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5. Politique de gestion de la pluralité culturelle : Théories et applications

3.7 Quelle est la langue standard au Québec ?

3.7.2 Quelle langue standard dans l’enseignement ?

Si le Québec montre tant d’hésitation à déterminer quelle langue enseigner à ses jeunes et à ses immigrants, c’est que la province n’a pas encore pris position sur l’ensemble des variantes du français. Ainsi, concernant la norme du français québécois, G. Bouchard dit que « le Québec se signale comme étant l’une des rares cultures fondatrices à ne pas avoir fait son choix, étant profondément divisée entre diverses variantes du français parisien, international et québécois » (Bouchard 2000 : 386). Cette conception variationniste rappelle qu’il y a plusieurs normes du français légitimes et que le français québécois est un usage autonome du français (Corbeil 1986b : 60) dans un espace géographique donné : la province du Québec.

Pour que le Québec détermine sa langue standard, nous devons savoir comment caractériser cette langue. Comme nous l’avons dit, c’est grâce à des instruments de référence servant de guides pour établir la norme linguistique qu’une langue peut devenir standard. En tant qu’institution normative de premier ordre, l’Office de la langue française, dans les années 1960, a préconisé un alignement sur le « français international », concernant la norme du français à diffuser au Québec. Depuis, l’Office a fait un très grand nombre de travaux de description, surtout au niveau lexicographique, ce qui a contribué à promouvoir l’idée d’un français québécois standard qui serait sur le même plan que la norme française de France, mais n’a pas donné d’autres indications explicites en la matière (Moreau 2000 : 138). Or, « le français standard d’ici » n’a pas encore été décrit et approuvé officiellement, ce qui pose des problèmes de diffusion et de valorisation de la langue, surtout dans l’enseignement. Même s’il paraît beaucoup de travaux de description du français québécois (Atlas linguistique de l’Est Canadien, Les parlers français de Charlevoix, du Saguenay, etc, le Trésor de la langue française au Québec), très peu de ces travaux ont été menés concernant les usages standard, l’usage de la langue en situation formelle (Maurais 1996 : 85).

Concernant les ouvrages de référence, pendant longtemps, les grammaires, les guides de prononciation ne concernaient que le français de France. Depuis les années 1970, des dictionnaires de français extra-hexagonal ont fait leur apparition (dictionnaire suisse, canadien, belge). Cette partie du monde francophone a mené beaucoup plus d’études et de

recherches sur la variation du français comme langue d’usage que les pays de l’hémisphère sud. Néanmoins, ces dictionnaires n’ont pas eu beaucoup (assez) de publicité lors de leur parution. De plus, les principales descriptions des variétés du français concernant le lexique, la syntaxe et la phonétique sont laissées de côté car « c’est dans le seul domaine du lexique qu’il est possible d’accepter des divergences », pour la phonétique, la « marge de variation doit être minime », et pour la morphologie et la syntaxe, « la variation doit être

inexistante »65 (Maurais 1999 : 35)

Nous voyons que si le français québécois est défini « comme étant l’ensemble des usages linguistiques constituant la variété de français utilisé sur le territoire du Québec », il n’existe ni description complète de la norme linguistique du français québécois, ni position consensuelle à son sujet. Pour appuyer ce que nous venons de dire, nous citerons Poirier qui, concernant les différents dictionnaires qui ont paru au Québec (Poirier 1988 et Boulanger 1992, par exemple), fait le constat suivant : « ne disposant encore que d’une partie des données et des analyses nécessaires pour un tel projet, les lexicographes n’ont pas été en mesure de produire des ouvrages cohérents à tous égards » (Poirier 2000 : 145). Nous signalerons tout de même que le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (Boulanger 1992) renverse la perspective habituelle car il ne signale pas les québécismes mais marque les usages propres à la France (Moreau 2000 : 140). Une partie des linguistes (rejoints par la société civile) au Québec se montrent hostiles à la présence des particularismes régionaux dans les ouvrages de référence. Cette conception contribue à donner au français de référence l’image de la variété inaccessible. La parution du dictionnaire dont nous avons parlé plus haut, le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui et le Dictionnaire du français

plus a soulevé une grande controverse.

D’après Bédard et Maurais (1983 : 436), le français québécois n’aurait pas encore gagné ses galons de langue standard, ce qui expliquerait la difficulté de l’imposer dans la francisation des immigrants. Les affrontements entre partisans de la norme internationale et de la reconnaissance des particularités du français québécois provoquent trop de scissions pour faire l’unité dont une langue standard a besoin.

Simard explique les 3 attitudes principales par rapport à la norme au Québec (1990 : 39) :

- le rejet de toute norme car elle étoufferait la liberté d’expression

d’un peuple. Dans cette optique, l’identité culturelle québécoise est valorisée en promouvant l’écart entre l’usage linguistique au Québec et l’usage européen,

- la référence exclusive à la norme française, comme elle est décrite

dans la plupart des grammaires et des dictionnaires et où la majorité des particularités québécoises sont considérées comme des fautes (par exemple, Dictionnaire québécois-français, Meney (1999)),

- le respect de la spécificité et l’autonomie linguistique du Québec

tout en conservant des liens avec le reste de la francophonie. Les défenseurs de ce point de vue optent, dans les circonstances officielles et à l’écrit, pour le français québécois standard autour duquel tous les autres niveaux de langue s’ordonnent.

Pour Martel et Cajolet-Laganière (1996 : 47), le français québécois est doublement stigmatisé : en tant que « langue française », il est « infériorisé » par son statut par rapport à l’anglais et en tant que « variété québécoise », il l’est par rapport au français de France, ce qui contribue à renforcer le sentiment d’insécurité linguistique de la communauté francophone. Cependant, une étape de la reconnaissance de la légitimité du français québécois est le changement de désignation dont il a fait l’objet : le français québécois n’est plus « la variété régionale du français », sous-entendu la variante du français de France caractérisée par quelques particularismes régionaux. Il est maintenant désigné, dans les textes officiels, comme « la variante nationale du Québec » : le français parlé au Québec est donc la langue propre de la province et est constitutive de son identité nationale. Le défi maintenant est de légitimer l’usage d’un français québécois au Québec plus que d’en faire reconnaître l’existence au niveau international. L’école sera le principal vecteur de légitimisation et de promotion de cette variété de français : « on doit donc trouver à l’école la pratique d’un français correct d’ici permettant d’accéder à la plus grande audience possible au Québec d’abord, puis dans les autres pays francophones (Québec Ministère de l’éducation 1985 : 7 in Martel 1990 : 13).