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2.3 Bilan : L’attraction des deux pôles, francophones et anglophone

3.3.1 Modèles d’intégration montréalais

Concernant l’intégration linguistique des immigrants québécois des autres régions

du Québec et des immigrants internationaux, une étude explique qu’« à partir du 20ème

siècle, les nouveaux arrivants qui s’établissaient à Montréal se retrouvaient […] dans une communauté qui proposait deux modèles distincts d’intégration. Le modèle francophone était retenu par les migrants en provenance des régions du Québec, tandis les immigrants internationaux adoptaient massivement le modèle anglophone. Ce double modèle d’intégration donnait un caractère social et culturel tout à fait particulier à Montréal, autant par rapport aux autres grandes villes du continent qu’à l’égard du Québec des régions » (Montréal 1991 : 9). Après la Deuxième Guerre mondiale, l’augmentation du poids démographique des communautés immigrantes et la diversité ethnique des origines des immigrants sont des problèmes auxquels la communauté francophone n’a pas su répondre et trouver un modèle d’intégration adéquate au profit de la communauté anglophone.

Pour pallier les faiblesses de ce modèle, d’un point de vue idéologique, l’approche interculturelle est mise en avant comme principe d’action et de gestion de la Ville de Montréal, depuis le début des années 1990. L’interculturalisme se définit par le respect, à la fois, des communautés culturelles et de la société d’accueil. Cette notion s’articule autour de deux éléments fondamentaux : le respect de l’expression et du rayonnement de chaque culture et la recherche délibérée d’une réciprocité entre toutes les cultures. L’enjeu fondamental de ce concept, à Montréal, est de tenter de favoriser la rencontre de toutes les cultures en utilisant le français comme langue privilégiée de communication et d’échanges (ibid. : 39). Néanmoins pour que les communautés se rencontrent et se connaissent, il faut qu’elles trouvent une motivation à cette convergence. Les raisons de ce rassemblement seront, nous semble-t-il, essentiellement économiques et pas seulement culturelles. Lorsque

les différentes communautés auront comme double objectif de développer économiquement le Québec et d’œuvrer pour leur développement personnel, la langue française aura gagné sa fonction utilitaire inaliénable.

Cette particularité francophone de Montréal a une conséquence concernant le choix de la ville d’accueil au Canada. Si l’on considère la totalité des néo-arrivants au Canada entre 1993 et 1995, Montréal arrive au dernier rang des métropoles canadiennes : 59 % s’installent à Toronto, 17 % à Vancouver et seulement 12 % à Montréal (Ley, Smith 2000). On constate une grande différence dans la croissance démographique entre Toronto et Montréal, qui peut peut-être s’expliquer par l’obligation (supposée ? obligatoire ?)

d’apprendre le français à Montréal (Chevalier 2000). La 1ère

vague de réfugiés indochinois, en 1975, s’est installée à Montréal mais, dans les années 80, la destination préférée des populations asiatiques était Toronto. Langlais et col. expliquent que certains viennent à Montréal et émigrent à Toronto après 2 ou 3 ans (une fois que les classes de francisation et les aides du Gouvernement sont arrêtées) car il semble qu’il y soit plus facile d’y trouver un emploi (Langlais et al. 1990 : 53). Cette dernière remarque signifie que, malgré les efforts du Gouvernement de faciliter l’intégration des immigrants en mettant en place des services de soutien à l’apprentissage de la langue et de la culture (francophone), les obstacles que représentent l’apprentissage et la nécessaire pratique du français poussent certains immigrants à partir vers d’autres provinces où seul l’anglais est nécessaire.

3.3.2 « Montréalité » de l’intégration

L’intégration linguistique des immigrants à la communauté francophone pose, à Montréal, un défi unique, que l’on ne peut comparer aux autres régions du Québec (Nguyen, Plourde 1997). Anctil parle de « montréalisation de la question nationale » en expliquant que « la confrontation politique et juridique entre Francophones et Anglophones de souche avait dégagé au Québec un espace socio-culturel bien délimité, que les Allophones avaient pu occuper seuls » (Anctil 1984 : 450 in Juteau 1999 : 33). Ainsi, les luttes linguistiques entre les deux groupes principaux laissent aux groupes ethniques, en général, un plus grand espace communautaire qu’ailleurs au Canada. Les immigrants s’insèrent dans la société québécoise tout en ayant la possibilité de garder des éléments

constitutifs de leur identité grâce à la présence d’organismes communautaires, de commerces ethniques, de lieux de cultes, de manifestations populaires culturelles. Par

exemple, on observe que les immigrants continuent à parler leur langue d’origine plus

fréquemment et plus longtemps à Montréal qu’à Toronto (Mc Andrew 1987).

La région de Montréal est le lieu d’installation privilégié des immigrants arrivés au Québec, quelle que soit leur période d’arrivée. On peut expliquer cela, d’une part, parce que la grande majorité des immigrants s’y concentre et que, corrélativement, les chaînes migratoires ont joué leur rôle. Concernant la région d’installation projetée,

76,8 %21 des nouveaux arrivants au Québec, entre 1995 et 2005, ont eu comme destination

Montréal.

Le poids de Montréal dans la démolinguistique québécoise peut apparaître comme un danger. La ville peut sembler ne pas être suffisamment « francisée » pour accueillir tous les immigrants allophones, pour les sensibiliser à la culture québécoise et les inciter à s’intégrer dans la communauté francophone. Dans une étude faite par la Ville de Montréal, on mentionne que « le caractère francophone de Montréal, enfin la place importante du français, peut passer inaperçue parce que les immigrants pensent surtout à subvenir aux besoins pressants » (Montréal 1991 : 1), sous-entendu qu’il est possible d’effectuer son installation dans une autre langue qu’en français. Le nombre de Francophones semble trop faible pour constituer une communauté suffisamment visible et assurer le rôle intégrateur qui lui est imparti. La communauté francophone n’aurait pas assez de poids pour que

s’enclenche le processus de transfert linguistique 22

des Allophones vers la communauté francophone.

3.4 Les quartiers

Depuis le milieu du 19ème siècle à la Révolution tranquille, on est face à un équilibre

relatif entre les deux communautés, anglophone et francophone. Chacune se développe en parallèle et n’a pas beaucoup de relations avec l’autre. Si les lieux de travail sont proches, si

21 soit 288 323 sur les 375 236 nouveaux arrivants au Québec

22 Dans le répertoire langagier des individus, les différentes langues en présence ont des fonctions différentes. Par exemple, pour de nombreux immigrants, les langues d’origine ont une utilité sociale et familiale. Si la langue d’origine et la langue officielle du pays couvrent toutes les deux les mêmes besoins et fonctions, l’utilisation de la langue d’origine décroît et, dans la plupart des cas, seule la langue officielle sera transmise à la génération suivante. C’est ce qu’on appelle un transfert linguistique (Kralt, Pendakur 1991)

la vie culturelle et sociale est montréalaise, il s’agit plus d’une juxtaposition géographique des deux principales communautés, que d’une mixité (Montréal 1991 : 5).

Jusque dans les années 70, les quartiers dits ethniques (dominés par une communauté culturelle particulière) favorisent l’insertion économique des membres des communautés (Germain 1997 : 112-13). Mais de plus en plus, ces quartiers se transforment en quartiers multiethniques par l’arrivée d’immigrants de toute provenance, ce qui provoque une importante cohabitation interculturelle. Contrairement à ce qui se vit ailleurs en Amérique du nord, l’évolution des quartiers ethniques n’aboutit pas au renforcement de la présence d’une communauté particulière qui, se sentant menacée, peut entamer un processus de repli identitaire. Les avantages de la concentration ethnique (exprimer les solidarités, mettre en commun des ressources communautaires, avoir un meilleur accès au logement) peuvent se transformer en inconvénients. En effet, ces regroupements ethniques sont les barrières à l’interaction, dans la société d’accueil, entre les populations immigrantes et non immigrantes (Chalom 1991). Ainsi, à Montréal, la multiethnicité ou l’absence d’un groupe dominant dans un quartier fait partie des facteurs susceptibles de faciliter la cohabitation interethnique (Veltman, Paré 1995).

3.5 Conclusion

La société québécoise semble être coupée en deux, d’un côté, il y a Montréal et de l’autre, les régions du Québec, ce qui compliquerait la cohésion culturelle et sociale du Québec (Helly 1992 : 149). La place à part qu’a Montréal au sein du Québec, ville multilingue, mènerait à une séparation de la ville du reste de la province. Les problèmes linguistiques de l’île liés à la présence des Anglophones et des Allophones sont extrêmement différents de ceux que l’on peut rencontrer dans les autres régions du Québec (par exemple, la question des langues autochtones se pose davantage dans les régions où habitent les communautés concernées).

Germain explique que l’intégration des nouveaux arrivants se fait dans un milieu où la population non immigrante est extrêmement minoritaire (Germain 1997 : 17), donc où les communautés francophones sont peu présentes. Néanmoins, l’auteur avance que l’association intégration/dispersion résidentielle n’est pas évidente et que l’intégration peut

se faire dans des enclaves ethniques ou plutôt multiethniques (marquées par plus d’une communauté) (ibid. : 22). L’hétérogénéité des origines culturelles et linguistiques d’un quartier semble favoriser, non seulement l’acceptation par les individus des valeurs communes de la société québécoise, mais encore l’usage du français comme langue commune de communication. Ce phénomène est davantage marqué lorsque le quartier concerné est multiethnique plutôt que monoethnique. La multiethnicité et donc la nécessité de trouver une langue véhiculaire (le français) compenseraient la faible présence des Francophones dans certains quartiers anglophones (Veltman, Paré 1995). Ainsi, les immigrants peuvent s’intégrer à Montréal dans des milieux multiculturels et multilingues. La présence de communautés francophones n’est pas essentielle au sentiment d’intégration. En revanche, nous pouvons penser que les politiques de la ville (et de la province en général) en faveur de la convergence vers la langue française seraient applicables et plus efficaces si l’intégration dont nous venons de parler se faisait avec davantage de contacts avec la communauté francophone.

Soumise à une configuration linguistique et démographique particulière puisque son taux d’immigration est en forte évolution, Montréal voit ses problèmes de francisation et d’intégration restés des questions complexes.

4 Francisation

Après avoir exposé les données sociolinguistiques et sociopolitiques liées à l’immigration au Québec et à Montréal en particulier, nous nous intéresserons à l’une des mesures de politique linguistique mise en place au Québec dans le but de faire du français le vecteur et le révélateur de l’intégration des immigrants : la francisation. Nous verrons que ces mesures constituent la pierre angulaire de la politique de gestion de la pluralité culturelle de la province. Nous reviendrons sur l’origine de la campagne de francisation qui, comme toutes les mesures linguistiques offensives au Québec, visait à se réapproprier ou s’approprier un terrain occupé par l’anglais, à savoir la fonction de la langue de travail. Puis nous détaillerons l’offre gouvernementale en terme de formation linguistique en français destinée aux immigrants : les cours de francisation, ses critères d’admission, son organisation pédagogique. Nous aborderons enfin la question de l’augmentation de la demande en francisation, logiquement proportionnelle au taux d’immigrants allophones et anglophones accueillis au Québec.

4.1 Identité québécoise : La langue comme élément d’intégration

La langue est un élément déterminant de l’intégration, du point de vue des dirigeants politiques et de la société civile : « l’apprentissage du français et son adoption comme langue commune de la vie publique constituent des conditions nécessaires à l’intégration ». En effet, la langue est non seulement l’instrument essentiel qui permet la participation, la communication et l’interaction avec les autres Québécois, mais elle est également un symbole d’identification. Pour un immigrant, l’apprentissage du français vient appuyer le développement de son sentiment d’appartenance à la communauté québécoise. Pour les membres de la société d’accueil, le partage d’une langue commune, le français, avec les immigrants faciliterait l’ouverture à l’altérité (Québec MCCI 1990a : 16).

Le Québec a implanté, dans ses propres services, des programmes de formation adaptés à diverses clientèles et des outils d’évaluation des apprentissages, ceci dans le but

immigrés de développer un sens d’appartenance à la collectivité québécoise. Selon le Gouvernement, les immigrants doivent véritablement mettre en place une démarche d’intégration, en veillant à ne pas s’isoler, ne pas se replier sur leur culture et à s’ouvrir à la société d’accueil : ils doivent se sentir de plus en plus Québécois (Québec MCCI 1990a : 17).