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CHAPITRE 7 : Discussion : l’UTAQ, une option pour bien vieillir

7.3 Socialiser et participer socialement

L’UTAQ, c’est aussi un moyen de demeurer actif socialement, d’éviter de s’isoler. Il y a plusieurs manières d’être actif socialement ; pour certains, cela veut dire créer des liens significatifs avec les personnes et pour d’autres, c’est une forme de participation sociale. Voilà deux notions qui se chevauchent parfois, mais renvoient aussi à des définitions différentes.

Pour bon nombre d’étudiants, l’UTAQ permet de rester socialement actifs par la création d’un réseau social souvent réduit suite au retrait de la vie professionnelle. L’UTAQ offre alors aux aînés une opportunité de rencontrer de nouvelles personnes. Comme Luc l’indique : « […] l’UTAQ amène plein de gens, au moins une fois par semaine, à se déplacer, à au moins faire l’effort de faire des lectures, à rencontrer d’autres gens, à socialiser, à acquérir de nouvelles connaissances, à confronter leurs opinions avec d’autres » (Luc). Diane et Chantal envisagent l’UTAQ comme l’opportunité de rencontrer des gens qui sont rendus à la même étape qu’elles. Dans le cas de Chantal, elle mentionne : « C’est certain aussi que de se retrouver avec des gens du même âge, on développe des affinités je trouve ça intéressant, c’est le contact avec des gens avec lesquels on est rendu à peu près au même endroit dans la vie, la carrière est derrière nous, les enfants sont autonomes, je trouve ça intéressant aussi de pouvoir échanger avec des gens qui ont le même cheminement que toi » (Chantal).

Diane ajoute : « On rencontre des gens aussi, on se crée un réseau social, c’est des gens qui sont du même âge que nous, qui sont des grands-parents qui vivent les mêmes situations, on développe des contacts avec des gens qui suivent des cours et on s’informe même sur les cours qu'ils ont pris, donc ça nous permet d’identifier les plus intéressants, les meilleurs profs aussi » (Diane). Elle peut donc partager des évènements de sa vie en sachant que la personne qu’elle côtoie comprendra bien sa réalité. Mais il y a aussi pour plusieurs un aspect instrumental à ces relations, qui deviennent une occasion d’échanger avec les autres et de partager des références sur les cours mis à l’horaire et surtout sur la réputation des enseignants.

Pour la plupart des personnes rencontrées, les relations entre les étudiants se limitent à la présence sur le campus et à l’UTAQ. Rares sont ceux qui se voient à l’extérieur de ce

contexte. Plusieurs ont mentionné que l’UTAQ est une occasion de socialiser « en surface » avec les autres étudiants suggérant ainsi que les liens créés n’ont pas de suite. Claude pense qu’il est difficile de se faire de véritables amis à l’UTAQ ; les cours peuvent créer des liens, mais il s’agit de « liens éphémères » puisque quand le cours arrive à échéance il est rare que les relations survivent (Claude). L’idée de Nicole rejoint sensiblement celle de Claude, elle considère qu’il y a peu de contacts entre les étudiants, mais de son côté, ça lui va parfaitement. Elle n’envisage pas l’UTAQ comme un lieu de création de liens significatifs elle croit que « d’être en contact avec un milieu de connaissance c’est peut-être plus une affaire individuelle » (Nicole).

Les interactions entre les étudiants dans les cours sont assez limitées. Certains aiment les interventions de leurs collègues, d’autres moins. D’ailleurs ce sont souvent les mêmes qui usent de leur droit de parole et tentent de se faire valoir. Pour Luc, c’est souvent « tannant »14 de les entendre, il a d’ailleurs l’impression que certains étudiants « aiment un peu trop s’écouter parler » (Luc). C’est donc souvent à la pause-café que les groupes de discussions s’activent. Luc les qualifie à la blague « d’espèces de petits clubs sociaux » (Luc). L’effet de continuité agit aussi beaucoup sur la consolidation de ces petits groupes. C’est à l'intérieur des cours proposant plusieurs modules offerts à différentes sessions que se tissent plus facilement les liens entre les étudiants. Un sentiment d’appartenance à une discipline ou à une matière contribue ainsi à la formation de ces groupes. Luc explique : « Veux, veux pas, les mêmes visages se recroisent ; la gang de Gérald, je trouve ça fort agréable » (Luc). Dans ce cas-ci, un petit groupe s’est formé autour de Gérald qui est leur enseignant. Bien que ces relations soient assez superficielles et que selon Louise, elles ont du mal à persister à l’extérieur de l’UTAQ, elles satisfont une bonne majorité des participants. En ce qui la concerne, elle préfère ne pas suivre des cours avec des personnes qu’elle connaît puisqu’elle « apprécie faire de nouvelles rencontres » (Louise).

Il y a des exceptions à ces préférences; ainsi entre Luc et Roland, l’UTAQ a fait naître une fidèle amitié. Ils suivent les mêmes cours et se fréquentent de façon quotidienne en dehors de l’UTAQ en poursuivant souvent les réflexions et les discussions qu’ils ont suscitées.

14 Au Québec l’expression signifie « ennuyer ». Le verbe « tanner » se définit comme suit : « Préparer les

C’est également le cas de Sylvie qui partage une solide amitié avec une de ses collègues à l’UTAQ ; ayant récemment voyagé ensemble, leur amitié perdure au-delà des salles de classe. Dans ces deux cas, les étudiants de l’UTAQ poursuivent des cours « à progression » possédant plusieurs niveaux et modules. Les étudiants qui prennent ces options semblent être plus proches et plus susceptibles de développer des liens solides. C’est le cas aussi des cours d’anglais, fortement axés sur la conversation, les gens apprennent ainsi à se connaître davantage.

L’expérience de Mireille est quelque peu différente. Elle est fortement impliquée dans les groupes de conversation en langue anglaise qui ne sont pas des cours, mais bien des rencontres ponctuelles entre des étudiants de l’UTAQ désireux d’améliorer leur niveau d’anglais. Elle accorde une énorme importance aux relations que l’UTAQ lui permet de nouer. Elle dit pouvoir y parler ouvertement de sujets aussi variés que la fin de vie ou la sexualité. Ayant vécu la mort de l’un de ses proches récemment, elle affirme avec émotion que ses liens avec les autres étudiants de l’UTAQ l’ont aidé à traverser cette dure épreuve (Mireille). L’UTAQ permet vraiment à Mireille d’enrichir sa vie sociale, si bien que c’est l’argument qu’elle donne à son fils pour ne pas déménager dans la ville qu’il habite : « […] il n’y a pas d’université du troisième âge là-bas! Je suis bien à l’Université Laval, j’ai ma

gang! » (Mireille).

En résumé, les liens que les étudiants tissent entre eux et leur pérennité sont très diversifiés. Si certains participants ont dit ne pas envisager l’UTAQ comme un lieu propice à développer des amitiés, d’autres ont affirmé qu’elle contribue largement à demeurer actif socialement via la création de liens qui peuvent devenir significatifs.

Jusqu’ici nous avons rapporté la manière dont l’UTAQ permet de créer des liens qui, parfois, peuvent persister en dehors du contexte scolaire. Mais il y a une autre manière dont l’UTAQ peut permettre de rester actif socialement, c’est ce que les experts d’horizons divers désignent comme la participation sociale15. Certains envisagent même la

15 Le Gouvernement du Canada offre une synthèse de ce qu’est la participation sociale : « La participation

sociale renvoie à l'implication sociale des personnes et à leurs interactions les unes avec les autres. Des activités telles que le bénévolat, les dons de bienfaisance et la participation à des activités sportives et récréatives sont autant de formes de participation sociale » (Gouvernement du Canada 2016b).

participation à l’UTAQ comme une forme de participation sociale en soi. Pour les étudiants, la participation sociale a une signification spécifique qu’ils tentent de nous faire comprendre. Il s’agit de participation sociale dans la mesure où les aînés « restent dans la société ». D’après Pierre, il y a là un énorme défi puisque « rester dans le social demande des efforts à tous les niveaux » comme aller suivre des cours à l’université (Pierre). Du côté de Sylvie, « rester dans le social » c’est d’abord et avant tout pouvoir « émettre son opinion ». Plus précisément elle affirme : « Comme je te disais tout à l’heure la participation, ça nous permet d’évoluer en tant que membre de la société […] Ça nous permet en tant qu’individu d’évoluer et d’être quelqu’un qui va être actif » (Sylvie). Elle envisage ses cours à l’UTAQ comme un type de participation sociale puisque ses connaissances théoriques, mais également pratiques, comme l’esprit critique, lui permettront d’être une « citoyenne mieux avisée » (Sylvie). Parallèlement, Madeleine précise : « Moi je dirais que oui, l’UTAQ est une forme de participation sociale, on est quand même informé socialement, on peut discuter et réfléchir sur la société, ça permet de garder vivant l’intérêt social » (Madeleine). Dans le cas de Diane, elle considère que l’UTAQ a contribué à sa participation sociale puisqu’elle en a elle-même fait la promotion : « Oui parce que j’en fais profiter les autres, j’ai initié plusieurs personnes de l’UTAQ ça permet aux gens de sortir de chez eux de contrer l’isolement et on met nos connaissances en pratique » (Diane). Enfin, si certains participants ont affirmé participer à la société de façon plus élaborée en dehors de l’UTAQ, plusieurs d’entre eux envisagent cette institution comme une opportunité pour exercer un certain type de participation sociale.

Le fait que la notion de participation sociale se retrouve textuellement dans les propos des étudiants de l’UTAQ est un autre témoignage de la pénétration des termes spécialisés sur le vieillissement, issus des milieux savants, à travers les documents administratifs et jusqu’aux individus, ajoutant à la pertinence d’une analyse en terme d’anthropologie des politiques publiques. Le lien entre les politiques publiques qui constituent le principal mode de gouvernement dans une société néolibérale et le fait que les individus reprennent à leur compte les termes mêmes selon lesquels ils sont amenés à se gouverner de manière responsable est illustré clairement dans les propos que nous venons de voir. Une personne responsable, qui veut bien vieillir, doit donc rester active et s’assurer de participer socialement. L’UTAQ est un des moyens dont elle dispose et c’est à elle, en tant

qu’entrepreneur d’elle-même, comme le veut la philosophie néolibérale, d’en profiter pleinement.