• Aucun résultat trouvé

5. Politique de gestion de la pluralité culturelle : Théories et applications

3.2 Une norme/des normes/quelles normes ?

3.3.2 Le modèle pluricentrique

Concernant le problème de la détermination et de la diffusion de la norme endogène du Québec, il faut prendre en compte le fait que, pour beaucoup, dans la population civile et scientifique, la légitimitation du standard local serait la porte ouverte à la détérioration de la qualité de la langue et renforcerait, de manière corollaire, l’insécurité linguistique vécue par les locuteurs. Ainsi, le travail de sensibilisation et d’information doit être axé sur le fait que la reconnaissance d’une norme locale ne signifie pas la légitimisation de tous les particularismes, représentés comme appartenant à la langue populaire, en résumé de la langue « de la rue » (Moreau 2000 : 147). Ainsi, on peut comprendre la réticence d’une partie de la population concernant la reconnaissance de la langue standard québécoise, qui, pour certains, était la promotion des traits populaires, qui les déclassaient et les privaient de mobilité linguistique, sociale et économique.

Pöll (2001b) recense les différentes options possibles, au niveau institutionnel, concernant le traitement des différentes variétés d’une même langue sur un territoire :

- le modèle de « norme unique ». Cette option a couru jusque dans les années 60 dans les

différents pays de la francophonie, justifiée par la volonté de maintenir la cohésion de l’espace francophone et éviter l’éclatement de la communauté linguistique. La norme à suivre était le « français international », en fait le « français hexagonal ».

- le modèle de « régionalisation de la norme ». Ce modèle est défendu, entre autres, par

Robillard, qui propose que certaines variétés régionales ou locales puissent avoir le statut de norme sectorielle. Ces variétés, institutionnalisées, seraient utilisées dans certaines aires géographiques et thématiques. Une variété supra-locale serait également connue de tous pour répondre aux besoins langagiers dans les autres aires de communication. Mais, certains sociolinguistes critiquent cette option et y voient une source supplémentaire d’insécurité linguistique. Ainsi, les locuteurs de communauté périphérique devraient maîtriser, à la fois, la norme endogène légitimée et une norme supra-locale (le français hexagonal)

- le modèle pluricentrique : nous assistons à la demande de reconnaissance de variétés géographiques du français. L’hégémonie de la norme du français hexagonal est petit à petit remise en cause dans les pays de la francophonie. La diversification des normes est le propre d’une langue parlée dans plusieurs pays. Ainsi, le français est une langue pluricentrique (comme l’anglais, l’espagnol, etc) : chaque communauté linguistique, avec un référent géographique précis, constitue un centre, ce qui confèrerait une légitimité à ses pratiques linguistiques. Les normes du français proviennent des différents centres de la francophonie. Une langue pluricentrique est donc une langue aux multiples variétés, dont chacune vise à être standardisée et émanent de communautés linguistiques établies. Un centre normatif est un « groupe de locuteurs ayant en commun certaines variables socio-culturelles » (Ammon 1997 in Pöll 2005 :

19)58. Il existe cependant des centres correspondant à des entités politiques qui ne

bénéficient pas d’indépendance politique comme par exemple le Québec ou la Suisse romande. Les normes linguistiques constituées par les différents centres à l’intérieur d’une communauté linguistique correspondent, par définition, à des variétés standard, différentes les unes des autres, par exemple le français de Côte d’Ivoire, le français du Québec, le français de Belgique, etc.

La notion de langue pluricentrique fait le lien avec ce que nous avons dit précédemment sur la norme endogène. Accepter une variété de langue, autre que le français de France, fait que l’étalon de référence devient, au moins partiellement, interne aux pratiques de la communauté linguistique concernée. Manessy (1997 : 25) montre que « s’il y a endo-normativité totale, le terme de norme endogène se confond avec la notion de norme même, le qualificatif endogène étant alors superflu ». Une norme endogène n’a d’existence que par rapport à une norme exogène. Le passage de « norme endogène » à la norme tout court ne peut se faire que par la prise de conscience des locuteurs et par la fin de leur insécurité linguistique.

Le modèle pluricentrique sert d’outil de description des variétés nationales des langues et rend compte de la diversification des normes linguistiques à l’intérieur d’une communauté linguistique et de l’impact de cette diversification sur les attitudes et les comportements langagiers des locuteurs (Pöll 2005 : 18). Il met en avant les asymétries en terme de légitimité et de prestige des divers centres normatifs au sein d’un espace

plurilinguistique car si une communauté linguistique dispose de plusieurs centres normatifs, il est rare qu’ils aient tous le même poids. .

Ce modèle a aussi un rapport avec l’aménagement linguistique, en cela qu’il peut justifier les actions menant à la normativisation d’une certaine variété de langue dans le but d’« améliorer le rendement fonctionnel de la langue, de diminuer l’insécurité linguistique ou tout simplement de faciliter l’intercompréhension au cas où elle serait mise en danger » (ibid. : 18).

L’objectif de ce modèle est de voir le français, non pas comme une langue, mais comme « un type de langue » qui recèlerait des valeurs de compréhensibilité, d’acceptabilité sociale de chacune des variétés nationales et une valeur de conformité au système qui préserverait la langue de base d’une dérive et assurerait globalement l’intercompréhension.

Ce modèle prône un pluricentrisme égalitaire et symétrique, qui ne peut être mis en place qu’avec l’entière collaboration de tous les Francophones (Pöll 2001b : 145). Ainsi, une nouvelle voie s’ouvre en matière de réflexion sur la langue : l’approche polynomique des langues qui propose que l’identité d’une communauté linguistique soit déterminée par un attachement à une langue-système, dans un espace qui prône l’intertolérance des variétés et des locuteurs ainsi que la non hiérarchisation entre les variétés. « Cette approche implique la reconnaissance et la légitimisation de variétés considérées jusque là comme moins importantes par rapport à une norme trop écrasante» (Laroussi, Babault 2001 : 12). Il s’agit de changer les rapports et les représentations entre norme centrale et norme(s) périphérique(s).

3.3.3 Influence au niveau linguistique et identitaire du rapport à la norme