• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 7 : Discussion : l’UTAQ, une option pour bien vieillir

7.4 S’imposer une discipline pour demeurer actif

Nous venons de le voir, l’UTAQ est un moyen de demeurer actif à tous les niveaux. C’est souvent en évoquant l’aube d’une période de leur vie qui fait craindre la perte et la diminution des capacités que les personnes ont souligné l’importance de faire des efforts pour demeurer actifs. Comme l’indique Laliberte-Rudman (2015 : 16), les aînés

« disciplinent donc leur corps » en s’engageant dans des activités multiples, comme l’UTAQ. Cependant, il peut être difficile de rester actif en dépit des multiples recommandations à cet effet. Les propos de Chantal sont très intéressants à cet égard puisqu’elle évoque directement la discipline que nécessite le fait de demeurer actif :

Bien moi je pense que si on veut rester alerte, c’est important, je pense que moins on met à contribution notre matière grise plus cette matière-là va avoir tendance à se contracter, ça doit faire partie de notre discipline de vie au même titre que de se garder en forme physiquement, ça veut dire faire de l’activité physique, comme moi je fais du vélo. D’ailleurs au taïchi, ils le disaient que c’est très important de continuer des étirements à la vieillesse, alors vraiment très important de se garder en forme, intellectuellement et physiquement et les cours pour moi c’est un moyen parmi d’autre de se garder alerte (Chantal).

Pour Chantal, l’UTAQ et l’imposition de cette « discipline de vie » visent à reproduire celle qu’elle se donnait à l’époque où elle travaillait. Elle parle de l’importance et de la satisfaction qu’elle retire face à cette discipline et cette rigueur. Pour sa part, il s’agit d’organiser ses semaines afin « d’évoluer un peu et de vivre en parallèle avec son mari » qui est encore actif sur le marché du travail (Chantal). En ce sens, l’UTAQ lui permet de mettre en application cette rigueur par l’établissement d’une routine de vie :

[…] il faut que ma routine de vie fasse en sorte que j’aie des obligations à rencontrer moi aussi alors quand j’ai eu mes premiers cours d’anglais à l’UTAQ, ils se donnaient le lundi matin, ça, j’aimais ça beaucoup, parce que ma semaine commençait comme tout le monde, le lundi matin. Ok c’est sûr que ce n’était pas comme avant, mais j’avais le même feeling le dimanche soir, parce qu’on sait que quand on travaille, le dimanche, en fin d’après-midi, ce sentiment-là, mais finalement quand tu étais « dans le bain », après une heure au travail, c’était disparu tout ça alors je vivais un petit peu ça avec le dimanche soir. Il fallait que mes affaires soient prêtes, j’avais fait mes devoirs, ça m’obligeait rigueur et ça, j’adorais ça un cours un lundi matin, c’était à 9h00 et

comme il fallait que je prenne l’autobus assez tôt le matin, je devais me lever tôt et quand je rentrais chez moi, j’avais la satisfaction du devoir accompli et ça, c’est encore important que je puisse le vivre (Chantal).

L’UTAQ donne donc à cette étudiante le sentiment d’être toujours incluse dans la vie active puisqu’elle peut conserver le rythme de vie qu’elle avait lorsqu’elle travaillait. Elle explique que cette discipline de vie lui apporte une grande satisfaction à travers les obligations qu’elle rencontre : « […] c’est parfait donc ma semaine commence le lundi matin, comme mon conjoint qui part et qui va travailler, c’est sûr, je ne vais pas travailler, mais j’ai une obligation et c’est d’aller à l’UTAQ » (Chantal). Cette rigueur est pour elle le moyen d’éviter « l’aliénation de ne pas avoir d’horaire à la retraite » (Chantal). Elle a le sentiment du devoir accompli par ce mode de vie, elle explique sa vision des choses : « Si on veut que ça soit satisfaisant, il faut vraiment s’imposer un cadre, qui n’est peut-être pas si loin que ça du cadre que je m’imposais quand je travaillais, mais avec plus de flexibilités et plus de liberté » (Chantal).

Ce qui est intéressant dans son témoignage, c’est qu’elle souligne qu’elle recherche la discipline et la rigueur d’autrefois, celles qui étaient nécessaires alors qu’elle était sur le marché du travail. Chantal nous rappelle que le marché du travail exige une discipline, cette discipline du corps qui a été étudiée par Foucault (1975) notamment pour les institutions comme l’école et la clinique. Cette discipline incorporée pour ainsi dire d’une autre époque est reportée à la retraite et associée au bien vieillir en restant actif. Comme le souligne Hache (2007 : 57), il s’agit de « l’extension de la théorie économique sur ses comportements », tous les comportements y compris les plus intimes, se perpétuent en vieillissant, et l’engagement à l’UTAQ le montre pour plusieurs.

De façon peut-être moins affirmée, d’autres étudiants ont parlé de la rigueur qu’exige l’UTAQ. Pour plusieurs, l’UTAQ leur donne une cible à atteindre et des objectifs à

relever : « Ça te sort un peu de tes pantoufles […] tu te dis j’ai des cours, il faut que je fasse mes lectures, puis ça, ça te brasse un peu ! » (Luc). Ce participant reproduit dans ses propos l’idée prégnante dans le discours sur le vieillissement qu’il faut fuir la passivité en privilégiant des choix qui créent un mode de vie actif. Selon Sylvie, il est clair qu’il faut faire des efforts : « […] si tu ne te prends pas en main pour ramasser tes idées c’est plus difficile. Par moment il a fallu que je me discipline pour faire un travail sinon tu oublies.

[…] Il faut lire et écrire. Il faut faire un effort, faire tes lectures, si tu veux qu’il te reste quelque chose (Sylvie).

En principe les cours de l’UTAQ ne comportent pas d’évaluation; cependant certains étudiants ont mis de l’avant l’évaluation par les pairs dans les cours « à progression ». Par exemple, dans les cours de musique où les étudiants doivent se produire devant leurs collègues ou dans les cours de langues où l’éloquence est valorisée : « […] il n’y a pas d’examens, mais en même temps, il y a une rigueur, dans les exercices, dans la présentation, si tu n’as pas mis l’effort, je veux dire, tu es jugé que tu le veuilles ou non, ça exige une certaine rigueur et ça, je trouve ça important » (Chantal). L’exemple d’un étudiant à l’UTAQ devant faire une présentation orale en anglais rejoint celui que Grenier et Valois-Nadeau ont développé à propos d’un concours de chant destiné aux aînés dans des résidences privées: « Le vieillissement réussi y prend la forme d’une victoire sur la déprise, d’un succès obtenu en compétition, d’un exploit réalisé en performance, et d’un tour de force accompli en surmontant des obstacles ou en vainquant ses peurs ou ses craintes » (Grenier et Valois-Nadeau 2013 : 143). L’analyse de ces auteurs ne s’inscrit pas dans l’approche privilégiée ici, par contre elle permet de repérer l’importance de la reconnaissance par les pairs. L’exploit réalisé doit être vu, entendu, reconnu pour exister. C’est exactement dans ce sens que Chantal a expliqué ressentir une grande satisfaction en réussissant à performer devant ses collègues lors d’un oral en anglais, une satisfaction pleinement comblée par la reconnaissance et la validation de ses pairs lors de cette

« épreuve » (Chantal). Dans un contexte où chaque individu est responsable de lui-même, de ses succès comme de ses défaites, il a besoin plus que jamais du regard des autres pour confirmer sa réussite. C’est là un des paradoxes de la philosophie néolibérale.