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C ADRE CONCEPTUEL

2. Le concept d’identité

2.2. Une vision psychologique de l’identité

2.2.1. Inconscient et conflits dans la construction identitaire

Freud ne mentionne pas directement l’identité dans ses travaux, mais s’intéresse à la personnalité des individus, au développement de celle-ci. La première topique (Freud, 1996) élaborée en 1900 nous indique, à travers l’inconscient, que l’homme n’est pas totalement maître de son comportement, de ses réactions. La construction psychique du sujet s’opère à partir d’un rapport de tensions entre le conscient et l’inconscient, d’origine développementale avec pour point de départ la petite enfance. La seconde topique (Freud, 1999), formulée à partir de 1920, explique le détail de ces tensions en présentant le fonctionnement psychique comme une série de conflits entre le Ça, le Moi et le Surmoi. Le Ça correspond à un réservoir pulsionnel, il est le siège des pulsions (de vie, de mort, d’autoconservation). Le Surmoi résulte de la résolution du complexe d’Œdipe qui signe l’intériorisation des interdits parentaux à travers la morale et les normes sociales. Le Moi est le siège de la personnalité et est tiraillé entre les pulsions du Ça et les interdits du Surmoi, entre le principe de plaisir et le principe de réalité. La construction identitaire du sujet (sa personnalité) repose sur une dynamique développementale et se construit dans le conflit.

2.2.2. Psychanalyse et crise des identités

Erik Erikson est le père de l’identité au sens moderne du terme. Dans la lignée des travaux psychanalytiques de Freud, il introduit l’expression en 1950 de « crise des identités »

89 (Erikson, 1982) pour évoquer cette construction identitaire conflictuelle. Dès lors le concept d’identité ne cessera d’être exploré. L’identité est un processus temporel qui s’élabore tout au long de l’existence avec une série de ruptures, de crises : « Sentiment subjectif et tonique d’une unité personnelle (sameness) et d’une continuité temporelle (continuity) » (Erikson, 1978, p. 14), sans être « jamais ʺinstalléeʺ, jamais ʺachevéeʺ comme le serait une manière d’armature de la personnalité ou quoi que ce soit de statique et d’inaltérable » (Ibid., p. 20).

Erikson tente de dépasser la théorie freudienne en insistant davantage sur le rôle des interactions sociales dans la construction de la personnalité. L’identité « peut se concevoir uniquement comme une sorte de relativité psycho-sociale » (Ibid., p. 19), dans un rapport entre soi et les autres. Ainsi la « formation de l’identité met en jeu un processus de réflexion et d’observations simultanées » (Ibid., p. 18) où l’individu se juge à travers sa perception du jugement des autres sur lui-même par comparaison avec eux-mêmes, tout en jugeant leur façon de le juger par comparaison avec eux-mêmes.

2.2.3. Psychologie sociale et identité pour autrui

Au niveau de la psychologie sociale, Laing (1971) relève un rapport entre une identité pour soi et une identité pour autrui. Nous retrouvons un lien avec l’approche temporelle du philosophe John Locke au niveau de l’identité pour soi : « l’ʺidentitéʺ est ce qui fait qu’on se sent le même, en ce lieu et en ce moment, qu’en cet autre moment et en cet autre lieu, passé ou futur ; c’est ce par quoi l’on est identifié » (Laing, 1971, pp. 104-105). L’identité pour autrui permet l’actualisation de l’identité pour soi par le biais de la relation : « Toute ʺidentitéʺ requiert l’existence d’un autre : de quelqu’un d’autre, dans une relation grâce à laquelle s’actualise l’identité du soi » (Ibid., p.99). Laing prend en compte également le discours des individus quant à leur perception de leur identité pour soi qui est « l’histoire qu’on se raconte sur ce qu’on est » (Ibid., p. 114), tout en prenant en compte le regard des autres dans une forme de continuité ou de rupture : « Ce sont les autres qui vous disent qui vous êtes. Plus tard, on endosse leurs définitions ou l’on essaie de s’en débarrasser » (Ibid., p.115). Ce décalage entre les perceptions de l’identité pour soi et de l’identité pour autrui est difficile et douloureux :

« C’est une performance que de se rendre compte qu’on n’est pas nécessairement celui pour qui on vous prend. Cette conscience du décalage entre l’identité-du-soi, pour-soi et l’être-pour-autrui est douloureuse » (Laing, 1971, p. 193). Pour la psychologie sociale, l’identité n’est donc pas figée, elle découle d’une construction subjective complexe qui s’inscrit au carrefour

90 de plusieurs histoires, « l’histoire propre et celle des échanges avec le milieu » (Giust-Desprairies, 2002, p. 50).

2.2.4. Identifications et socialisation

Pour Pierre Tap, l’identité personnelle est une « sous-structure de la personnalité » (1991, p. 58). Il définit l’identité en reprenant les deux facettes de l’identité (identité pour soi et identité pour autrui) évoquées précédemment :

Système de sentiments et de représentation de soi, (c’est-à-dire) l’ensemble des caractéristiques physiques, psychologiques, morales, juridiques, sociales et culturelles à partir desquelles la personne peut se définir, se présenter, se connaître et se faire connaître, ou à partir desquelles autrui peut la définir, la situer, ou la reconnaître » (Tap, 1979, p. 8).

Pour Tap (1979), la genèse de l’identité se situe au niveau des identifications successives de l’individu. L’identification est « un processus psychologique par lequel le sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifications » (Laplanche & Pontalis, 2007, p. 187). Le processus de formation de la personnalité, et donc de l’identité, débute donc par l’identification. En effet « sans le phénomène d’identification à un transmetteur de tradition l’homme ne pourrait avoir de véritable sentiment de son identité » (Lorenz, 1975, p. 276). L’identification joue donc un rôle majeur dans le processus de construction identitaire par un « double mouvement d’assimilation et de différenciation » (Marc, 2004, p. 34). Les identifications débutent chez l’enfant dans la sphère familiale, pour se prolonger dans le milieu scolaire puis dans le cadre professionnel à l’âge adulte. Elles permettent à l’individu d’intérioriser ses différents groupes d’appartenance. Ces derniers « s’inscrivent aussi dans une stratégie individuelle ou collective, qui projette le sujet dans l’avenir, dans une compétition pour la reconnaissance sociale, l’ascension, la valorisation ou le changement » (Ibid., p. 37). Ainsi l’identité apparait donc en lien avec la socialisation.

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2.2.5. La socialisation, lien entre la psychologie et la sociologie

À partir de ses conceptions du développement chez l’enfant, Piaget (1965) propose une approche de la socialisation « complémentaire et non antagoniste des approches psychogénétiques » (Dubar, 2010, p. 19) constitutives de son œuvre. Se situant dans une approche développementale, il définit le développement mental de l’enfant « comme une construction continue mais non linéaire » (Ibid., p. 20) par stades successifs (sensori-moteur, pré-opératoire, opératoire concret et formel) constituant un processus d’équilibration,

« passage perpétuel d’un état de moindre équilibre à un état d’équilibre supérieur » (Piaget, 1964, p. 9). Cette équilibration s’effectue selon deux modes complémentaires à chaque stade du développement : l’assimilation et l’accommodation (Piaget, 1973). L’assimilation consiste à incorporer des éléments (choses, personnes) à une structure déjà construite : l’enfant modifie alors le monde extérieur pour le ramener à des objets connus. Lors de l’accommodation, l’enfant se transforme lui-même pour s’adapter au monde et à son évolution : l’accommodation consiste donc à modifier les structures en fonction des changements environnementaux. Ces structures mentales sont indissociables d’une forme de relation à autrui. C’est par le contact avec les autres, en passant de la contrainte à la coopération, que l’enfant s’extrait de son égocentrisme initial pour s’intégrer à différents groupes sociaux. Piaget élabore le développement de l’enfant, et donc sa socialisation, comme un processus actif d’adaptation à un environnement mental et social toujours plus complexe. La socialisation de l’enfant se réalise à un double niveau individuel et social avec une composante cognitive (interne à l’individu) et avec une composante affective, relationnelle (dirigée vers l’extérieur). Cette double dimension individuelle et sociale de la construction identitaire à travers la socialisation primaire durant l’enfance permet d’établir une relation entre la psychologie et la sociologie, mais sans en dépasser encore le clivage.

L’approche psychologique ajoute donc à l’aspect cognitif de la construction identitaire une dimension sociale. La psychologie, et ses branches que sont la psychanalyse et la psychologie sociale, nous conduisent à une vision davantage tournée vers autrui de l’identité avec l’existence d’une identité pour soi et d’une identité pour autrui. Mais l’articulation de celles-ci reste encore à développer et l’identité demeure individuelle, fortement liée au processus biographique.

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