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C ADRE CONCEPTUEL

1. Université et universitarisation

1.1. L’Université d’hier à aujourd’hui

1.1.1. Histoire de l’Université française

1.1.1.1. Des origines médiévales à l’époque moderne

L’Université, au sens de « communauté (plus ou moins) autonome de maîtres et d’étudiants réunis pour assurer à un niveau supérieur l’enseignement d’un certain nombre de disciplines » (Charle & Verger, 2007, p. 3), est apparue au début du XIIIème siècle en Europe occidentale, plus précisément à Paris, Bologne et Oxford, puis Montpellier (Charle & Verger, 2007). Issues des écoles du Haut Moyen-Âge, où les disciplines enseignées étaient essentiellement celles de l’Antiquité, les universités naissent d’un renouvellement des savoirs induits par l’essor de l’Occident, la multiplication des échanges et la conséquence de la croissance notamment urbaine (Ibid.) Elles ne se réfèrent pas à un modèle unique : les universités du nord de l’Europe sont des associations de maîtres, avec une place encore

69 importante de l’Église, tandis que les universités méditerranéennes sont des associations d’étudiants, dont les maîtres sont plus ou moins exclus, avec un contrôle ecclésiastique moindre. Outre l’émancipation diocésaine, les premières universités présentent des traits communs notamment au niveau de leur statut associatif de maîtres et/ou d’étudiants qui s’entraident et se protègent mutuellement par le biais de représentants élus (Ibid.).

De nouvelles universités apparaissent au cours des XIVème et XVème siècles avec un essor d’une douzaine d’universités recensées en 1300 à environ une soixantaine en 1500, principalement en Allemagne, en France et en Espagne (Ibid.). Officiellement institutions ecclésiastiques, les universités deviennent de plus en plus contrôlées par les villes et les États.

À cette époque, l’enseignement consistait à « reproduire un savoir figé sans chercher à l’enrichir ni à le renouveler » (Ibid., p. 23). Cependant les universitaires médiévaux ne voyaient pas les études comme une fin en soi, mais elles devaient leur permettre d’en tirer un profit personnel tout en mettant « leur compétence au service de fins socialement légitimes » (Ibid., p. 24). Il existait trois grades successifs : le baccalauréat, la licence puis la maîtrise ou doctorat (Charle & Verger, 2007). Le recrutement des étudiants et des enseignants était, et restera jusqu’à la Révolution, élitiste (Ibid.).

Les universités continuent de se multiplier à l’époque moderne pour atteindre le nombre de 143 en 1790. À la suite de plusieurs réformes, les pouvoirs politiques exercent un contrôle de plus en plus étroit « aux dépens des anciens privilèges d’autonomie » (Ibid., p. 57) aux niveaux des conditions d’inscription, de la durée des études et des modalités d’examen.

Dans le même temps avec les progrès scientifiques de l’époque moderne, les écoles professionnelles apparaissent pour développer des compétences non enseignées dans le cadre ancien des universités. Les États et les professions prennent alors « de plus en plus conscience que les seuls titres universitaires ne garantissaient pas par eux-mêmes une véritable compétence » (Ibid., p. 61). Des écoles et des collèges professionnels furent créés et s’opposèrent aux universités du fait de leur professionnalisation affichée, d’un personnel enseignant entièrement laïc, d’un contrôle total de l’État (gestion et recrutement avec un numerus clausus) et d’un internat pour les élèves. Pour ces différentes raisons, la Révolution fera des écoles professionnelles le modèle de l’enseignement supérieur, par opposition aux anciennes universités (Charle & Verger, 2007).

70 1.1.1.2. De la Révolution à la Seconde Guerre mondiale

Conséquence de la Révolution, l’enseignement supérieur français présente l’originalité d’avoir été entièrement reconstruit suite à l’abolition des universités et à la création des grandes écoles par la Convention du 15 septembre 1793, alors que dans les autres pays européens (notamment l’Allemagne) des réformes partielles ont permis de conserver des traits médiévaux ou d’Ancien Régime (Ibid.).

Dans le but d’organiser un enseignement autonome par rapport à l’autorité de l’Église, Napoléon Ier fondera par le décret du 17 mars 1808 l’Université impériale qui deviendra l’Université de France. La reconstruction de l’enseignement supérieur se produit sous contrôle étatique, avec un centralisme parisien et trois préoccupations majeures : « donner à l’Etat et à la société postrévolutionnaire les cadres nécessaires à la stabilisation d’un pays bouleversé, contrôler étroitement leur formation en conformité avec le nouvel ordre social et empêcher la renaissance de nouvelles corporations professionnelles » (Ibid., p. 71). L’accès aux universités reste élitiste et inégalitaire. Contrairement au modèle allemand, la recherche est peu présente dans les universités françaises qui, sous un mode étatique et centralisé, privilégient l’accès contrôlé à une profession au développement de la science (Charle & Verger, 2007).

Les historiens de l’éducation caractérisent la période 1860-1940 « comme celle de la diversification, de l’expansion et de la professionnalisation de l’enseignement supérieur » (Ibid., p. 87). Ceci va « de pair avec la prégnance du modèle allemand comme source d’inspiration des réformes dans les pays aux universités demeurées traditionnelles » (Ibid.).

Dans cette période, avec l’émergence du modèle américain de l’enseignement supérieur de masse, l’enseignement supérieur a pour enjeu « la promotion sociale des individus, l’affirmation nationale, le progrès scientifique et économique national et international, la formation des élites et, au-delà, des cadres sociaux et même l’évolution des rapports entre les sexes avec le début de la féminisation des études supérieures » (Ibid.).

La défaite française lors de la guerre franco-allemande de 1870 entraine une critique du système napoléonien des universités. Un double souci, de développement de la fonction de recherche universitaire sur le modèle germanique et de rééquilibrage d’un système hypercentralisé, apparait alors. La réforme universitaire française (1868-1904) amène la création par Victor Duruy des laboratoires de recherche « où l’on transmet la science sous forme de séminaires spécialisés rompant avec le cours formel destiné au grand public » (Ibid., p. 92). Cette réforme est également administrative : la loi du 13 juin 1896 relative à la

71 constitution des universités dote celles-ci d’une personnalité civile leur permettant de disposer de conseils élus, de maîtriser une partie de leur budget, de créer ou supprimer des chaires et de recevoir des donations. Par rapport aux avancées de la réforme, la décentralisation a progressé mais sans réellement entamer la domination parisienne : toutes universités confondues, 55 % des étudiants étaient parisiens en 1876 contre 43 % en 1914, puis 54,9 % en 1934-1935 (Charle & Verger, 2007). La réforme entraine également une diversification des disciplines enseignées et l’apparition du corps des maîtres de conférences. L’enseignement supérieur de la IIIème République devient plus démocratique, mais reste à dominante bourgeoise (en 1939, 49 % des étudiants étaient issus de la bourgeoisie économique et libérale, 39 % des classes moyennes, 7 % étaient fils d’artisans, d’ouvriers ou d’agriculteurs) avec une féminisation des effectifs concrète (10 % en 1910-1911 contre 27 % en 1936).

Cependant les grandes écoles, où les milieux supérieurs sont davantage représentés, posent un bémol à cette démocratisation de l’enseignement supérieur (Ibid.). En 1991-1992, ces grandes écoles admettaient 4 % des étudiants français, mais correspondaient à 30 % du budget total de l’enseignement supérieur (Renaut, 1995).

La fin de la Seconde Guerre mondiale marque le passage mondial à une université de masse avec une expansion des effectifs étudiants (Charle & Verger, 2012). Les universités en France accueillaient 60 000 étudiants en 1938, 300 000 en 1968 et 1 515 000 à la rentrée 2001-2002 (Renaut, 2002). En 2018-2019, 1 614 900 étudiants étaient inscrits dans les universités françaises (MESRI, 2020).

Depuis 1940, l’enseignement supérieur est une institution centrale pour les sociétés européennes. Il est devenu « le lieu de l’innovation scientifique, sociale et même politique » (Charle & Verger, 2007, p. 120). En effet, la plupart des grandes transformations sociétales sont « annoncées ou se préparent en son sein » (Ibid., p. 121).