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5. Politique de gestion de la pluralité culturelle : Théories et applications

3.2 Une norme/des normes/quelles normes ?

3.2.2 Norme(s) : définitions

Toute norme linguistique concerne la langue. La langue est perçue soit en tant que matériau, soit en tant qu’outil de communication. La désignation par les termes « norme linguistique » ne paraît pas assez précise. Après avoir appréhendé les différentes terminologies concernant cette notion, nous allons établir une terminologie qui correspond à notre étude.

Dans son usage habituel, le terme « norme » désigne « une variété de langue qui, à un moment donné, s’impose et est imposée par tout un appareil prescriptif comme la langue de référence à laquelle doivent se mesurer tous les comportements. […] Il s’agit donc d’un code normalisé de règles impératives définissant le bon et le mauvais en matière de prononciation, de grammaire et d’orthographe et de style » (Aleong 1983 : 260). Dans cette définition, Aleong souligne la dimension prescriptive de la norme (« règles impératives définissant le bon et le mauvais »), le processus de normativisation qui a conduit à ériger une certaine variété de langue en la norme à suivre (« est imposée par tout un appareil prescriptif »), cette variété devient alors celle la plus utilisée (« code normalisé »). Cette définition désigne ce que nous considérons comme la norme standard.

En revanche, Bourgain présente la norme par rapport à l’usage que les locuteurs font de la langue. Elle insiste donc sur le processus de normalisation qui conduit à définir une norme car, selon elle, la norme est « l’ensemble des formes linguistiques donnant lieu dans une société donnée à la plus grande fréquence d’emploi » (Bourgain 1990 : 82). C’est ce que nous appellerons la norme d’usage qui repose donc sur des critères quantitatifs (« la plus grande fréquence d’emploi »).

Ces formes linguistiques sont le plus souvent produites en conformité avec un ensemble de règles. Ces règles peuvent être de nature linguistique : « elles renvoient alors à une construction théorique des propriétés structurelles de la langue, en principe validées par l’observation de faits langagiers » (Bourgain 1990 : 82). La norme grammaticale ou

norme standard est basée sur les règles que l’on trouve dans les grammaires.

Ces règles peuvent également être de nature socioculturelle. Une norme impose une prescription déterminée par des règles linguistiques objectives et sociales changeantes selon

ici, car cette norme varie généralement en fonction de chaque groupe social et/ou ethnique qui utilise la variété de langue en question). Une norme d’usage sociale est à la fois une norme d’usage car elle regroupe les formes linguistiques qui ont la plus grande fréquence d’emploi et une norme sociale car elle correspond à la pratique et est définie par un groupe social déterminé.

Lorsqu’une norme d’usage sociale est formulée par référence aux usages (réels ou supposés) de la langue des groupes sociaux dits « dominants », les « élites », elle est appelée « la norme d’usage socialement valorisée ».

La notion de norme recouvre donc :

- des régularités observables dans les habitudes partagées de la communauté linguistique désignée aussi bien linguistiques que culturo-langagières (voir la définition de « norme d’usage » ci-dessus)

- une dimension prescriptive au niveau linguistique (norme grammaticale)

- une dimension prescriptive linguistique socio-culturelle, que l’on désignera par « normativité » (voir la définiton de « normes d’usage sociales » ci-dessus)

La dimension prescriptive s’applique aussi bien au niveau linguistique que social : la prescription est donc intrinsèque à la notion de norme.

Swiggers (2002) reprend les différentes orientations sémantiques possibles quand on parle de norme : il peut s’agir d’une norme linguistique objective et descriptive, d’une norme sociale prescriptive et d’une norme-étalon, utilisée pour mesurer les écarts.

La norme linguistique, pour Swiggers, est décrite d’après les observations objectives de l’objet langue. C’est ce qui est régulier, commun et courant dans la structure ou le système de la langue (Swiggers 2002 : 19). Mais l’auteur semble ici ne pas différencier deux normes (grammaticale et d’usage). Ainsi, si l’on reprend ce que l’on a dit sur l’interrelation entre les processus de normalisation (en rapport avec la norme d’usage) et de normativisation (en rapport avec la norme grammaticale), on sait que la norme grammaticale repose en grande partie sur les structures le plus fréquemment employées dans le discours.

Martel et Cajolet-Laganière (1996 : 73) parlent de « normes linguistiques » expliquant qu’il y a autant de normes linguistiques que de groupes et de sous-groupes dans

une société donnée. Nous préférons parler de « normes d’usage sociales » étant donné que ces normes reposent davantage sur l’utilisation (l’usage) que font les locuteurs, appartenant à des groupes différents, d’une langue dans une situation de communication donnée et définie par des critères interactionnels.

Certains auteurs tiennent compte des fonctions sociales dans leur définition de la norme linguistique. Il ne s’agit donc plus de l’étude de la langue en tant que système mais en tant qu’outil de communication. Ainsi, Aleong donne la définition suivante de la norme linguistique : c’est le « produit d’une hiérarchisation des multiples formes variantes possibles selon une échelle de valeurs portant sur la « convenabilité » d’une forme linguistique par rapport aux exigences de l’interaction linguistique » (Aleong 1983 : 260). La norme linguistique est ici inscrite dans l’énonciation et elle est ce que nous avons appelé « les normes d’usage sociales ».

Nous appellerons « norme d’usage socialement valorisée », la norme présentée comme le modèle linguistique idéal. Cette norme se base donc sur des représentations. Elle est « sociale » car elle repose sur des données subjectives. Ce serait la norme des « structures et des formes prestigieuses » ou identifiées comme étant la compétence maximale dans la maîtrise du registre soutenu de la langue. La norme d’usage et la norme grammaticale, contrairement aux normes d’usage sociales, sont déterminées à partir de données objectives : dans le premier cas, il s’agit de la fréquence des formes dans la langue, comme instrument de communication et dans le deuxième cas, il s’agit de l’étude de la syntaxe, du fonctionnement du matériau langue.

La norme d’usage socialement valorisée est celle que les locuteurs vont essayer d’employer dans les situations plutôt formelles. Elle est valorisée par l’ensemble des groupes sociaux car elle traduirait, grâce à la connaissance et à l’utilisation correcte de certaines structures et vocabulaire, un statut social ou socio-professionnel élevé. Comme toutes les normes, elle est prescriptive et est présente dans l’enseignement (respect des règles grammaticales, correction des énoncés, fautes, niveau de langue, etc). Elle est définie par les exigences de la collectivité en matière de « bon usage » et sanctionnée par la reconnaissance négative ou positive du locuteur. Elle hiérarchise les usages réels et, de ce fait, exerce une « pression sociale » importante (Swiggers 2002 : 20, Martel, Cajolet- Laganière 1996 : 73). La maîtrise de la « norme d’usage socialement valorisée » suppose la

communication, tant ces formes relevant du « bon usage » sont inscrites ou au moins identifiables dans la conscience linguistique de la plupart des locuteurs. Cette norme n’est que d’origine sociale : la valeur qui lui est accordée n’est pas génétique (intrinsèque aux formes concernées), elle n’est pas basée sur un sociolecte stable et homogène. La non- maîtrise de cette norme par les locuteurs entraîne une dévalorisation sociale (personnes déscolarisées ou peu scolarisées, etc).

Les individus sont, généralement, conscients du code linguistique qui leur permettra de réussir leur intégration sociale. La norme d’usage peut être considérée comme propre à un individu (cela concerne alors l’usage effectif de son interlangue). Ainsi, la conscience linguistique est la conscience qu’ont les locuteurs du décalage entre leur norme d’usage individuelle et leur représentation de ce qu’est la norme d’usage de la communauté linguistique. Si ce décalage est considéré comme important et/ou stigmatisant, les individus sont en situation d’insécurité linguistique. La volonté d’intégration conduit les individus à tenter d’adopter le code perçu comme le plus partagé. Mais tenter de se conformer à ces représentations ne conduit pas toujours à l’adoption effective des normes d’usage sociales : les phénomènes d’hyper ou d’hypo-correction sont les révélateurs de cet écart.