• Aucun résultat trouvé

Depuis le passage du territoire du Québec sous l’autorité britannique en 1873, la province résiste à l’assimilation anglophone, avec ce que l’on a appelé la « revanche des berceaux » : les colons français ont mis au monde un grand nombre d’enfants par famille, ce qui a accru le poids démographique des Francophones dans la région.

Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, la communauté franco-canadienne est installée dans un immobilisme politique et social : elle se referme autour de valeurs traditionnelles fortes comme l’église, le monde rural, la famille et la langue française. La sujétion économique francophone est considérée comme acquise. Puis, le traditionalisme dans lequel s’étaient enfermées certaines provinces commence à être contesté. Le Québec, quant à lui, se réveillera un peu plus tard que les autres (Durand 2002 : 144). Les Canadiens francophones prennent conscience de la domination anglophone : ils œuvrent pour obtenir l’égalité linguistique et économique et, en même temps, un processus de modernisation rapide de la province se met en place.

Les Québécois prennent donc en main leur destin avec la Révolution Tranquille, au début des années 1960, ce qui coïncide avec la victoire du Parti libéral et un engagement

6 Attention de ne pas confondre « langue maternelle » et « langue d’usage dans le foyer ». Nous avons vu que pour le Manitoba, 4 % de la population déclarent le français comme langue maternelle, mais seulement 0,03 % l’utilisent au sein de leur foyer.

pacifique, mais résolu, du Québec dans la voie de la modernité sur les plans sociaux, politiques et économiques (Barrats et Moisei 2004 : 19). Jean Lesage, nouveau premier ministre du Québec, veut faire de « l’État québécois un agent actif de changement et de développement économique, social et culturel, au service des intérêts de la majorité francophone ». Cette époque marque le début d’une volonté déterminée de maintenir l’identité francophone québécoise, qui passe par le développement économique et la mise en place de règles visant à protéger l’emploi de la langue française. Pour les Franco- Québécois, le responsable des injustices économiques et linguistiques qu’ils subissent jusque-là, est le Gouvernement fédéral. L’identité nationale québécoise entre donc en conflit avec l’identité canadienne.

A cette époque, le sentiment nationaliste consiste à affirmer l’identité collective des Canadiens français, déterminée en tant que groupe majoritaire établi sur un territoire particulier : le Québec. Ainsi, l’identité de la population québécoise repose sur des assises linguistiques, culturelles mais aussi territoriales. A la suite des États généraux du Canada français, en 1967, il ressort que les Francophones du Québec se considèrent de moins en moins comme des Canadiens français mais de plus en plus comme des Québécois. Peu à peu naît l’idée d’une séparation du Québec (Couturier 1996 : 326).

On assiste à la « québécisation » de la culture canadienne-française. Ce qui signe à plus ou moins long terme la fin des espoirs de survie de la langue française à l’extérieur du Québec. La multiplication des revendications des identités régionales (acadienne, québécoise, franco-ontarienne, franco-manitobaine…) provoque une « fragmentation identitaire », le Canada français, ainsi morcelé, ne peut pas faire pression sur le Gouvernement fédéral pour obtenir des mesures concernant les droits linguistiques des minorités francophones et l’accès à l’égalité économique, sociale… Au Québec, on voit disparaître petit à petit la dénomination « Canadien-français » au profit de « Québécois ».

Des Révolutions tranquilles se sont opérées dans les autres sociétés francophones du Canada mais ces sociétés ne peuvent pas prétendre aux mêmes ambitions que les Francophones du Québec car ils ne sont pas majoritaires dans leurs provinces, à l’instar des Acadiens, qui n’ont pas de territoire propre (Couturier 1996 : 330).

Au niveau linguistique, le Québec avait appliqué jusque dans les années 1960 une politique du « laisser-faire ». Quelques tentatives timorées pour conserver ou obtenir une

Lavergne reconnaît le bilinguisme pour les documents officiels d’utilité publique et le rend obligatoire dans les services publics (compagnies de transport, d’électricité, de gaz, etc). En 1937, une loi est votée accordant la priorité à la version française dans l’énoncé des textes législatifs. Elle est abrogée un an après, sous pression des Anglophones. Ainsi, tout restait à faire pour la reconnaissance du particularisme linguistique québécois.

Des mouvements politiques pour l’indépendance du Québec se forment, comme le Rassemblement pour l’Indépendance Nationale (RIN), en 1960. Ce dernier, par exemple, prendra, dès son origine, une position intransigeante jusqu’à la disparition du parti en 1968 : il vise l’unilinguisme français. Les autres partis, dans leur ensemble, s’opposent à cette idée. Le Parti libéral auquel appartient René Lévesque, s’oppose, dès 1963, à cet unilinguisme qui serait « artificiel ». L’Union nationale, en 1966, propose que le français soit seul « langue d’usage, à qui le rang et le prestige d’une véritable langue nationale soient reconnus » (Durand 2002 : 147). Il s’agit d’établir le français « par tous les moyens légitimes ».

Entre les années 1960 et 1970, la question du français prédomine dans les débats politiques : comment faire pour que le français, fortement marqué symboliquement à la suite des changements sociaux de la Révolution Tranquille, soit une langue à part entière, utilisable et utilisée dans tous les domaines, une langue de travail et de communication ?

Nous avons vu que l’État fédéral canadien, dirigé par P.E. Trudeau, joue la carte du bilinguisme avec la Loi sur les langues officielles (1969), mais la province du Québec choisit une autre voie : étape par étape, elle vise à imposer le monolinguisme francophone, une seule langue officielle, le français (Pöll 2001a : 107). Les questions sur la langue sont primordiales car le nombre de Francophones diminue à cause de l’assimilation à la langue et à la culture anglaise, et également, à une forte chute du taux de natalité qui n’assure plus le renouvellement démographique des Francophones. Un taux très élevé de natalité assurait jusque là le « poids du nombre ». Pendant longtemps et pour expliquer l’évolution de chaque communauté, francophone et anglophone, l’adage fut « les Francophones font des enfants et les Anglophones ont des immigrants ». En effet, la grande majorité des nouveaux arrivants se dirigent vers la communauté anglophone : communauté minoritaire en nombre mais qui détient les rênes de l’économie. Pour accéder à de « meilleurs » postes et gagner un salaire largement supérieur à la moyenne, il faut parler anglais. Le domaine du français

est « plutôt celui des basses tâches, des petites entreprises, des faibles revenus et des niveaux d’instruction peu élevés » comme le souligne le rapport Gendron en 1972 (Durand 2002 :168). C’est ainsi que de nombreux immigrants, même ceux de langues latines, se tournent vers la communauté anglophone. Pour les immigrés au Québec, apprendre l’anglais et le faire enseigner à leurs enfants est une garantie d’ascension sociale. Devant un tel constat, le Gouvernement se trouve obligé de légiférer.

C’est avec le problème des langues d’enseignement à l’école que débute la crise linguistique de Saint-Léonard, en 1969, qui entraîne le vote de toutes les lois en rapport avec la langue française. Dans cette commune près de Montréal, le Gouvernement provincial décide en 1968 de supprimer les classes bilingues où l’anglais est dominant et qui attirent la très large majorité des enfants d’immigrés (majoritairement italianophones) et de plus en plus d’enfants francophones, au profit de classes unilingues francophones.

Cette suppression entraîne des affrontements et une lutte sans précédent, elle débouche sur ce que l’on appellera « l’époque des lois linguistiques ». Le Gouvernement québécois prend conscience que, si des mesures ne sont pas prises pour protéger et améliorer le statut de la langue française et des Francophones du Québec, ces derniers seront amenés à abandonner leur langue dans une période proche.