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5. Politique de gestion de la pluralité culturelle : Théories et applications

1.4 L’intégration : appréhendée par qui ?

2.3.4 Vitalité ethnolinguistique du groupe d’accueil

L’identification à l’exogroupe (la communauté d’accueil) est un des critères d’intégration linguistique aussi bien au niveau de la sphère privée que de la sphère publique. Nous posons que l’intégration commence par la motivation à établir des relations interpersonnelles avec les membres de l’exogroupe et ainsi développer une compétence linguistique dans la langue de groupe.

La « théorie de l’identité ethnolinguistique », élaborée au Canada par Giles et Johnson (1987), établit le lien entre l’utilisation d’un code linguistique et l’identification à un groupe ethnolinguistique. Par quels processus, et pourquoi le fait de parler une langue permet, entraîne ou influence le processus d’identification d’un individu au groupe qui parle cette langue ? Il s’agit bien ici d’identification dans le but de développer un sentiment d’appartenance, et non pas de « bilinguisme utilitaire » : « la façon dont on s’exprime, le choix d’un code plutôt qu’un autre, servent à témoigner de l’appartenance à un groupe, à se rapprocher ou, au contraire, à se distancer de ses partenaires d’interaction. En choisissant ou non de s’exprimer dans la langue du pays d’accueil […], le migrant exprime sa relation et son identification à la société d’accueil, respectivement à son groupe d’origine » (Ogay 2001). Giles explique l’ambiguïté à laquelle l’individu immigrant est confronté : pour s’intégrer, il doit adopter le code linguistique de la communauté d’accueil mais en même temps, il peut se trouver en conflit de légitimité avec son groupe d’appartenance. La différence entre assimilation et intégration est construite sur cette ambiguïté. Comment garder des références à sa culture d’origine tout en s’intégrant à la culture d’accueil ? Cette situation se complexifie dans un contexte multilingue institué, comme à Montréal où l’affiliation à la communauté francophone n’est pas automatique.

Selon la « théorie de l’identité ethnolinguistique », un des paramètres qui favorise l’intégration linguistique à un des groupes en présence est la vitalité ethnolinguistique de ce groupe (Ogay 2001 : 223). La vitalité ethnolinguistique d’un groupe est déterminée par :

- son statut (prestige économique, politique, social)

- son poids démographique (le nombre de ses membres, leur répartition géographique, …)

- le support institutionnel dont il bénéficie (si des actions politiques sont menées pour le préserver, le valoriser, si sa langue est utilisée dans les médias, dans l’enseignement…)

- le statut social et économique de ses membres

Ces facteurs permettent à une communauté ethnolinguistique d’exister en tant qu’entité collective distincte dans un contexte où se trouvent plusieurs groupes. Plus un groupe a un indice élevé dans ces quatre catégories, plus il est en mesure de survivre collectivement comme une communauté linguistique distincte dans son contexte

multilingue (Pagé 2005 : 201)52.

Ainsi, pour encourager les immigrants à se diriger vers le français et donc vers le groupe francophone, la société d’accueil francophone doit faire preuve de sa vitalité : « l’intégration linguistique repose sur la fierté à l’égard de leur langue et l’ouverture à l’altérité et dont sauront faire montre les Québécois francophones » (Québec MCCI 1990a : 47).

Nous avons vu que toutes les actions politiques menées par le Québec ces 30 dernières années visent et parviennent à développer la vitalité ethnolinguistique du groupe francophone (augmentation du nombre de locuteurs du français et des fonctions qui lui sont imparties, par exemple) et faire en sorte que ces mesures atteignent les objectifs fixés.

2.4 Conclusion

« L’étalon de mesure pour l’intégration linguistique et résidentielle est le groupe (ou la communauté) francophone ou anglophone. Que ce soit à la maison, au travail, avec les amis, dans la consommation des médias ou le choix du quartier, la question fondamentale reste toujours la même, à savoir « laquelle des deux langues dominent » et quels sont les

52 Dans son recensement des données sur la francisation des immigrants, Pagé (2005 : 217) traite de la perception de la vitalité ethnolinguistique du Québec francophone. La perception subjective est la perception que les autres groupes se font de la vitalité ethnolinguistique d’un groupe donné. L’objectif des campagnes de promotion du français doit amener les immigrants à penser que parler français au Québec est « utile, profitable et agréable ». Ainsi, la « vitalité subjective » est élevée quand la personne perçoit que la société francophone lui offre en tant qu’individu l’occasion de vivre en français la totalité de ses « expériences ethnolinguistiques » : c’est-à-dire pouvoir utiliser le français dans les interactions dans la sphère privée et publique, dans la consommation des biens donnés par les organismes publics et privés (établissement

facteurs qui facilitent ou entravent l’adoption de l’une ou de l’autre langue. […] L’adoption du français constitue la norme de la réussite » (Piché et Bélanger 1995 : 11). Ainsi, l’intégration linguistique réussie au Québec est une intégration qui se passe en français exclusivement.

L’évaluation de l’intégration linguistique réussie relèverait donc davantage de critères politiques que scientifiques (une intégration linguistique réussie pourrait être une situation où les immigrants ne restent pas en marge de la société d’installation, qu’importe s’ils s’intègrent dans l’une ou l’autre des communautés dominantes à Montréal). Les chiffres qui montrent la vitalité ethnolinguistique de la communauté francophone et les taux de transfert linguistique vers le français sont, en fait, des résultats qui traduisent le degré de réussite des actions politiques dirigeant les immigrants vers la communauté francophone. L’intégration linguistique est une notion, pour l’instant, principalement réservée aux démographes ou aux économistes qui ne disent rien de l’impact de parler une langue sur le développement du sentiment d’appartenance. Il n’y a pas « de mesures sûres pour déterminer l’assimilation linguistique quant au comportement, à l’aptitude, à la préférence linguistique personnelle. Mais le transfert linguistique au foyer est un bon indicateur de chacune de ces dimensions distinctes de l’assimilation individuelle » (Castonguay 1994 : 81). L’intégration linguistique, concernant le ressenti des immigrants, est donc difficilement mesurable.

Pour notre part, nous posons que l’intégration linguistique n’a pas forcément de corrélation avec l’intégration sociale : un individu peut avoir un travail, une compétence en français qui lui permette de répondre à tous ses besoins langagiers et être exclu de réseaux sociaux denses. Cependant l’élément linguistique est indissociable de l’intégration sociale : sans le français, il est impossible d’entretenir des contacts avec les membres de la communauté d’installation. L’intégration sociale se mesure par la densité des réseaux sociaux auxquels l’individu appartient. Si une partie de ces réseaux fonctionnent en français et que l’individu y tient un rôle lui permettant d’avoir des interactions à fort niveau communicatif et répétées avec des locuteurs francophones, on peut conclure que l’intégration linguistique au groupe francophone est en voie d’être effective.

La présentation des concepts nous permettant de comprendre les processus d’intégration et plus précisément d’intégration linguistique, nous amène à nous tourner maintenant vers les notions relatives à l’appropriation du français par les immigrants dans le contexte québécois. Ce chapitre est sous-tendu par deux questions principales : Quelle langue enseigner et quelle langue apprendre ? Dans la première partie, nous poserons le problème de la norme linguistique au Québec. Nous ferons une mise au point théorique sur les différents champs que recouvre le concept de norme, en rappelant principalement les distinctions entre norme endogène et exogène. Etant donné que notre étude se situe dans le contexte du FLS, nous insisterons sur le rapport entre norme grammaticale et norme d’usage. L’usage de la langue sera l’objet de la seconde partie au cours de laquelle nous discuterons de la notion de compétence linguistique qui regroupe la compétence structurelle et de communication. Nous rappellerons quelles composantes entrent en jeu pour qu’une interaction soit considérée comme adéquate et réussie et, ainsi, qu’elle puisse permettre aux immigrants-apprenants de s’inscrire dans les processus d’intégration linguistique et sociale décrits précédemment.

3 Quelle langue enseigner ?

Le problème de la norme

Sans remonter aux origines et à la formation du français québécois, nous comprenons que la langue française du Québec a évolué en fonction des besoins langagiers des utilisateurs confrontés à un environnement particulier et donc, comme toutes les communautés linguistiques, les Québécois francophones ont développé et utilisé des moyens linguistiques utiles pour faire face aux situations vécues. C’est pour cette raison que la communauté francophone du Québec parle une langue qui se distingue du français parlé en France, ou dans les autres pays de la francophonie. Cette langue d’usage subit

également les influences des autres langues en présence. Il en résulte des phénomènes d’interlangue, d’interférence et enfin de variation linguistique.

Le français du Québec tire ses principales origines du français de France. Ce dernier tient, le plus souvent, le rôle de norme centrale. Une des représentations principales des Québécois et des nouveaux arrivants au Québec est, encore, que seule cette norme centrale est valable. Un des enjeux des politiques linguistiques du Québec est de faire changer de point de vue les locuteurs francophones du Québec. Leurs pratiques langagières (la langue utilisée) ne sont pas une version déformée du français de France mais constituent une de ses variantes. Ainsi, ce n’est pas parce les Québécois sont incapables de parler le français de France qu’ils parlent un français différent, c’est parce qu’ils utilisent un français qui a des particularités linguistiques qui sont une part de leur identité linguistique et culturelle. Ces particularités linguistiques résultent d’innovations ou font partie d’un usage qui s’est imposé par rapport à un autre. Le fait de parler le français québécois n’est pas une solution au rabais, une langue utilisée par impossibilité de rejoindre la norme de France. Les Québécois parlent cette variété de français parce qu’elle s’inscrit légitimement dans la culture et l’identité de la communauté francophone du Québec (Moreau 2000 : 137).

3.1 Entre aménagement linguistique et aménagement de la