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CHAPITRE 4 : Les étudiants de l’UTAQ une fois à la retraite : entre rupture et

4.1 Se retrouver à la retraite : un choix ou une imposition?

Ayant pris acte du fait que les participants étaient en grande majorité à la retraite, j’ai choisi d’explorer plus à fond la façon dont ils avaient vécu la rupture avec la vie professionnelle. En premier lieu, j’ai cherché à savoir si les participants avaient hâte à leur retraite ou s’ils avaient plutôt des appréhensions. Il s’avère que la retraite n’est pas du tout envisagée de manière uniforme et que les questions concernant leur sentiment à cet égard ont plutôt été détournées en cours d’échange vers la question du choix du moment de la prise de la retraite. L’un des facteurs importants est la prise de la retraite de leur conjoint ou de leur conjointe. Selon certains, le moment de la retraite a donc été planifié conjointement, une sorte de projet de couple vers un nouveau mode de vie. Pour d’autres, leur conjoint ou leur conjointe étant déjà à la retraite, le choix de cesser de travailler visait à réaliser des activités communes. C’est le cas de Madeleine qui n’avait pas particulièrement hâte à sa retraite, mais qui voyait son mari s’adonner à plusieurs activités ce qui a fini par la motiver à quitter on travail : « Moi je ne pensais pas arrêter aussi rapidement, je n’étais pas la fille qui disait j’ai hâte à ma retraite, je compte les mois, non pas du tout, je pensais continuer plus longtemps, mais là mon mari a arrêté avant moi et là il entreprenait toute sorte de choses dans la maison… » (Madeleine). Voir son mari avoir du temps libre en s’adonnant à toutes sortes d’activités l'a ainsi incitée à faire de même. Dans le cas de Sylvie, elle avait hâte à sa retraite puisque son mari y était depuis plusieurs années. Elle était impatiente de le rejoindre pour faire des activités et passer du temps ensemble, notamment à leur chalet. L’idée de prendre sa retraite est donc associée à de bons moments à partager avec ses proches, une opportunité tant attendue de vivre un temps agréable en bonne compagnie. C’est la vision idéale de la retraite représentée dans les médias, par exemple, et reprise ici dans ce scénario complètement assumé et planifié.

Ce portrait idyllique ne se réalise cependant pas pour tous. Ce n’est qu’une minorité des personnes contactées qui a pris sa retraite volontairement, une forte proportion des participants a plutôt, pour différentes raisons, dû composer avec une retraite imposée. Comme les gens rencontrés ont majoritairement œuvré dans la fonction publique, plusieurs ont fait référence au fait qu’ils n’ont pas choisi le moment de la prise de leur retraite. Le moment était venu, ils avaient fait leurs années de service. Des propos reflétant une certaine

acceptation rationnelle sont revenus à plusieurs reprises, si bien que l’expression « faire mon temps » s’est multipliée. Pour certains, le moment de la retraite, fixé par les conventions collectives ou l’organisation, ne correspondait pas à ce qu’ils souhaitaient et ils ont alors décidé de demeurer à l’emploi. Tel que le témoigne Pauline : « Je n’avais pas très hâte à ma retraite. J’ai pris ma retraite en 2000. Dans la foulée des départs de 1997, on m’avait suggéré de prendre ma retraite, mais je n’étais pas prête. Je me sentais encore compétente et utile dans mon travail » (Pauline). Pour d’autres, la pression des organisations a été déterminante, c’est le cas de Nicole qui évoque l’expérience de son entourage professionnel :

[…] je suis arrivée aux 35 ans, donc je n’ai pas eu à me poser la question si je pars ou si je ne pars pas. J’ai des collègues qui ont été un peu bousculés en 97 quand le gouvernement a dit: « Je fais des offres, il y a un surplus dans le régime et vous partez avec tels et tels avantages ou bien je coupe des postes occasionnels ». Alors là, il y en a qui à cause des avantages qui étaient offerts c’était difficile de dire non, alors ils ont pris leur décision précipitée à cause de ça, je ne dirais pas qu’ils l’ont regretté, mais ça n’a pas été comme un beau passage (Nicole).

La décision de prendre ou non la retraite pour les étudiants de l’UTAQ qui étaient fonctionnaires a alors souvent été un choix de l’employeur ou un choix financier. D’une part, le calcul logique les a souvent menés à concéder le moment de leur retraite à leur employeur. C’est le cas de Madeleine qui a constaté comme plusieurs qu’il n’y avait pas de « pénalités actuarielles » à la prise de sa retraite : « Je me suis aperçue que si je continuais à travailler j’aurais presque le même salaire, ce n’est pas juste ça, ça c’est un point de vue, mais financièrement j’allais avoir le même salaire! » (Madeleine). D’autre part, ce sont parfois les offres monétaires qui ont incité les gens à prendre leur retraite :

Je n’avais pas d’appréhensions, j’aimais mon travail, c’était agréable de travailler. C’était un milieu intellectuel beaucoup, à l’international c’était un milieu en développement, j’adorais mon travail, mais à un moment donné est arrivée une offre et je me disais les plus jeunes vont être meilleurs que moi, on est « passé date » un jour, il faut un peu accepter ça (rire) c’est un peu une blague, mais c’est vrai et à 64 ans une offre est arrivée, ceux qui veulent prendre leur retraite un peu plus tôt, les conditions étaient bonnes alors je l’ai pris (Roland).

Ces départs suscités par des offres attrayantes n’ont pas été sans laisser une certaine amertume. Se voir offrir une compensation monétaire pour quitter son emploi, après autant d’années de service, peut être envisagé comme une dévalorisation personnelle et une dévalorisation du travail accompli. Dans un contexte économique où l’âge de la retraite est de plus en plus retardé, lorsque les travailleurs âgés se font montrer poliment la porte, c’est l’orgueil qui est touché. Dans le dernier extrait, celui de Roland, un élément important doit être souligné, il s’agit du sentiment d’incompétence à l’égard du travail en comparaison avec l’apport d’une génération plus jeune. Il évoque même qu’il serait « passé dû », comme si la productivité et l’efficacité au travail étaient des « produits » avec des dates de péremption, le « produit » en question serait-il le capital humain évoqué au deuxième chapitre ? Un capital humain qu’il serait vain d’essayer de valoriser. Il y a donc une forte corrélation entre les motifs économiques et la prise de la retraite; celle-ci ne découle donc pas d’un choix volontaire, assumé et réfléchi.

Il y a aussi le cas des gens qui ne choisissent pas de quitter leur emploi. Un seul participant illustre cette situation, mais elle mérite d’être présentée car elle représente une réalité pour certains travailleurs plus âgés de la société. Du côté de René, la prise de la retraite est survenue suite à son congédiement :

En fait je n’ai pas pris ma retraite, il m’a mis dehors, c’était une petite compagnie où il n’y avait pas de plan de retraite, pas de syndicat. Comme je n’avais pas de fonds de pension, je m’étais dit que je vais durer ça jusqu’à la fin. Je ne voyais pas ça la retraite ou je la voyais avec une certaine inquiétude. J’avais hâte, mais je n’aurais pas fait le « move », quand il m’a annoncé que ma cessation d’emploi était prête, il m’a monté une bouffée de chaleur de soulagement, 30 secondes plus tard, j’étais à la retraite. (René).

Dans ce cas, la retraite, qui est d’emblée vécue comme un choc, peut représenter un moment encore plus saisissant de par sa nature impromptue. Ajouter le lot de préoccupations et de stress à une perte d’emploi à la prise de la retraite qui signifie qu’il n’y aura plus de recherche d’emploi, plus de collègues avec qui partager, peut être difficilement reçu. Pour ce qui est de René, cette mise à pied soudaine à un âge avancé l’a privé d’une préparation psychologique, mais aussi financière à la retraite. Pour Claude, la prise de la retraite a été vécue de façon très difficile, si bien qu’il m’a humblement confié avoir fait une dépression lors de cette transition. L’énorme changement entre la vie active et la

retraite a eu raison de sa santé mentale. Il a vacillé devant la peur du vide que représentait cette nouvelle période de sa vie.

Contrairement à ce qu’a vécu René, plusieurs étudiants de l’UTAQ m’ont fait part que leur organisation leur a offert une formation de préparation à la retraite. Selon eux, cette formation semblait principalement traiter de la planification financière en vue de la retraite. C’est donc dire que la retraite implique une planification importante qui peut s’avérer sécurisante pour les futurs retraités.

Prendre sa retraite peut donc entraîner des changements difficiles, mais des avantages peuvent aussi apparaître. Le lien entre le fait d’être à la retraite et la fréquentation de l’UTAQ est formulé clairement par Louise. Par exemple, elle affirme avoir toujours eu hâte à sa retraite pour enfin atteindre l’âge minimal pour s’inscrite à l’UTAQ. Quant à Luc, il avait tellement hâte à sa retraite qu’il l’a prise six mois avant d’avoir complété ses années d’ancienneté dans son milieu de travail. Ces témoignages quant au choix ou au moment de la prise de la retraite rappellent la multitude de scénarios possibles allant d’une retraite bien préparée psychologiquement et financièrement planifiée à une autre imposée et subitement vécue.

Peu importe ces différences, les nouveaux retraités ont certainement plusieurs choses en commun du fait de leur coupure avec le monde du travail à commencer par du temps. On s’imagine généralement que les retraités disposent de beaucoup de temps libre. Cependant la plupart des étudiants de l’UTAQ ont répondu n’avoir aucune appréhension à l’égard de la retraite puisqu’ils n’avaient pas peur de s’ennuyer. Ainsi, des phrases comme celle de Luc : « La retraite, je n’avais aucune appréhension, je ne pense pas parce que je savais que je trouverais quelque chose pour m’occuper » (Luc) se sont multipliées. Comme si se tenir occuper était la clé du succès à la retraite, se tenir occuper via une multitude d’activités.