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Le développement du centre métallurgique joue un rôle central dans l’expérience que font les jeunes du milieu urbain puisqu’ils se trouvent à l’épicentre des enjeux sociopolitiques et économiques de la province, et de manière plus précise encore, de Koné. Encore une fois, les représentations que se font les jeunes de la mine et de ses impacts ne sont pas univoques. Damien, par exemple, est en faveur de la mine pour le travail qu’elle apporte, mais est inquiet quant aux risques environnementaux :

Eve : Toi tu penses quoi de la mine, Vavouto, tout ça?

Damien : Il y a des points négatifs, des points positifs. Les points positifs c’est le travail pour les gens. Ça apporte beaucoup de travail. Pour les gens d’ici, enfin, le nord quoi. Avant c’était dur de trouver du travail. Maintenant on peut en trouver facilement. Ça et… il y a quoi comme point positif? Voilà, il y a ça. Après, les points négatifs... Il y en a beaucoup.

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Eve : Est-ce que tu veux m’en nommer? Damien : Déjà, les dégradations… Eve : Environnementales?

Damien : Voilà, environnementales. La mangrove, c’est important ça, la mangrove. La mangrove, même la forêt. Parce qu’en fait le… c’est sur les mines, il y a un type de forêt. Eve : Forêt sèche?

Damien : Non, c’est le maquis minier. La forêt sèche, c’est plutôt là, là. Mais en montagne c’est le maquis minier. C’est la forêt où il y a le plus d’espèces endémiques. Et là, ils sont en train de tout détruire. Il y a des gens qui viennent replanter par-dessus, mais voilà, ça va mettre du temps avant de… reprendre le même rythme qu’avant. Il y a ça, après… Bah les terrains. Pis les magouilles politiques.

Eve : Ah oui, tu peux me donner des exemples?

Damien : Ben, la corruption avec l’argent quoi. C’est facile de se faire acheter, les gens ils se font acheter bêtement. Ils se font avoir avec l’argent.

Eve : Est-ce qu’il y a d’autres types d’impacts?

Damien : Après l’eau… Le récif, tout ça. Le récif corallien. On a un des plus beaux récifs. Et voilà. Avec tout ça, ça ne va pas durer longtemps…

Eve : Est-ce que tu connais un peu les dispositifs qui sont mis en œuvre par KNS pour protéger l’environnement?

Damien : Oui, oui.

Eve : Pour toi ce n’est pas suffisant?

Damien : Ah non, ce n’est pas suffisant. Il faudrait plus. Parce qu’avec ce qui… comment on dit ça. Avec tout ce qu’ils défrichent, le reboisement par-derrière, ça ne suffit pas. Il faudrait plus. Ça met du temps à pousser un arbre. C’est surtout sur le récif que… La barrière a dû mettre combien de milliers d’années à se faire, et nous comme ça, on tue tout… Il n’y aura plus rien.

Toutefois, ce qui ressort le plus souvent de mes entrevues et observations auprès des jeunes, c’est le sentiment de ne pas être pris en compte, de ne pas avoir un droit de parole et surtout, d’être mis de côté. Cette narration illustre la manière dont ces jeunes vivent les inégalités socio-économiques que le « boom » économique vient exacerber35. Comme nous l’avons vu, les jeunes qui ont participé

à mon étude sont peu scolarisés et encore moins spécialisés. De ce fait, seuls les « petits emplois »

35 L’implantation du projet minier a généré une inflation des prix en particulier dans les secteurs du foncier, de l’habitat et

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à durée indéterminée leur sont accessibles, ce qui teinte fortement ce qu’ils pensent de la mine et de l’usine. Voici l’échange que j’ai eu avec Willy :

Eve : Tu as l’impression que c’est qui qui en profite?

Willy : Plutôt les grosses têtes en ce moment. Les mecs avec la bonne place… Eve : Et les jeunes eux, ils n’ont rien?

Willy : Ils sont bons pour le ménage. Passer avec les balais.

Pour sa part, Jonathan reconnait le travail que les travailleurs ont dû faire pour avoir des postes à Vavouto, mais il a tout de même le sentiment de se faire « prendre sa place » :

Moi, je vois les autres, ils ont un travail, une maison, ils ont une voiture. Ils ont du fric, quoi. C’est vrai, ils ont sué pour ça, personnellement pour pouvoir arriver où ils sont, mais… Mais, moi voilà quoi! (rire) C’est vrai que quand un mec il vient, il travaille à Vavouto. Il a son fric, il a sa femme, il a une belle voiture et puis… moi, j’ai rien du tout, quoi. […] Voilà, je suis en colère parce que ces mecs ils viennent d’ailleurs et ils prennent ma place. Il se fait du fric sur ma terre.

En raison de l’incapacité à tirer des avantages plus directs du développement minier en cours, une perte de confiance semble subvenir envers « les politiques » (politiciens) que les jeunes disent « corrompus » et possiblement, envers les coutumiers qui ont dû donner leur aval au projet. À propos de l’acceptation du projet Goro Nickel en province Sud, Kally affirme que certain coutumiers du Sénat coutumier auraient accepté le projet sans l’aval des autres institutions coutumières telles que le conseil coutumier, les chefs de districts et les chefs de clans concernés pas le projet. À son avis, ils ont « plus pensé au développement, à l’argent et tout ça… ». Toutes ces accusations délégitiment « les politiques » et leur capacité à s’occuper des affaires « du peuple » puisqu’ils seraient trop préoccupés par leurs propres profits. Ces mêmes politiciens et coutumiers sont accusés d’avoir perdu les valeurs kanak au profit de l’argent.

Enfin, en ce qui a trait au sentiment qu’ont les jeunes d’être mis de côté, une situation s’est avérée très révélatrice lors de mes observations. À Koné se trouve le stade Yoshida. Il s’agit d’un stade multisports, recouvert d’un revêtement synthétique et complètement sécurisé. L’accès au stade est restreint aux associations de sports, de loisir et aux écoles. Puisqu’ils ne font pas partie de ces

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associations et n’ont donc pas accès au stade, certains jeunes se sentent mis de côté. Jonathan témoigne de ce sentiment :

Jonathan : Mais il n’y a rien à faire ici au village. Il n’y a pas d’animation pour nous, les jeunes. On n’a pas de… un endroit à nous quoi, ou on peut… rester, et où il y a de la musique, des ordinateurs… Qu’on nous anime quoi. Il n’y a pas de sports déjà… Tu descends au village, tu peux pas aller jouer au football. Il y a un terrain de football; tu ne peux pas jouer dessus. Ça ne sert à rien.

Eve : Il y a un terrain de foot, mais vous ne pouvez pas aller jouer dessus? Jonathan : Ils ont peur d’esquinter la pelouse.

Eve : Ah, et c’est un terrain qui appartient à une école?

Jonathan : Non, c’est le terrain de la commune. L’OMS [Office municipal des sports], le stade Yoshida. Je ne sais pas, elle a jeté combien de millions, on n’a même pas le droit d’aller jouer dessus.

À la fois témoin du développement des infrastructures à Koné et de l’amélioration du niveau de vie de certains individus ou groupes d’individus, les jeunes sont déçus de ne pas avoir accès à certaines de ces infrastructures alors qu’il est donné à d’autres groupes d’individus. Ce type de situation témoigne, pour eux, de leur mise à l’écart. Toutefois, cette perte de confiance envers « les politiques » qui s’intéresseraient « aux jeunes » seulement lors de campagnes électorales et les craintes qu’occasionne l’arrivée massive d’étranger sont réinvesties de façon créative par les jeunes. Plutôt que de ne « rien faire », de « se plaindre » et d’attendre que quelqu’un agisse, les jeunes de la bande des Cigales vont tenter de se monter en association loi de 1901 afin d’animer la commune et d’y créer un espace de participation à la vie politique. Nous reviendrons en détail sur ce projet au chapitre suivant.