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En explorant l’historique de l’AVJPN, on s’aperçoit rapidement que le gouvernement provincial de la province Nord a joué un rôle important dans sa conception et sa mise sur pied. En manifestant à plusieurs reprises son intérêt envers la catégorie « jeunesse », celui-ci a ouvert un spectre de possibilités conduisant à la création de l’association.

L’AVJPN a en effet été créée à la suite de la tenue d’une suite d’événements organisés autour de la thématique « jeunesse » par la province Nord. D’abord, en octobre 2003 et 2004, furent organisées des « Journées jeunesse » portant sur le thème « Jeunesse et citoyenneté ». L’objectif était de connaître les attentes des jeunes par rapport aux institutions, qu’elles soient coutumières, communales, provinciales ou relevant du « pays ». Lors de ces journées, les jeunes ont demandé à ce que l’information leur soit plus facilement accessible et qu’ils aient l’opportunité de se « mettre en collectif » dans leur tribu ou quartier afin de réaliser des projets qui leur tiennent à cœur. À la suite de ces demandes, la province Nord a formé un comité multidisciplinaire comprenant des membres de toutes les directions, soit des psychologues, des membres d’associations d’éducation populaire ainsi que des animateurs communaux, afin de faire un retour sur les résultats de ces premières Journées jeunesse. Ce comité adopta ce qui devint la « bible » des travailleurs du secteur jeunesse : la délibération n° 2005-163/APN du 2 septembre 2005 relative aux actions provinciales en faveur des jeunes. Cette délibération contient diverses dispositions relatives à la mise en œuvre d’une politique publique favorisant l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, et ce, tout en permettant leur participation dans une « démarche citoyenne » (Délibération n° 2005-163/APN du 2 septembre 2005).

C’est aussi en s’appuyant sur le résultat des consultations, que le gouvernement de la province Nord légitime ses politiques publiques. Les propos de Grazialla Nedia, chef du Service des activités socio- éducatives à la Direction des sports et des activités socio-éducatives (DSASE), en témoignent. Ils

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soulignent que les consultations permettent d’élaborer des politiques locales qui s’adaptent aux réalités locales :

Donc, 2005, on n’a pas fait de Journée jeunesse et on a plutôt apporté une réflexion sur comment… les orientations politiques provinciales et ce que les jeunes posaient comme besoins et attentes, de faire en sorte qu’on décline des orientations, à partir de la politique provinciale, des attentes et des besoins des jeunes. On décline des orientations, on va dire un cadre d’intervention au niveau des directions provinciales sur des dispositifs qui amèneraient le jeune à bénéficier d’aide. Cette première délibération, elle a fixé des orientations générales pour mettre en place des dispositifs pour répondre aux jeunes. Par exemple, quand ils ont dit, « on n’a pas assez d’information », donc on a développé le réseau Information jeunesse, les PIJ. C’est à partir de ça, de cette demande à la fois des jeunes que les politiques provinciaux ont pris en compte, qu’on a pu créer ce réseau.

Pour Choé, la présidente de l’AVJPN, la relation avec les institutions publiques est réciproque. D’un côté, les jeunes ont besoin des institutions publiques pour obtenir des ressources, et de l’autre, les institutions publiques doivent s’informer auprès des jeunes afin de valider leurs politiques :

C’est que pour eux c’est un outil qui va dans les deux sens. Le jeune, il a autant besoin de l’institution pour répondre à ses besoins, comme l’institution a besoin du jeune pour avant de poser une politique, s’assurer qu’il ne va pas mettre des milliards dedans pour rien.

En 2005, d’autres Journées jeunesse ont été organisées sur des thèmes « plus en concordance avec les attentes des jeunes » (Jacky Poanoui, DSASE) telles que la santé, les conduites addictives, l’environnement, la culture et la coutume. Ces Journées jeunesse avaient pour but d’obtenir un état des lieux sur les thématiques dans chaque commune, mais aussi, et surtout, d’obtenir des propositions en provenance des jeunes participants. Puis, l’année suivante, 80 jeunes de la Nouvelle-Calédonie, dont une trentaine de la province Nord, se sont rendus à Tahiti pour la première édition du Festival de la jeunesse du Pacifique. À cette occasion, environ 1000 jeunes de tous les pays du Pacifique se sont réunis autour du thème principal de la « bonne gouvernance ». En a résulté l’écriture d’une Charte de la jeunesse du Pacifique. Dans cette charte, les jeunes demandent qu’une plus grande place soit laissée à la « participation des jeunes à la vie politique » :

Les principes de la bonne gouvernance ne sont pas toujours appliqués dans le Pacifique. Pourtant, les jeunes affirment l’importance du respect de ces principes et de la mise en œuvre de moyens institutionnels pour leur reconnaissance et leur application. Sont concernées l’intégrité politique et la participation des jeunes à la vie politique. La Charte appelle à la création et au renforcement de programmes pour aider les jeunes à comprendre la politique et la bonne gouvernance, et à l’établissement de conseils/parlements de jeunes dans chaque pays du Pacifique. (Charte de la jeunesse du Pacifique)

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Enhardis par cet événement, les jeunes Calédoniens qui ont participé au festival ont décidé d’écrire une charte spécifique à la Nouvelle-Calédonie. Malgré l’avancement des travaux, la charte n’a pourtant jamais été finalisée et adoptée. Le projet se serait « endormi » étant donné la difficulté des jeunes à se rencontrer à cause de la distance ou des conflits d’horaire.

Aussi, lors de cette rencontre à Tahiti, les jeunes Calédoniens ont constaté que les jeunes d’autres pays étaient organisés en parlement ou conseils de jeunes. De là vint l’idée de créer le même genre de conseil en Nouvelle-Calédonie avec les jeunes ayant participé aux Journées jeunesse et au Festival de la jeunesse de Tahiti. Le projet commença à « germer » à partir de ce moment.

En 2008 et 2009, d’autres Journées jeunesse eurent lieu et furent suivies par les Assises de la jeunesse, un évènement organisé par le Conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie en 2010. Les Assises se tinrent à Pouembout et leur premier objectif était de permettre aux jeunes de souligner les problèmes et difficultés relatifs aux dispositifs leur étant destinés, que ce soit au niveau de la culture, de la formation ou de la santé, mais on attendait surtout d’eux qu’ils proposent des améliorations. Le second objectif était d’aider les jeunes à mettre sur pied une organisation représentative de la jeunesse. Ce fut donc lors de ces assises qu’une trentaine de jeunes ont formé un comité de pilotage devant servir à la mise sur pied de l’AVJPN, laquelle sera finalement officialisée le 26 juin 2011.

On constate que, après avoir examiné l’historique de l’association, celle-ci ne résulte pas uniquement d’un « groupement volontaire de personnes privées » (Barthélemy 2000 : 56). L’idée a commencé à germer chez les jeunes à la suite de leur participation à plusieurs événements organisés ou financés par les instances gouvernementales. Si ces événements sollicitaient largement la participation des jeunes et leurs intérêts, ils reflétaient en premier lieu les préoccupations des institutions envers cette tranche de la population. Ainsi, comme le souligne Barthélemy, « en dirigeant la participation individuelle et volontaire vers le bien commun, l’association glisse de la sphère privée vers la sphère publique et partage avec l’État la définition de l’intérêt général » (2000 : 56). L’association n’est donc pas que « pour et par les jeunes », mais aussi pour le bien commun puisqu’elle s’est développée au

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moment-même où les institutions s’intéressaient à cette population et que des politiques publiques « jeunesses » se développaient. De la même façon, le sociologue français Jean-Pierre Worm remarque qu’« au fur et à mesure que de nouveaux droits sont reconnus, des associations se développent par la mobilisation des “ayants-droits”, pour les défendre et les étendre : retraités, chasseurs, anciens combattants, la liste est infinie des associations de défense d’intérêts corporatifs disposant de statuts et de droits spécifiques » (1999 : 118). Ainsi, plus l’on s’intéressait à la catégorie « jeunesse », plus celle-ci devint une catégorie associative légitime qui stimulait la mobilisation au sein de la société civile. Toutefois, cette catégorie, comme nous le verrons, ne semble pas s’être autonomisée du contexte dans lequel elle a été mobilisée. Avant d’explorer les éléments de ce contexte qui ont « collés » à l’AVJPN, je tenterai de mieux comprendre ce qui peut nourrir un intérêt envers la jeunesse de la part des pouvoirs publics.

4.3. « La jeunesse » : une catégorie porteuse d’avenir

Depuis la signature de l’accord de Nouméa en 1998, la Nouvelle-Calédonie est plongée dans un climat d’incertitude quant au statut juridique qu’elle obtiendra après l’échéance 2014-2018 au cours de laquelle devra avoir lieu un référendum sur son autodétermination. Dans ce contexte d’incertitude, « la jeunesse » symbolise le futur. D’une part, comme le soulignent Cole et Durham « youth are increasingly central to… social process of hope » (2008 : 15), et d’autre part, elle représente également le danger de l’incertitude. Dans un tel contexte, les associations deviennent des outils pour guider la jeunesse afin qu’il n’y ait pas trop de « dérives ». Comme le souligne Barthélemy, « l’insertion des jeunes dans la vie d’adulte et l’accession au statut de citoyen représentent de tout temps une préoccupation majeure des associations » (Barthélemy 2000 : 162), mais également, des pouvoirs publics.

À titre comparatif, les années d’après-guerre en France ont été riches en utopies mobilisatrices et ont entrainé un foisonnement des associations de jeunes. Ces dernières jouaient, dans ce contexte, le rôle d’école de la démocratie et devaient protéger la jeunesse de l’endoctrinement. Fut ainsi mise en place une politique de la « jeunesse porteuse d’avenir » mettant de l’avant un modèle de participation collective pour socialiser les jeunes (Barthélemy 2000 : 162).

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Après la période « des événements », la Nouvelle-Calédonie se retrouvait dans un contexte similaire de reconstruction d’après-guerre où la jeunesse ne pouvait être laissée à elle-même. En entrevue, Graziella Nedia38, chef de la Direction des sports et des activités Socio-éducatives (DSASE),

soulignait également l’apport des associations dans l’éducation des jeunes à la vie citoyenne. On remarque dans ses propos l’importance qu’elle accorde à l’engagement et à la mobilisation citoyenne :

Eve : Tu parlais de l’importance des associations après les événements, pour que les jeunes ne partent pas à la dérive. Je me demandais l’importance que peuvent avoir les associations pour les jeunes.

Graziella : On parlait de citoyenneté tout à l’heure. Pour moi, un jeune qui s’engage dans la vie associative, c’est déjà un acte citoyen parce qu’il va donner de son temps. Il va amener ses compétences, il va venir partager avec les autres ce qu’il a et c’est formateur. Moi, je suis passé par la vie associative et je remercie d’être passée par cette forme-là d’apprentissage de la vie.

Avec son projet de mettre en place plusieurs associations communales de jeunes et un ORJPN, l’AVJPN s’inscrit directement en accord avec la ligne directrice des politiques publiques. Ainsi, les membres de l’association sont des jeunes qui ont été amenés à se mobiliser par l’intermédiaire de leur participation aux Journées jeunesse. Plusieurs d’entre eux y ont appris qu’ils étaient capables de donner leur opinion et de parler en public. À plusieurs reprises, par exemple, Kassandra m’a rappelé à quel point elle et son ami avaient peur de prendre la parole en public et qu’à force de participer à des rassemblements, ils ont appris à communiquer publiquement et à avoir davantage confiance en eux. Cet apprentissage leur a permis de s’impliquer dans la création d’AVJPN, et même, pour d’autres, de se présenter aux élections provinciales — j’y reviendrai.

De plus, dans la charte de l’AVJPN rédigée par ses membres — nous y reviendrons également plus en détail —, on trouve des énoncés tels que « la jeunesse a une place importante dans la construction du Pays » ou encore que l’association doit participer « au développement de la citoyenneté active basée sur l’apprentissage de la démocratie et de la coopération ». L’AVJPN se pose ainsi comme outil de préparation et de formation pour aider les jeunes à devenir des citoyens actifs et pour se préparer à se positionner sur les enjeux politiques à venir, dont celui du destin de la

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Nouvelle-Calédonie dans ou en-dehors de la France. Pour Choé, présidente de l’association : « la jeunesse c’est les adultes de demain. Surtout si on veut, là on part vers l’échéance39, bien que les

jeunes sachent ce qui les attend, quels sont leurs droits et leur devoir, que ce soient des hommes responsables et tout ».

À plusieurs reprises, les jeunes ont mis en doute les compétences locales et ont adopté un point de vue alarmiste en comparant les perspectives d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie à la situation vécue au Vanuatu, comme en témoigne Willy :

Eve : Toi l’indépendance du pays, tu en penses quoi?

Willy : Moi, je pense qu’on est mal barré pour l’indépendance. Eux, ils demandent l’indépendance, mais ça ne sert à rien. Eux, ils disent « Ah! Nous, on est indépendants », mais après on va finir comme le Vanuatu. Ce n’est pas la peine. Parce que là, on n’a rien. On n’a pas de profs, on n’a pas de juge, on n’a pas de docteur. Et si on réclame l’indépendance, eux, ils ont dit, on va renvoyer tous les Blancs. Tous les Blancs qui nous soignent, ils vont partir et on va être comme des cons. Je ne sais pas après les autres s’ils veulent être indépendants. Il faut déjà être indépendant soi-même, après… l’indépendance du pays.

Eve : Est-ce que tu connais l’Accord de Nouméa? Willy : Ah wa…

Eve : Pas trop… Est-ce que tu connais bien l’histoire de la Nouvelle-Calédonie? Willy : Un peu, c’est mon histoire à moi. Après c’est avec Jean-Marie [Tjibaou] tout ça.

Eve : L’accord de Nouméa, est-ce que tu sais ce que ça a eu comme impact sur l’histoire du pays?

Willy : Ah l’enculé! Il y a eu plein d’impacts. Plein de crimes, plein de merde. L’enculé. Dans les tribus, c’est les conflits. Quand les mobiles, ils arrivent pour neutraliser les mecs. Ils tirent des balles comme ça. Ma grand-mère, elle disait qu’elle courrait avec mes papas tout ça, avec les bébés. Les balles sifflent. Heureusement qu’ils ont trouvé un arrangement. Nous, on est les seuls à trouver un truc pour que ça s’arrête. On a trouvé…

Eve : Tu parles par rapport au reste du monde?

Willy : Oui. Comme ici, il y avait plein de dégâts aussi. Après, ils ont réussi à trouver une solution pour que ça s’arrête. Pour que voilà, on s’entende.

Eve : Et tu sais qu’en théorie, entre 2014 et 2018, il devrait y avoir un autre référendum pour l’indépendance? C’est ce que dit l’Accord de Nouméa, et là on vient de rentrer en 2014. Alors c’est une question qui devrait commencer à….

39 Choé fait références à l’échéance de la sortie de l’Accord de Nouméa prévu entre 2014 et 2018 et qui doit

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Willy : Ah bien en ce moment…

Eve : Vous n’en entendez pas trop parler de ça? Willy : Non….

Eve : Si demain, moi, je donne le papier. Coche oui ou non, tu fais quoi?

Wiily : Je coche au milieu (rire). Je ne sais même pas. Pour moi, je ne suis pas sûr. Je ne veux pas qu’on soit indépendants. C’est un truc qu’on va tomber en faillite, ça c’est sûr. Il y a les mines, mais après, quand il n’y aura plus les mines, il n’y aura plus rien. Déjà les légumes, on fait importer. Ce n’est pas la peine.

L’AVJPN contribue à préparer et à « récupérer » les jeunes plus difficiles d’accès, ou qui sont moins ou ne sont plus en lien avec les institutions scolaires, qui n’utilisent pas les dispositifs d’aide et qui souvent, ne travaillent pas. De ce qu’on comprend des institutions, c’est que la « jeunesse » est une catégorie qui doit faire l’objet de politiques publiques, notamment en ce qui a trait à l’insertion sociale (Salaün 2009 : 84). Leur participation à des associations serait alors un des moyens privilégiés. Cette volonté d’insérer et de récupérer les jeunes « perdus » prend particulièrement son sens dans le contexte de développement actuel en province Nord. Le projet de l’« usine du nord » ainsi que tout le développement économique qu’il doit impulser en province Nord « cristallise la lutte du peuple kanak pour l’accès à la richesse et à la terre depuis une quinzaine d’années » (Salaün 2014 : 56). Ce faisant, participer à la lutte aujourd’hui signifie se former pour travailler et participer au rééquilibrage et à l’édification de la province Nord. Ainsi, au sein d’une même génération, on retrouve ceux « qui en sont », qui sont allés à l’école et qui participent au développement socioéconomique du Nord ainsi que ceux « qui n’en sont pas », qui ont échoué à l’école et qui ne sont pas partie prenante du développement économique (Salaün 2014 : 57). Dans ce contexte, l’AVJPN tente de valoriser, éduquer, garder actifs et d’impliquer ceux « qui n’en font pas partie » et de les amener à être de « bons » citoyens. Surtout, comme le souligne encore Marie Salaün, les jeunes partagent « les aléas de la condition juvénile, notamment lorsqu’il s’agit de se faire “reconnaître” » (2014 : 62). L’AVJPN remplit ce rôle en permettant à ces jeunes de se « sentir reconnus » en participant à leur valorisation en les désignant « acteurs du Pays », en leur donnant l’occasion de s’impliquer dans la collectivité, et enfin, en créant des espaces de paroles où les jeunes peuvent faire part de leurs opinions, socialiser, voire briser l’isolement, et donc, créer du lien social.

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