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CHAPITRE 5 : L’étudiant de l’UTAQ et son rapport à soi comme être vieillissant

5.4 La naissance d’un être vulnérable

5.4.3 Vivre avec ce qu’on a acquis

Enfin, la vulnérabilité peut être aussi ressentie sur le plan économique. Souvent, les réflexions sur ce sujet concernaient les aînés qui doivent vivre avec le supplément de revenu garanti11 . La majorité des étudiants de l’UTAQ ont mentionné être privilégiés, ils se sentent confortables financièrement. Cependant pour ce qui est de l’habitat, plusieurs ont dénoncé les montants astronomiques qu’il en coûte à un aîné pour se loger : « Je trouve qu’il n’y pas beaucoup de gens qui ont les moyens de vieillir décemment malheureusement; un exemple, je regarde juste les frais de résidences privées, ça coûte un bras et demi, le vieillissement pour moi c’est quand je vois des gens qui ont une incertitude matérielle et monétaire pour leur avenir » (Luc). Les étudiants de l’UTAQ se montrent très sensibles à la situation des personnes plus démunies qui avancent en âge devant vivre avec très peu de moyens. Luc fait une très belle analogie, il considère la société comme une chaîne et les aînés représentent le dernier maillon. Il affirme être assez pessimiste quant au sort de ce dernier maillon de la chaîne : « […] la chaîne risque de casser en arrivant au dernier maillon, je ne suis pas très optimiste, en fait je suis assez pessimiste pour ce dernier groupe- là, comme on disait tantôt qui ne rapporte plus, qui n’apprend plus rien à personne, qui n’est plus productif, qu’on le laisse un peu pour compte » (Luc). Il me confie en soupirant qu’il est plus optimiste pour son vieillissement que celui de l’ensemble des aînés puisque lui a les moyens de s’en occuper, contrairement aux autres. (Luc). À cet égard, nombreux sont ceux qui m’ont parlé des problèmes en matière de soins et de services destinés aux aînés. Indirectement leurs critiques concernent la privatisation que l’on connaît dans notre société néolibérale. Cette conclusion est tout à fait juste pour Laliberte-Rudman: « In line with neo-liberal aims of minimising the state's intrusion in individual lives and the economic implications of “dependent” population, the ideal “retiree”, like the “good” neo- liberal citizen, is to care for the self, substantially through their own labour and by availing themselves of private market solutions » (Laliberte-Rudman 2006: 195). Ce désinvestissement de l’État combiné au vieillissement de la population crée un mélange

11 « Le Supplément de revenu garanti est une prestation qui peut s'ajouter à la pension de la Sécurité de la

vieillesse d'une personne à faible revenu ». Ce montant varie selon l‘État civil et le revenu, par exemple un couple qui reçoit 22 080$ par année aura droit à 495.89$ par mois de supplément (Gouvernement du Canada 2016a).

explosif. Mes interlocuteurs s’inquiètent en particulier de deux aspects essentiels à la vie, à savoir le logement et la santé. Madeleine met de l’avant cette problématique :

Si on regarde les aînés qui sont actifs et en santé, ça peut aller, il y a eu des coupures récemment au point de vue monétaire, mais quand on parle des personnes qui sont très malades c’est plus difficile d’avoir des soins. Tu n’as pas besoin d’être malade beaucoup pour te rendre compte que tu vas attendre, sinon tu débourses, tu décides que tu donnes le montant pour avoir ton privé […] moi j’aurais les moyens de donner 200$ pour un examen, mais il y en a qu’ils l’ont pas (Madeleine).

Cette section qui présente la vulnérabilité ressentie en vieillissant peut être liée avec la difficulté à accomplir les conduites comprises dans la norme du bien vieillir. D’un côté, il y a les politiques publiques qui transposent leurs idéaux à travers les discours des différents spécialistes pour rester actif et de l’autre, la réalité tout simplement, les gens vieillissent et leurs capacités diminuent naturellement. Ce sentiment de vulnérabilité psychologique, physique ou financière peut résulter de la pression qui accompagne le bien vieillir. Puisque le bien vieillir semble faire abstraction des contraintes et des difficultés que peuvent rencontrer les aînés et qu’il propose un plan qui est finalement très difficile à réaliser en avançant en âge, la vulnérabilité crainte par les participants prend alors tout son sens. Les politiques ciblant le vieillissement ne prennent pas en compte les personnes malades, pauvres ou seules. D’ailleurs, la politique québécoise ne prévoit qu’un budget famélique pour le maintien à domicile et l’hébergement des démunis (Gouvernement du Québec 2012b: 14).

5.5 Conclusion

Ce chapitre a permis de relever ce que représente le vieillissement pour les étudiants de l’UTAQ. Tout d’abord, les mots que les étudiants de l’UTAQ utilisent pour parler du vieillissement ne sont pas très optimistes. Leurs propos rapportaient les stéréotypes visant les aînés. Paradoxalement, ils parlent souvent de la vieillesse comme d’une étape négative qui vient avec son lot de difficultés, mais en même temps, ils affirment, pour la plupart, être dans une belle période de leur vie. Ce paradoxe n’est en fait qu’apparent. Pour la grande majorité, le vieillissement s’est révélé être une étape à laquelle ils ne sont pas encore parvenus. On note que la plupart ont intégré les normes du bien vieillir et que l’élément le plus important pour eux, c’est de demeurer actif, à tous les niveaux, le plus longtemps

possible. Cette motivation justifie parfois l’adoption d’habitudes de vie qui permettent de bien se préparer et de s’adapter au fait de vieillir. Pour plusieurs, ces comportements peuvent être difficiles à mettre en œuvre, voire carrément impossibles. Enfin, les étudiants de l’UTAQ mentionnent qu’ils ressentent une certaine vulnérabilité en avançant en âge. Ils perçoivent le poids du vieillissement et éprouvent une certaine crainte quant à l’éventualité de devenir une charge pour la société. Les mots de René résument bien leur lecture nuancée : « […] il n’y pas un vieillissement, mais bien des vieillissements » (René). Ces entrevues permettent d’interroger la volonté politique en provenance des plus hautes instances internationales visant l’uniformisation de la façon de vieillir en faisant la promotion de normes, la responsabilisation par exemple, qui ne peuvent qu’entraîner des effets d’exclusion pour le plus grand nombre. Nous verrons au prochain chapitre un exemple concret de cette approche qu’est le bien vieillir à travers l’Université du troisième âge de Québec.

CHAPITRE 6 : L’UTAQ : expériences, motivations et