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CHAPITRE 5 : L’étudiant de l’UTAQ et son rapport à soi comme être vieillissant

5.3 Vieillir et devenir un fardeau social

Pour plusieurs des personnes rencontrées, le problème majeur que les gens doivent affronter en vieillissant est le manque de considération de la part de la société. Une association est alors souvent faite entre le vieillissement et une charge sociale. On est vite face aux stéréotypes, qui sont le carburant de l’âgisme. Outre la maladie, devenir un fardeau social en vieillissant est la principale crainte de mes interlocuteurs. Ces aînés ont une vision très lucide de la place ou plutôt « du peu de place » qui leur revient dans la société. Donc, c’est souvent sous le ton de la résignation et même à certains moments de la

colère que les gens ont décrit cette réalité. Le thème principal est résumé dans l’idée de « fardeau social ». Le stéréotype le plus généralisé à propos des aînés fait référence au poids financier qu’ils représentent pour les générations à venir. À ce sujet, Luc a partagé sa vision des choses :

[…] j’ai de la misère avec ça ces aspects-là du vieillissement et la considération que la société et nos politiciens apportent aux gens âgés, ça, ça fait partie de notre bonne vieille société de consommation, c’est des gens qui ne produisent plus, ils sont emmerdants, il faut payer pour, ils coûtent cher on se pose des questions, faudrait-il les laisser mourir, devrait-on couper leurs médicaments ? J’ai de la misère avec ça (Luc).

Dans les propos de cet étudiant, c’est le coût pour la société qui ressort; pourtant ce qui pèse, c’est aussi le fait que les gens vieillissants sont vus comme n’ayant pratiquement plus de capital à faire fructifier et qu’ils ne sont plus vraiment en mesure d’aider les plus jeunes à faire fructifier le leur puisqu’ils sont considérés « hors-circuit ». Ils deviennent un poids dans une société centrée sur des individus responsables d’eux-mêmes, uniquement d’eux- mêmes. Qui donc va s’occuper des vieux ? Luc fait une lecture intéressante en termes de productivité et de rentabilité. Mais il note aussi l’importance de l’approche gestionnaire de la société et les problèmes éthiques qui en découlent plaçant la dignité humaine au centre de son propos :

Tu es chanceux si tu ne meurs pas dans un corridor, c’est atroce parce que les gens âgés, c’est quand même des gens qui ont apporté à la société et outre l’apport que tu as eu dans la société et ce que tu as dépensé pour faire marcher l’économie, à part de tout ça, c’est l’être humain, il mérite d’être traité mieux que ça, mais notre société est appuyée sur le matériel et la société de consommation (Luc).

Pour lui, il y a trop peu d’institutions où les individus peuvent mourir dans la dignité, comme la Maison Michel-Sarrazin10, et il y a un manque flagrant de ressources dédiées aux soins palliatifs. Les propos de Nicole vont dans le même sens : elle pense que le problème vient du fait que les aînés sont tous « mis dans le même panier », alors que pour elle il y a une nette différence, en terme de coût social, entre une personne de 70 ans et une de 90 ans.

10 « Crée en 1985, la Maison Michel-Sarrazin opère une maison de fin de vie, un centre de jour et des services

de soutien aux proches. Ces services sont offerts gratuitement aux patients et à leurs proches. De plus, la Maison Michel-Sarrazin soutient le développement des compétences en soins palliatifs par la formation, la recherche et des publications en soins palliatifs » (Maison Michel-Sarrazin 2016).

(Nicole). Selon elle, c’est vraiment un élément à distinguer, c’est vrai qu’un aîné peut coûter cher au système de santé, mais c’est souvent dans les derniers moments de sa vie, pas durant « les 25 ans de sa retraite » (Nicole). Elle est donc exaspérée de « tout ce qui se dit de méchant » concernant les baby-boomers et elle dénonce que plusieurs discours véhiculés à leur égard « ne sont pas toujours mérités » (Nicole) :

[…] quand on lit ça, du moment que tu es âgé, ça veut dire que tu encaisses ta pension de vieillesse et que tu es quasiment devenu un fardeau, tu coûtes cher, c’est sûr que tu vas consommer des soins de santé et qu’on va vider la caisse et puis, etc., etc. […] Ça ça m’agace parce que ce n’est pas vrai, je veux dire on consomme, bon il y en a même qui travaillent, on a des revenus, les plus jeunes nous accusent d’avoir des pensions dorées, mais on paie de l’impôt au même taux que les revenus de travail donc on contribue aussi de différentes façons. On est peut-être des inactifs, mais on n’est pas improductifs sur le point de vue économique, ça ça m’agace, ça, j’haïs ça ce discours-là (Nicole).

Comme Luc, Roland met de l’avant la corrélation entre l’improductivité des aînés et leur faible considération sociale. À regret, il pense vraiment qu’ils sont considérés comme un poids parce qu’« ils ne produisent plus » en plus d’« exiger beaucoup en terme de soins » (Roland). Cette discussion avec lui a mené à une réflexion sur la manière dont devraient être considérés les aînés dans la société. Pour ce participant, une chose est certaine, le problème c’est que le savoir et l’expérience des aînés ne sont pas reconnus à leur juste valeur dans la société. Les soins et les services pour les aînés sont également influencés par cette perte de reconnaissance de la vieillesse :

La société en fait, mais elle ne le fait pas bien, il y a des affaires qui ne sont pas correctes. Les aînés sont un poids pour la société, alors ils sont traités comme tel. Il faudrait s’en occuper, on ne peut pas les laisser aller quand même, mais ça reste difficile alors qu’il y aurait tellement moyen de faire mieux en terme de garder les gens chez eux en terme de services, ça coûte cher, mais les gens qui donnent des soins ils sont payés et l’argent qu’ils gagnent, ils la dépensent ensuite. Tu paies quelqu’un pour construire des automobiles, travailler dans les usines, tu peux payer pour s’occuper des personnes âgées aussi. Rendre les gens autonomes je suis d’accord là-dessus, mais de là à dire que la société n’est pas responsable des personnes âgées, il y a une marge. L’argent, il est où l’argent ? Dans les années 60 on développait, c’est la volonté qui n’y est pas, c’est ça le problème. Quand j’avais des enfants, je leur disais qu’ils seraient mieux que moi, ce n’est pas vrai aujourd’hui, ils travaillent plus, ils sont plus endettés et ils ont plus de problèmes qu’on avait, elle est où l’amélioration? Je me le demande… (Roland).

Roland fait notamment référence au manque de ressources pour le maintien à domicile des personnes âgées, des ressources détournées au profit du secteur privé qui construit des résidences souvent trop coûteuses pour ce que peuvent se permettre la majorité des aînés. Si l’État accordait des fonds pour aider les gens vieillissants à demeurer dans leur domicile en leur accordant de l’aide pour les repas ou l’entretien, cet argent retournerait dans le circuit, car les salaires sont imposés et les gens qui gagnent de l’argent consomment.

Cette représentation sociale, l’aîné en tant que charge importante pour l’État, est donc bien installée, autant dans les perceptions des personnes que dans les politiques publiques. Cette peur de devenir un fardeau pour la société et pour ses proches renvoie à la discussion sur la responsabilité et sur la nécessité de se prendre soi-même en charge. L’adoption des préceptes du bien vieillir, protégerait donc les aînés de cette dépendance sociale et de ce statut « d’inactif » qui, selon la logique néolibérale les transforme en un fardeau social. Pour une étudiante, la solution pour les aînés est de « rester positif et d’apporter leur contribution, parce qu’autrement, ils deviendront une charge et c’est quelqu’un d’autre qui devra s’occuper d’eux » (Diane). Il est ici très intéressant de constater que pour les aînés qui ont pris part à ma recherche, l’indépendance est primordiale. Eux qui ont témoigné donner de leur temps pour venir en aide à leurs parents et à leurs enfants ne veulent absolument pas devenir un fardeau pour leurs proches. Ils souhaitent également ne pas devenir une charge pour la société en général. Par exemple, Roland affirme qu’il veut prendre le moins de médicaments possible pour éviter de contribuer aux dépenses publiques reliées à la santé. Les résultats de l’étude de Blein et ses collègues quant au baby-boomers aidants montrent aussi que l’autonomie est fondamentale: « Ne plus être capable de prendre soin de soi, de prendre ses propres décisions, bref, de dépendre d’autrui, va à l’encontre de la perception qu’ils ont d’eux-mêmes en tant que maîtres de leur destin» (Blein et al. 2009 : 126). Les étudiants de l’UTAQ posent donc un regard assez critique sur la manière dont les aînés sont considérés socialement et désirent faire tout en leur pouvoir pour ne pas vivre aux crochets de leurs proches et de l’État.