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3.1. Les représentations de la jeunesse kanak

3.1.1. Jeunesse kanak, un euphémisme?

Lors d’un entretien paru dans Les jeunes et le premier emploi en 1978, Pierre Bourdieu affirmait que « La jeunesse n’est qu’un mot ». Ce qu’il entend ici, c’est que la définition de la jeunesse est le résultat d’un processus de construction sociale continue. En Nouvelle-Calédonie, peut-être comme partout ailleurs, « la jeunesse » s’oppose aux « vieux ». Pour la société kanak, l’expression « vieux » réfère autant aux vivants, aux non-vivants qu’aux ancêtres, comme l’exprime Jonathan lorsque je lui demande ce que signifie la coutume pour lui : « Si on me dit, on marche avec les vieux. On va dire un peu le mystique quoi. Voilà, on marche avec le vieux. On marche avec tous ceux qui sont passés avant nous ». Dans ce travail toutefois, j’entends principalement par « vieux » ceux qui sont vivants et qui, au sein de la société kanak, détiennent les savoirs et les connaissances sur la culture et qui sont souvent désignés comme étant les « coutumiers ». Dans la société kanak qui est très hiérarchisée21,

les autorités coutumières sont les personnes ayant le plus de légitimité pour se prononcer sur la

19 Dans le cadre des programmes de Mobilité Québec depuis 2007 et Mobilité Canada depuis 2010, plusieurs jeunes

néo-calédoniens réalisent des formations dans les cégeps du Québec dans le but de se former dans le secteur du développement industriel de l’exploitation minière. Ces programmes ont vu le jour dans le sillage des projets miniers des compagnies KNS (au nord) et Vale-Inco (au sud) (Salaün 2014 : 55).

20 Pour un autre exemple de ce genre de discours, voir Trépied (2016).

21 Pour plus de détails sur le rôle de la coutume dans la hiérarchisation de la société kanak, voir Bensa (1995) et Bensa

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coutume. L’expression « la jeunesse » est aussi souvent utilisée par la société dominante pour désigner la jeunesse kanak (ou océanienne) ou celle qui pose problème. Ainsi, de manière générale, on retrouve deux grands ensembles qui produisent un discours sur la jeunesse kanak : d’une part, les autorités coutumières souvent associées aux « vieux » et d’autre part, la société dominante. Ainsi, la société dominante ne détient pas le monopole des représentations qui pèsent sur la jeunesse puisque certaines d’entre elles sont produites et renforcées au sein même de la société kanak.

Le discours le plus commun, que l’on peut lire et entendre à propos des « jeunes autochtones », surtout ceux résidant en milieu urbain, suggère qu’ils sont pris entre la tradition et la modernité. En Nouvelle-Calédonie, les coutumiers — ceux qui détiendraient les connaissances sur la culture (ou la coutume) authentique — font partie de ceux qui produisent ce discours. D’abord, la ville, et plus particulièrement le quartier, sont représentés par ces derniers comme des lieux complètement étrangers et incompatibles avec le bien-être des jeunes kanak comme le démontre l’extrait suivant d’un rapport produit par le Sénat coutumier : « La différence entre un jeune bien inséré et un jeune en déclin de marginalisation se quantifie au temps passé dans le quartier » (Sénat coutumier 2009 : 6). Dans le même rapport, il est affirmé que le « mode de vie occidentale22 » est fortement nuisible pour

les Kanak qui se retrouveraient alors sans repère, les faisant tomber dans les conduites à risques, comme la consommation de cannabis et d’alcool, ou encore la prise de risques comme la conduite dangereuse de véhicule : « Ce mode de vie importé pervertit sournoisement le système traditionnel » (Sénat coutumier 2009 : 22). En outre, le mode de vie occidentale est systématiquement opposé au mode de vie traditionnel :

[…] en milieu urbain, l’éducation des enfants est concurrencée par des nouvelles préoccupations familiales notamment en matière d’emploi; un « laisser-aller » et un manque d’attention envers les jeunes sont en augmentation dans les foyers. À la différence du milieu tribal où l’attention est davantage centrée sur le jeune et exercée par l’ensemble de la composante familiale et également par le fait de son appartenance clanique (Sénat coutumier 2009 : 31)

22 Pour le Sénat coutumier, la mode de vie à l’occidentale est synonyme de « la facilité, de l’anonymat, de la liberté vis-à-

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Si le « mode de vie à l’occidentale » et la vie urbaine sont les premiers fautifs dans cette perte de repères traditionnels, les parents en portent la responsabilité. Ces derniers, comme l’a montré Marie Salaün (2009), sont présentés comme étant incapables de transmettre la « culture » traditionnelle.

La transmission des valeurs coutumières n’est plus assurée comme autrefois, les rites qui traditionnellement balisaient le passage de la fin de l’enfance à celui de l’adulte sont moins exercés au détriment de l’importance du rite sacré de la position sociale traditionnelle du jeune. Excusés par l’insouciance de la jeunesse, les couples sont bien souvent dans l’incapacité d’assumer seuls leurs enfants et ne peuvent hélas, leurs transmettre les valeurs coutumières qu’eux-mêmes ont parfois sommairement reçues. De plus, visiblement la consommation d’alcool, de cannabis et de kava font perdre, dans une parfaite insouciance, toute crédibilité à l’égard de leurs enfants. (Sénat coutumier 2009 : 19)

Se faisant, le Sénat coutumier participe à la production d’un cadre représentationnel de la jeunesse bipolarisé. D’un côté, se trouve la coutume, la tribu, les « vieux » auquel est associé le jeune bien dans sa peau et dans sa tête et inséré au sein de la société kanak et de l’autre, la vie moderne, « les Blancs » et le jeune perdu et délinquant. Ces derniers seraient incapables de se projeter dans le futur et encore moins, de participer à la vie politique.

Les jeunes ont du mal à se fixer dans tout ce qui gravite, dans le monde actuel. Vivant en témoin de ce qui se passe autour d’eux dans le paysage politique, ils ne comprennent pas les propos des interlocuteurs, accentuant ainsi l’image floue de la projection vers l’avenir en raison qu’il n’en maîtrise pas les tenants et les aboutissants. De ce fait, l’implication du jeune dans les espaces de parole et d’actions politiques devient très difficile, voire impossible. (Sénat coutumier 2009 : 41)

S’ajoute à ces représentations un discours complémentaire : celui sur la délinquance. C’est ce lien qui transparaît dans cette question soulevée dans le rapport du Sénat coutumier : « Comment les jeunes peuvent-ils se projeter dans le futur en tant qu’acteurs s’ils ne parviennent pas à trouver leur place dans une société qui oscille entre tradition et modernité? » (2009 : 7). Être « pris » de la sorte entre tradition et modernité n’est pas vu comme pouvant contribuer au rayonnement de la société kanak, mais plutôt, comme un risque à la transmission. Le discours sur la délinquance, problème auquel le Sénat coutumier tente de trouver des causes et des solutions, est largement relayé par les médias en Nouvelle-Calédonie qui semblent tenter de faire régner un climat de peur et de méfiance envers les jeunes. Citée sur le blogue d’information Calédosphère dans un article au titre alarmiste, « Délinquance des mineurs : la Calédonie en danger! », la procureure générale, Annie Brunet-Fuster, annonçait que la « délinquance des mineurs est en hausse », précisant toutefois que « la délinquance des mineurs concerne toutes les ethnies du territoire [mais] qu’elle est majoritairement

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kanak et que de ce fait, la jeunesse kanak est en danger » (Calédosphère, 2013). Sur le même blogue, qui semble avoir une fréquentation relativement élevée23, un usager affirme sans source à

l’appui qu’« en Kanaky–Nouvelle-Calédonie, les [C]alédoniens et particulièrement les [O]céaniens ont une forte tendance à une consommation abusive de l’alcool. Le monde de vie “océanien” en accord avec la culture de type collectiviste (ou communautaire) est propice à une forme de pratique d’alcoolisation massive, qui prend un caractère très inquiétant en terme de santé publique en Kanaky–Nouvelle-Calédonie » (Palika 2015)24. Ces propos ont certes été tenus dans un simple

blogue sous le couvert de l’anonymat, mais représentent une part de l’opinion publique sur les jeunes Kanak, et participent à la production du discours sur « la jeunesse ». Pour explorer l’état du discours dans les médias officiels, j’ai cherché les mots clés « jeune » et « délinquant » dans les archives du site web de Les Nouvelles calédoniennes. Sur un total de 1093 articles, 119 ont été publiés l’année de mon séjour sur le terrain, soit en 2014. Le traitement des événements survenus dans les pourtours de la tribu de Saint-Louis à la suite d’une fuite d’acide à l’usine de nickel Vale-Inco située dans la commune du Mont-Dore témoigne de la participation des médias calédoniens aux représentations de la jeunesse comme une « jeunesse perdue », sans avenir et délinquante, mais aussi, comme ayant perdu les liens avec la tradition. Après l’incident survenu à l’usine, des jeunes de la tribu de Saint-Louis sont entrés en opposition avec les autorités coutumières locales qui ont choisi de négocier avec la géante brésilienne Vale Inco Nouvelle-Calédonie. En guise de protestation, ils ont bloqué la route du Sud à la hauteur de la tribu et ont lancé des pierres sur certaines voitures de passants. Ces événements ont mené à des altercations entre les manifestants et les gendarmes, allant même jusqu’à des échanges de coups de feu. Dans un article paru le 26 mai 2014 dans Les

Nouvelles calédoniennes, les jeunes sont décrits comme étant « en rupture avec les vieux » (Les

Nouvelles Calédoniennes, 2014). Ce discours implique d’une part, qu’ils auraient perdu les liens avec la tradition kanak, mais aussi que les vieux auraient perdu l’autorité qu’ils avaient sur « leur jeunesse ». Ce qui est d’autant plus intéressant d’explorer, grâce à l’apport des médias électroniques, ce sont les commentaires des internautes à la suite de ces articles. Par exemple, en lien avec l’article du 28 mai intitulé « 17h, les violences éclatent », qui relate la chronologie des événements, on pouvait lire ce genre de commentaire :

23 36 390 individus sont abonnés à la page Facebook du blogue.

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Qui peut encore croire que ces quelques voyous désœuvrés et probablement alcoolisés protestent contre la pollution de Vale, quand ils polluent encore davantage en brulant pneus et voitures. En vérité ces délinquants utilisent n’importe quel prétexte pour semer le désordre et prendre les Montdoriens en otage. Il est vrai qu’il est plus facile et moins [sic] de détruire que de construire. Responsables coutumiers si vous n’arrivez pas à les raisonner, aurez-vous au moins le courage de les livrer aux forces de l’ordre. (Internaute, Les Nouvelles Calédoniennes 2014)

Dans un des blogues cités précédemment sur l’« alcoolisation des Océaniens », on peut déceler l’argumentaire culturaliste pour expliquer le comportement des jeunes et leur incapacité à s’insérer dans la société dominante. Pour l’auteur des billets en question, ce problème remonterait au début de la colonisation, « aux temps anciens », puisque le colonisateur, en accord avec la coutume locale, aurait utilisé l’alcool comme monnaie d’échange contre des femmes ou pour « s’allier une chefferie contre une autre » (Calédosphère 2015). Ce serait donc en accord avec « leur culture » que les jeunes s’intoxiqueraient aujourd’hui. Ce genre d’explication ne provient pas que de membres de la société dominante, mais également de l’intérieur, notamment du Sénat coutumier. Celui-ci explique le chômage chez les jeunes par des raisons culturelles.

Cependant les chiffres des organismes officiels chargés de ces circuits de formation confirment qu’il existe bien un vivier conséquent des jeunes diplômés kanak, dont la pudeur de se « vendre » dans la culture kanak est l’antithèse et échappe à la société de consommation. Ainsi, le faible taux d’emploi chez les Kanak peut s’expliquer par des causes plus profondes d’ordre culturel : l’une, de conception occidentale, individualiste, de nature à promouvoir les valeurs de rentabilité et de profit par le travail, l’autre, de conception traditionnelle, communautariste, centrée sur l’autosubsistance au jour le jour, dans un contexte collectif, partagé pour tous. (Sénat coutumier 2009 : 18)

Ces discours font en sorte de placer la jeunesse kanak au milieu de deux alternatives irréconciliables. Marie Salaün fait le même constat quant aux raisons qui sont données à l’échec scolaire kanak, lequel est souvent associé à une « inadéquation entre les “démarches pédagogiques” (françaises/occidentales) et “les systèmes de pensées océaniens” » (Salaün 2005).

Il n’est pas question ici de nier les problèmes auxquels font face beaucoup de jeunes Néo- Calédoniens. Comme le souligne Tate LeFevre, beaucoup de jeunes Kanak sont effectivement « en crise » (LeFevre 2013 : 121). Par exemple, en ce qui concerne les disparités entre les différentes communautés de la Nouvelle-Calédonie, les jeunes Européens calédoniens de plus de 21 ans ont obtenu un baccalauréat dans une proportion de 67 % contre 34 % chez les jeunes Kanak (Hamelin et

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al. 2008 : 28). Les jeunes Kanak sont aussi 38 % à être inactif25 ou au chômage, contre 9 % des

Européens calédoniens (Hamelin et al. 2008 : 21). Le discours sur la jeunesse en crise ne fait que reproduire les structures d’inégalité et ne remet pas en cause les héritages coloniaux qui en sont largement la cause. L’attention est parfois exagérément tournée vers les jeunes Kanak et les causes culturelles sont trop souvent mises de l’avant. Parmi les phénomènes visibles de la « délinquance » en Nouvelle-Calédonie, par exemple, se trouvent les accidents de la route. Par million d’habitants, 305 Néo-Calédoniens sont tués lors d’accident de la route faisant de la Nouvelle-Calédonie la championne du taux brut de mortalité par accident de la route (Hamelin et al. 2008 : 51). Or, contrairement à l’idée selon laquelle le problème serait majoritairement kanak, l’étude de l’INSERM sur la situation sociale et les comportements de santé des jeunes ne dénote pas de différence entre les communautés en ce qui a trait à la conduite en « ayant bu trop d’alcool ». En réalité, deux des facteurs déterminants, toutes communautés confondues, seraient d’être un homme et d’avoir un emploi (Hamelin et al. 2008 : 51). Par ailleurs, toujours selon la même enquête, contrairement à ce que disait l’auteur d’un blogue cité précédemment sur le prétendu penchant des Kanak envers l’alcool, les garçons kanak consommeraient moins que les jeunes Européens calédoniens. Le sociologue américain William Isaac Thomas propose, dans ce qui est maintenant connu comme le théorème de Thomas, la chose suivante : « si les hommes définissent des situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences » (Thomas et Thomas 1928 : 572; ma traduction). Ceci implique donc que les jeunes risquent d’intérioriser le discours sur la jeunesse et d’adopter les comportements qui lui sont associés. Ainsi, le discours sur la jeunesse kanak délinquante, plutôt que de proposer des solutions, reproduirait les structures d’inégalités et produirait donc des délinquants. La thématique de la jeunesse apparait donc comme enjeu de pouvoir et de distinction — « les jeunes » contre les « vieux » et les « inauthentiques » contre les « vrais » Kanak —, et comme mécanisme de maintien d’un ordre social où le jeune kanak est structurellement dominé. Les « coutumiers », en définissant les jeunes comment étant « pris » entre la tradition et la modernité, disqualifient ces derniers et se posent, à l’opposé, comme les détenteurs des savoirs traditionnels authentiques. De plus, le discours qu’ils produisent, en affirmant que les jeunes seraient incapables

25 Il faut toutefois préciser que « inactif » ne tient pas compte du travail en tribu, notamment l’agriculture

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de se projeter dans le futur et encore moins, de participer à la vie politique contribue à leur dépossession (Sénat coutumier 2009 : 41). Comment les jeunes peuvent-ils s’imaginer prendre en main leur futur et participer aux institutions politiques lorsque ceux qui sont censés représenter l’institution coutumière devant soutenir « le processus de décolonisation » leur dénient cette capacité26? Le discours sur la jeunesse participe au maintien de l’ordre social hérité de la période

coloniale faisant de ces jeunes kanak des étrangers dans leur propre pays — puisqu’ils n’ont pas leur place en milieu urbain — et les enfermant dans une culture immuable – puisque la culture kanak, représentée comme résolument opposée à la modernité serait héritée sans altération du passé et les vieux en seraient les seuls ou au moins les principaux dépositaires. Ce faisant, ils seraient incapables de fonctionner correctement dans la société « moderne ».

Troisièmement, en plus de faire l’économie de l’avis des « jeunes » en question, le discours sur « la jeunesse » se passe bien de se pencher sur la diversité des conditions de vie, mettant de côté la réalité de la coexistence d‘univers sociaux très différents les uns des autres. Les jeunes rencontrés lors de mon séjour correspondaient aux caractéristiques de ceux que l’on qualifie souvent de jeunes « en crise ». Sur les six garçons de « la bande » que je côtoyais régulièrement par exemple, quatre n’avaient pas terminé leur brevet ou baccalauréat (soit l’équivalent des diplômes d’études secondaires et d’études collégiales au Québec), aucun n’avait d’emplois, et ils consommaient tous régulièrement de l’alcool et du cannabis. Parmi les quatre filles mineures, deux d’entre elles avaient un bébé. J’ai même été témoin d’actes violents entre ces jeunes et une bande de jeunes d’une autre commune. De plus, lors de mon séjour, certains s’étaient fait arrêter par les gendarmes après une beuverie au village. Lorsque je mentionnais à certaines personnes, des connaissances du village et des chercheurs locaux, l’endroit où je résidais et avec qui j’effectuais ma recherche, on me disait que j’étais courageuse. C’est donc cette jeunesse que l’on qualifie de « perdue » et « délinquante » que

26 Dans l’article « Nous ne sommes pas des délinquants » de Tate LeFevre (2015), l’auteure observe un « fossé entre

générations » qui est en train de se creuser, fossé qui était visible entre le Sénat coutumier et les jeunes des quartiers suite à « l’affaire des cases ». À l’occasion de la fête de la citoyenneté du 24 septembre 2012, huit cases représentant les huit aires coutumières ont été construites sur le stationnement de la Moselle au centre-ville. Alors qu’elles devaient être démontées le 30 septembre suivant, le regroupement « une tribu dans la ville » refusa leur destruction et occupa les cases. Cette affaire entraina un conflit entre les membres du regroupement et le Sénat coutumier : « L’affaire des cases qui étaient principalement porté par des jeunes urbains, des femmes et d’autres individus habituellement marginalisé les a opposés au Sénat coutumier. Ceci a mis au jour l’existence d’un autre discours identitaire qui est peut-être plus largement l’expression d’un fossé entre générations » (LeFevre 2015 : 260).

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j’ai côtoyée et sur laquelle je tenterai d’apporter un point de vue différent, amenant ainsi des nuances quant à leurs expériences du « vivre ensemble » en Nouvelle-Calédonie.

Toutefois, cette jeunesse est loin de représenter toutes les jeunesses de Koné. J’ai également eu l’opportunité de côtoyer des jeunes filles protestantes pratiquantes du même âge, ayant une licence, un emploi et un mode de vie moins « mouvementé » ou plus respectueux des règles de vie commune. Cet exemple démontre, par ailleurs, comme le propose Pierre Bourdieu, que « la jeunesse » ne peut être conçue comme « une unité sociale […], un groupe constitué, doté d’intérêts communs […] rapportés à un âge défini biologiquement » (Bourdieu 1980 : 145, cité dans Mauger 2001 : 138). Ainsi, les jeunes rencontrés aux Cigales et les jeunes filles protestantes, même s’ils font partie d’un même groupe d’âge, donnent à voir des dimensions fort différentes des « jeunesses » kanak tant leurs expériences sont différentes. Ce qui les rapproche sans doute le plus est le fait qu’ils vivent dans un contexte similaire, ce qui fait d’eux des gens d’une même génération dans le sens où ils font partie d’une communauté d’expérience historique partagée — j’y reviendrai.