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prolongement dans la sociologie française

3. L’identité professionnelle

3.3. Les dynamiques identitaires : entre projet de Soi, tensions identitaires, stratégies identitaires et transitions identitaires, stratégies identitaires et transitions

3.3.4. Stratégies identitaires

En préambule, nous noterons que l’étude des notions de stratégies identitaires n’est possible qu’à partir de cinq éléments consensuels partagés au sujet de l’identité sociale (Lipiansky, Taboada-Leonetti & Vasquez, 1998) :

− L’identité est le produit d’un processus dynamique intégrant les expériences de vie de l’individu ;

− L’identité se construit par et dans l’interaction avec autrui ;

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− L’identité possède un « aspect multidimensionnel et structuré » (Ibid., p. 23). Les situations interactionnelles dans lesquelles les individus sont impliqués sont diverses et multiples et génèrent non pas « une simple juxtaposition d'identités, mais sont intégrées dans un tout structuré, plus ou moins cohérent et fonctionnel » (Ibid.) ;

− L’identité se situe dans un « apparent paradoxe de l'unité diachronique d'un processus évolutif » (Ibid.) : malgré son caractère mouvant, l’individu conserve une conscience de son unité et de sa continuité ;

− L’individu développe des stratégies identitaires, fait des choix qui lui octroient une

« marge de manœuvre […] face aux clivages intérieurs et aux contradictions institutionnelles » (Ibid.).

Une fois posés ces cinq éléments de consensus, nous pouvons définir plus précisément les stratégies identitaires.

3.3.4.1. Définition des stratégies identitaires

Le terme de stratégie peut être défini comme un « ensemble d'actions coordonnées, d'opérations habiles, de manœuvres en vue d'atteindre un but précis » (CNRTL). Accolée au terme identitaire, elle « postule indiscutablement que les acteurs sont capables d'agir sur leur propre définition de soi » (Taboada-Leonetti, 1998, p. 49). Ainsi les stratégies identitaires

« apparaissent comme le résultat de l'élaboration individuelle et collective des acteurs et expriment, dans leur mouvance, les ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu'elles suscitent » (Ibid.).

Ainsi le terme de stratégie identitaire est utilisé pour désigner des mécanismes de défense ou des séquences de comportement destinés à faire face à la souffrance créée par une image de soi dévalorisée (Malewska-Peyre, 1987), des « ajustements opérés, au jour le jour » (Taboada-Leonetti, 1998, p. 49) ou encore servir « à maintenir un plaisir éprouvé que l’on cherche à prolonger » (Kaddouri, 1999, p. 107). Ce plaisir résulte alors d’une

« concordance entre l’identité vécue et l’identité visée » (Ibid.). Les stratégies identitaires peuvent désigner également les transactions internes et externes à l’individu (Dubar 1992, 2010). Dans ce cas, les stratégies identitaires surviennent quand les deux processus biographique et relationnel ne coïncident pas. Il en résulte alors des « ʺstratégies identitairesʺ destinées à réduire l’écart entre les deux identités » (Dubar, 2010, p. 107). Les comportements et transactions découlant de ces stratégies identitaires ont alors pour but de réduire les écarts

119 entre l’identité pour soi et l’identité pour autrui (transaction externe) et/ou entre les identités héritées et les identités visées (transaction interne) (Kaddouri, 1996).

Une définition consensuelle et opérationnelle des stratégies identitaires est donnée par Lipiansky et ses collaborateurs :

Procédures mises en œuvre (de façon consciente ou inconsciente) par un acteur (individuel ou collectif) pour atteindre une, ou des, finalités (définies explicitement ou se situant au niveau de l’inconscient), procédures élaborées en fonction de la situation d’interaction, c'est-à-dire en fonction des différentes déterminations (socio-historiques, culturelles, psychologiques) de cette situation » (Lipiansky, Taboada-Leonetti, Vasquez, 1998, p. 24).

Nous retrouvons ici les deux dimensions biographique et relationnelle liées aux transactions internes et externes de l’individu. En lien avec les dynamiques identitaires et les tensions générées par celles-ci, Kaddouri prolonge cette définition en caractérisant les stratégies identitaires comme des « actes comportementaux et/ou discursifs mis en place pour faire face aux différentes tensions identitaires » (Kaddouri, 2019a, p. 24). Celles-ci visent, « d’une part, la gestion de la cohérence entre les différentes composantes de l’identité afin d’éviter leurs incompatibilités, d’autre part, le maintien de la cohésion identitaire afin de faire face à l’éclatement et à la dispersion des éléments de la totalité » (Ibid.). Elles sont ici une forme résolutoire des tensions inter et intrasubjectives de l’individu (Kaddouri, 2019b).

À partir de ces définitions, des typologies des stratégies identitaires ont été développées.

3.3.4.2. Les typologies des stratégies identitaires

Une première typologie a été proposée par Hanna Malewska-Peyre (1998) et est formée de trois types de stratégies identitaires (ou mécanismes de défense) élaborées en fonction de leurs orientations intérieures, extérieures ou mixtes :

− Les stratégies dirigées vers l’intérieur, c’est-à-dire vers soi, engagent « des mécanismes psychologiques qui permettent d'éviter la souffrance » (Malewska-Peyre, 1998, p. 122). Ceux-ci, en ayant pour objectif de supprimer l’angoisse, prennent les formes du refoulement, de l’intériorisation de stéréotypes négatifs, d’un repli sur soi, de rêves compensatoires ou encore d’auto-agressivité ;

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− Les stratégies dirigées vers l’extérieur, c’est-à-dire non vers soi, « impliquent le changement de la réalité : sa propre réalité personnelle ou la réalité de son groupe d'appartenance » (Ibid.). Elles sont souvent plus élaborées et peuvent être individuelles ou collectives. Elles se classent en deux catégories : les stratégies d’assimilation qui effacent « les différences de l'individu jusqu'au renoncement à son identité » (Ibid., p. 127) et les stratégies de valorisation et de revendication qui

« revalorisent sa propre spécificité, sa singularité, ou même la proclament sur un mode revendicatif » (Ibid.) ;

− Les stratégies intermédiaires consistent « en la recherche de similitudes avec les groupes majoritaires sans renoncer à sa propre différence » (Ibid., p. 129).

Une deuxième typologie des stratégies identitaires a été élaborée par Vincent De Gaulejac et Isabelle Taboada-Leonetti (1994). L’analyse d’une soixantaine d’entretiens sur des récits de vie a permis de mettre en évidence trois types de stratégies identitaires :

− Les stratégies de contournement contestent une image négative en refusant sa légitimité et son intériorisation. Ces stratégies que sont la distanciation, l’inversion du sens et la référence à d’autres systèmes de valeurs reconstruisent le sens négatif d’une identité sociale ;

− Les stratégies de dégagement cherchent à revaloriser l’identité en remettant en cause le système social stigmatisant. Parmi celles-ci, nous retrouvons l’agressivité, le désir de revanche et la recherche de la reconnaissance sociale individuelle et collective. Ce sont des projets de changement de la situation ;

− Les stratégies de défense se situent au niveau de la lutte contre une intériorisation d’une image négative et comporte un risque de cette intériorisation. Lorsque celle-ci est faible, le sujet résistera par l’évitement, le retrait social ou la dénégation et la fuite de la réalité. Quand l’intériorisation devient plus forte, le sujet accepte l’image de l’exclu, de l’incapable en mettant en place des stratégies de dédoublement en jouant un rôle, de résignation ou de surenchère.

Relevant toutes deux d’une perspective interactionniste, ces deux typologies ont pour point commun de permettre « de décrire et d’analyser les rapports que les sujets entretiennent avec eux-mêmes, autrui et leur environnement » (Gutnik, 2002). Comme le souligne Kaddouri (2019b), nous devons cependant garder à l’esprit que ces stratégies identitaires

121 n’appartiennent pas entièrement à la conscience du sujet (de par la partie inconsciente de l’identité) mais sont des artefacts qui résultent d’une inférence du chercheur pour saisir le réel qu’il observe.

Après avoir abordé différents concepts en lien avec les dynamiques identitaires (projet de Soi, tensions et stratégies identitaires), nous allons considérer ceux-ci lors des moments charnières de la vie professionnelle des individus, lors de changements professionnels désirés ou non.