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1.2.2 L’époque des lois linguistiques

1.2.2.3 La Loi 101 (1977) : loi linguistique et gestion de la pluralité

► Influence sur l’utilisation du français

Le Parti Québécois a pris le pouvoir en 1976. Un an plus tard, est promulguée la loi la plus médiatique et la plus aboutie dans la défense de la langue française : la Loi 101,

accompagnée d’une « Charte de la langue française » (Charte de la langue française). C’est une version améliorée de la Loi 22. Le Québec devient un territoire uniquement français. Des droits linguistiques fondamentaux accompagnent l’énoncé de cette loi : droit à travailler en français, droit à l’enseignement en français… La langue française est la seule langue des projets de loi et des lois, la langue des tribunaux, des communications, de l’affichage ou de la signalisation routière. Cette loi est un instrument de pénétration linguistique au sein de la population anglophone et allophone.

Dans le domaine de l’éducation, l’accès à l’enseignement n’est plus laissé à la liberté de choix : les enfants ne peuvent aller dans une école publique anglophone que si l’un des parents a déjà été scolarisé en anglais au Québec. Ainsi, les enfants des immigrants, même de langue maternelle anglaise, devront s’inscrire à l’école française. En 1977, 80 % des enfants d’immigrants fréquentaient une école anglophone ainsi que 1,6 % d’enfants de Québécois francophones. Selon le Conseil de la langue française, en 1980, 38,7 % des enfants allophones fréquentaient une école francophone ; ils sont 72,7 % en 1990 (Poissant 2003 : 86).

Cependant, au fil des années, la Cour suprême du Canada, dans ses décisions, donnent raison de plus en plus aux Anglo-Québécois en diminuant petit à petit le pouvoir décisionnel du Québec en matière de gestion linguistique. Par exemple, en 1984, elle invalide des articles de la Loi 101 sur l’éducation et étend l’accès aux écoles anglaises du Québec à tous les enfants de parents ayant reçu leur formation primaire en anglais au Canada, et plus seulement au Québec.

La Loi 101 joue en faveur de la francisation plus complète du Québec mais aussi assure des droits linguistiques aux Anglophones. La place affirmée de la langue française et le renversement de situation ont également pour but de favoriser l’acceptation générale dans la minorité anglophone du fait français, langue officielle. Paradoxalement, on constate que le succès de la Loi 101 ne sert pas uniquement aux idées des indépendantistes du Parti Québécois. Rassurés quant à l’avenir de leur langue et de leur identité, les électeurs peuvent envisager une insertion du Québec au sein de l’ensemble canadien avec plus de sérénité. Toutefois, le monde des affaires et la communauté anglophone de Montréal ne cachent pas leur crainte et leur mécontentement (Durand 2002 : 181-182). En effet, l’alinéa 46 stipule qu’il « est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la

connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que la langue

officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance »7,

conformément aux règlements adoptés à cet effet par l’Office de la langue française. C’est alors que certains choisissent de partir dans d’autres provinces totalement ou très majoritairement anglophones : entre 1960 et 1976, 200 000 Québécois quittent le territoire et 400 000 entre 1976 et 1996, soit au total 600 000 personnes. Ainsi presque 10 % de la population québécoise, parmi la plus instruite et la plus économiquement favorisée, sont allés faire profiter l’Ontario et l’Ouest canadien (et les États-Unis d’Amérique) de leurs

avoirs et de leur savoir-faire8 (Lisée 2000 : 30).

Nous avons vu plus haut que les décisions de la Cour suprême ont pour effet de limiter les actions du Québec en matière de gestion linguistique. En 1988, c’est dans le secteur du commerce et des affaires que le processus de « francisation » est allégé. Cela débouche sur une nouvelle querelle linguistique : certaines directives provinciales sur la langue française sont jugées incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, la Loi 178, modifie la Charte de la langue française (Loi 101) et stipule que l’affichage en français exclusivement est obligatoire à l’extérieur des commerces (devanture, etc) ; à l’intérieur des établissements, le bilinguisme est licite à condition que le français demeure dominant. Ce compromis ne satisfait aucune des deux communautés : les anglophones espéraient un retour au bilinguisme qui aurait sonné à terme le glas du français et les Francophones nationalistes demandaient le recours à une clause dérogatoire permettant au Québec de ne pas tenir compte d’une décision fédérale (Caboche 1989 : 28).

1.3 Conclusion

Ainsi, les efforts collectifs des différentes associations pour la défense des droits de la population francophone ont été concrétisés par la mise en place d’une politique linguistique volontaire. Les lois linguistiques ont permis de renverser la tendance à l’anglicisation vers laquelle le Québec s’acheminait inexorablement. La Loi 101 ne concerne pas uniquement l’utilisation et le statut des langues de la province mais intervient

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Alinéa 46, du chapitre 5 de la version de 1977, Alinéa 8, du chapitre 57 de la version de 2000.

dans la détermination de la gestion de la pluralité culturelle du Québec. Cette intervention dans le domaine de la langue contribue à enrayer l'assimilation linguistique et culturelle des Québécois, dont le français est la langue maternelle ou de communication, et à redonner le contrôle de l'économie à la majorité francophone. Même si pour certains observateurs (Sparer 1988), le français ne suffit pas pour fonctionner, même dans une société distincte, il

semble que, depuis la fin du 20ème siècle, la dualité linguistique du Québec semble avoir

trouvé un premier équilibre. Nous verrons, avec les chiffres de l’immigration et de la francisation, que l’élévation de la langue française au statut de langue officielle va de pair avec l’augmentation de son utilisation dans la population québécoise, les chiffres du bilinguisme progressent et le paysage linguistique de Montréal s’est francisé.

2 L’immigration au Canada et Québec

Les politiques linguistiques du Canada et du Québec, dont nous venons de parler, sont menées dans le but de gérer le contact entre des langues en présence depuis le fondement de la Fédération du Canada, le français et l’anglais, mais également, nous l’avons vu, des langues provenant de l’apport des différentes cohortes d’immigrants qui se sont installés au Canada et, dans le cas qui nous intéresse, au Québec. Pour comprendre pourquoi la mise en place de ces politiques linguistiques a été nécessaire, nous allons maintenant nous intéresser à l’histoire de l’immigration au Canada et au Québec, comment ces territoires ont été peuplés et quelles sont les caractéristiques ethniques, culturelles et linguistiques de leur population.

Étant donné l’objet de notre recherche, nous dresserons, ensuite et plus précisément, le profil de la population immigrante, installée au Québec depuis 2000, dont la majorité de nos témoins fait partie.

2.1 L’histoire de l’immigration et des politiques d’immigration