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CHAPITRE 7 : Discussion : l’UTAQ, une option pour bien vieillir

7.1 Cultiver ses neurones

Tel que mentionné plus tôt, demeurer actif cognitivement est considéré comme l’un des ingrédients pour réussir son vieillissement. Nous avons vu que cette conception est bien ancrée dans les propos des étudiants, ils ont bien retenu cette leçon qui leur parvient de multiples sources. L’argument premier invoqué par plusieurs pour s’inscrire à l’UTAQ répondait clairement à cet objectif : préserver leur santé cognitive. Plusieurs étudiants se sont référés directement à cette notion et dans leurs propos elle était très fréquemment jumelée à l’idée de responsabilisation. Ainsi, une participante affirme : « Il faut que les

gens se prennent en charge et s’occupent d’eux et la poursuite du développement cognitif à la retraite en fait partie » (Pauline). Les mots utilisés par les aînés évoquent la responsabilisation. Par exemple, ici Pauline dit « qu’il faut que » rappelant le « ought to » présenté précédemment dans l’étude de Nyqvist (2011). Ce « il faut que » suggère que les gens savent que certains comportements sont nécessaires, voire obligatoires, et dans ce cas précis il s’agit d’activités qui visent à conserver sa santé cognitive et éloigner au maximum la perte de ses capacités. Cet énoncé « il faut que » renvoie même à la menace d’une certaine culpabilité si les actions ne suivent pas les intentions. On pourrait même reconnaître ici la philosophie néolibérale et son accent sur la responsabilisation individuelle. Préserver ses capacités mentales le plus longtemps possible est réellement fondamental pour Pauline et, pour elle comme pour plusieurs autres étudiants, l’UTAQ est l’endroit tout indiqué pour atteindre cet objectif : « Rester active cognitivement, actuelle, bien au fait de l’actualité. C’est vraiment pour conserver une santé intellectuelle que je vais à l’UTAQ » (Pauline). De la même façon, Nicole, qui suit ses cours à l’UTAQ avec son conjoint, explique que l’UTAQ représente un « apport intellectuel » important dans leur vie (Nicole). Elle mentionne que la vie ne finit pas avec la retraite et qu’il est nécessaire « de préserver et de faire fructifier son bagage intellectuel pour profiter de la vie » (Nicole) :

[…] la vie n’est pas finie, le travail, ça fait partie de la vie, mais ce n’est pas toute la vie. Il y a encore 30 ans après il faut quand même se meubler l’esprit, il y a bien des manières, on peut lire je pense que ça il y a bien des gens qui le font, mais l’UTAQ c’est une manière plus active de le faire, il y a une interaction, il y a des professeurs stimulants. Il faut continuer à apprendre, il ne faut pas se couper du monde, se couper de la vie, ce n’est jamais fini d’apprendre. Il faut continuer à comprendre le monde (Nicole).

Sylvie témoigne dans le même sens. La raison pour laquelle elle s’inscrit à l’UTAQ c’est qu’elle ne veut pas arrêter de développer sa mémoire. L’UTAQ lui donne le sentiment de « demeurer alerte, de rester en vie et de continuer à évoluer » (Sylvie). Elle explique son raisonnement :

Je remarquais jusqu’à quel point quand tu suis des cours, tu prends des notes et le développement de l’esprit de synthèse que cela exige. J’ai 60 ans, les idées s’en vont un peu, tandis que là plus ça allait, j’ai beaucoup plus d’esprit de synthèse qu’avant, je suis capable de développer cette habilité-là. Tu sais, une personne qui vieillit a de plus en plus de misère à retenir et à se structurer. C’est facile en vieillissant, on dirait que tout part, ne serait-ce que ces trois heures-là

où je vais à mon cours, mon esprit peut être concentré je suis capable de faire une synthèse, je remplis 10-12-15 pages par cours et je conserve mes notes. C’est une habileté manuelle et intellectuelle en même temps (Sylvie).

Sylvie est visiblement très préoccupée par sa mémoire. D’ailleurs, au fil des entrevues, il est devenu évident que la perte de la mémoire préoccupe plusieurs participants. Madeleine en a également beaucoup parlé. Issue du domaine de la santé, elle a vu beaucoup de gens qui perdaient la mémoire parfois de manière dramatique: « Moi ce qui est important, c’est de me maintenir en forme par différentes activités et l’UTAQ me le permet […] c’est important, je ne veux pas “devenir Alzheimer” non plus, moi je ne suis pas tellement une fille manuelle, je préfère acquérir de la connaissance » (Madeleine). Cette étudiante, en se référant au risque de la maladie d’Alzheimer, rappelle que cette maladie associée au vieillissement est toujours présentée de façon alarmiste dans les médias et dans la politique québécoise « Vieillir et vivre ensemble »13. Pour sa part, fréquenter l’UTAQ est l’un des choix responsables qu’elle a fait pour cultiver son esprit et, si possible, diminuer les risques de dériver vers cette condition.

Pour d’autres étudiants, l’UTAQ arrive à remplacer la stimulation mentale que la vie professionnelle assurait. Pour l’un d’eux, quitter son travail représentait une menace pour sa santé cognitive : « J’étais très conscient qu’à la retraite, si on arrête, les facultés arrêtent aussi. Mon imagination était toujours débordante, ça me prenait quand même une activité qui pouvait combler mes attentes, je ne suis pas très sportif, mais l’UTAQ et les conférences m’intéressaient » (Claude). L’UTAQ lui permet de se tenir le plus alerte possible puisqu’elle contribue à « faire marcher ses neurones » (Claude). D’autres participants ont utilisé les mêmes mots pour parler de la manière dont l’UTAQ leur permet de conserver leur vivacité d’esprit. Luc dit qu’il n’arrive certainement pas à tout retenir, mais ce qu’il retient lui permet de « tenir son cerveau en forme » (Luc).

13 Dans la politique «Vieillir et vivre ensemble» un paragraphe présente la maladie d’Alzheimer : « On estime

que 33 % des personnes de 80 ans ou plus sont atteintes de la maladie d’Alzheimer, alors qu’il s’agit du groupe d’âge qui connaît la croissance la plus rapide dans la population. En 2009, on estimait à environ 100 000 le nombre de personnes de plus de 65 ans qui en étaient atteintes. Il y aurait environ 23 000 personnes nouvellement atteintes chaque année. Avec le rythme anticipé du vieillissement de la population, on peut s’attendre à ce que ce nombre ait doublé d’ici 2030, pour atteindre environ 43 000 » (Gouvernement du Québec 2012 : 25).

L’UTAQ n’est pas officiellement liée avec la politique québécoise sur le vieillissement, mais elle joue néanmoins un rôle important de l’avis des étudiants eux-mêmes. Alors que plusieurs s’inquiètent des problèmes de santé physique qui découleraient de l’âge, Diane a souligné que la santé cognitive est tout aussi importante. De son côté, bien vieillir c’est d’abord et avant tout rester en forme intellectuellement. Elle précise : « On dit aux gens que c’est important de faire du sport pour se garder en forme, je pense que pour rester en forme intellectuellement, c’est important de lire, de suivre des cours, si on veut entretenir notre mémoire aussi. Je trouve que c’est une façon de se garder en santé au niveau mental et physique » (Diane).

L’idée de bien vieillir et son corollaire qu’est l’activité pénètrent nos vies parce qu'ils semblent aller de soi, ils constituent un idéal que personne ne voudrait contester. Retracer les avenues par lesquelles les messages de la politique québécoise parviennent jusqu’aux personnes n’était pas l’objectif de ce mémoire, mais les propos des étudiants de l’UTAQ ont révélé qu’ils étaient sensibles à ceux-ci. Tous n’ont pas été convaincus cependant et c’est intéressant en soi. Cet idéal et les normes qui le diffusent créent des effets pervers comme nous l’avons vu précédemment. Ces effets sont bien résumés par Laliberte-Rudman qui précise que « les discours et les politiques sur les aînés forgent et perpétuent une dichotomie entre l’aîné engagé, actif et en santé et l’autre passif et dépendant » (Laliberte- Rudman 2015 : 19). Nous venons de voir comment l’activité intellectuelle est prisée et vue comme un moyen de bien vieillir. Les propos des étudiants montrent qu’ils sont bien conscients de cet idéal et qu’ils agissent comme s’ils avaient le devoir non seulement de rester alerte, mais aussi le pouvoir d’éviter la dégénérescence cognitive. Depuis les rapports de l’OMS, en passant par la politique québécoise sur le vieillissement et jusqu’aux personnes qui fréquentent l’UTAQ, l’idéal de bien vieillir a fait son chemin et infiltré les esprits.