle» musique « savante »:

A la cour, donc, la machine du spectacle d’opéra était actionnée à des fins de propagande et d’autocélébration. Elle jouait le rôle de moyen d’affirmation politique et d’instrumentum regni à la napoletana accentrata intorno a Scipione del Palla e progenitrice di quella fiorentina. La verità è che concetti e criteri dell’uno e dell’altro gruppo hanno origini ben più lontane che risalgono alla pratica musicale quattrocentesca. » (Pirrotta, 1965/1975, p. 224)

22 Selon Di Benedetto : « Le changement institutionnel qui s’était annoncé à la fin des années 1640 et qui s’était ensuite rapidement affirmé (déclin des festivités théâtrales de cour, essor de l’opéra en tant qu’entreprise) provoqua, entre autres résultats, la disparition soudaine du débat sur l’opéra, qui venait à peine de s’amorcer. » (Di Benedetto, 1995, p. 229)

23 Coloris. D’après nos analyses nous définissons ce terme comme « nuances de timbre (couleur), d’intensité (volume) et autres effets utilisés par les musiciens dans la communication de l’expression ». Nous insistons sur le fait que l’emploi du terme n’est pas réduit aux possibilités de varier la couleur (timbre) du son, mais à son volume, et à l’usage de tout procédé visant ce que nous appelons de nos jours, l’« interprétation ».

24Di Benedetto explique : « On y décèle [...] une polémique vigoureuse, bien qu’encore latente, entre les auteurs au sujet de la question de savoir qui peut légitimement revendiquer la paternité tant de l’idée de mettre en scène une représentation théâtrale toute en musique que de l’invention d’un nouveau style de chant qui, en définitive, libère la musique moderne des entraves du contrepoint et lui permet de donner libre cours à la gamme infinie de ses virtualités expressives (ou mieux, "représentatives"). » (Di Benedetto, 1995, p.11)

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16 disposition des absolutismes et des gouvernements centralisés tels qu’ils prirent forme au cours du XVIIe siècle. (Piperno, 1992, p. 5)

Ce belcanto se développe tout d'abord dans un contexte privé. Il est destiné à orner un spectacle comportant d'autres performances : machineries, effets, costumes, musique, gestuelle, qui constituent – toujours selon Piperno – des signes de prestige dont une minorité de la société connaît le décryptage. Ces élites sont composées par le mécène et son entourage ; mais – toujours selon le musicologue italien – cet entourage n’est pas encore un public, comme celui qui fréquente les salles d’opéra de nos jours :

[…] le concept de « public » destinataire de la production demeura étranger à la dimension courtoise du spectacle d’opéra. Celui-ci, à la cour, eut des spectateurs appartenant à des classes sociales élevées, cultivées et aisées. Il s’agissait de spectateurs en mesure de recevoir, de déchiffrer et, en dernière instance, d’approuver les signaux idéologiques et politiques, tantôt cryptiques, tantôt ostensibles, inhérents au spectacle lui-même. Mais son spectateur et destinataire principal fut sans conteste le commettant lui même.

(Piperno, 1992, pp.7-8)

Un spectacle si complet, réunissant des métiers divers, répondait aux besoins ostentatoires des princes. Mais ce sont surtout les chanteurs qui, très vite, deviennent les «objets» convoités pour satisfaire ces besoins : leurs qualités vocales et leurs capacités d’acteurs étaient toutes deux fort appréciées dans ce contexte. Ils mettent en pratique les idéaux évoqués par les théoriciens et contribuent à façonner ce que l’on considérera plus tard comme le belcanto. Celletti (1987), un des spécialistes en la matière, explique ce belcanto à travers ses effets:

Le but est de susciter l’émerveillement grâce à la rareté des timbres, la diversité des couleurs et des nuances, les tournures de virtuosité vocale complexes et variées à l’infini et l’abandon extatique de son lyrisme. […]. (Celletti, 1987, p.14)

Le belcanto se présente dès ses origines comme un idéal proche de la perfection, comme une manière de faire qui concerne très peu de chanteurs: seulement quelques-uns réussissent à l’approcher.

Nous nous sommes intéressée à d’autres traditions musicales considérées comme « classiques » en dehors du contexte de l’Europe de la Renaissance. Nous avons découvert que la référence à des textes prestigieux fait partie de l'approche « savante » de la musique, phénomène commun à d’autres cultures : au IXe siècle, bien avant la Renaissance florentine, on trouve de la musique

« classique » dans les pays arabes25. De même, en Inde26, au XVe siècle, on pratique une musique « savante ». L’utilisation d’un monde référentiel que l’on considère comme prestigieux serait ainsi un facteur qui contribuerait à donner de la crédibilité au modèle imposé comme

« authentique » et que l’on oppose à d’autres pratiques non conformes aux normes d’un groupe.

La « disparition » des écrits

En Italie, durant les quarante premières années du XVIIe siècle, l’importante production d’écrits sur les pratiques des chanteurs concerne surtout les préfaces d’ouvrages destinés à être chantés :

25 Selon l’historien Amnon Shiloah : « […] nombreux sont les théoriciens arabes à avoir assimilé les influences musicales grecques. Ainsi al-Kindi (m. 874), Ishaq al –Mawsili (m. 850), Avicenne (m. 1037) ou al-Farabi (m. 950), auteur du fameux Kitab al–Musiq al–Kabir (Le grand Livre de la musique). » (Shiloah, 1972, p.65-67), cité par Charles-Dominique (2006, p. 21).

26 Une intéressante étude a été faite par Cassio (2000), qui explique : « La corte di Gwalior divenne il luogo ideale per lo sviluppo della musica e particolarmente significativo fu il periodo tra il 1486 e il 1517, durante il regno di Raja Man Singh Tomar, discendente di Dugarendra. Musicista egli steso e mecenate di grandi artisti, Raja Man Singh radunò à la sua corte i migliori cantanti e compositori del tempo organizzando costantemente dei simposi in cui venivano discussi aspetti teorici e pratici riguardanti la musica. Questa attività avrebbe dato un forte slancio al dhrupad e, per effetto delle numerose innovazioni che in esso furono introdotte, ne sarebbe emersa una nuova forma detta darbari ovvero di corte. » (Cassio, 2000, p. 6)

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17 opéras et oratorios. Nous aimerions souligner le fait qu’il ne s’agit pas encore de traités sur l’art vocal.

Vers 1640, d’après plusieurs chercheurs, la production d’écrits sur la voix diminue considérablement. La musicologue Mamy (1998) confirme:

[...] étrangement, dans le cours du XVIIe siècle, alors que l'opéra italien et les castrats connaissent un triomphe sur les plus grandes scènes européennes, les traités disparaissent. Les méthodes d'enseignement deviennent des secrets. On souligne qu'il faut aller écouter les excellents chanteurs, on insiste sur les résultats à obtenir (bon goût, respecter la poésie...), sans donner réellement les moyens d'y parvenir.

(Mamy, 1998, p. 45)

Di Benedetto (1995) associe plutôt cette « disparition » à la transformation du contexte qui avait créé, au début du XVIIe siècle, des attentes de production liées au prestige des cours princières.

Le musicologue italien affirme:

Le changement institutionnel qui s’était annoncé à la fin des années 1640 et qui s’était ensuite rapidement affirmé (déclin des festivités théâtrales de cour, essor de l’opéra en tant qu’entreprise) provoqua, entre autres résultats, la disparition soudaine du débat sur l’opéra, qui venait à peine de s’amorcer. (Di Benedetto, 1995, p. 229)

L’analyse de Di Benedetto (1995) nous semble plus plausible, elle confirme l’importance de la fonction représentative de l'écrit : ce seraient les attentes qui favorisent la scripturalisation au sujet des pratiques.

Le contexte social subit de profonds changements, et les premiers théâtres d’opéra sont ouverts (1637) à des personnes ayant des moyens d’acheter le droit d’y entrer. Cette circonstance a certainement contribué à la transformation des attentes d’un public qui encourage dorénavant les solistes à avoir recours à des effets vocaux virtuoses, au détriment d’un recitar cantando réservé à des initiés capables de décoder les subtilités de nuances inspirées du modèle classique.

Ecrit et culture, les traités et les méthodes

Au début du XVIIIe siècle, les musiciens disposent d’une longue tradition de traités sur la musique. Pourtant, les chanteurs ne semblent pas connaître le genre : traité sur l’art vocal.

Le musicologue Durante (1992) commente l’étonnement de Tosi (1723), auteur d’un traité sur l’art du chant:

[Tosi] avait trouvé étrange que personne avant lui n’eût relevé ce défi et que, parmi tant de professeurs « de premier ordre », aucun n’eût « entrepris de faire connaître autre chose que les premiers éléments, connus de tous, passant sous silence les règles plus importantes pour bien chanter ». Jusqu’à cette époque (1723), les secrets de l’art s’étaient transmis oralement. [...] Ainsi, en 1677 encore, Bartolomeo Bismantova limite ses directives « techniques » à une brève description de la façon d’étudier le trille ; pour tout le reste, il conseille d’écouter les virtuoses célèbres. (Durante, 1992, p. 388)

Mais le traité de chant du XVIIIe siècle est encore très loin du genre : méthode de chant. Ces traités présentent des savoirs qui de nos jours nous paraissent en « désordre », savoirs personnels racontés au lecteur d’après l’expérience de l’auteur lui-même.

En dépit des différences entre une approche méthodique dans le domaine artistique et une approche méthodique de type scientifique, il n’est pas indifférent de constater que l’approche méthodique est reconnue socialement bien avant le XVIIe siècle. Gilbert (1960) explique comment cette approche des savoirs aurait été pratiquée bien avant Descartes. L’historien affirme : « quand Galilée commença ses recherches sur le phénomène physique, le sujet de la méthode était en effet presque banal »(Gilbert, 1960, p.Xiii)27. D’après Weber (1982), dans le

27 D’après Gilbert: «Descartes, with his rejection of dogmatic enunciation and of reliance on authority, was considered to have inaugurated the new era by his insistence on the use of a critical method of inquiry. Yet the subject of method was not new when Descartes wrote his treatise, On the contrary, questions about the order and method to be employed in the arts and sciences had been discussed actively in Europe during the previous hundred

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18 domaine de la musique, l’existence des tractus serait très ancienne28, l’historienne cite des ouvrages datant du Moyen Âge.

Nous pouvons essayer d’expliquer ce phénomène particulier du fait que les milieux didactiques employés dans la leçon de chant, et ceci jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, étaient essentiellement des partitions manuscrites, écrites par le maître, dont la plupart ont disparu29: les maîtres n’utilisaient vraisemblablement pas de méthodes !

En effet, la première méthode de chant belcantiste employée en classe est curieusement éditée en France, au début du XIXe siècle. Les contenus d’enseignement, dont l’élaboration des principes est à situer pourtant en Italie, sont « récupérés » par des institutions françaises peu après la Révolution, institutions qui procéderont à un important travail d’uniformisation et scripturalisation des savoirs.

Pour mieux comprendre ce processus, nous nous sommes intéressée – en parallèle à l’émergence des nuove musiche en Italie – aux pratiques des musiciens en France, et ceci avant que les académies n’imposent leurs savoirs.

1.3 Des savoirs avant les académies

L'ethnomusicologue Charles-Dominique (1994) a étudié les pratiques de groupes de musiciens, ceci avant la constitution des conservatoires en France. Dans Les ménétriers français sous l’ancien régime (1994), l’ethnomusicologue a suivi la transformation du statut de ces musiciens issus d'un milieu essentiellement populaire, rural et urbain. Même si leur tradition remonte au Moyen Âge, l'histoire de la musique ignora longtemps leur existence30. Appartenant à des corporations composées presque exclusivement d'instrumentistes hommes, ils avaient accès à l'écrit, mais cet écrit – toujours selon Charles-Dominique – n'était pas essentiel dans leur formation. Certains de ces ménétriers étaient au service du roi de France et constituaient, au XVIIe siècle, une catégorie professionnelle à laquelle le souverain fait régulièrement appel : les académiciens entrent en concurrence avec les ménétriers.

Louis XIV accorde en 1699 à Perrin le « privilège d'établir une Académie d'opéra en musique et vers françois » (Charles-Dominique, 1994, p.247), ancêtre de l'actuel Opéra de Paris.

L’ethnomusicologue français résume les différences entre ces musiciens « savants » et les autres :

L’académisme s’adresse à une élite intellectuelle et tente de la regrouper sur le seul critère du savoir. Ce savoir fait implicitement référence à une culture globale, lettrée, « distinguée » en opposition à la

« médiocrité » des savoirs populaires de tradition orale. [...] Pour la première fois, le critère de l’oralité, corollaire d’ignorance, opposé à l’écriture, synonyme de connaissance31, va caractériser les classes years or more, when Galileo was beginning his researches into physical phenomena, the subject of method was indeed almost hackneyed.» (Gilbert, 1960, p.Xiii)

28 Weber (1982) cite « De musica mensurabili positio de Jean de Garlande, grammairien, musicien, alchimiste, mathématicien qui a séjourné à Paris vers 1232 ; l’Ars cantus mensurabilis de Francon (système de notation mesurée) ; la Theoria de Jean de Grouchy (vers 1300, avec les signes de notation, les formes en usage, les divisions de la musique […] ». (Weber, 1982, p. 11)

29 D’autres partitions, les compositions que l’histoire a retenues, ont un point commun : elles ont été majoritairement éditées.

30 Charles-Dominique affirme : « Aujourd’hui encore, force est de constater que nombreuses sont les histoires récentes de la musique à ne présenter la musique que de façon anecdotique avec une place excessive laissée aux biographies, à ne considérer que la musique occidentale, savante, écrite, postérieure au XVIe siècle. » (Charles- Dominique, 1994, p. 11)

31 Toujours d’après Charles-Dominique : « Au centre de la pensée académiste, figurent la constitution et la transmission d’un patrimoine écrit. [...] En musique, tout se codifie, tout devient imposé, le rythme et la structure mélodique bien sûr, ainsi aussi les nuances expressives, les attaques et les liaisons, les retenues ou accélérations. [...]

En faisant du solfège le langage aussi complexe, sophistiqué et contraignant, les théoriciens et compositeurs ont progressivement réduit à néant le rôle du musicien, faisant de ce dernier l’outil parfait d’une restitution neutre. » (Charles-Dominique, 1994, p.243)

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19 populaires rurales et urbaines, les paysans surtout, mais aussi tous ces petits artisans, ces gagne-deniers et traîne-misère. [...] (Charles-Dominique, 1994, pp. 242-243)

Les académies vont ainsi exercer un pouvoir de contrôle de la production musicale, pouvoir d'exclure d'autres manières de faire. Selon Charles-Dominique :

Les corporations légitiment leur système monopoliste par le chef-d’œuvre ; les académies, elles, imposent le contrôle des connaissances de leurs membres par une épreuve proche de l’examen. (Charles –Dominique, 1994, p. 254)

L’ethnomusicologue ajoute :

L’académisme, impulsé par la volonté du roi, est un élément essentiel de sa politique nationale et internationale. En codifiant toutes les grandes disciplines intellectuelles et artistiques, en contraignant les praticiens tant professionnels qu’amateurs à cette nouvelle réglementation, l’académisme tend à créer et à imposer l’image d’un homme idéal, parfait. Naturellement, la musique ménétrière n’a pas sa place dans ce nouvel ordre intellectuel. (Charles-Dominique, 1994, pp. 298-299)

Toujours d’après Charles-Dominique, les ménestriers, associés dans des corporations, rassemblaient des musiciens dans un système de tutorat, depuis le Moyen Âge. Celles-ci entreront en confrontation avec les institutions académiques, confrontation qui aboutira à la dissolution des corporations, et à la reconnaissance des institutions d’enseignement de type conservatoire, qui dès la fin du XVIIIe siècle formeront les futurs musiciens dans une tout autre approche.

Or, le chant « savant » avait déjà été défini dans le Nord de l’Italie, un siècle avant. Mais, en France, il est apparemment ignoré. De même que les académiciens de Baïf (1570) avaient adopté avec un siècle de « retard » les théories des premiers académiciens florentins (Yates, 1947/1996), les chanteurs français, quand ils commencent à s’intéresser aux pratiques des chanteurs- humanistes italiens, seront également « décalés » d’un siècle. Le stile rappresentativo32 italien du début du XVIIe siècle s’est transformé et a développé un sens de la vocalité (que plus tard on nommera belcantiste) qui ne semble pas encore pratiqué en France.

L’utilisation du geste connaît aussi, dans les deux traditions, différents usages : l’émerveillement de Maugars (1639) devant l’aisance des comédiens-chanteurs italiens en témoigne (cf. Analyse 2, p. 153). Au milieu du XVIIe siècle, nous sommes en présence de deux traditions bien différenciées. Pourtant, ces deux traditions « savantes » sont toutes les deux basées sur la mise en valeur d’un texte chanté, d’après les principes de la rhétorique.

La musique ménétrière disparaîtra avec le « centralisme révolutionnaire et jacobin de 1789, et républicain des XIXe et XXe siècles » (Charles-Dominique, 1994, p.300). C’est l’écrit qui devient le garant du « bien faire ». Toujours Charles-Dominique (2006) :

[…] le fait de l’opposer, à partir du XVIIe siècle, aux savoirs de tradition orale, d’en faire l’outil d’une distinction de classe est révélateur de l’apparition d’un nouveau processus consistant à faire de l’art – en l’occurrence la musique – l’expression d’une société en mouvement, définitivement gagnée par l’idée de progrès, idéologique au cœur de la pensée académique et que les Lumières porteront si haut. Ce projet dynamique, évolutionniste et historique ne peut s’appuyer que sur le recours exclusif à l’écrit et à son développement. D’où l’apparition d’un discours dévalorisant la mémoire orale, stigmatisant sa faillibilité et son immobilisme au profit d’une écriture infaillible, source d’histoire, production stratifiée tournée vers l’avenir, porteuse et garante de l’idée de progrès et de création. (Charles-Dominique, 2006, p. 208)

Nous allons précisément nous questionner sur l’émergence des nouvelles institutions académiques vouées à l’enseignement des musiciens : les conservatoires.

32 Stile rappresentativo: chant déclamé et représenté par l’action.

Références

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